Civ.2 3 avril 2025 n° 23-20.568
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 3 avril 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 326 F-D
Pourvoi n° H 23-20.568
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 AVRIL 2025
La caisse générale de sécurité sociale de La Réunion, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 23-20.568 contre l'arrêt rendu le 27 février 2023 par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre civile TGI), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [E], domicilié [Adresse 2],
2°/ à Mme [Z] [P], domiciliée [Adresse 4],
3°/ à la société Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), dont le siège est [Adresse 1], ayant un établissement [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [E] et de la société Mutuelle assurance des instituteurs de France, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 février 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 27 février 2023) et les productions, le 31 décembre 2014, Mme [P] a reçu dans l'?il droit un feu d'artifice allumé par M. [E], qui lui a occasionné une cécité de cet ?il.
2. La caisse générale de sécurité sociale de La Réunion (la caisse) a interjeté appel du jugement l'ayant déboutée de sa demande au titre des dépenses de santé futures de la victime de cet accident, dont M. [E], assuré auprès de la société Mutuelle assurance des instituteurs de France (la MAIF), a été reconnu responsable.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes au titre des dépenses de santé futures, alors « que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'à ce titre, le juge ne peut écarter une demande fondée en son principe, motif pris de l'insuffisance des éléments lui permettant d'en apprécier le quantum ; qu'en déboutant la caisse de sa demande au titre des dépenses de santé futures, fondée en son principe, motif pris de l'insuffisance des éléments fournis par la caisse aux fins d'apprécier le chiffrage qu'elle retenait, les juges du fond ont violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
4. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par une partie.
5. Pour débouter la caisse de sa demande d'indemnisation des dépenses de santé futures de Mme [P], l'arrêt retient, par motifs adoptés, que ce poste de préjudice, bien que constitué, est impossible à déterminer et, par motifs propres, que la caisse se fonde sur l'attestation de son médecin-conseil mais ne produit qu'un chiffrage global, à l'exclusion de tout autre élément, pour des postes de dépenses différents non chiffrés et des périodes d'un an pour les consultations, les compresses, solutions et le repolissage et une période de six années pour le renouvellement de la prothèse.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer et d'indemniser un préjudice dont elle constatait l'existence en son principe, a violé le texte susvisé.
Civ.2 13 mars 2025 n° 23-15.045
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 13 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 228 F-D
Pourvoi n° D 23-15.045
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 MARS 2025
1°/ M. [D] [P],
2°/ Mme [M] [B], épouse [P],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° D 23-15.045 contre l'arrêt rendu le 2 février 2023 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Elite Renov Eco, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée société BL rénovation,
2°/ à la société MIC Insurance, dont le siège est [Adresse 1] (Gibraltar), représentée par la société Leader Underwriting, prise en qualité de représentant de la société MIC Insurance en France, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [P], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 février 2023), M. [C] a fait réaliser par la société Elite Renov Eco, anciennement dénommée la société BL rénovation, des travaux sur la cheminée de sa maison en février 2016. Le 28 novembre 2016, un incendie s'est déclaré au droit du conduit de cheminée et s'est propagé à la propriété de M. et Mme [P], lesquels ont été partiellement indemnisés par leur assureur, la MAIF.
2. Assureur de la société Elite Renov Eco, la société Millenium Insurance Company Limited Insurance (la société MIC) a refusé de prendre en charge les conséquences du sinistre en invoquant une déchéance de garantie.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. et Mme [P] font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à la condamnation in solidum des sociétés Elite Renov Eco et MIC à leur payer la somme de 23 862,50 euros en réparation de leur trouble de jouissance, alors « que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en retenant, pour débouter les époux [P] de leur demande relative à l'indemnisation de leur trouble de jouissance, que celle-ci n'était pas "clairement expliquée et calculée", après avoir pourtant jugé que "le principe de la demande n'est pas à rejeter", la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
4. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par une partie.
5. Pour débouter M. et Mme [P] de leur demande d'indemnisation du trouble de jouissance subi, l'arrêt retient qu'ils ont prouvé la faute de la société Elite Rénov Eco, la réalité d'un dommage et le lien de causalité entre cette faute et le dommage. Il ajoute que, si le principe de la demande n'est pas à rejeter, force est de constater qu'elle n'est pas clairement expliquée et calculée.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer et d'indemniser un préjudice dont elle constatait l'existence en son principe, a violé le texte susvisé.
Soc. 5 mars 2025 n° 22-21.359
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 mars 2025
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 240 F-D
Pourvoi n° W 22-21.359
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 MARS 2025
La société Chamlys, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 22-21.359 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale, prud'hommes), dans le litige l'opposant à M. [S] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
M. [E] a formé un pourvoi incident et un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident et au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de chacun de ses recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Chamlys, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [E], après débats en l'audience publique du 29 janvier 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 24 juin 2022), M. [E] a été engagé en qualité d'employé, le 11 juin 2002, par la société Chamlys. En dernier lieu, il était manager de rayon.
2. Licencié pour faute grave le 17 juin 2017, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens du pourvoi principal de l'employeur
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi incident éventuel du salarié
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de sa demande d'indemnité pour licenciement injustifié, alors « que tout licenciement pour motif disciplinaire doit reposer sur un fait fautif personnellement imputable au salarié ; que pour dire le licenciement fondé, la cour d'appel a retenu que l'absence injustifiée reprochée au salarié était établie ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que l'employeur était informé du départ du salarié lors du pot de départ de celui-ci auquel il avait participé, et que dans le cadre de ce départ planifié, le salarié avait été supprimé des plannings de travail à la date prévue dudit départ, tous éléments dont il résultait l'impossibilité pour l'employeur de considérer comme fautifs et sanctionner des faits qu'il avait non seulement tolérés mais à la commission desquels il avait participé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Le rejet du premier moyen du pourvoi principal rend sans objet le moyen du pourvoi incident éventuel.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le déclarer redevable du règlement des heures supplémentaires réclamées par le salarié lequel devrait cependant déduire de son calcul les sommes correspondant aux primes d'objectif et annuelles, de renvoyer les parties à effectuer ce calcul, de le condamner à verser au salarié les sommes dues à ce titre, ainsi que des somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis, au titre de congés payés afférents et à titre d'indemnité de licenciement, alors « qu'aux termes de l'article 5.9, alinéa 1er de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, dans sa rédaction antérieure à l'avenant n° 71 du 15 janvier 2019 relatif à la réécriture du titre V de la convention, les heures supplémentaires sont rémunérées conformément aux dispositions légales et réglementaires" ; que renvoyant aux dispositions légales et réglementaires relatives à la rémunération des heures supplémentaires, l'article 5.9. alinéa 1er précité renvoie donc notamment à l'article L. 3121-22, alinéa 2 du code du travail, qui, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, autorisait un accord d'entreprise à fixer un taux de majoration des heures supplémentaires différent du taux légal, allant jusqu'à 10 % ; qu'en jugeant que l'accord d'entreprise conclu le 8 mars 2016, antérieurement au 10 août 2016, ne pouvait valablement prévoir un taux de majoration des heures supplémentaires de 10 %, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
Réponse de la Cour
7. Selon l'article 45 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, la valeur hiérarchique accordée par leurs signataires aux conventions et accords conclus avant l'entrée en vigueur de cette loi demeure opposable aux accords de niveaux inférieurs.
8. Selon l'article 16 III de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, l'article 45 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 est abrogé. Pour l'application de l'article L. 2253-3 du code du travail dans sa rédaction issue de cette ordonnance, les clauses des accords de branche, quelle que soit leur date de conclusion, cessent de produire leurs effets vis-à-vis des accords d'entreprise à compter du 1er janvier 2018.
9. Aux termes de l'article L. 2253-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, dans les matières autres que celles mentionnées aux articles L. 2253-1 et L. 2253-2, les stipulations de la convention d'entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la convention de branche prévalent sur celles ayant le même objet prévues par la convention de branche. En l'absence d'accord d'entreprise, la convention de branche s'applique.
10. Selon l'article L. 3122-33 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche, prévoit le ou les taux de majoration des heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale ou de la durée considérée comme équivalente. Ce taux ne peut être inférieur à 10 % .
11. Il en résulte qu'un accord collectif d'entreprise, portant sur la rémunération des heures supplémentaires, conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, ne peut, pour le calcul de la majoration d'heures supplémentaires accomplies de 2015 à 2017, déroger par des clauses moins favorables à une convention collective de niveau supérieur conclue antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004, à moins que les signataires de cette convention n'en aient disposé autrement.
12. Dès lors, l'accord d'entreprise conclu le 8 mars 2016 ne saurait déroger dans un sens défavorable aux salariés à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, étendue, de niveau supérieur, conclue antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004.
13. La cour d'appel a, d'abord, constaté que la convention collective nationale conclue le 12 juillet 2001 se référait dans son article 5.8 aux heures supplémentaires qui devaient être rémunérées conformément aux dispositions légales et réglementaires. Elle en a déduit, à bon droit, que cette convention collective prévoyait que la rémunération devait se faire aux taux de 25 % et le cas échéant 50 %.
14. Elle a, ensuite, constaté que l'accord d'entreprise dont se prévalait l'employeur, qui fixe à 10 % la majoration des huit premières heures supplémentaires, de la 36ème à la 43ème heure de travail effectif et à 50 % la majoration à compter de la 44ème heure de travail effectif, avait été conclu antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. Elle en a exactement déduit que le principe de faveur s'appliquait et que la rémunération des heures supplémentaires effectuées par le salarié sollicitée pour la période 2015 à 2017 devait être calculée en fonction des taux légaux de majoration.
15. Ayant relevé que les bulletins de paie faisaient état d'une rémunération majorée des heures supplémentaires au taux de 25 % jusqu'en juin 2016 puis au taux de 10 %, elle a exactement décidé qu'un rappel de salaire était dû au salarié.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi incident du salarié, qui est préalable
Enoncé du moyen
17. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire qu'il devra déduire de son calcul des heures supplémentaires les sommes correspondantes aux primes d'objectif et annuelles, alors « que les éléments de rémunération dont les modalités de fixation permettent leur rattachement direct à l'activité personnelle du salarié doivent être intégrés dans la base de calcul des majorations pour heures supplémentaires ; qu'en affirmant que ni les primes d'objectifs ni même les primes annuelles ne devaient être incluses dans l'assiette de majoration des heures supplémentaires sans qu'il résulte des énonciations de son arrêt que ces primes auraient été sans lien avec l'activité personnelle du salarié, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-22 du code du travail. »
Réponse de la cour
Vu l'article L. 3121-22 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et l'article L. 3121-36 du même code, dans sa rédaction issue de cette loi :
18. Il résulte de ces textes que les éléments de rémunération dont les modalités de fixation permettent leur rattachement direct à l'activité personnelle du salarié doivent être intégrés dans la base de calcul des majorations pour heures supplémentaires.
19. Pour juger que l'assiette de majoration des heures supplémentaires ne devait inclure ni les primes d'objectifs ni les primes annuelles, l'arrêt retient que les unes, destinées à faire participer les travailleurs aux bénéfices ou à la productivité de l'entreprise, sont indépendantes, pour leur détermination, du travail individuellement fourni, et qu'il y a lieu d'exclure les autres, primes forfaitaires intégrant déjà les majorations pour heures supplémentaires.
20. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser en quoi ces primes n'étaient pas directement rattachées à l'activité personnelle du salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
21. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge saisi d'une demande en paiement d'un rappel de salaire doit, s'il estime la demande fondée en son principe mais écarte les modalités de calcul retenues par le salarié, calculer lui-même la somme due ; qu'en se bornant à juger que l'employeur était redevable du règlement des heures supplémentaires réclamées par le salarié qui devrait cependant déduire de son calcul les sommes correspondant aux primes d'objectif et annuelles et à renvoyer les parties à effectuer ce calcul, puis en condamnant l'employeur au paiement des sommes dues à ce titre", sans aucunement les chiffrer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
22. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
23. Après avoir retenu qu'un rappel était dû au salarié au titre de la rémunération des heures supplémentaires qu'il avait effectuées, que les primes d'objectifs et les primes annuelles devaient être exclues de l'assiette de calcul des majorations, la cour d'appel a renvoyé les parties à procéder à un nouveau calcul et a condamné l'employeur à verser au salarié les sommes dues au titre de la rémunération des heures supplémentaires.
24. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de procéder à l'évaluation de la créance salariale dont elle avait reconnu le principe, au besoin en ordonnant une mesure d'instruction ou en faisant application des règles régissant la charge et la production des preuves, la cour d'appel a méconnu son office et violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
25. La cassation prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
Com. 18 décembre 2024 n° 22-21.487 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 18 décembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 786 F-B
Pourvoi n° K 22-21.487
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 DÉCEMBRE 2024
1°/ M. [N] [Y], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société World People, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° K 22-21.487 contre l'arrêt rendu le 19 juillet 2022 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [V] [F], veuve [Y],
2°/ à Mme [C] [Y],
3°/ à M. [G] [Y],
4°/ à M. [X] [Y],
tous quatre domiciliés [Adresse 4],
5°/ à la société [P] [K], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [P] [K], pris en qualité d'administrateur provisoire de la société World People,
6°/ à la société JSA, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [S] [O], pris en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société World People,
défendeurs à la cassation.
Mme [F], Mme [C] [Y] et MM. [G] et [X] [Y] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les sociétés [P] [K], World People et JSA ont également formé un pourvoi incident.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, cinq moyens de cassation.
Les premiers et deuxièmes (seconds) demandeurs au pourvoi incident invoquent chacun, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [Y], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société [P] [K], ès qualités, de la société JSA, ès qualités, de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme [F], Mme [C] [Y], MM. [G] et [X] [Y], après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 juillet 2022) et les productions, [U] [Y] et [Z] [D] ont constitué à parts égales la SARL World People. [U] [Y] est décédé le 21 avril 2001, en laissant pour lui succéder ses deux enfants issus d'une première union, MM. [E] et [N] [Y], ainsi que son épouse, Mme [F],et leurs trois enfants, [C], [G] et [X]. [Z] [D] est décédé le 15 juillet 2008, en l'état d'un testament léguant ses parts aux enfants de M. [N] [Y], Mme [A] [Y] et M. [W] [Y]. A cette même date, M. [N] [Y] a repris la gérance de la société World People, antérieurement assurée par [Z] [D].
2. Auparavant, le 2 octobre 2000, la société World People avait conclu avec M. [N] [Y], exploitant de l'entreprise Le Web, une convention de collaboration prévoyant des prestations croisées. Le 15 novembre 2002, la société Le Web avait été constituée entre M. [N] [Y], détenteur de 999 parts, et [Z] [D], détenteur d'une part, qui a repris la convention du 2 octobre 2000. Cette convention a fait l'objet d'avenants successifs jusqu'en 2011.
3. Lui reprochant différentes fautes de gestion, Mme [F], Mme [C] [Y] et MM. [G] et [X] [Y] (les consorts [Y]) ont assigné M. [N] [Y], ainsi que la société World People, aux fins de voir annuler plusieurs assemblées générales auxquelles ils n'avaient pas été convoqués, désigner un expert pour évaluer leur préjudice, révoquer M. [N] [Y] de ses fonctions de gérant et mettre en oeuvre sa responsabilité personnelle, et désigner un administrateur provisoire.
4. Le 7 mars 2023, la société World People a été mise en liquidation judiciaire, la société JSA étant désignée liquidateur.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. M. [N] [Y] fait grief à l'arrêt de dire que l'instance en cours n'est pas périmée, alors :
« 1°/ que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que les diligences accomplies par une partie dans une instance n'interrompent la péremption de l'autre instance que s'il existe un lien de dépendance directe et nécessaire entre les deux instances ; que, par un jugement du 8 janvier 2014, le tribunal de commerce de Versailles a, d'une part, statué sur les demandes en nullité des décisions de l'assemblée générale de la société World People et a, d'autre part, sursis à statuer quant à la révocation du gérant, [N] [Y] dans l'attente d'une expertise qu'il a ordonnée avant dire droit ; qu'il a été interjeté appel à l'encontre du jugement en ce qu'il avait statué sur la validité des décisions sociales, sur lequel il a été statué sur renvoi après cassation par un arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 19 septembre 2019 ; que ce n'est que le 23 septembre 2019, soit plus de deux ans et trois mois après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire intervenu le 7 juin 2017, que les consorts [Y] ont sollicité la réinscription au rôle de l'affaire devant le tribunal de commerce ; que, pour écarter la péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu qu' "il existait un lien de dépendance directe entre l'instance pendante devant la cour ayant donné lieu à l'arrêt du 19 septembre 2019 et celle encore pendante devant le tribunal de commerce resté saisi des demandes de révocation du gérant et d'indemnisation ayant fait l'objet du sursis à statuer ordonné dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert" et que "la société World People et M. [N] [Y] ont formé une demande de nullité du jugement du 8 janvier 2014 [...] en sorte que les premiers juges ne pouvaient statuer sur les demandes dont ils étaient saisis sans attendre l'arrêt à intervenir" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui s'est fondée sur un motif impropre à établir un lien de dépendance entre les deux instances dès lors que la demande en nullité du jugement ne faisait pas obstacle à la poursuite de l'instance devant les premiers juges sur les chefs du litige qui n'avaient pas été tranchés par ledit jugement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile ;
2°/ que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que les diligences accomplies par une partie dans une instance n'interrompent la péremption de l'autre instance que s'il existe un lien de dépendance directe et nécessaire entre les deux instances ; que pour établir un lien de dépendance nécessaire entre les deux instances, la cour d'appel a considéré que "les consorts [Y] ont sollicité l'annulation des assemblées des années 2002 à 2010, [dont] celle du 30 juillet 2008 ayant désigné M. [N] [Y] en qualité de gérant de la société World People, en sorte que les premiers juges ne pouvaient statuer sur les demandes dont ils étaient saisis sans attendre l'arrêt à intervenir" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui s'est fondée sur un motif impropre à établir un lien de dépendance entre les deux instances dès lors que la demande en nullité de la désignation du gérant est indépendante de la demande en révocation de celui-ci, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, qu'il existait un lien de dépendance direct et nécessaire entre l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 19 septembre 2019 et celle encore pendante devant le tribunal de commerce, la cour d'appel en a exactement déduit que les actes accomplis par les consorts [Y] à l'occasion de la première, notamment leurs dernières conclusions notifiées moins de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise, avaient eu un effet interruptif sur la seconde, et, par voie de conséquence, que l'instance n'était pas périmée.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. M. [N] [Y] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une certaine somme à la société World People, de le révoquer de ses fonctions de gérant et de désigner la société [P] [K] en qualité d'administrateur provisoire de la société World People, alors :
« 1°/ que les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés sont soumises à des dispositions spéciales, distinctes de celles, générales, relatives à la responsabilité pour faute de gestion du gérant ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, la cour d'appel a retenu qu'il était responsable "d'avoir poursuivi les relations contractuelles entre la société World People et la société Le Web dont il détenait 999/1000 parts du capital social à des conditions financières totalement défavorables pour la société World People qu'il dirigeait", jugeant qu' "il s'agi[ssait] d'une faute de gestion" ; qu'en appliquant les dispositions relatives aux fautes de gestion du gérant, quand le litige concernait une convention réglementée, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 223-22 du code de commerce et par refus d'application l'article L. 223-19 de ce code ;
2°/ que le gérant ne supporte les conséquences de la convention réglementée préjudiciable à la société qu'en l'absence d'approbation de ladite convention ; qu'en condamnant M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros en réparation des conséquences dommageables de la convention conclue entre la société World People et la société Le Web pour l'ensemble de la période 2009-2013, tandis que la conclusion et la poursuite de cette convention et de ses avenants avaient été ratifiées par les assemblées générales ordinaires, à l'encontre desquelles l'action en nullité a été jugée prescrite par l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 19 septembre 2019, à l'exception des seules assemblées générales de 2010 et 2012, pour les exercices 2009/2010 et 2012/2013, la cour d'appel a violé l'article L. 223-19 du code de commerce ;
3°/ que les décisions prises en assemblée générale s'imposent aux associés, sous réserve de leur annulation ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, en réparation des conséquences dommageables de la convention conclue entre la société World People et la société Le Web, la cour d'appel a jugé que "M. [N] [Y] ne [pouvait] s'exonérer de sa responsabilité en raison de l'absence des consorts [Y] aux différentes assemblées générales ayant approuvé les comptes" ; qu'en statuant ainsi, quand l'absence des consorts [Y] aux assemblées générales ayant approuvé les comptes était indifférente dès lors que leurs demandes en annulation de celles-ci ont été jugées prescrites, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 223-17 et L. 223-19 du code de commerce ;
4°/ que le gérant contractant, directement ou par personne interposée, avec la société ne doit supporter que les conséquences du contrat préjudiciables à la société ; que la cour d'appel a relevé que "l'avenant à la convention signé le 20 novembre 2008 [...] prévo[yait] que les prestations de la société Le Web au bénéfice de la société World People [seraient] facturées forfaitairement par application d'un taux de 25 % sur le chiffre d'affaires réalisé par la société World People" et que " l'avenant à la convention signé le 13 juin 2011 [...] prévo[yait] que les prestations de la société Le Web au bénéfice de la société World People [seraient] facturées forfaitairement par application d'un taux de 20 % sur le chiffre d'affaires réalisé par la société World People" avant de constater que "le taux de 25 % puis de 20 % sur le chiffre d'affaires de la société World People n'était en réalité pas appliqué", ce dont il résultait que la convention de collaboration telle que modifiée par les avenants de 2008 et 2011 n'avait pas été respectée ; qu'en condamnant néanmoins M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros en réparation des conséquences dommageables de la convention conclue entre la société World People et la société Le Web, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que le préjudice ne résultait pas de l'exécution de la convention mais de sa méconnaissance, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 223-19 du code de commerce ;
5°/ que le gérant contractant, directement ou par personne interposée, avec la société ne doit supporter que les conséquences du contrat préjudiciables à la société ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, la cour d'appel a retenu qu'il résultait du rapport d'expertise que "pour la période de 2009 à 2013 le total qui aurait pu être facturé par la société Le Web à la société World People dans des conditions normales [était] de 1 340 090 euros sur la période de 2009 à 2013 alors [...] qu'a été facturée par la société Le Web à la société World People pour cette même période une somme totale de 3 212 446 euros, soit un trop facturé de 1 872 356 euros qui constitue le préjudice de la société" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que les sommes effectivement facturées ne correspondaient pas aux stipulations de la convention entre les sociétés World People et Le Web, ce dont il résultait que le préjudice résultant du contrat ne pouvait être égal qu'à la différence entre le montant qui aurait dû être normalement facturé, calculé par l'expert, et celui qui aurait dû être facturé en application du contrat, la cour d'appel a violé l'article L. 223-19 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
10. La possibilité, prévue à l'article L. 223-19, alinéa 4, du code de commerce, de mettre à la charge du gérant les conséquences préjudiciables à la société des conventions réglementées non approuvées n'est pas exclusive de la mise en jeu de sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 223-22 du même code, que ces conventions aient ou non été approuvées.
11. Le moyen, qui, en chacune de ses branches, postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. M. [N] [Y] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés sont soumises à des dispositions spéciales, distinctes de celles, générales, relatives à la responsabilité pour faute de gestion du gérant ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, la cour d'appel a retenu que "la cession à hauteur de 37 251 euros [des parts sociales de la SCI VJC au profit de M. [N] [Y]], sans être autorisée par l'assemblée générale de la société World People, ne s'est pas faite dans des conditions normales" pour en déduire qu' "il s'agi[ssait] également d'une faute de gestion imputable au gérant de la société World People" ; qu'en appliquant les dispositions relatives aux fautes de gestion du gérant, quand le litige concernait une convention réglementée, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 223-22 du code de commerce et par refus d'application l'article L. 223-19 de ce code ;
2°/ que les conventions entre la société et l'un de ses gérants ou associés ne sont pas soumises à autorisation préalable mais seulement à approbation par l'assemblée générale ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que la cession de la participation de la société World People dans la SCI VJC à M. [N] [Y] a été expressément approuvée par l'assemblée générale du 29 novembre 2013 ; que, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, la cour d'appel a retenu que "la cession à hauteur de 37 251 euros, sans être autorisée par l'assemblée générale de la société World People, ne s'est pas faite dans des conditions normales" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, en violation de l'article L. 223-19 du code de commerce, ajouté une condition, l'autorisation de la cession, que ce texte ne prévoit pas ;
3°/ que le gérant contractant, directement ou par personne interposée, avec la société ne doit supporter que les conséquences du contrat préjudiciables à la société ; qu'en l'espèce, l'expert a évalué les parts sociales de la SCI VJC à 9 740,88 euros, en déduisant de la valeur de l'immeuble (1 111 671 euros) le montant des emprunts restant à rembourser au 31 décembre 2011 (151 582,78 euros), avant de conclure, à propos de la cession de ces parts qu'"il serait équitable de verser plus que les 37.251 euros déjà payés. S'il partage notre analyse, le magistrat pourra faire sa propre estimation d'un complément compris, par exemple, entre zéro et 60.158 euros, voire plus" ; qu'en se bornant, pour évaluer le préjudice de la société World People, à reprendre l'évaluation de la valeur des parts sociales par l'expert, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il n'y avait pas lieu de déduire non seulement le montant de l'emprunt restant à rembourser, mais également la totalité des mensualités qui avaient d'ores et déjà été remboursées par M. [N] [Y] sur ses deniers personnels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-19 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
13. La cour d'appel ayant, à bon droit, fait application des dispositions de l'article L. 223-22 du commerce pour statuer sur la demande d'indemnisation du préjudice résultant de la cession, par M. [N] [Y], des parts de la société VJC détenues par la société World People, le moyen, qui, en chacune de ses branches, invoque une violation de l'article L. 223-19 du même code, est inopérant.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
14. M. [N] [Y] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la somme de 2 000 euros à chacun des consorts [Y] au titre du préjudice moral, alors :
« 1°/ que la responsabilité civile suppose un lien de causalité entre la faute et le dommage ; que pour condamner M. [N] [Y] à payer à chacun des consorts [Y] la somme de 2 000 euros, la cour d'appel, par des motifs expressément adoptés, a retenu que "les consorts [Y] ont été contraints de faire valoir leurs droits et justifient de conséquences sur leur vie privée du fait de la durée de la procédure engagée" ; qu'en statuant ainsi, tandis que les seules "conséquences sur leur vie privée" invoquées par les consorts [Y] consistaient en la perte de son emploi par Mme [Y], laquelle n'était pas la conséquence des fautes de gestion retenues par les juges du fond, mais résultait d'un licenciement pour faute grave confirmé par une décision prud'homale, la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre à établir que les fautes alléguées à l'encontre de M. [N] [Y] auraient causé le préjudice invoqué par les consorts [Y] et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 de ce code ;
2°/ que la responsabilité civile suppose un lien de causalité entre la faute et le dommage ; que, pour condamner M. [N] [Y] à payer à chacun des consorts [Y] la somme de 2 000 euros, la cour d'appel, par des motifs expressément adoptés, a retenu que "les consorts [Y] ont été contraints de faire valoir leurs droits et justifient de conséquences sur leur vie privée du fait de la durée de la procédure engagée" ; qu'en statuant ainsi, quand la durée de la procédure n'est pas imputable à M. [N] [Y], dès lors que la cour d'appel a cru pouvoir retenir que "les premiers juges ne pouvaient statuer sur les demandes dont ils étaient saisis sans attendre l'arrêt à intervenir" dans l'instance ayant abouti à l'arrêt du 19 septembre 2019, lequel a jugé prescrite les demandes des consorts [Y], la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre à établir que les fautes alléguées à l'encontre de M. [N] [Y] auraient causé le préjudice invoqué par les consorts [Y] et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 de ce code. »
Réponse de la Cour
15. D'une part, il ne ressort ni de l'arrêt ni des conclusions d'appel de M. [N] [Y] que celui-ci ait soutenu que la perte d'emploi de Mme [Y] ne résultait pas des fautes de gestion retenues par les premiers juges mais d'un licenciement pour faute grave dont l'intéressée aurait fait l'objet, et qu'il en ait tiré la conséquence que le préjudice moral invoqué par les consorts [Y] ne lui était pas imputable.
16. D'autre part, l'arrêt retient que les consorts [Y] ont été contraints de faire valoir leurs droits et qu'ils justifient de conséquences sur leur vie privée du fait de la durée de la procédure engagée.
17. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte l'existence d'un lien de causalité entre les fautes invoquées à l'encontre de M. [N] [Y] et le préjudice subi par les consorts [Y], la cour d'appel a légalement justifié sa décision de condamner le premier à payer à chacun des seconds la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.
18. Irrecevable en sa première branche, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident formé par les consorts [Y] et sur le premier moyen du pourvoi incident formé par les sociétés World People, [P] [K] et JSA, rédigés en termes identiques
Enoncé du moyen
19. Les consorts [Y] et les sociétés World People, [P] [K] et JSA font grief à l'arrêt de limiter à la somme de 1 932 514 euros la condamnation de M. [N] [Y] à l'égard de la société World People, alors « que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; que la cour d'appel a retenu que M. [N] [Y] avait commis une faute de gestion en mettant à la disposition de la société Le Web sans contrepartie la base de données textuelles de la société World People ; que pour rejeter néanmoins le demande en indemnisation formée à ce titre dans l'intérêt de la société World People, la cour d'appel a retenu que "le préjudice doit être évalué en fonction de la marge commerciale brute dont la victime du dommage a été privée de sorte que doivent être déduits du chiffre d'affaires qu'elle n'a pas réalisé les coûts variables qu'elle n'a pas eu à exposer", que "les consorts [Y] se contentent de réclamer le paiement de la somme de 69 900 euros par an au titre de la redevance sans calculer la marge commerciale brute dont la société World People a été privée du fait de la non perception de cette redevance et [que] la cour ne dispose pas des éléments lui permettant de calculer cette marge" ; qu'en refusant ainsi d'évaluer, fût-ce en ordonnant une mesure d'instruction complémentaire, le montant d'un dommage dont elle avait constaté l'existence en son principe, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
20. En application de ce texte, le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
21. Pour limiter le montant de la condamnation de M. [N] [Y] à la somme de 1 932 514 euros, l'arrêt, après avoir énoncé que le préjudice subi par la société World People du fait de l'absence de paiement d'une redevance au titre de l'utilisation, par la société Le Web, de sa base de données ne peut consister en une perte de chiffre d'affaires mais qu'il doit être évalué en fonction de la marge commerciale brute dont la société World People a été privée, de sorte que doivent être déduits du chiffre d'affaires non réalisé les coûts variables non exposés, retient que les consorts [Y] se bornent à réclamer le paiement de la somme de 69 900 euros par an sans calculer la marge commerciale brute dont la société World People a été privée du fait de la non-perception de cette redevance, ajoutant que la cour d'appel ne dispose pas des éléments lui permettant de calculer cette marge.
22. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait d'évaluer le préjudice dont elle avait constaté l'existence en son principe, au besoin en ordonnant un complément d'expertise, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen du pourvoi incident formé par les consorts [Y] et sur le second moyen du pourvoi incident formé par les sociétés World People, [P] [K] et JSA, rédigés en termes identiques
Enoncé du moyen
23. Les consorts [Y] et les sociétés World People, [P] [K] et JSA font le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; que la cour d'appel a retenu que M. [N] [Y] avait commis une faute de gestion en poursuivant "les relations contractuelles entre la société World People et la société Le Web dont il détenait 999/1000 parts du capital social à des conditions financières totalement défavorables pour la société World People qu'il dirigeait" ; que pour débouter néanmoins Mme [V] [Y] et ses enfants de leur demande d'indemnisation de la société World People à ce titre pour la période postérieure à 2013, la cour d'appel a retenu que "les consorts [Y] n'apportent aucun élément chiffré pour la période postérieure [à 2013] en sorte qu'aucune somme ne peut être allouée à la société World People à ce titre" ; qu'en refusant ainsi d'évaluer, fût-ce en ordonnant une mesure d'instruction complémentaire, le montant d'un dommage dont elle avait constaté l'existence en son principe, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
24. Pour limiter le montant de la condamnation de M. [N] [Y] à la somme de 1 932 514 euros, l'arrêt, après avoir énoncé que le préjudice subi par la société World People du fait de la poursuite des relations contractuelles avec la société Le Web consiste en une surfacturation des prestations effectuées par cette dernière, retient que les consorts [Y] n'apportent aucun élément chiffré pour la période postérieure, de sorte qu'aucune somme ne peut être allouée à la société World People pour cette période.
25. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'existence du préjudice subi par la société World People en son principe, de sorte qu'elle devait procéder à son évaluation, au besoin en ordonnant un complément d'expertise, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée de la cassation
26. Les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi principal étant rejetés, la portée de la cassation est limitée aux chefs de demandes de dommages et intérêts visés pas les pourvois incidents.
Com. 11 décembre 2024 n° 23-10.028 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 11 décembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 749 F-B
Pourvoi n° A 23-10.028
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
La société Xerox Financial Services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° A 23-10.028 contre l'arrêt rendu le 3 novembre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Contesso, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Locam, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à M. [P] [M], domicilié [Adresse 4], pris en qualité de liquidateur de la société INPS groupe,
4°/ à la société INPS groupe, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], en liquidation,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Xerox Financial Services, de Me Balat, avocat de la société Contesso, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Xerox Financial Services du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Locam.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 novembre 2022), le 14 janvier 2015, la société Contesso a conclu avec la société Xerox Financial Services (la société Xerox) un contrat de location financière portant sur des photocopieurs commandés le même jour à la société INPS groupe.
3. La société Contesso a assigné les sociétés Xerox et INPS groupe et la société Locam en nullité des bons de commande et des contrats de location financière et en paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur les quatre premiers moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. La société Xerox fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir la société Contesso condamnée à lui verser la somme de 40 000 euros à titre d'indemnité de jouissance, alors « que le juge ne peut refuser de faire droit à une demande fondée en son principe, motif pris de l'insuffisance des éléments qui lui sont fournis par les parties ; qu'en jugeant, pour refuser d'allouer à la société Xerox Financial Services la moindre somme à titre d'indemnité de jouissance, que cette demande n'était pas explicitée en son quantum ni assortie d'explications suffisantes, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
6. En application de ce texte, le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice, certain dans son principe, en se fondant sur l'insuffisance des preuves fournies par les parties.
7. Pour rejeter la demande de la société Xerox en paiement d'une indemnité de 40 000 euros à titre d'indemnité de jouissance, l'arrêt, après avoir annulé les bons de commande et les contrats de location avec option d'achat et constaté que le matériel objet de ces contrats avait été livré, retient que cette demande n'est pas explicitée en son quantum.
8. En statuant ainsi, alors que la société Xerox demandait, en contrepartie de la jouissance du bien loué dont la société Contesso avait bénéficié, le paiement d'une indemnité d'occupation dont il lui appartenait de fixer le montant, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Com. 20 novembre 2024 n° 23-20.488
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 20 novembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 673 F-D
Pourvoi n° V 23-20.488
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 NOVEMBRE 2024
1°/ La société Hermès Sellier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Allianz Global Corporate & Specialty SE, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Allianz Global Corporate & Specialty France,
ont formé le pourvoi n° V 23-20.488 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 chambre 10), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Bolloré logistics, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la société Saga France, elle-même venant aux droits de Saga Air Transport,
2°/ à la société Securitas France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société XL Insurance Company Limited SE, société de droit irlandais, dont le siège est [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des sociétés Hermès Sellier, Allianz Global Corporate & Specialty SE, de la SARL Cabinet François Pinet, avocat des sociétés Securitas France et XL Insurance Company Limited SE, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Bolloré logistics, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2023), rendu sur renvoi après cassation (com., 20 septembre 2017, pourvoi 16-20.350), le 10 juin 2009, la société Hermès Sellier (la société Hermès) a conclu avec la société Saga air transport (la société Saga) un contrat de commission de transport international comprenant une clause limitative de réparation d'un montant de 100 000 euros. Les risques de dommages et pertes des marchandises en cours de transport étaient assurés par la société Allianz Global Corporate & Specialty France, aux droits de laquelle est venue la société Allianz Global Corporate & Specialty SE (la société Allianz). Dans la nuit du 11 au 12 février 2010, des cartons de marchandises ont été dérobés dans les entrepôts de la société Saga.
2. Les sociétés Hermès et Allianz ont assigné en responsabilité la société Saga, aux droits de laquelle est venue la société Saga France, devenue la société Bolloré logistics, ainsi que la société Securitas France (la société Securitas), chargée de la surveillance du site de l'aérogare où se trouvait l'entrepôt de la société Saga. Cette dernière a appelé en garantie la société Securitas et l'assureur de celle-ci, la société XL Insurance Company Limited (la société XL Insurance).
3. Par un jugement du 11 septembre 2014, la juridiction de premier degré a rejeté les demandes de la société Hermès, retenu la responsabilité de la société Saga, fixé à 100 000 euros le montant de l'indemnité due par cette dernière à la société Allianz et condamné in solidum les sociétés Saga, Securitas et XL Insurance à payer cette somme à la société Allianz. Par un arrêt du 10 mai 2016, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement et, statuant à nouveau, condamné in solidum les sociétés Bolloré logistics et Securitas à payer la somme de 1 000 euros à la société Hermès et rejeté les autres demandes. Le dispositif de cet arrêt a été complété par un arrêt rectificatif du 25 avril 2017, devenu irrévocable, condamnant in solidum les sociétés Securitas et XL Insurance à garantir la société Bolloré logistics des condamnations mises à sa charge dans la proportion de 50 % et condamnant la société Bolloré logistics à garantir les sociétés Securitas et XL Insurance des condamnations mises à leur charge dans la proportion de 50 %.
4. L'arrêt du 10 mai 2016 a été cassé en ce que, infirmant le jugement, il a rejeté les demandes de la société Allianz.
5. Par un arrêt du 14 mars 2019, la cour d'appel de renvoi (Paris) a infirmé le jugement du 11 septembre 2014 et dit la société Allianz Global Corporate & Specialty SE conventionnellement subrogée dans les droits de la société Hermès relatifs au sinistre du 12 février 2010, déclaré non écrite la clause limitative de responsabilité de la société Saga France aux droits de laquelle vient la société Bolloré logistics et ordonné le sursis à statuer sur la demande de réparation du préjudice financier de la société Allianz, enjoignant à ces sociétés de produire tous éléments de nature à apprécier la valeur des marchandises dérobées, en référence au prix auquel les cédait la société Hermès à ses succursales.
6. L'arrêt du 14 mars 2019 a été cassé mais seulement en ce qu'il a déclaré non écrite la clause limitative de responsabilité de la société Saga France aux droits de laquelle vient la société Bolloré logistics.
7. Par un arrêt du 10 mars 2022, devenu irrévocable, la cour d'appel de renvoi (Versailles) a confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré applicable la clause limitative de réparation à 100 000 euros.
8. L'instance, aux fins d'évaluation du préjudice causé par le vol des marchandises, a été reprise devant la première cour d'appel de renvoi (Paris), dont le magistrat délégué à la mise en état avait, sur incident, sursis à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi en cassation contre l'arrêt du 14 mars 2019.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La société Allianz et la société Hermès font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires, alors « que le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont l'existence est établie en son principe ; qu'en l'espèce, pour débouter la société Allianz de ses demandes tendant à la condamnation de la société Securitas et de son assureur XL Insurance, à lui rembourser le montant des indemnités qu'elle avait versées à son assurée, la société Hermès, au titre du vol de marchandises dont le transport avait été confié à la société Saga (devenue Bolloré logistics), la cour d'appel a retenu que la société Allianz produisait un rapport d'expertise amiable comportant en annexe une liste des articles qu'elle dit avoir été dérobés, et a estimé qu'il n'était "pas justifié de la manière dont cette liste a été élaborée -unilatéralement- par la société Hermès Sellier", cette pièce n'étant "pas étayée par d'autres éléments, tels des échanges avec les clients, des déclarations relatives à l'absence de réception des articles en cause permettant de s'assurer de la matérialité de la centaine de cartons évoqués. Ainsi, les factures par ailleurs produites ne démontreraient la réalité du préjudice que s'il était possible de les rattacher de manière certaine avec une liste des marchandises indiquées comme dérobées", pour en déduire que "l'analyse de l'expert, amiable, qui s'appuie sur une liste élaborée unilatéralement par la société Hermès Sellier, et nullement étayée, est insuffisante pour rapporter la preuve de la consistance du vol"; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'elle constatait que dans la nuit du 11 au 12 février 2010, des cartons de marchandises dont la société Hermès avait confié le transport à la société Saga (aux droits de laquelle se trouvait la société Bolloré logistics) avaient été dérobés dans les locaux de cette société, et que la société Allianz, assureur de la société Hermès, avait versé à cette dernière une indemnité de 1 042 070,31 euros au titre de ce sinistre, ce dont il résultait que l'assureur, ainsi que son assurée dans les limites de la franchise, justifiaient d'un préjudice dont l'existence était établie en son principe, qu'il incombait à la cour d'appel d'évaluer et d'indemniser, cette dernière a violé l'article 4 et l'article 1382 du code civil, dans sa version applicable en la cause, antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (nouvel article 1240 du code civil), ensemble l'article L. 121-12 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
10. En application de ce texte, le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
11. Pour rejeter la demande de la société Allianz en paiement des indemnités versées à la société Hermès, l'arrêt retient que la société Allianz produit un rapport d'expertise amiable afférent au préjudice subi à raison du vol de marchandises litigieux et une liste des produits qu'elle dit avoir été dérobés, mais qu'il n'est pas justifié de la façon dont cette liste a été élaborée unilatéralement par la société Hermès et que cette pièce n'est pas étayée par d'autres éléments. Il ajoute que les factures produites ne démontreraient la réalité du préjudice que s'il était possible de les rattacher de manière certaine avec une liste de marchandises indiquées comme dérobées.
12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que dans la nuit du 11 au 12 février 2010 des cartons de marchandises avaient été dérobés dans les entrepôts de la société Saga et que seul le quantum de l'indemnisation restait en débat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Civ.3 14 novembre 2024 n° 23-19.316
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
V. 3
JL
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 14 novembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 605 F-D
Pourvoi n° W 23-19.316
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024
Mme [W] [K], domiciliée [Adresse 5], [Localité 6], a formé le pourvoi n° W 23-19.316 contre le jugement rendu le 27 mars 2023 par le tribunal de proximité de Cagnes-sur-Mer (juge des contentieux de la protection), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [L] [N],
2°/ à Mme [I] [C],
toutes deux domiciliées [Adresse 4], [Localité 1],
3°/ à M. [B] [Y], domicilié [Adresse 2], [Localité 3], pris en sa qualité de curateur de Mme [I] [C],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de Mme [K], après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de proximité de Cagnes-sur-Mer, 27 mars 2023), rendu en dernier ressort, le 1er juillet 2019, Mme [K] (la bailleresse) a donné à bail à Mmes [N] et [C] (les locataires) un appartement situé à [Localité 1].
2. Les locaux ont été restitués le 21 février 2021 et la bailleresse a assigné les locataires en paiement notamment d'une certaine somme au titre du coût des travaux de remise en état des locaux.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. La bailleresse fait grief au jugement de rejeter ses demandes, alors « que le juge doit réparer le préjudice dont il constate l'existence en son principe ; qu'en refusant d'indemniser Mme [K] au titre des désordres affectant la salle de bain de l'immeuble donné à bail au motif que si ces désordres étaient avérés, puisque constatés par le rapport Polyexpert et l'état des lieux de sortie, aucun autre document que ce rapport ne permettait d'évaluer avec certitude le montant des réparations", le tribunal de proximité qui devait évaluer lui-même le préjudice dont il constatait l'existence, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 4 du code civil et 7 de la loi n° 89-642 du 6 juillet 1989. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
4. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
5. Pour rejeter la demande en paiement de la bailleresse à raison des dégradations locatives constatées dans la salle de bain, le tribunal de proximité retient que le montant du coût de la remise en état du plafond de cette pièce n'est pas suffisamment justifié par un devis d'une personne neutre et indépendante, le cabinet Polyexpert ayant été mandaté par l'assureur protection juridique de la bailleresse, et qu'aucun autre document ne permet d'évaluer avec certitude le montant des réparations.
6. En refusant ainsi d'évaluer le dommage dont il constatait l'existence en son principe, le tribunal de proximité a violé le texte susvisé.
Civ.3 7 novembre 2024 n° 21-15.748
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 7 novembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 592 F-D
Pourvoi n° B 21-15.748
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 NOVEMBRE 2024
1°/ la société RDL, société civile immobilière,
2°/ la société RDO, société civile immobilière,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 2], [Localité 3],
ont formé le pourvoi n° B 21-15.748 contre l'arrêt rendu le 23 février 2021 par la cour d'appel de Dijon (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3], prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Creusot-carrelage,
2°/ à la société Creusot-carrelage, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 4], représentée par son mandataire ad hoc, la société BTSG²,
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat des sociétés civiles immobilières RDL et RDO, de Me Balat, avocat de la société BTSG², ès qualités, et de la société Creusot-carrelage, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 23 février 2021), les sociétés civiles immobilières RDL et RDO (les SCI) ont confié à la société Creusot-carrelage des travaux de pose de carrelages.
2. Les SCI ont formé opposition à deux ordonnances portant injonction de payer le solde du prix des marchés à la société Creusot-carrelage et présenté des demandes reconventionnelles aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. Les SCI font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires, alors « que le juge est tenu d'évaluer le préjudice dont il constate l'existence sans qu'il puisse refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que les travaux réalisés dans l'appartement de la SCI RDL souffrent de défauts d'exécution, tout comme dans l'appartement de la SCI RDO, et que ces malfaçons sont de nature à caractériser un manquement de la société Creusot-carrelage à son obligation contractuelle de résultat ; qu'en affirmant, pour débouter les maîtres de l'ouvrage de leurs demandes indemnitaires, que les conséquences dommageables de ce manquement n'ont pas été chiffrées par l'expert qui a été contraint de déposer son rapport en l'état et que les maîtres de l'ouvrage ne rapportent pas la preuve par la production de deux devis, qu'ils correspondent aux travaux nécessaires à la reprise des malfaçons relevées par l'expert, qui n'a, à aucun moment, conclu à la nécessité de déposer et reposer l'intégralité du carrelage de sol et du carrelage mural dans les deux appartements, quand il appartenait à la cour d'appel d'évaluer le préjudice correspondant au coût des travaux de reprise des malfaçons dont elle avait constaté l'existence, elle a commis un déni de justice, en violation de l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
4. En application de ce texte, le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il constate l'existence en son principe.
5. Pour rejeter les demandes indemnitaires des SCI, l'arrêt relève que les travaux réalisés dans les deux appartements souffrent de défauts d'exécution, s'agissant, pour celui de la SCI RDL, de l'absence de plinthe, de joints des carreaux de la salle de bains non complètement remplis, de carreaux posés sur les murs qui désafleurent, d'une finition aléatoire des jonctions avec les huisseries, et d'un carrelage non aligné sous la porte de la chambre, et, pour celui de la SCI RDO, de l'absence de pose de plinthes, de joints de carreaux verticaux et horizontaux et d'angles verticaux mal exécutés et de pénétrations de la robinetterie dans le carrelage mural, mais que les conséquences dommageables des manquements dans la réalisation de la pose du carrelage par la société Creusot-carrelage n'ont pas été chiffrées par l'expert, contraint de déposer son rapport en l'état.
6. Il retient, ensuite, que les demandes indemnitaires des SCI fondées sur deux devis qui n'ont pas été soumis à l'expert, portent sur des travaux de réfection de carrelage dont il n'est pas permis de vérifier qu'ils correspondent aux travaux nécessaires à la reprise des malfaçons relevées par l'expert, qui n'a, à aucun moment, conclu à la nécessité de déposer et reposer l'intégralité du carrelage de sol et du carrelage mural dans les deux appartements.
7. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le dommage subi par les SCI dont elle constatait l'existence, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Civ.3 26 septembre 2024 n° 23-14.786
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 26 septembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 504 F-D
Pourvoi n° X 23-14.786
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 SEPTEMBRE 2024
1°/ la société Agence des Alpes A.N., société à responsabilité limitée,
2°/ La société Immobilière générale, société à responsabilité limitée,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° X 23-14.786 contre l'arrêt rendu le 7 février 2023 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [Y] [R], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Fiscalité audit international, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La société Fiscalité audit international a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, sept moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Agence des Alpes A.N. et Immobilière générale, de la SCP Françoise Fabiani-François Pinatel, avocat de M. [R], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Fiscalité audit international, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 7 février 2023), par acte sous seing privé établi le 8 janvier 2015 par la société Fiscalité audit international (la rédactrice de l'acte), la société Immobilière générale (la locataire-cédante), locataire de locaux commerciaux appartenant à M. [R] (le bailleur), a cédé son droit au bail avec son fonds de commerce à la société Agence des Alpes A.N. (la cessionnaire).
2. Le bail commercial contenait une clause stipulant que toute cession devait être réalisée par acte authentique en présence du bailleur ou lui dûment appelé.
3. Le 14 janvier 2016, le bailleur a délivré à la locataire-cédante un congé pour le 14 novembre 2016, date d'échéance du bail, avec refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction et dénégation du statut des baux commerciaux fondée sur son absence d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour les locaux donnés à bail.
4. Le 17 janvier 2017, la cessionnaire a assigné le bailleur en annulation du congé et en renouvellement du bail commercial. Celui-ci a appelé en la cause la locataire-cédante, laquelle a, avec la cessionnaire, appelé en garantie la rédactrice de l'acte.
Examen des moyens
Sur les premier à cinquième moyens du pourvoi principal, sur le sixième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, et sur le moyen du pourvoi incident
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le sixième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La cessionnaire fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande tendant à voir condamner la rédactrice de l'acte à l'indemniser de l'ensemble de ses postes de préjudice, alors « que dans le dispositif de ses conclusions, la société Agence des Alpes sollicitait, dans l'hypothèse où la cour d'appel jugerait inopposable au bailleur l'acte de cession sous-seing-privé du fonds de commerce, la condamnation de la société Fiscalité audit international à l'indemniser de tous ses postes de préjudices et à tout le moins a minima à la somme de 225 026 euros ; qu'en énonçant, pour déclarer irrecevable la demande tendant à l'indemnisation de l'ensemble des postes de préjudices, qu'elle était indéterminée, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
7. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
8. Pour déclarer irrecevable la demande de la cessionnaire en condamnation de la rédactrice de l'acte à l'indemniser de l'ensemble de ses postes de préjudice, l'arrêt énonce que cette demande est indéterminée.
9. En statuant ainsi, alors que la cessionnaire formulait une demande chiffrée a minima à la somme de 225 026 euros, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Et sur le septième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. La cessionnaire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en condamnation de la rédactrice de l'acte à l'indemniser de son préjudice résultant de la perte de son fonds de commerce, alors « que le juge ne peut refuser d'évaluer un dommage dont il constate l'existence dans son principe ; que tenu d'évaluer le préjudice, le juge ne peut refuser d'y procéder en raison de l'insuffisance des preuves des parties ; qu'en considérant que la société Agence des Alpes ne justifie pas de la perte économique et financière, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
11. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il a constaté l'existence en son principe.
12. Pour rejeter la demande de la cessionnaire en indemnisation de son préjudice, l'arrêt énonce qu'elle n'apporte pas la preuve du préjudice allégué de perte du fonds de commerce et de perte économique et financière, dès lors que l'acte de cession a porté sur la cession d'un fonds de commerce comportant d'autres baux ainsi que l'enseigne, le nom commercial, la clientèle et l'achalandage, qu'aucune ventilation du prix de cession n'a été faite entre ces différents éléments et que la cessionnaire est restée propriétaire du fonds de commerce et des autres droits au bail. Elle ajoute que le bail commercial cédé sur les locaux appartenant au bailleur ne concerne qu'un établissement secondaire de la cessionnaire.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la rédactrice de l'acte engageait sa responsabilité à l'égard de la cessionnaire pour les manquements commis lors de la rédaction de l'acte de cession et qu'elle avait constaté que la cessionnaire avait perdu son droit au bail sur les locaux appartenant au bailleur, lequel a une valeur patrimoniale, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer un préjudice dont elle avait constaté l'existence en son principe, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation des chefs de dispositif déclarant irrecevable la demande de la cessionnaire en condamnation de la rédactrice de l'acte à l'indemniser de l'ensemble de ses postes de préjudice et rejetant sa demande en indemnisation de la perte de son fonds de commerce n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la locataire-cédante et la cessionnaire aux dépens ainsi qu'à payer au bailleur une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
Mise hors de cause
15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause le bailleur dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
Civ.2 19 septembre 2024 n° 22-20.744
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 19 septembre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 802 F-D
Pourvoi n° C 22-20.744
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024
1°/ La société Auto salon du particulier, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ La société Auto service du particulier, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° C 22-20.744 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2022 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A, statuant sur renvoi après cassation), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Mutuelles du Mans IARD assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1]
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Auto salon du particulier et Auto service du particulier, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Mutuelles du Mans IARD assurances mutuelles, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 30 juin 2022), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 4 février 2021, pourvoi n° 19-21.489), un incendie a détruit, dans la nuit du 13 au 14 février 1994, les locaux dans lesquels la société Auto salon du particulier exerçait une activité de dépôt-vente de véhicules et de vente de véhicules neufs et la société Auto service du particulier, une activité de location de box d'outillage, contrôle technique et réparation de véhicules.
2. A la suite du sinistre, le bail, dont la société Auto salon du particulier était titulaire, et qui avait fait l'objet d'une sous-location partielle au bénéfice de la société Auto service du particulier, a été résilié.
3. Ces sociétés étaient assurées aux termes d'un contrat d'assurance « Indusplan » souscrit le 29 janvier 1993, auprès de deux co-assureurs, la société CAMAT et la société Winterthur.
4. Par un arrêt du 7 septembre 2000, devenu irrévocable, une cour d'appel a jugé que la société Winterthur et la société AGF IARD, venue aux droits de la société CAMAT, devaient garantir les sociétés Auto salon du particulier et Auto service du particulier (les sociétés assurées) dans la limite de 50 % par co-assureur et sans solidarité, selon les conditions prévues par le contrat « Indusplan ».
5. Après expertise, les sociétés assurées ont assigné la société Winterthur, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Mutuelles du Mans IARD assurances mutuelles (la société MMA IARD) et la société AGF IARD, devenue Allianz IARD (la société Allianz), en paiement des sommes dues en exécution du contrat d'assurance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa première branche et le troisième moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Les sociétés assurées font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes au titre de la perte d'exploitation et du préjudice commercial, alors « que le juge entache sa décision d'un déni de justice lorsque, au motif de l'insuffisance des éléments produits aux débats par les parties, il refusent d'évaluer le montant d'un préjudice dont il constate pourtant l'existence en son principe ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande des sociétés assurées tendant à obtenir la condamnation des assureurs à indemniser le préjudice commercial résultant du manque à gagner sur les véhicules sinistrés, la cour d'appel, après avoir admis qu'« en ce qui concerne la perte due au manque à gagner sur les véhicules sinistrés, il n'est pas contestable que les sociétés ASP bénéficient d'une garantie au titre de l'article 6 C des conditions générales du contrat », a retenu que « les sociétés ASP ne produisent aucun autre élément que le calcul manuscrit remis à l'expert pour étayer leur réclamation » et que « le montant du préjudice allégué n'étant pas justifié, la demande ne peut qu'être rejetée » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a refusé d'indemniser un préjudice dont elle reconnaissait l'existence en son principe, et violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
8. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par une partie.
9. Pour rejeter la demande d'indemnisation formée au titre du préjudice commercial correspondant au manque à gagner sur les véhicules sinistrés, l'arrêt énonce qu'il n'est pas contestable que les sociétés assurées bénéficient d'une garantie au titre de l'article 6 C des conditions générales du contrat, mais qu'il leur appartient de rapporter la preuve du montant de leur préjudice de ce chef.
10. Il constate que le calcul auquel elles se réfèrent figure sur un document intégré au rapport d'expertise qui émane de leur conseil et que, ainsi que l'a relevé l'expert, cette réclamation n'est justifiée par aucun document, aucune explication n'est fournie sur les éléments de calcul pas plus que sur la période de réalisation du chiffre d'affaires allégué, en raison notamment de l'indemnisation des propriétaires des véhicules par la société Winterthur, de l'ignorance du nombre de propriétaires indemnisés et du montant des préjudices réglés et du caractère déficitaire de l'activité au cours de l'exercice précédent.
11. Il ajoute que malgré les remarques de l'expert, les sociétés assurées ne produisent aucun autre élément que le calcul manuscrit susvisé pour étayer leur réclamation, de sorte que le montant du préjudice allégué n'est pas justifié.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a refusé d'indemniser un préjudice dont elle constatait l'existence en son principe, a violé le texte susvisé.
Civ.3 27 juin 2024 n° 23-13.150
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 27 juin 2024
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 352 F-D
Pourvoi n° U 23-13.150
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 JUIN 2024
M. [J] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 23-13.150 contre le jugement rendu le 11 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Vienne, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [Y],
2°/ à Mme [I] [K],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Guérin-Gougeon, avocat de M. [R], après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (Vienne, 11 janvier 2023), rendu en dernier ressort, le 5 novembre 2018, M. [R] (le bailleur) a consenti à M. [Y] et Mme [K] (les locataires) un bail d'habitation portant sur une maison.
2. Les locaux ont été restitués le 5 février 2022 et le bailleur a saisi le tribunal judiciaire de Vienne en indemnisation de dégradations locatives.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, pris en leur première branche, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
3. Par son premier moyen, pris en sa première branche, le bailleur fait grief au jugement de rejeter sa demande relative au remplacement d'une pièce du cumulus électrique, alors « que les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en ayant examiné la demande de M. [R] de remboursement de la somme de 103,95 euros qui correspondait au remplacement du thermostat canne, sous l'angle de la récupération d'une charge locative, quand il avait réclamé le paiement de cette somme à ses locataires au titre des dépenses d'entretien nécessaire leur incombant, le tribunal judiciaire a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »
4. Par son deuxième moyen, pris en sa première branche, le bailleur fait grief au jugement de rejeter ses demandes relatives aux frais de réparation de la pompe de relevage, alors « que les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en déboutant M. [R] de sa demande présentée au titre des frais de réparation puis de remplacement de la pompe de relevage équipant les lieux loués, en retenant qu'il ne s'agissait pas d'une charge récupérable, quand M. [R] s'était prévalu du mauvais usage de cet équipement par les locataires qui l'avaient donc dégradé, le tribunal judiciaire a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
6. Pour rejeter les demandes en paiement du bailleur, le jugement retient, d'une part, s'agissant de la facture de remplacement du thermostat du cumulus, que la liste des charges récupérables est une liste limitative, fixée par le décret n° 87-713 du 26 août 1987, laquelle comprend, notamment, au titre des dépenses d'alimentation commune de combustible, le réglage des thermostats et contrôle de la température d'eau, mais que ne figurent pas au titre des charges récupérables les frais de réparation du thermostat du cumulus.
7. Il retient, d'autre part, s'agissant de la demande relative à la pompe de relevage, que le même décret ne prévoit, au titre des charges locatives récupérables, que la vérification et le réglage des appareils de commande, d'asservissement, de sécurité d'aquastat et de pompe, mais ne mentionne pas leur entretien ni le dépannage, sauf les menues réparations, de sorte que les factures liées aux interventions sur la pompe de relevage ne peuvent être réclamées aux locataires sortants au titre des charges récupérables.
8. En statuant ainsi, alors que la demande de remplacement d'une pièce du cumulus électrique s'analysait en une réparation locative et que celle relative aux interventions sur la pompe de relevage tendait à obtenir réparation de dégradations locatives, le tribunal judiciaire a violé le texte susvisé.
Sur le premier moyen, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
9. Le bailleur fait grief au jugement de rejeter sa demande en paiement de la facture d'entretien du cumulus électrique, alors « que la dépense d'entretien d'un cumulus constitue une charge récupérable ; qu'en refusant à M. [R] le remboursement, par M. [Y] et Mme [K], de la somme de 165 euros qu'il avait exposée pour l'entretien du cumulus équipant les lieux loués, au motif que le constat d'état des lieux de sortie ne mentionnait pas la nécessité d'un tel entretien, le tribunal judiciaire a violé les articles 7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, 1er du décret n° 87-713 du 26 août 1987 et III de l'annexe à celui-ci. »
Réponse de la cour
Vu les articles 7, a), et 23, 2°, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, et les articles 1er et 3 du décret n° 87-713 du 26 août 1987 :
10. Selon le premier de ces textes, le locataire est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus.
11. Il résulte des suivants que les charges récupérables sont des sommes accessoires au loyer principal, exigibles après mise à disposition par le bailleur aux locataires des pièces justificatives des dépenses liées à l'occupation du logement dont il leur a fait l'avance.
12. Pour rejeter la demande en paiement de la facture d'entretien du cumulus, le jugement, après avoir énoncé qu'il s'agit d'une charge potentiellement récupérable sous réserve qu'elle soit justifiée, relève que la facture de 165 euros du 7 février 2022 correspond à un entretien du cumulus réalisé deux jours après la remise des clés, puis retient que M. [R] affirme sans le prouver qu'aucun entretien n'était fait par les locataires, que l'état des lieux de sortie contradictoire ne mentionne pas de constat relatif à la nécessité de faire procéder à un entretien du cumulus au vu de la note « A vérifier cumulus éteint », et que M. [R] n'a pas, lors de l'état des lieux, opéré une remise en service du cumulus qui aurait potentiellement servi à établir contradictoirement l'éventuelle nécessité de diligenter un entretien.
13. En statuant ainsi, le tribunal judiciaire, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. Le bailleur fait grief au jugement de rejeter ses demandes relatives aux autres frais de réparation par lui exposés, alors « que les juges du fond ne peuvent refuser l'indemnisation d'un préjudice dont ils ont constaté l'existence dans son principe ; qu'en refusant à M. [R] le remboursement des travaux correspondant aux réserves mentionnées dans l'état des lieux de sortie dont il avait constaté la réalité, motif pris de ce qu'il ne justifiait pas du coût de ces réparations, le tribunal judiciaire a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
15. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le préjudice dont il constate l'existence dans son principe.
16. Pour rejeter la demande du bailleur, le jugement, après avoir retenu que la comparaison des états des lieux d'entrée et de sortie permettait de constater un potentiel droit à facturation de réparations locatives du fait qu'il était mentionné, contradictoirement, « refixer la boîte aux lettres, clôture à retendre, clôture à reprendre côté voisin et façade à nettoyer », relève qu'aucun document chiffré n'est produit à l'appui de cette demande de condamnation, aucune facture de matériau acheté, aucune pièce permettant au tribunal de constater le bien-fondé de cette demande, pour en déduire que celle-ci ne pourra qu'être rejetée.
17. En statuant ainsi, le tribunal judiciaire a violé le texte susvisé.
Civ.3 27 juin 2024 n° 23-10.340
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 27 juin 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 358 F-D
Pourvoi n° Q 23-10.340
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 JUIN 2024
La société Les Alpilles, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 23-10.340 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2022 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [U] [C], domicilié [Adresse 2],
2°/ à M. [D] [P], domicilié [Adresse 1], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Pro Soccer 5,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. David, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Les Alpilles, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C] et de M. [P], ès qualités, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. David, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 1er décembre 2022), le 3 mai 2017, la société civile immobilière Les Alpilles (la bailleresse) a donné à bail à la société Pro Soccer 5 (la locataire) des locaux commerciaux destinés à l'exercice d'une activité de football en salle.
2. Le 17 janvier 2018, la locataire a informé la bailleresse d'infiltrations réitérées en provenance de la toiture affectant son activité commerciale.
3. Après exécution de travaux, la bailleresse a, le 25 juillet 2018, signifié à la locataire un commandement, visant la clause résolutoire insérée au bail, de payer le loyer du troisième trimestre 2018.
4. Le 24 août 2018, la locataire et son dirigeant, M. [C], ont assigné la bailleresse en opposition au commandement susvisé et en indemnisation de leurs préjudices.
5. Un jugement du 6 juillet 2021 a ouvert la liquidation judiciaire de la locataire et a désigné M. [P] en qualité de liquidateur.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. La bailleresse fait grief à l'arrêt, d'une part, de dire qu'elle avait manqué à son obligation de délivrance pendant un minimum de cinquante-deux semaines et de rejeter, en conséquence, ses demandes tendant à voir condamner la locataire à lui payer une certaine somme correspondant aux loyers, charges et indemnités due au 10 octobre 2020, constater le jeu de la clause résolutoire et la résiliation du bail, subsidiairement, prononcer la résiliation judiciaire du bail pour défaut de paiement des loyers, en tout état de cause, ordonner l'expulsion de la locataire et la condamner à lui payer une indemnité d'occupation, d'autre part, de la condamner à payer à M. [P], ès qualités, certaines sommes au titre du préjudice de jouissance et du préjudice financier subis par la locataire, alors « que l'exception d'inexécution ne peut être opposée qu'en raison d'une inexécution suffisamment grave ; qu'en matière de bail, elle suppose que le preneur qui s'abstient de payer tout loyer soit privé totalement de la jouissance de la chose louée ; qu'en se bornant, pour admettre l'exception d'inexécution au profit de la société Pro Soccer 5, à affirmer que la SCI Les Alpilles avait manqué à son obligation de délivrance entre le 3 mai 2017 et le 28 novembre 2018 dès lors qu'au cours de cette période, certaines fuites provenant de la toiture avaient, suivant les affirmations du preneur, « partiellement » perturbé l'activité de ce dernier en limitant l'usage de « certains » terrains et que les gouttières étaient par endroits encombrées, sans expliquer en quoi ces désordres partiels étaient suffisamment graves et de nature à justifier la mise en oeuvre de l'exception d'inexécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1219 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1219 du code civil :
8. Selon ce texte, une partie peut refuser d'exécuter son obligation si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
9. Pour rejeter les demandes de la bailleresse, l'arrêt retient qu'il résulte des éléments produits que celle-ci a manqué à son obligation de délivrance et que, s'agissant de l'obligation principale du bailleur, la locataire a valablement opposé l'exception d'inexécution, en refusant de régler l'intégralité des loyers et de la taxe d'habitation.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les infiltrations alléguées avaient rendu les locaux loués impropres à l'usage auquel ils étaient destinés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. La bailleresse fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [P], ès qualités, une certaine somme au titre du préjudice financier subi par la locataire, alors « que le juge ne peut, pour évaluer un préjudice, se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée unilatéralement à la demande d'une partie ; que pour évaluer le préjudice financier prétendument subi par la société Pro Soccer 5 à la somme de 332 997,26 euros HT, la cour d'appel s'est exclusivement fondée sur l'expertise amiable établie de façon non contradictoire par l'expert-comptable commis par le preneur ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
12. Il résulte de ce texte que le juge ne peut se fonder sur un rapport d'expertise réalisé unilatéralement à la demande d'une partie que si ce rapport a été soumis à la libre discussion des parties et est corroboré par d'autres éléments de preuve.
13. Pour condamner la bailleresse à payer une certaine somme au titre du préjudice financier subi par la locataire, l'arrêt retient que les données de l'analyse réalisée par l'expert-comptable commis par celle-ci sont pertinentes et ne peuvent qu'être reprises, n'étant remises en cause par aucun autre élément.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est exclusivement fondée sur le rapport d'une expertise réalisée unilatéralement à la demande de l'une des parties, a violé le texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
15. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en condamnation de la locataire à lui payer certaines sommes aux titres des loyers, charges et indemnités dus au 10 octobre 2020 et des indemnités de retard, alors « que le juge commet un déni de justice en refusant d'évaluer une créance dont il constate l'existence en son principe ; qu'en déboutant la SCI Les Alpilles de sa demande de paiement des loyers dus au 10 octobre 2020, motif pris qu'aucun décompte n'était produit permettant de calculer « les sommes restant dues par la société Pro Soccer 5 », la cour d'appel a commis un déni de justice en violation de l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
16. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'une créance dont il constate l'existence en son principe.
17. Pour rejeter la demande de la bailleresse en paiement de certaines sommes aux titres des loyers, charges et indemnités dus au 10 octobre 2020 et des indemnités de retard, l'arrêt retient que la bailleresse n'ayant pu produire de décompte de sa créance, la cour d'appel n'est pas dans la capacité d'apprécier le montant de la créance retenue par le premier juge et qu'aucune autre pièce des appelants ne permet de calculer les sommes restant dues par la locataire.
18. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant d'un dommage dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
19. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [C], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
Soc. 7 mai 2024 n° 22-24.814
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 7 mai 2024
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 452 F-D
Pourvoi n° B 22-24.814
Aide juridictionnelle totale en demande au profit de Mme [V]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 20 octobre 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 MAI 2024
Mme [P] [V], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 22-24.814 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans le litige l'opposant à la société Bogatir, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de Mme [V], après débats en l'audience publique du 26 mars 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Nirdé-Dorail, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 janvier 2022), Mme [V] a été engagée en qualité de plongeuse polyvalente par la société Bogatir le 22 juin 2013.
2. Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie non professionnelle à compter du 21 novembre 2013.
3. La salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 13 mai 2014 et a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les premier et quatrième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de remboursement des indemnités de prévoyance, alors « que pour débouter Mme [V] de sa demande de remboursement des indemnités de prévoyance, l'arrêt - après avoir considéré que "la société ne justifiant d'aucun élément laissant présumer que la salariée n'a pas droit au paiement des indemnités de prévoyance, et en l'état des pièces fournies par cette dernière, il y a lieu de dire qu'elle a droit au remboursement des indemnités de prévoyance" - retient que "la salariée ne justifie par aucune des pièces qu'elle produit le montant qu'elle réclame ici, étant précisé que les courriers de l'organisme de prévoyance dont elle se prévaut n'évoquent à aucun moment le montant des indemnités en cause, et que ledit montant ne résulte d'ailleurs d'aucune autre pièce" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle ne pouvait écarter la demande de la salariée motifs pris de l'absence de justification du montant de sa créance et qu'il lui appartenait d'évaluer le préjudice né de la privation des indemnités de prévoyance dont elle constatait l'existence, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
6. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
7. Pour rejeter la demande de remboursement des indemnités de prévoyance, l'arrêt, après avoir retenu que la salariée avait droit au remboursement de ces indemnités, relève que les courriers de l'organisme de prévoyance dont la salariée se prévaut n'évoquent à aucun moment le montant des indemnités en cause, que ledit montant ne résulte d'ailleurs d'aucune autre pièce, et en déduit qu'elle ne justifie par aucune des pièces qu'elle produit le montant qu'elle réclame.
8. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de procéder à l'évaluation de la créance salariale dont elle avait reconnu le principe au besoin en ordonnant une mesure d'instruction, la cour d'appel a méconnu son office et violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter le montant qui lui a été alloué au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés à une certaine somme, alors « que selon l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, "les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail"; que l'article 31, § 2, de la Charte européenne des droits fondamentaux consacre le droit de "tout travailleur (?) à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés"; qu'aux termes de l'article L. 3141-5 du code du travail, "sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : 1° Les périodes de congé payé ; 2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant et d'adoption ; 3° Les contreparties obligatoires en repos prévues par l'article L. 3121-11 du présent code et l'article L. 713-9 du code rural et de la pêche maritime; 4° Les jours de repos accordés au titre de l'accord collectif conclu en application de l'article L. 3122-2 ; 5° Les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ; 6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque"; que selon l'article L. 3141-26 du code du travail, "lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d'après les dispositions des articles L. 3141-22 à L. 3141-25" ; qu'il incombe au juge national de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, s'il peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci ; qu'en cas d'impossibilité d'interpréter la réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et l'article 31, § 2, de la Charte européenne des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée, cette obligation s'imposant à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et de l'article 31, § 2, de la Charte européenne des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un salarié à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de l'article 31, § 2, de la Charte européenne des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un salarié à un employeur ayant la qualité de particulier ; que, pour débouter Mme [V] de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés, l'arrêt retient que "la salariée présente sa demande en incluant la période de son arrêt maladie du 21 novembre 2013 au 13 mai 2014, date de la rupture du contrat de travail résultant de sa prise d'acte" et qu'"il ressort des pièces du dossier que l'arrêt maladie initial ainsi que les prolongations ont été établis au moyen des documents Cerfa dédiés aux arrêts maladie d'origine non professionnelle" ; qu'il en déduit que "la demande est fondée mais dans la limite des périodes de travail effectif, soit du 22 juin 2013 au 21 novembre 2013, pour la somme de 633,62 euros, montant qui n'est pas contesté par la salariée même à titre subsidiaire"; qu'en excluant ainsi de l'acquisition des congés payés les périodes de suspension du contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 3141-5 du code du travail en sa rédaction antérieure à celle issue de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, par refus d'application l'article L. 3141-26 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, tel qu'interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et de l'article 31, § 2, de la Charte européenne des droits fondamentaux. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles L. 1132-1, L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail :
10. Aux termes du premier de ces textes, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.
11. En application du deuxième, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.
12. Aux termes du troisième, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
13. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16, point 80).
14. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
15. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
16. Par arrêt du 6 novembre 2018 (Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
17. La Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l'article L. 3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, Bull. V, n° 73).
18. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union.
19. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
20. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
21. Pour condamner l'employeur au paiement d'une certaine somme au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, l'arrêt après avoir relevé que la salariée présente sa demande en incluant la période de son arrêt maladie du 21 novembre 2013 au 13 mai 2014 et que l'arrêt maladie initial ainsi que les prolongations ont été établis au moyen des documents Cerfa dédiés aux arrêts maladie d'origine non professionnelle, retient que la demande est fondée dans la limite des périodes de travail effectif, soit du 22 juin 2013 au 21 novembre 2013.
22. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
Civ.3 2 mai 2024 n° 22-21.477
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 2 mai 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 224 F-D
Pourvoi n° Z 22-21.477
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MAI 2024
La société France boissons Loire sud-ouest, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 22-21.477 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société LPF TP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Ekip', dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [J] [O], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Eugetec environnement étanchéité,
3°/ à la société Suez eau France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 9],
4°/ à la société GSE, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], venant aux droits de la société GSE régions, elle-même venant aux droits de la société CCR,
5°/ à la société Fayat entreprise TP, dont le siège est [Adresse 6],
6°/ à la société Elite Insurance Company Limited, dont le siège est [Adresse 8] (Royaume-Uni),
7°/ à la société Etche Beychac, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],
8°/ à la société XL Insurance Company SE, compagnie d'assurance de droit irlandais, dont le siège est [Adresse 5] (Irlande),
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société France boissons Loire sud-ouest, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société GSE, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Suez eau France, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Fayat entreprise TP, après débats en l'audience publique du 12 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société France boissons Loire sud-ouest (la société France boissons) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile immobilière Etche Beychac (la société Etche), les sociétés LPF TP, XL Insurance Company SE, Elite Insurance Company Limited et M. [O], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Eugetec environnement étanchéité.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 juin 2022), la société Etche a conclu avec la société CCR, aux droits de laquelle vient la société GSE, un contrat de promotion immobilière portant sur la construction d'un bâtiment à usage d'entrepôts et de bureaux qu'elle a loué à la société France boissons.
3. Une réserve incendie, alimentée par une canalisation d'eau disposant de son propre compteur, a été réalisée par la société Fayat entreprise TP.
4. Une consommation anormale d'eau ayant été constatée, la société Etche a, après expertise, assigné certains constructeurs en indemnisation de ses préjudices ainsi que les sociétés France boissons et Lyonnaise des eaux, aux droits de laquelle vient la société Suez eau France.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La société France boissons fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires à l'encontre des sociétés Fayat entreprise TP et GSE, alors « que les juges ne peuvent refuser d'évaluer un préjudice dont ils ont constaté l'existence en son principe au prétexte de l'insuffisance des éléments de preuve fournis par la victime ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté une surconsommation importante d'eau du fait des désordres affectant la réserve incendie et le bassin, ce qui implique nécessairement l'existence d'un préjudice lié au surcoût de facturation subi par la société France boissons du fait des entrepreneurs responsables des désordres ; que dès lors, en déboutant la société France boissons de ses demandes indemnitaires aux motifs que « si contrairement à ce que soutient la société Fayat, il est établi que son préjudice est en lien avec l'opération de construction, la société France boissons ne justifie cependant pas du montant de son préjudice alors qu'il s'agit d'un préjudice financier quantifiable », que la demande de la société France boissons « correspond à son entière consommation d'eau sur la période litigieuse et non pas uniquement à sa surconsommation » et que la société France boissons n'avait pas versé « aux débats les factures d'eau émises par son fournisseur depuis la fin de la période de consommations » ni proposé « un quelconque mode de calcul de cette surconsommation », la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer un préjudice dont elle reconnaissait formellement le principe de l'existence aux motifs inopérants que le chiffrage proposé par la société France boissons et les éléments produits pour l'établir ne lui convenaient pas, a violé les articles 4 et 1382 dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 1er février 2016 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
7. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il a constaté l'existence en son principe, en se fondant sur l'insuffisance des preuves fournies par les parties.
8. Pour rejeter les demandes indemnitaires, l'arrêt retient que si le préjudice de la société France boissons est en lien avec l'opération de construction, celle-ci se contente de verser aux débats des factures portant sur les périodes litigieuses sans produire celles émises après la réparation du désordre, lesquelles auraient permis d'établir sa consommation moyenne d'eau et d'en déduire sa surconsommation, que les autres éléments produits ne sont ni certifiés ni probants et qu'elle ne propose aucun mode de calcul de cette surconsommation, de sorte qu'elle ne justifie pas du montant de son préjudice.
9. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant d'un dommage dont elle avait constaté l'existence, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
10. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Suez eau France, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
Civ.1 4 avril 2024 n° 23-12.791
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 4 avril 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 177 F-D
Pourvoi n° D 23-12.791
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 AVRIL 2024
L'association Congrégation des soeurs de Notre-Dame de la compassion, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 23-12.791 contre l'arrêt rendu le 3 novembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant à la société Dexia crédit local, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de l'association Congrégation des soeurs de Notre-Dame de la compassion, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Dexia crédit local, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 novembre 2022), par acte du 30 décembre 2004, la société Dexia crédit local (la banque) a consenti à l'association Congrégation des soeurs de Notre-Dame de la compassion de Toulouse (l'association) un prêt de 1 800 000 euros, d'une durée de trente-deux ans, portant intérêts à taux variable.
2. L'article 5 de ce prêt comportait une clause intitulée « option de passage en taux fixe », laquelle comprenait des stipulations relatives à l'indemnité pouvant être due au prêteur en cas de remboursement anticipé du capital.
3. Par acte du 11 janvier 2005, l'association a consenti à la banque, en cas d'incidents de paiement et/ou d'exigibilité anticipée du prêt garanti, le droit d'obtenir à tout moment le rachat partiel ou total d'un contrat de capitalisation.
4. Le 18 septembre 2009, l'association a accepté une « proposition de refinancement de prêt à taux révisable ou variable en prêt à taux fixe » prévoyant une modification du taux d'intérêt variable initial en un taux d'intérêt fixe à compter du 1er octobre 2009.
5. En 2016, l'association ayant procédé au remboursement anticipé du prêt, la banque lui a demandé paiement de l'indemnité prévue au contrat. A la suite du refus de l'association, la banque a procédé au rachat partiel du contrat de capitalisation à hauteur de 485 611,87 euros.
6. Le 27 décembre 2017, l'association a assigné la banque en annulation du contrat de prêt, remboursement de la somme prélevée sur le contrat de capitalisation, constat du caractère abusif de la clause relative à l'indemnité de remboursement anticipé et indemnisation des préjudices subis en raison des manquements de la banque à ses obligations contractuelles.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, sur le deuxième moyen, pris en ses dix premières et en ses deux dernières branches, sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, sur le quatrième moyen, pris en sa dernière branche et sur le cinquième moyen
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Sur le deuxième moyen, pris en sa onzième branche
Enoncé du moyen
8. L'association fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en restitution de la somme de 485 611,87 euros, alors « que, par ailleurs, le professionnel, au sens de la régime des clauses abusives, est celui qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'il agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel ; que, de plus, la notion de « professionnel » est une notion fonctionnelle impliquant d'apprécier si le rapport contractuel s'inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel ; que, pour attribuer à la Congrégation des s?urs de Notre-Dame de la compassion de Toulouse la qualité de professionnel et ainsi exclure l'application des dispositions relatives aux clauses abusives, la cour d'appel a retenu, d'une part, que le contrat de prêt litigieux était destiné à financer un investissement immobilier comportant notamment la création d'une maison de retraite pour lequel elle a passé avec une association une convention d'assistance à maîtrise d'ouvrage, d'autre part, qu'aux termes des statuts de l'association qui en assure le fonctionnement, celle-ci agit conformément aux orientations et directives de ladite Congrégation fondatrice" et, enfin, qu'un contrat de bail a été consenti par la congrégation qui porte sur l'ensemble immobilier financé au moyen du prêt, comprenant 78 locaux répartis sur 2007 m2 utiles moyennant un loyer annuel principal de 122 000 euros ; qu'en statuant ainsi par de tels motifs, qui ne caractérisent pas que la congrégation exerce une activité professionnelle d'investisseur ou de gestionnaire de maison de retraite et, partant, impropres à caractériser qu'elle ait agi à des fins entrant dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole et que le contrat se soit inscrit dans le cadre d'activités auxquelles elle se serait livrée à titre professionnel, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
9. Ayant retenu que l'association avait souscrit le prêt afin d'acquérir, à titre d'investissement immobilier, 2007 m² de terrain et 78 locaux et d'y installer et faire exploiter sous ses directives, moyennant le versement d'un loyer annuel de 122 000 euros, une maison de retraite, la cour d'appel en a exactement déduit que l'association, qui avait agi dans le cadre d'une activité professionnelle, ne pouvait pas se prévaloir du caractère abusif de la clause d'indemnité contractuelle due au prêteur en cas de remboursement anticipé du prêt et que la demande tendant à ce que cette clause soit réputée non écrite devait être rejetée.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. L'association fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en responsabilité fondée sur les manquements de la banque à ses obligations lors de la conclusion du contrat, alors : « que le point de départ du délai de prescription de l'action en paiement de dommages-intérêts formée par l'emprunteur contre l'établissement de crédit pour manquement de ce dernier à son devoir d'information est le jour où l'emprunteur n'a pu légitimement ignorer le dommage qui résultait du manquement du prêteur ; qu'en faisant courir le délai de prescription de l'action en responsabilité pour manquement de la société Dexia à son obligation d'information du moment de la conclusion du contrat, en décembre 2004, et de l'intervention de l'opération de refinancement en septembre 2009, sans constater que Congrégation des s?urs de Notre-Dame de la compassion de Toulouse pouvait avoir connaissance du dommage qui en résultait au moment de la souscription du prêt litigieux et au moment de l'intervention de l'opération de refinancement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-1 du code de commerce :
11. Il résulte de ces textes que l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement.
12. Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, la demande d'indemnisation de l'association, fondée sur le manquement de la banque à son devoir d'information quant aux modalités de mise en oeuvre de la clause du contrat de prêt stipulant, au profit de la banque, une indemnité en cas de remboursement anticipé du capital, et quant aux conséquences, sur l'application de cette clause, de la modification des modalités de remboursement du prêt intervenue le 1er octobre 2009, l'arrêt retient, d'une part, que le délai de prescription de l'action a commencé à courir à compter de la date de formation du contrat, dès lors que le dommage résultant du manquement à l'obligation d'information consiste en la perte de chance de ne pas contracter, de sorte que le délai de dix ans avait commencé à courir le 30 décembre 2004 et qu'en application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, l'association devait agir avant le 19 juin 2013, et que, d'autre part, l'association disposait de tous les éléments lui permettant d'agir à compter du 18 septembre 2009.
13. En statuant ainsi, sans établir la date à laquelle l'association avait eu une connaissance effective du dommage résultant des manquements au devoir d'information reprochés à la banque, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. L'association fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire fondée sur les manquements de la banque à ses obligations lors de l'exécution du contrat de prêt, alors « que le juge ne peut, sans commettre de déni de justice, refuser de juger au prétexte d'une insuffisance d'éléments ; qu'en se bornant à énoncer, pour écarter la demande de la congrégation, que celle-ci limitait sa démonstration au caractère contradictoire des courriers adressés par la banque à la congrégation et à la confusion qu'ils avaient pu générer chez cette dernière, de sorte qu'elle ne saurait valablement se prononcer sur la responsabilité de la banque de ce chef et accueillir, partant, sa demande à ce titre", la cour d'appel a entaché sa décision d'un déni de justice, en violation de l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
15. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
16. Pour rejeter la demande indemnitaire de l'association fondée sur des manquements de la banque à ses obligations lors de l'exécution du contrat de prêt, l'arrêt retient qu'il n'est pas possible de se prononcer sur la responsabilité de la banque dès lors que l'association se borne à invoquer, au soutien de sa demande, des lettres, adressées par la banque, qualifiées de contradictoires et confuses.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Civ.1 20 mars 2024 n° 22-22.291
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 20 mars 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 145 F-D
Pourvoi n° J 22-22.291
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 MARS 2024
1°/ la société Master Sas Di Gargiulo PEC, société de droit étranger, dont le siège est via [Adresse 10] (Italie),
2°/ la société Tecnobat SRL, société de droit étranger, dont le siège est via [Adresse 5] (Italie),
ont formé le pourvoi n° J 22-22.291 contre l'arrêt rendu le 13 avril 2022 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [F] [Z], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Solenzara marine service (SMS),
2°/ à M. [X] [E], domicilié [Adresse 6],
3°/ à M. [D] [I], domicilié [Adresse 7],
4°/ à la société BRMJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 9], prise en qualité de liquidateur judiciaire de M. [D] [I],
5°/ à la société Solenzara Marine Service (SMS), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 11], représentée par M. [F] [Z], pris en qualité de liquidateur judiciaire,
6°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
7°/ à la société les souscripteurs du Lloyd's de Londres, dont le siège est [Adresse 8] (Belgique), représentée par leur mandataire général la société Lloyd's Insurance Company, société de droit étranger, venant aux droits de la société Lloyd's France,
8°/ à la société Catlin Insurance Company, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni), société de droit étranger,
9°/ à la société Centre de plongée Castille, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
M. [Z], ès qualités, et les sociétés Solenzara Marine Service et Axa France IARD ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, trois moyens de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés Master Sas Di Gargiulo PEC et Tecnobat SRL, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [Z], des société Solenzara Marine Service et Axa France IARD, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [E] et des sociétés les souscripteurs du Lloyd's de Londres, Catlin Insurance Company et Centre de plongée Castille, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 13 avril 2022), M. [E], représentant la société Centre de plongée Castille, a fait l'acquisition d'un bateau semi rigide pneumatique auprès de la société Solenzara Marine Service (SMS), dont la coque nue a été fabriquée par les sociétés italiennes Master SAS di Gargiulo PEC (Master) et Tecnobat SRL (Tecnobat), les équipements nécessaires à la navigation dont les deux moteurs ont été mis en place par la société SMS et l'équipement électrique a été réalisé par M. [I].
2. A l'occasion d'une sortie en mer, une explosion s'est produite sous le plancher du bateau, provoquant un incendie et sa submersion.
3. Après avoir obtenu une expertise en référé visant à déterminer les causes du sinistre, les sociétés Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres et Catlin Insurance Company, assureurs corps du bateau, et la société Centre de plongée Castille, ainsi que M. [E] ont assigné la société SMS en responsabilité et indemnisation.
4. La société SMS a assigné en intervention forcée les sociétés Master et Tecnobat ainsi que M. [I].
5. La société Axa France Iard (Axa), assureur de responsabilité civile de la société SMS et M. [Z], désigné mandataire judiciaire de celle-ci après sa mise en redressement judiciaire, sont intervenus volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième à septième branches
Enoncé du moyen
7. Les sociétés Master et Tecnobat font grief à l'arrêt de les condamner in solidum avec M. [I] et la société Axa, en qualité d'assureur de la société SMS, à payer diverses sommes à la société Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, à la société Catlin Insurance Company, à M. [E] et à la société Centre de plongée Castille, alors :
« 3°/ que, tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, le juge ne peut s'en remettre aux constatations opérées par l'expert pour statuer sur les demandes dont il est saisi ; qu'en l'espèce, pour accueillir les demandes indemnitaires formulées contre les sociétés Master Sas di Gargiulo PEC et Tecnobat SRL, la cour d'appel s'est bornée à se référer à l'appréciation juridique de l'expert qui estimait qu'elles avaient manqué à leur obligation de délivrer à la société SMS des recommandations techniques et à leur devoir de mise en garde concernant l'installation des circuits électriques et le respect des normes de certification ; qu'en statuant ainsi quand il lui appartenait personnellement de se prononcer sur l'étendue des obligations pesant le cas échéant sur les sociétés Gargiulo PEC et Tecnobat à l'égard de son cocontractant professionnel, la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé les articles 12 et 238 du code de procédure civile, ensemble l'article 4 du code civil ;
4°/ qu'une insuffisante information, par le fabricant, concernant des recommandations de montage à réaliser sur un produit destiné à être achevé par un autre opérateur professionnel avant sa délivrance au client final n'est pas constitutive d'un défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1386-4 devenu 1245-3 du code civil ;
5°/ que la simple délivrance d'une certification, alors que les conditions n'en seraient pas satisfaites, au profit d'un produit destiné à être achevé par un autre opérateur professionnel avant sa délivrance au client final n'est pas constitutive d'un défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1386-4 devenu 1245-3 du code civil ;
6°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ; que dans leurs écritures d'appel, les sociétés Master Sas di Gargiulo PEC et Tecnobat SRL faisaient valoir, en réponse au reproche qui leur était fait par l'expert d'avoir délivré un certificat CE au navire coque-nue inachevé remis à la société SMS, que celle-ci était tenue responsable, en sa qualité d'opérateur intervenant avant la mise sur le marché du bien, du marquage CE en vertu tant de la règlementation nationale que du droit dérivé de l'Union européenne ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen de nature à écarter toute responsabilité des sociétés Master Sas di Gargiulo PEC et Tecnobat SRL, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
7°/ que la responsabilité du fait des produits défectueux requiert la preuve d'un lien de causalité entre le défaut et le dommage ; qu'en retenant la responsabilité des sociétés Gargiulo PEC et Tecnobat sans établir le lien de causalité entre le marquage CE et la survenance de l'explosion, contesté par les appelantes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1386-9 devenu 1245-8 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Aux termes de l'article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu 1245-3, alinéas 1 et 2, du code civil, un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et, dans cette appréciation, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
9. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu, sans se référer à des appréciations juridiques de l'expert, que les sociétés Master et Tecnobat, qui avaient livré un bateau coque nue, auraient dû fournir des recommandations ou des notices de montage pour les points précis pouvant remettre en cause la conception et la sécurité de ce bateau et que leur absence avait conduit à la réalisation de travaux à l'origine de l'explosion.
10. Sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, la cour d'appel a pu en déduire que le produit livré ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre et était dès lors défectueux.
11. Inopérant en ses cinquième et septième branches qui critiquent des motifs surabondants, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
Mais sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche, dont l'examen est préalable
Enoncé du moyen
10. La société Axa fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir juger, par application de la clause d'exclusion de garantie stipulée par le contrat d'assurance, qu'elle ne pouvait être tenue à garantie et, en conséquence, de la condamner, en qualité d'assureur de la société SMS, in solidum avec les sociétés Master et Tecnobat et avec M. [I], à payer diverses sommes à la société Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, à la société Catlin Insurance Company, à M. [E] et à la société Centre de plongée Castille, alors « que tout jugement doit être motivé ; que, pour condamner à garantie la société Axa, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'« après examen du contrat d'assurance du 19 décembre 2013, conclu entre la SA Axa France IARD et la société SMS, (elle) estime, comme le souligne(nt) à juste titre les sociétés Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, Catlin Insurance Company, M. [X] [E] et Centre de plongée Castille, que la SA Axa ne peut valablement se prévaloir de l'exclusion de sa garantie, laquelle couvre la responsabilité civile mise en cause en l'espèce, de la SARL SMS » ; qu'en statuant ainsi, par la voie de motifs généraux, sans davantage s'expliquer sur les conditions de mise en oeuvre de la garantie et sur son exclusion invoquée par l'assurance, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
12. Pour condamner la société Axa, en qualité d'assureur de la société SMS, in solidum avec les sociétés Master et Tecnobat et avec M. [I], à payer diverses sommes à la société Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, à la société Catlin Insurance Company, à M. [E] et à la société Centre de plongée Castille, l'arrêt se borne à retenir qu'à l'examen du contrat d'assurance conclu avec la société SMS, la société Axa ne peut valablement se prévaloir de l'exclusion de sa garantie.
13. En statuant ainsi, par des motifs généraux, alors qu'elle retenait la responsabilité de la société SMS au titre de vices de conception et de construction affectant le navire et que la société Axa invoquait une clause d'exclusion pour la construction de navires, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences du texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. Les sociétés Master et Tecnobat font grief à l'arrêt de les condamner in solidum avec M. [I] et la société Axa, en qualité d'assureur de la société SMS, à payer diverses sommes aux sociétés Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, Catlin Insurance Company, Centre de plongée Castille et à M. [E], alors « que seul est réparable, au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux, le dommage causé à une chose autre que le produit défectueux lui-même ; qu'en l'espèce, les demandes dirigées contre les sociétés Master Sas di Gargiulo PEC et Tecnobat SRL, fabricantes du navire coque-nue, étaient fondées sur la responsabilité du fait des produits défectueux et tendaient à la réparation de préjudices incluant celui résultant de la destruction du navire lui-même ; qu'en accueillant ces demandes en ce qu'elles tendaient à obtenir une indemnisation au titre de l'atteinte au produit défectueux lui-même, la cour d'appel a violé l'article 1386-2 devenu 1245-1 du code civil par fausse application ».
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
15. Les sociétés Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres et Catlin Insurance Company et M. [E] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau en cassation et mélangé de fait.
16. Cependant, ce moyen, invoqué par les sociétés Master et Tecnobat dans leurs conclusions d'appel, n'est pas nouveau.
17. Le moyen est donc recevable.
Bien fondé du moyen
Vu l'article 1386-2, devenu 1245-1, du code civil :
18. Il résulte de ce texte que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même.
19. L'arrêt condamne les sociétés Master et Tecnobat in solidum avec la société Axa France Iard et M. [I] à payer diverses sommes aux sociétés Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, Catlin Insurance Company, Centre de plongée Castille et à M. [E].
20. En se prononçant ainsi, sans s'assurer que les sommes demandées et allouées réparaient une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
21. Les sociétés Master et Tecnobat reprochent à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à la fixation des quote-parts de responsabilité imputables à chacun des responsables, alors « que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il est saisi en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies ; qu'en rejetant les demandes tendant à la fixation des quotes-parts de responsabilité imputables à chacun des responsables, au motif qu'au vu des éléments et pièces versés aux débats, elle ne s'estimait pas être en mesure de quantifier et de procéder à une répartition des responsabilités entre les différents responsables, la cour d'appel, qui a refusé de statuer sur la demande dont elle était saisie, a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
22. Il résulte de ce texte que le juge, qui a retenu la responsabilité in solidum de plusieurs auteurs, ne peut refuser de déterminer, lorsque cela lui est demandé, la part contributive de chacun des coresponsables.
23. Pour rejeter les demandes des sociétés Master et Tecnobat tendant à la fixation des quote-parts de responsabilité imputables à chacun des coresponsables, la cour d'appel retient qu'elle n'est pas en mesure de quantifier et de procéder à une répartition des responsabilités entre eux.
24. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé le texte susvisé.
Civ.1 28 février 2024 n° 22-22.965
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 28 février 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 93 F-D
Pourvoi n° S 22-22.965
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 FÉVRIER 2024
L'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) du Var, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de son mandataire ad hoc, M. [P] [Y], administrateur judiciaire, a formé le pourvoi n° S 22-22.965 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Franfinance location, dont le siège est [Adresse 7],
2°/ à la société Grenke location, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société CM-CIC leasing solutions, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à M. [K] [N], domicilié [Adresse 6], pris en qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la société Copie recto verso,
5°/ à la société BR associés, dont le siège est [Adresse 8], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Var solutions et de la société Dat and T,
6°/ à la société Rex Rotary, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
7°/ à la société Locam, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'Association pour adultes et jeunes handicapés du Var, de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de la société Grenke location, de de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société CM-CIC leasing solutions, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Rex Rotary, et l'avis de M. Aparisi, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 septembre 2022), en 2011 et 2012, l'Association pour adultes et jeunes handicapés du Var (l'APAJH) a passé commande de divers matériels informatiques et de copieurs auprès de la société Rex Rotary et de la société Var solutions documents (la société VSD) et conclu des contrats de maintenance avec ces sociétés et des contrats de location avec option d'achat ou de location longue durée avec les sociétés Franfinance location, GE capital équipement finance, Locam et Grenke location, en vue de financer ces opérations.
2. Les 5, 6, 8 et 12 août 2014, l'APAJH a assigné les sociétés Rex Rotary, VSD, Franfinance location, Locam et Grenke location, ainsi que la société GE capital équipement finance, devenue CM-CIC leasing solutions, en annulation et, subsidiairement, en résolution des contrats ainsi qu'en paiement de diverses sommes.
3. En cours de procédure, la société VSD a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire, la société BR associés étant désignée successivement en qualité de mandataire judiciaire puis de mandataire liquidateur.
4. L'APAJH a été mise en sauvegarde de justice par un jugement du 2 octobre 2014 et M. [Y] désigné administrateur judiciaire.
5. Le 20 octobre 2014, ce dernier a résilié le contrat de location financière conclu le 24 novembre 2011 avec la société Franfinance location, ainsi que les contrats de location avec option d'achat conclus avec la société GE capital équipement finance les 2 juillet 2012 et 12 novembre 2012, en vue de financer des commandes de matériel auprès de la société Rex Rotary. Par des ordonnances du 27 mai 2015, le juge commissaire a ordonné la restitution du matériel aux établissements financiers.
6. Par une ordonnance du 27 mai 2015, le juge-commissaire a rejeté la demande de restitution de matériel formée par la société GE capital équipement finance au titre d'un contrat de location longue durée du 19 avril 2013, conclu par l'APAJH en vue de financer une commande auprès de la société VSD.
7. Le contrat de location longue durée conclu par l'APAJH le 16 avril 2013 avec la société Locam, en vue de financer une commande auprès de la société VSD, a donné lieu à une mise en demeure de payer, le 21 octobre 2014, sous peine de résiliation de plein droit à l'expiration d'un certain délai.
8. En novembre 2014, M. [Y] a résilié le contrat de location longue durée conclu avec la société Grenke location en vue de financer une commande auprès de la société VSD. Par une ordonnance du 16 septembre 2015, le juge-commissaire a ordonné la restitution du matériel à l'établissement financier.
9. Par une ordonnance du 1er février 2016, M. [Y] a été désigné mandataire ad hoc. En cette qualité, il est intervenu volontairement à l'instance.
10. La procédure de sauvegarde à l'égard de l'APAJH a été clôturée pour extinction du passif par un jugement du 11 février 2020.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa seconde branche
11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. L'APAJH fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'égard des établissements financiers en annulation des contrats de location longue durée, de location avec option d'achat et de crédit-bail, à titre subsidiaire, en annulation, sinon résolution judiciaire, de tous les contrats de financement, à défaut, en réduction de 99 % du montant des créances réglées, échues et à échoir au titre de la perte de chance occasionnée, à titre subsidiaire, en condamnation des établissements financiers, pour leur part respective, à la somme de 495 855,28 euros, correspondant à 99 % du montant de la créance détenue sur l'association au titre du seul préjudice économique et financier, en conséquence, de rejeter ses demandes de condamnation in solidum des défenderesses à lui payer 500 863,92 euros de dommages-intérêts au regard du préjudice économique et financier subi, 50 000 euros de dommages-intérêts au regard du préjudice moral subi, et en conséquence de fixer la créance de la société Franfinance location au passif de l'association à la somme de 30 621,73 euros, à titre chirographaire, fixer la créance de la société Grenke location au passif de l'association à la somme de 35 654,26 euros, à titre chirographaire, fixer la créance de la société Locam au passif de l'association à la somme de 105 522,91 euros, à titre chirographaire et fixer la créance de la société CM CIC leasing solutions au passif de l'association à la somme de 76 423,07 euros, à titre chirographaire, alors « que la cour d'appel doit statuer sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions d'appel ; qu'en affirmant, pour débouter l'association de ses demandes formulées à l'encontre des établissements financiers, que "l'association ne distingue pas entre les quatre organismes financiers qui ont accordé les six contrats de location", la cour d'appel a violé les articles 5 et 954 alinéa 3 du code de procédure civile, ensemble l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
13. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
14. Pour rejeter les demandes de l'APAJH contre les établissements financiers, l'arrêt retient qu'elle sollicite l'annulation des contrats de location longue durée, de location avec option d'achat et de crédit-bail, selon le cas, pour dol de la société VSD, l'annulation ou la résolution de tous les contrats de financement pour accord de ces financements avec une légèreté blâmable et, à titre subsidiaire, leur résolution mais qu'alors que six contrats ont été signés, elle ne distingue pas entre les quatre organismes financiers qui ont accordé ces contrats, qu'il ne peut être procédé par généralités et qu'il appartenait à l'APAJH d'individualiser ses prétentions à l'égard de chacune de ces sociétés.
15. En statuant ainsi, alors que les contrats en cause et les prétentions de l'APAJH étaient identifiés dans ses conclusions, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Rex Rotary, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
Civ.3 15 février 2024 n° 21-22.457
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 15 février 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 94 F-D
Pourvoi n° U 21-22.457
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 FÉVRIER 2024
La société [Adresse 10], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° U 21-22.457 contre l'arrêt rendu le 4 mai 2021 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Spaggiari frères, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 9],
2°/ à M. [L] [C], domicilié [Adresse 8], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société RBT ingénierie,
3°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10], dont le siège est [Adresse 10], représenté par son syndic la société Gestissimo, exerçant sous l'enseigne Demichelis immobilier, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 11], venant aux droits et obligations de la société Gan Eurocourtage,
5°/ à la société 3D ingénierie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
6°/ à la société SMA, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7], anciennement dénommée Sagena,
7°/ à la société Lyonnaise de banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],
8°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
9°/ à la société SMABTP, dont le siège est [Adresse 7], et anciennement [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les sociétés Spaggiari frères et Generali IARD et le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10] ont formé, chacun, un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les sociétés 3D ingénierie, SMA et SMABTP ont formé des pourvois provoqués.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, dix moyens de cassation.
Les demanderesses aux pourvois incidents invoquent, respectivement, à l'appui de leur recours, trois, deux et deux moyens de cassation.
Les demanderesses aux pourvois provoqués invoquent, chacune, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société civile immobilière [Adresse 10], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société 3D ingénierie, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat des sociétés SMA et SMABTP, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Lyonnaise de banque, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Spaggiari frères, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Generali IARD, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 4 mai 2021, rectifié le 26 octobre 2021), la société civile immobilière [Adresse 10] (la SCI), qui a souscrit une assurance dommages-ouvrage et une assurance constructeur non réalisateur auprès de la société Gan Eurocourtage, transférées à la société Allianz IARD (la société Allianz), a confié, pour la réalisation d'une résidence hôtelière et de tourisme, une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage à la société 3D ingénierie, la société RBT ingénierie, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Sagena, devenue SMA, étant entreprise générale et la société Spaggiari frères, assurée auprès de la société Generali IARD (la société Generali) et de la SMABTP, sous-traitante de celle-ci.
2. La société Lyonnaise de banque s'est portée caution de la société RBT ingénierie.
3. La déclaration d'achèvement de travaux a été établie le 26 novembre 2007.
4. Se plaignant de divers désordres, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10] (le syndicat des copropriétaires) a, après expertise, assigné en réparation la SCI et les intervenants à l'acte de construire ainsi que leurs assureurs.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en ses troisième à cinquième branches, et sur les quatrième, huitième et dixième moyens du pourvoi principal, sur les premier et deuxième moyens du pourvoi incident de la société Spaggiari frères et sur le second moyen du pourvoi incident du syndicat des copropriétaires
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme au titre de l'aménagement paysager et de condamner la société Spaggiari frères à la garantir seulement à hauteur de 50 % de celle-ci, alors « que le promoteur-vendeur est tenu envers l'acquéreur d'une responsabilité pour faute prouvée en ce qui concerne les désordres intermédiaires ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que, pour les espaces paysagers, il s'agissait d'un désordre esthétique, donc non décennal ; que la cour d'appel a retenu l'existence de fautes consistant en un défaut de qualité des végétaux et un manque de finition et, pour engager la responsabilité contractuelle de la SCI [Adresse 10], qu'un « défaut de coordination » lui était imputable tenant au fait que « d'autres entreprises étaient intervenues après la société Spaggiari » ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de la SCI [Adresse 10], qui était maître d'ouvrage et n'avait pas réalisé les travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, devenu 1231-1, et 1646-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1646-1 du code civil :
7. En application de ces textes, le vendeur d'immeuble à construire est, comme les constructeurs, tenu à l'égard de l'acquéreur d'une responsabilité pour faute prouvée en ce qui concerne les désordres intermédiaires (3e Civ. 6 octobre 2010, pourvoi n° 09-66.521, Bull. 2010, III, n° 178), le seul manquement de celui-ci à son obligation de remettre à l'acquéreur un ouvrage exempt de vices ne suffisant pas à caractériser sa faute de ce chef (3e Civ., 13 février 2013, pourvoi n° 11-28.376, Bull. 2013, III, n° 21).
8. Pour condamner la SCI à payer une certaine somme au syndicat des copropriétaires au titre des espaces paysagers, l'arrêt retient que le désordre esthétique, provenant d'un défaut de qualité de végétaux et d'un manque de finition, lui est imputable, dans la mesure où il résulte d'un défaut de coordination à la suite de l'intervention de la société Spaggiari frères qui en avait été chargée après la résiliation du marché conclu avec la société RBT ingénierie.
9. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la faute du maître de l'ouvrage, qui n'avait pas réalisé les travaux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. La SCI fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il avait condamné in solidum la société Spaggiari frères et la SMA à la garantir, ainsi que la société Allianz, du paiement d'une certaine somme au titre des réseaux et de condamner uniquement la société SMA à la garantir du paiement de cette somme, alors « que les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions d'appel ; qu'en l'espèce, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la société Spaggiari frères demandait seulement une infirmation partielle du jugement et, au titre des réseaux, de débouter le syndicat des copropriétaires de sa demande de condamnation à l'encontre de la société Spaggiari frères et de réduire sa condamnation à garantie à l'égard de la seule société SMA ; qu'elle ne demandait pas l'infirmation du chef du jugement l'ayant condamnée à relever et garantir la SCI [Adresse 10] de la condamnation prononcée au titre des réseaux, ni le rejet de la demande de garantie de la SCI [Adresse 10] ; qu'en infirmant néanmoins le jugement de ce chef et, statuant à nouveau, en ne condamnant pas la société Spaggiari frères à garantir la SCI [Adresse 10] au titre des réseaux, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 954, alinéas 3 et 4, du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions déposées.
12. L'arrêt infirme le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société Spaggiari frères et la SMA à garantir la SCI et la société Allianz du paiement d'une certaine somme au titre des réseaux et condamne la seule société SMA de ce chef.
13. En statuant ainsi, alors que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la société Spaggiari frères n'avait pas demandé l'infirmation du jugement en ce que celui-ci l'avait condamnée à garantir intégralement la SCI et la société Allianz de la condamnation prononcée au titre des réseaux, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le cinquième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société Spaggiari frères, sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société Generali, sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi provoqué de la société 3D ingénierie et sur le premier moyen du pourvoi provoqué de la SMA, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
14. Par leur moyen, la SCI et la société 3D ingénierie font grief à l'arrêt de les condamner in solidum et avec les sociétés Allianz, SMA, Spaggiari frères et Generali à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices immatériels, alors « que le juge est tenu d'indiquer le fondement de sa décision ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a ordonné la réparation de certains postes de préjudices matériels du syndicat des copropriétaires sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et d'autres sur le fondement de la responsabilité décennale ; qu'en revanche, la cour d'appel n'a pas précisé au titre de quelle responsabilité elle ordonnait la réparation des préjudices complémentaires, également appelés préjudices immatériels, du syndicat des copropriétaires ; qu'en statuant ainsi, sans préciser le fondement de la condamnation prononcée, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a violé l'article 12 du code de procédure civile. »
15. Par son troisième moyen, la société Spaggiari frères fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la SCI et les sociétés Allianz, 3D ingénierie, SMA, et Generali à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices immatériels, alors « que le juge est tenu d'indiquer le fondement juridique de sa décision ; qu'en condamnant cependant la société Spaggiari au paiement d'une somme de 30.000 euros au titre des « préjudices complémentaires » prétendument subis par le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10], aux motifs qu'il « existe indéniablement un préjudice lié à l'impossibilité de bénéficier de toutes les prestations attendues d'une résidence de tourisme », sans préciser le fondement juridique de cette condamnation, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
16. Par son premier moyen, la société Generali fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la SCI et les sociétés Allianz, 3D ingénierie, SMA, et Spaggiari frères à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices immatériels, alors « que le juge est tenu d'indiquer le fondement de sa décision ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a ordonné la réparation de certains postes de préjudices matériels du syndicat des copropriétaires sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et d'autres sur le fondement de la responsabilité décennale, mais elle n'a pas précisé au titre de quelle responsabilité elle ordonnait la réparation des préjudices complémentaires, également appelés préjudices immatériels, du syndicat des copropriétaires ; qu'en statuant ainsi, sans préciser le fondement de la condamnation prononcée, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ».
17. Par son premier moyen, la société SMA fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la SCI et les sociétés Allianz, 3D ingénierie, Spaggiari frères et Generali à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices immatériels, alors « que le juge est tenu d'indiquer le fondement de sa décision ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a ordonné la réparation de certains postes de préjudices matériels du syndicat des copropriétaires sur le fondement de la responsabilité décennale ; qu'à défaut de préciser au titre de quelle responsabilité elle ordonnait la réparation des préjudices complémentaires, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle en violation de l'article 12 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 12, alinéa 1er, du code de procédure civile :
18. Aux termes de ce texte, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
19. Pour condamner la SCI et les sociétés 3D ingénierie, SMA, Spaggiari frères et Generali, à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme au titre des préjudices complémentaires, l'arrêt retient qu'il existe indéniablement un préjudice lié à l'impossibilité durant plusieurs années de bénéficier de toutes les prestations attendues d'une résidence de tourisme, à savoir l'impossibilité de bénéficier de chemins d'accès piétonniers accessibles à tous, d'utiliser la piscine dans des conditions correctes, de profiter d'espaces verts en état correct, et qu'il existe également un préjudice lié au retard pris par le chantier, à l'absence de réserves, pourtant essentielles, lors des opérations de réception, et au fait que les copropriétaires ont dû avancer certains frais pour permettre à la résidence de fonctionner et de louer les appartements.
20. En statuant ainsi, sans préciser le fondement juridique des responsabilités encourues au titre des préjudices immatériels, après avoir retenu qu'une partie de ceux-ci étaient consécutifs à des désordres de nature décennale tandis que d'autres relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun des intervenants, la cour d'appel, qui n'a pas mis en mesure la Cour de cassation d'exercer son contrôle, a violé le texte susvisé.
Sur le septième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
21. La SCI fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement qui avait condamné la société Allianz à la relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre en faveur du syndicat des copropriétaires et, statuant à nouveau, de rejeter ses demandes en garantie contre son assureur, la société Allianz, alors « que dans un contrat d'assurance de responsabilité, l'assureur est tenu de garantir son assuré du risque couvert ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a bien relevé que la compagnie Allianz était l'assureur de la SCI [Adresse 10] ; qu'en retenant néanmoins que la compagnie Allianz devait seulement être condamnée in solidum avec la SCI [Adresse 10] pour les condamnations prononcées au bénéfice du syndicat des copropriétaires, mais qu'il n'y avait pas lieu de la condamner à relever et garantir la SCI [Adresse 10], la cour d'appel a violé les articles L.113-5, L. 121-1 et L. 124-1 à L. 124-5 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 113-5 et L. 124-3 du code des assurances :
22. En application de ces textes, l'assureur de responsabilité, condamné au titre de l'action directe, in solidum avec son assuré, au profit du tiers victime, doit sa garantie à l'assuré dès lors que le risque couvert par le contrat s'est réalisé.
23. Pour infirmer le jugement ayant condamné la société Allianz à garantir la SCI qui avait souscrit auprès d'elle une assurance constructeur-non réalisateur et rejeter la demande en garantie formée par celle-ci contre son assureur, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu de condamner la société Allianz à relever et garantir son assurée, mais de prononcer une condamnation in solidum contre les deux au profit du syndicat des copropriétaires.
24. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le neuvième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
25. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes contre M. [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société RBT ingénierie, alors « que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'une créance dont il a constaté l'existence en son principe ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société RBT ingénierie avait été en charge de la réalisation des réseaux et des peintures et lasures des volets, menuiseries extérieures, serrureries et bandeaux ; qu'elle a retenu que la responsabilité de la société RBT ingénierie était indéniable ; qu'en refusant néanmoins de fixer une quelconque créance au passif de la liquidation de cette société, au motif que la demande de la SCI [Adresse 10] n'était pas détaillée, quand il lui appartenait d'évaluer la créance en lien avec la responsabilité de la société RBT ingénierie, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
26. En application de ce texte, le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il constate l'existence en son principe.
27. Pour rejeter la demande de fixation de créance au passif de la société RBT ingénierie, représentée par M. [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire, l'arrêt retient que, si la responsabilité de celle-ci dans les désordres affectant le réseau d'assainissement des eaux pluviales, les peintures et lasures des volets, les menuiseries extérieures, les serrureries et bandeaux, est indéniable, la SCI ne détaille pas sa demande.
28. En statuant ainsi, après avoir retenu que les préjudices du syndicat des copropriétaires que la SCI avait été condamnée à réparer, in solidum avec d'autres, s'élevaient aux sommes de 30 004,70 euros pour les réseaux d'assainissement des eaux pluviales et de 33 432,17 euros pour les peintures et lasures des volets, ce dont il résultait que le préjudice invoqué par la SCI au soutien de son recours avait été constaté dans son existence et son quantum, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le neuvième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
29. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors « que le maître d'ouvrage, condamné vis-à-vis de la victime, est fondé à obtenir la garantie totale des locateurs d'ouvrage auteurs du trouble ; que l'existence d'autres responsables ne fait pas disparaître la dette de l'entreprise responsable envers le maître d'ouvrage ; qu'en refusant de fixer une quelconque créance au passif de la liquidation de la société RBT ingénierie, au motif impropre que celle-ci n'était pas la seule responsable, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1792 du code civil :
30. En application de ce texte, le fait du locateur d'ouvrage qui a contribué, indivisiblement avec d'autres, à un désordre de nature décennale, engage sa responsabilité pour l'entier dommage à l'égard du maître de l'ouvrage condamné à réparation au profit de l'acquéreur, sous la seule réserve de ses propres recours contre les co-auteurs, lesquels n'affectent pas l'étendue de son obligation à l'égard de la victime du dommage.
31. Pour rejeter la demande de fixation de créance au passif de la société RBT ingénierie, représentée par M. [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire, l'arrêt retient que, si la responsabilité de celle-ci dans les désordres affectant le réseau d'assainissement des eaux pluviales, les peintures et lasures des volets, les menuiseries extérieures, les serrureries et bandeaux, était indéniable, elle n'était pas la seule.
32. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen du pourvoi incident du syndicat des copropriétaires
Enoncé du moyen
33. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation in solidum prononcée contre la SCI et les sociétés Allianz, Spaggiari frères et Generali au titre des travaux de voirie, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que, pour limiter à la somme de 3 397,10 euros l'indemnisation du syndicat des copropriétaires, qui sollicitait une somme de 143 232,10 euros au titre des travaux de reprise des désordres affectant les voiries, cheminements piétonniers et parkings de la résidence, la cour d'appel a estimé ne devoir retenir que cette somme dont le syndicat justifiait par la production d'une facture du 28 juillet 2011, pour la création d'un revêtement bicouche permettant l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite au bâtiment accueil animation, « à défaut d'autre document » et « en l'absence d'élément permettant de chiffrer le coût de la création d'un revêtement de type bicouche pour permettre l'accès des personnes handicapées aux bâtiments logement » ; qu'en statuant ainsi, quand le bordereau de communication des pièces produites par le syndicat des copropriétaires mentionnait la production du rapport d'expertise judiciaire du 8 novembre 2013 qui évaluait les « travaux de remise en état et de finition nécessaires au droit des voiries, parkings et cheminements piétonniers » à la somme de 115 231 euros HT, outre 14 980 euros HT de maîtrise d'oeuvre, estimation que le syndicat des copropriétaires reprenait expressément à son compte dans ses conclusions, la cour d'appel a dénaturé le bordereau de communication de pièces, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
34. Pour limiter à une certaine somme la réparation allouée au syndicat des copropriétaires au titre des voiries, qui ne permettaient pas l'accessibilité aux personnes handicapées des différents bâtiments, l'arrêt retient que le syndicat des copropriétaires justifie avoir dépensé la somme de 3 397,10 euros, selon facture du 28 juillet 2011, pour faire procéder à la création d'un revêtement bi-couche et qu'à défaut d'autre document, cette somme sera retenue.
35. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait du bordereau de communication des pièces annexé aux conclusions du syndicat des copropriétaires, lequel se prévalait, au soutien de sa prétention, de l'évaluation par l'expert du coût des travaux réparatoires de la voirie à hauteur de la somme de 143 232,10 euros, que le rapport d'expertise avait été versé aux débats, la cour d'appel, qui a dénaturé, par omission, le bordereau de communication des pièces, a violé le principe susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
36. La société Allianz, prise en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage et assureur constructeur non réalisateur, s'étant associée dans le délai légal, au troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, la cassation prononcée sur ce moyen doit être étendue au chef de dispositif de l'arrêt qui infirme le jugement en ce qu'il condamne in solidum la société Spaggiari frères et la société SMA à relever et garantir la SCI et la société Allianz de la condamnation prononcée à leur encontre au paiement de la somme de 30 004,70 euros et qui condamne la seule société SMA à la rever et garantir, ainsi que la SCI, du paiement de cette somme.
37. La société Allianz, prise en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage et constructeur non-réalisateur, s'étant associée, dans le délai légal, au cinquième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, au troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société Spaggiari frères, au premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société Generali, au premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société 3D ingénierie au premier moyen du pourvoi provoqué de la SMA, la cassation prononcée sur ces griefs doit être étendue au chef du dispositif de l'arrêt qui la condamne in solidum avec la SCI et les sociétés 3D ingénierie, SMA, Spaggiari frères et Generali à payer une certaine somme au syndicat des copropriétaires en réparation des préjudices immatériels.
38. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt qui condamne la SCI, in solidum avec la société Spaggiari frères, à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 121 916,30 euros au titre de l'aménagement paysager, entraîne la cassation du chef de dispositif qui condamne la société Spaggiari frères à garantir la SCI à hauteur de 50 % de cette somme, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
39. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt qui condamne in solidum la SCI et les sociétés Allianz, 3D ingénierie, SMA, Spaggiari frères et Generali à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices immatériels, entraîne la cassation des chefs de dispositif qui statuent sur les recours des coobligés entre eux de ce chef, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Mise hors de cause
40. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Lyonnaise de banque, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
41. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause le syndicat des copropriétaires, la SCI ni les sociétés Allianz, 3D ingénierie, Spaggiari frères, SMA et SMABTP et Generali dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
Soc. 20 décembre 2023 n° 22-14.661
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 20 décembre 2023
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 2211 F-D
Pourvoi n° R 22-14.661
Aide juridictionnelle totale en défense au profit de Mme [I]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 22 février 2023.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 DÉCEMBRE 2023
La société [Localité 3], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 22-14.661 contre l'arrêt rendu le 8 février 2022 par la cour d'appel de Nîmes (5e chambre sociale PH), dans le litige l'opposant à Mme [V] [I], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Mme [I] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général. Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société [Localité 3], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [I], après débats en l'audience publique du 22 novembre 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Ott, conseiller, Mme Laulom, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 8 février 2022), Mme [I] a été engagée en qualité d'employée de magasin par la société [Localité 3] (la société) le 1er novembre 2011. Elle a fait l'objet d'un arrêt maladie d'origine non professionnelle le 1er octobre 2012. A l'issue de l'examen médical du 9 janvier 2015, le médecin du travail a conclu à son inaptitude selon l'article R. 4624-31 du code du travail. Il a confirmé, par lettre du 15 janvier 2015, qu'aucun reclassement ni aménagement n'était possible. La société a informé la salariée, le 5 février 2015, de son impossibilité de lui proposer un poste. Convoquée à un entretien préalable fixé au 25 février 2015, la salariée a été licenciée, le 2 mars 2015, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
2. Par requête du 19 avril 2017, la salariée a saisi la juridiction prud'homale aux fins de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnisation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi à la suite d'un harcèlement moral.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal de la société et le moyen du pourvoi incident de la salariée, pris en ses deux premières branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen du pourvoi principal de la société qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ni sur le moyen du pourvoi incident de la salariée, pris en ses deux premières branches, qui est irrecevable.
Mais sur le moyen du pourvoi incident de la salariée, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice économique, alors « que le juge ne peut refuser d'évaluer un dommage dont il constate l'existence dans son principe ; qu'en l'espèce, pour débouter la salariée de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice économique, la cour d'appel a énoncé qu'au moment de son licenciement, la salariée avait 46 ans, qu'elle a subi une perte de revenus qui a nécessairement une conséquence sur son droit à la retraite, qu'elle avait une ancienneté de 3 ans et 7 mois en qualité d'employée de magasin au salaire mensuel brut moyen de 1 230 euros, mais qu'en l'absence d'élément probant déterminant la situation financière actualisée de la salariée et justifiant du préjudice économique qu'elle a subi, elle sera déboutée de sa demande d'indemnisation ; qu'en refusant ainsi d'évaluer le montant d'un préjudice dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
5. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par une partie.
6. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice économique, l'arrêt retient que l'existence d'un harcèlement moral est établie, que dès lors il convient d'allouer à la salariée des dommages-intérêts pour le préjudice moral et économique, qu'au moment de son licenciement elle avait quarante-six ans, qu'elle a subi une perte de revenus qui a nécessairement une conséquence sur son droit à la retraite, qu'elle avait une ancienneté de trois ans et sept mois en qualité d'employée de magasin au salaire mensuel brut moyen de 1 230 euros mais qu'en l'absence d'élément probant déterminant la situation financière actualisée de la salariée et justifiant du préjudice économique qu'elle a subi, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
7. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant d'une créance dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Civ.1 20 décembre 2023 n° 22-17.994
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 20 décembre 2023
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 689 F-D
Pourvois n° Y 22-17.934 P 22-17.994 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 DÉCEMBRE 2023
I - 1°/ M. [N] [S],
2°/ Mme [E] [H], épouse [S],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° Y 22-17.934 contre un arrêt rendu le 9 mars 2022 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige les opposant à la société caisse de Crédit mutuel de Quatelbach, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
II - La société caisse de Crédit mutuel de Quatelbach, a formé le pourvoi n° P 22-17.994 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [N] [S],
2°/ à Mme [E] [H], épouse [S],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs au pourvoi n° Y 22-17.934 et la demanderesse au pourvoi n° P 22-17.994 invoquent chacun, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [S], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société caisse de Crédit mutuel de Quatelbach,après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Y 22-17.934 et P 22-17.994 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 9 mars 2022), suivant offre du 30 avril 1997, acceptée le 23 mai 1997 et réitérée par acte authentique du 2 juin 1997, la société caisse de Crédit mutuel du Quatelbach (la banque) a consenti à M. et Mme [S] (les emprunteurs) un prêt immobilier remboursable par deux cent quarante échéances mensuelles, souscrit en francs suisses, à taux variable, indexé sur le Libor franc suisse 3 mois.
3. Par un avenant accepté le 21 août 2003, la durée de remboursement du prêt a été prolongée de deux cent quarante nouvelles échéances et le taux d'intérêt variable a été réduit.
4. Le 27 février 2017, à la suite du défaut de remboursement d'échéances, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt.
5. Le 20 septembre 2017, les emprunteurs ont assigné la banque en annulation du contrat de prêt, constat du caractère abusif de la clause de change et en indemnisation en raison de manquements à ses devoirs d'information et de conseil.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° P 22-17.994
Enoncé du moyen
6. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à son obligation contractuelle en ne retenant pas, dans le calcul du taux d'intérêt du prêt, la valeur réelle de l'index Libor 3 mois, de la condamner à appliquer au prêt le taux d'intérêt calculé sur la valeur réelle de l'index Libor CHF 3 mois telle que celle-ci s'établit à compter de janvier 2015 et ce jusqu'à la date de déchéance du terme du prêt soit le 27 février 2017 et de la condamner, après recalcul des intérêts, à restituer les intérêts indûment perçus, le tout sous réserve de prendre en compte l'incidence de l'impossibilité de prendre en compte, pour toute échéance mensuelle, un taux d'intérêts négatif, alors « que dans les contrats de crédit prévoyant l'indexation du taux d'intérêt, la rémunération du prêteur doit être au moins égale à la différence entre le taux figurant au contrat et la valeur de l'indice au jour de sa souscription ; qu'ainsi, lorsque l'indice choisi par les parties devient négatif, le taux en résultant doit être calculé sur la base d'un indice de valeur nulle ; que cette règle, qui a pour but de préserver le caractère onéreux du contrat en garantissant au prêteur la rémunération minimale telle que précédemment définie, s'applique même en l'absence de stipulation en ce sens ; qu'en l'espèce, l'avenant litigieux précisait que le taux d'intérêt était de 2,696 % et qu'il serait indexé sur le Libor CHF 3 mois, la valeur de cet indice au jour de l'acte s'élevant à 0,521 % ; que les juges du fond ont retenu que dans le cas où l'indice devenait négatif, il devait être appliqué, sans pouvoir générer d'intérêts mensuels négatifs à charge de la Caisse ; que toutefois, les juges du fond ont également précisé qu'en pareil cas, la Caisse ne pouvait calculer le taux d'intérêt sur la base d'un indice nul et qu'aucune rémunération incompressible ne lui était garantie à hauteur d'un taux d'intérêt supérieur à zéro pour chaque échéance mensuelle, en l'absence de stipulation du prêt instaurant une marge fixe au profit de la Caisse ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1902, 1905 et 1907 du code civil, ensemble l'article L. 313-1 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
7. Ayant relevé que les stipulations du contrat de prêt ne prévoyaient ni restriction à la baisse du montant de l'index ou du taux d'intérêt en résultant ni marge commerciale au profit de la banque ni montant incompressible du taux d'intérêt, la cour d'appel en a exactement déduit que, si la banque pouvait appliquer un taux d'intérêt plancher égal à zéro dès lors que ce taux ne pouvait pas être mensuellement négatif, les parties n'ayant pas entendu déroger aux règles du code civil selon lesquelles le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d'une quelconque rémunération à l'emprunteur, elle ne pouvait pas, en revanche, calculer le taux d'intérêt du prêt en considération d'un index égal à zéro afin de lui garantir une rémunération et qu'en ne retenant pas, dans le calcul du taux d'intérêt du prêt, la valeur réelle de l'index Libor 3 mois, elle avait manqué à ses obligations contractuelles.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi n° P 22-17.994
Enoncé du moyen
9. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle en paiement des sommes de 60 952,27 CHF et 4 377,94 CHF ainsi que sa demande de capitalisation des intérêts, alors « que si le prêteur, en vue de rapporter la preuve de sa créance, produit aux débats un acte notarié de prêt, un avenant et un décompte, il appartient aux juges du fond, s'ils estiment ce décompte insuffisant, de déterminer eux-mêmes le montant de la créance ; qu'au cas présent, la Caisse produisait aux débats, pour rapporter la preuve de sa créance, un acte notarié de prêt du 2 juin 1997, un avenant du 21 août 2003 et un décompte actualisé ; que pour écarter la demande reconventionnelle en paiement de la créance issue du prêt litigieux, la cour d'appel a dit que cette demande n'était étayée que par la production d'un décompte actualisé, sans que soit versé aux débats d'historique du compte suffisant à justifier de la créance invoquée ; qu'en statuant ainsi, sans déterminer elle même le montant de la créance, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
10. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
11. Pour rejeter la demande reconventionnelle en paiement, après avoir énoncé que même si la banque disposait déjà d'un titre exécutoire, il lui appartenait de prouver l'étendue de la créance qu'elle invoquait, l'arrêt relève que celle-ci ne justifie pas de sa demande en se bornant à produire un décompte actualisé ne comprenant pas d'historique de compte.
12. En statuant ainsi, alors qu'ayant considéré que la créance de la banque était fondée dans son principe, il lui appartenait d'en fixer le montant, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° Y 22-17.934
Enoncé du moyen
13. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité formée au titre des manquements de la banque à ses devoirs d'information et de conseil et de rejeter en conséquence leur demande de dommages-intérêts, alors « que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité exercée contre un banquier pour manquement à son obligation d'information, de conseil ou de mise en garde court à compter de la survenance du risque que l'emprunteur n'a pas été en mesure d'appréhender lors de la conclusion du prêt ; qu'en retenant que dès lors que le prêt était remboursable par échéances mensuelles en francs suisses, les conséquences de la dégradation de la parité entre l'euro et le franc suisse sur le remboursement des échéances s'[étaient] nécessairement manifestées dès l'année 2008, lors de laquelle il apparaît, au vu des éléments produits, et en particulier de la courbe de l'évolution du cours de change, que la devise helvétique a[vait] connu d'importantes, variations, et notamment plusieurs décrochages suffisamment significatifs", sans rechercher, comme elle y était invitée, si, compte tenu des variabilités des cours de change, le risque lié à la conclusion d'un prêt en devises ne pouvait être perçu par les emprunteurs dans toute son ampleur qu'au terme du contrat de prêt, soit le 27 février 2017, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
14. Il résulte de ces textes que l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information portant sur le fonctionnement concret de clauses d'un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement.
15. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir d'information, l'arrêt retient que ceux-ci n'établissent pas qu'ils ont pu légitimement ignorer le risque de préjudice au moment de la souscription des contrats et qu'en tout état de cause les conséquences de la dégradation de la parité entre l'euro et le franc suisse sur le remboursement des échéances s'étaient nécessairement manifestées dès l'année 2008, lorsque la devise suisse avait connu d'importantes variations.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les emprunteurs n'avaient pu avoir une connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles du manquement de la banque à son devoir d'information qu'au moment où la banque avait prononcé la déchéance du terme du prêt, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° Y 22-17.934
Enoncé du moyen
17. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation tendant à déclarer non écrite la clause du contrat de prêt souscrit en francs suisses relative au risque de change, alors « que l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible implique que les clauses indexant le remboursement d'un prêt sur le cours d'une devise étrangère soient comprises par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en retenant, pour juger claire et compréhensible la clause selon laquelle le remboursement du prêt s'effectuerait en francs suisses, que la variation du montant des échéances mensuelles de remboursement pouvait être appréhendée par tout emprunteur raisonnablement attentif et que l'évolution du taux de change, abordé dans le contrat comme un risque, était intrinsèque au recours à la devise suisse via un compte de conversion, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel a privé sa décision de base au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-1 du code la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
18. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
19. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, § 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
20. Pour rejeter la demande tendant à voir réputer non écrite la clause du prêt stipulant que l'emprunteur assume les conséquences de l'évolution du taux de change, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que cette clause relève de l'objet principal du contrat de prêt et qu'elle est rédigée de manière claire et compréhensible dès lors que les conséquences sur les modalités de remboursement du prêt en raison de la variation du taux de change pouvaient être appréhendées par tout emprunteur raisonnablement attentif, que le risque lié à l'évolution défavorable du taux de change était mentionné dans l'acte de prêt et dans l'avenant et qu'ainsi la banque avait fait signer aux emprunteurs le 18 avril 1997 une attestation selon laquelle ils déclaraient accepter ces risques et s'engageaient à approvisionner en devise leur compte en demandant à la banque de procéder tous les mois à la conversion du franc français en franc suisse.
21. En statuant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt qui rejette la demande formée par M. et Mme [S] sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant la société caisse de Crédit mutuel du Quatelbach à appliquer au prêt le taux d'intérêt calculé sur la valeur réelle de l'index Libor CHF 3 mois telle que celle-ci s'établit à compter de janvier 2015 et ce jusqu'à la date de déchéance du terme du prêt et la condamnant, après recalcul des intérêts, à restituer les intérêts indûment perçus, le tout sous réserve de l'impossibilité de prendre en compte, pour toute échéance mensuelle, un taux d'intérêt négatif, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Civ.3 14 décembre 2023 n° 21-19.488
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 14 décembre 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 808 F-D
Pourvoi n° S 21-19.488
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 DÉCEMBRE 2023
La société FC Avignon Sud, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-19.488 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2021 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant au société Bricoman, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La société Bricoman a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque à l'appui de son recours un moyen de cassation
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. David, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société FC Avignon Sud, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Bricoman, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. David, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 5 mai 2021), le 12 juin 2001, la société civile immobilière FC Avignon sud (la bailleresse) a, pour une durée de douze années, consenti à la société Bricoman (la locataire) un bail commercial sur un ensemble immobilier.
2. Après signature, le 16 juin 2014, d'un avenant prévoyant la poursuite du bail pour une nouvelle durée de neuf ans avec faculté de résiliation annuelle par le preneur, la locataire a, le 15 juin 2015, délivré à la bailleresse un congé à effet du 31 juillet 2016.
3. Le 1er décembre 2016, la bailleresse a assigné la locataire en paiement de diverses réparations locatives et en rétablissement d'une verrière remplacée en cours de bail par une construction en éléments de bardage traditionnels.
4. La locataire a reconventionnellement sollicité le paiement d'une indemnité à raison des travaux et améliorations réalisés par elle dans les locaux loués.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la locataire au paiement d'une certaine somme au titre de la réfection de la charpente et du bardage, alors « que le juge ne peut rejeter une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que dans son procès-verbal de constat du 9 septembre 2016, établi contradictoirement lors de la sortie de la société Bricoman des lieux loués, l'huissier avait relevé « des problèmes de bardages intérieurs sur les murs », notamment « des coups, des enfoncements et/ou déformations » ; qu'elle ajoutait que « l'huissier a relevé de façon précise que différents bardages avaient été endommagés : il liste des problèmes limités en nombre et qualité (plaques tordues, présence d'impacts, éclats, « traces d'adhésifs divers ») sur environ une trentaine de plaques » ; qu'en déboutant néanmoins la Sci FC Avignon Sud de sa demande tendant à voir condamner la société Bricoman à lui verser la somme de 45 600 euros au titre de la réfection des bardages existants, aux motifs que « le devis n'est pas de réparer ces 30 plaques mais de tout refaire en superposition de l'existant : « bardages en parement sur existant, écarteurs de 50 mm, isolant de 50 mm, parement en bac acier y compris accessoires. Surface 950 m² environ » ; que la preuve des obligations spécifiques à charge de la société Bricoman sur ce point n'est pas rapportée et il n'y a pas lieu à condamnation », la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
7. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
8. Pour rejeter la demande de la bailleresse en paiement d'une certaine somme au titre de la réfection des bardages existants, l'arrêt retient que, si l'huissier a relevé de façon précise qu'une trentaine de plaques de bardages avaient été endommagées (plaques tordues, présence d'impacts, éclats, traces d'adhésifs divers), le devis produit par la bailleresse ne se limite pas à ces trente plaques mais prévoit une réfection intégrale en superposition de l'existant, de sorte que la preuve des obligations spécifiques à la charge de la locataire n'est pas rapportée.
9. En statuant ainsi, sans évaluer le montant du préjudice résultant de la dégradation par la locataire de plaques de bardage, dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une certaine somme au titre des travaux réalisés au cours du bail commercial, alors « qu'en l'absence de convention entre les parties régissant le sort des constructions édifiées par le preneur en cours de bail, et dès lors que les travaux ont été effectués de bonne foi par le preneur, la circonstance que le bailleur soit devenu propriétaire des constructions à l'occasion du renouvellement du bail ne fait pas obstacle au droit à indemnité du preneur, en application des dispositions de l'article 555 du code civil ; qu'en s'abstenant de répondre au moyen des conclusions de la société Bricoman pris de ce que l'appropriation, par le bailleur, des constructions réalisées au cours du bail initial ne le dispensait pas d'indemniser le preneur au titre des travaux réalisés, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
12. Pour rejeter la demande de la locataire en indemnisation des travaux réalisés au cours du bail, l'arrêt énonce que la locataire tente d'instaurer une discussion parallèle sur la base de considérations hasardeuses en droit et en fait sur la notion d'impenses.
13. En statuant ainsi, sans répondre au moyen présenté par la locataire et tiré de l'application de l'article 555 du code civil, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
14. La locataire fait le même grief à l'arrêt, alors « que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; que la société Bricoman fondait sa demande indemnitaire au titre des travaux de construction et d'amélioration réalisés par ses soins sur l'erreur de droit commise par tribunal au regard de l'article 555 du code civil, que sur l'application de la théorie des impenses utiles, suivant une argumentation étayée en droit et en fait ; qu'en retenant que les développements des conclusions de la société Bricoman ne justifiaient pas, « au sens de l'article 954 du code de procédure civile », la demande indemnitaire au titre des travaux réalisés au cours du bail commercial, sans expliquer en quoi la formulation des conclusions de la société Bricoman aurait méconnu les exigences de ce texte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de ce même article. » Réponse de la Cour
Vu l'article 954 du code de procédure civile :
15. Selon ce texte, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée.
16. Pour rejeter la demande de la locataire en indemnisation des travaux réalisés au cours du bail, l'arrêt énonce que la locataire tente d'instaurer une discussion parallèle sur la base de considérations hasardeuses en droit et en fait sur la notion d'impenses et que, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, ses développements sur ce point ne justifient pas la demande.
17. En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les conclusions de la locataire méconnaissaient les exigences de l'article 954 du code de procédure civile, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Civ.1 13 décembre 2023 n° 22-10.684
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 13 décembre 2023
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 679 F-D
Pourvoi n° T 22-10.684
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 DÉCEMBRE 2023
1°/ M. [S] [F], domicilié [Adresse 2],
2°/ Mme [T] [F], domiciliée [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° T 22-10.684 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-4), dans le litige les opposant à Mme [E] [P] épouse [F], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [F], de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de Mme [P], et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général après débats en l'audience publique du 24 octobre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 novembre 2021), [Y] [F] est décédé le 2 octobre 2012, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [P], avec laquelle il s'était marié sous le régime de la communauté universelle avec clause d'attribution intégrale au conjoint survivant, et ses enfants nés d'une précédente union, [S] et [T] (les consorts [F]).
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Les consorts [F] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de reconstitution de leur réserve héréditaire, de réduction des droits de Mme [P], de reconstitution de leurs droits pour les biens constitués pendant le mariage, d'attribution en intégralité à leur profit, à hauteur de moitié chacun, des biens propres avant mariage, d'expertise avant-dire droit et d'injonction de production de pièces sous astreinte, alors « que commet un déni de justice le juge qui refuse de juger sous prétexte de l'insuffisance des preuves fournies par les parties ; qu'en l'espèce, où elle a constaté que les consorts [F] sont fondés à agir en retranchement pour récupérer leur part de réserve héréditaire sur le fondement de l'article 1527 du code civil, la cour d'appel qui les a cependant déboutés de leur demande de reconstitution de leur réserve et de réduction des droits de Mme [P] au seul motif de l'absence de production de pièces probantes, a commis un déni de justice et violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
3. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien fondé en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par les parties.
4. Pour rejeter les demandes des consorts [F] tendant à la reconstitution de leur réserve et la réduction en conséquence des droits du conjoint survivant, l'arrêt, après avoir constaté que [Y] [F] était marié avec Mme [P] sous le régime de la communauté universelle avec clause d'attribution intégrale au conjoint survivant, retient que les consorts [F] sont donc fondés à agir en retranchement pour récupérer leur part de réserve héréditaire sur le fondement de l'article 1527 du code civil, mais que les pièces qu'ils produisent ne permettent pas de justifier du chiffrage de leur demande.
5. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant de l'indemnité de réduction dont elle avait constaté l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Soc. 29 novembre 2023 n° 19-17.218
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 29 novembre 2023
Cassation partielle
M. FLORES, conseiller le plus ancien faisant fonction de président
Arrêt n° 2104 F-D
Pourvoi n° G 19-17.218
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 NOVEMBRE 2023
M. [Y] [H], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 19-17.218 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (19e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Luxottica France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général. Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [H], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Luxottica France, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2023 où étaient présents M. Flores, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Techer, conseiller référendaire ayant voix délibérative. et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 décembre 2018), M. [H] a été engagé en qualité de voyageur, représentant, placier (VRP) par la société Luxottica France à compter du 2 septembre 2002.
2. Selon avenant du 5 février 2007, les parties sont convenues de l'abandon du statut de VRP au profit d'un emploi d'attaché commercial, avec une rémunération composée d'une partie fixe et d'une partie variable. Un nouvel avenant à effet du 1er avril 2008 a porté la rémunération fixe à 2 500 euros brut par mois et prévu une rémunération variable dépendant de la réalisation d'objectifs quantitatifs et qualitatifs.
3. L'employeur a modifié le secteur géographique du salarié et l'a affecté à la commercialisation de lunettes de la marque "Dolce & Gabana" en remplacement de la marque "Ray-Ban" qu'il commercialisait jusqu'alors.
4. Le 4 septembre 2014, l'employeur a licencié le salarié pour faute grave.
5. Le 1er octobre 2014, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la reconnaissance du statut de VRP et le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens, et le quatrième moyen, pris en sa première branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les premier et troisième moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, qui est irrecevable.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité au titre de l'occupation professionnelle du domicile, alors « que le juge ne peut refuser de statuer, en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; que pour rejeter sa demande en paiement d'une indemnité au titre de l'occupation professionnelle du domicile, la cour d'appel a retenu - après avoir constaté qu'"il était amené à entreposer à son domicile du matériel professionnel et notamment des lunettes" - qu' "il ne fournit aucun élément sur les conditions de stockage de ce matériel et notamment sur le nombre de mètres carrés de son domicile occupé à cette fin", ce dont elle a déduit que, "faute de justifier du préjudice qu'il allègue, il y a lieu de rejeter la demande de dommages-intérêts formulée à ce titre" ; qu'en statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant d'un préjudice dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
8. En application de ce texte, le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
9. Pour rejeter la demande en paiement d'une indemnité d'occupation professionnelle du domicile, l'arrêt retient que le salarié ne produit aucune pièce établissant qu'il accomplissait une partie de son travail à domicile, qu'il est seulement constant qu'il était amené à y entreposer du matériel professionnel, notamment des lunettes, et qu'il ne fournit aucun élément sur les conditions de stockage de ce matériel, notamment sur le nombre de mètres carrés de son domicile occupés à cette fin.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer ce préjudice, a violé le texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est fondé sur une faute grave et de le débouter de ses demandes en paiement d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, et d'un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire, alors « que constitue une modification du contrat de travail le changement de secteur et/ou de produits à commercialiser d'un attaché commercial, ayant une incidence sur le niveau ou la structure de sa rémunération ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la modification du secteur de travail et de marque à commercialiser était intervenue à compter du 1er juillet 2014 tandis que l'employeur n'avait communiqué les objectifs du salarié que le 23 juillet 2014 soit en même temps qu'il le convoquait à un entretien préalable au licenciement en raison du refus du salarié de se voir imposer cette modification, sachant que la cour d'appel a encore constaté que le salarié était en congé annuel à compter du 21 juillet 2014, soit à un moment où ses objectifs ne lui avaient pas encore été fixés, et jusqu'au 18 août 2014, date à laquelle il avait aussitôt été mis à pied à titre conservatoire ; qu'il s'en évinçait que, en l'absence de fixation des objectifs par l'employeur dans un délai raisonnable à compter de la modification litigieuse, le salarié était en droit de considérer légitimement que cette modification avait un impact sur sa rémunération et constituait donc une modification du contrat de travail nécessitant son accord exprès, de sorte qu'il ne pouvait être licencié pour l'avoir refusée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, au prétexte qu'il n'aurait pas été établi que la modification litigieuse avait une incidence sur la rémunération, tandis qu'il ressortait de ses propres constatations que l'employeur n'avait pas fixé au salarié ses objectifs concernant le nouveau secteur et la nouvelle marque attribués concomitamment à cette modification, ce qui laissait présager une incidence sur la rémunération, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
12. Il résulte de ces textes que la modification de son contrat de travail ne peut être imposée au salarié.
13. Pour rejeter la demande du salarié en contestation du licenciement, l'arrêt retient qu'il s'est borné à faire valoir que le changement de ligne de lunettes à commercialiser et la modification de la zone géographique de travail avaient nécessairement des conséquences sur sa rémunération ainsi que sur la durée du travail sans nullement le démontrer et que la commercialisation d'une nouvelle collection avec de nouveaux clients ne constituait qu'une modification des conditions de travail et était inhérente à l'exercice de ses fonctions d'attaché commercial.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la modification par l'employeur du secteur géographique et de la marque de lunettes à commercialiser attribués au salarié avait une incidence sur la rémunération variable qui dépendait d'objectifs quantitatifs et qualitatifs, de sorte qu'elle constituait une modification du contrat de travail nécessitant l'accord du salarié, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquence de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur les deuxième et quatrième moyens emporte la cassation des chefs de dispositif statuant sur les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Civ.2 16 novembre 2023 n° 21-11.317
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 16 novembre 2023
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1132 F-D
Pourvoi n° K 21-11.317
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2023
La Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 21-11.317 contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2020 par la cour d'appel de Nouméa (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société [3], dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance, de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société [3], et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 29 octobre 2020), à la suite d'un contrôle portant sur la période du 3e trimestre 2012 au 1er trimestre 2015, la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance (la CAFAT) a notifié à la société [3] (la société) un redressement réintégrant notamment dans l'assiette des cotisations les avantages en nature accordés aux salariés pour leurs déplacements personnels en avion. Elle lui a ensuite adressé des mises en demeure, suivies de contraintes auxquelles la société a formé opposition.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
2. La CAFAT fait grief à l'arrêt d'annuler les contraintes, alors « que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe et il lui appartient, au besoin, d'ordonner toute mesure d'instruction utile pour lui permettre de déterminer le quantum de cette demande ; que la cour d'appel a admis le bien fondé du redressement en constatant que, pour leurs déplacements privés ou ceux de leurs proches, les salariés ont bénéficié d'avantages tarifaires à des conditions auxquelles n'avait pas accès le public et que ces billets constituaient des avantages en nature entrant dans l'assiette des cotisations sociales ; que néanmoins, la cour d'appel a annulé les contraintes au motif que, dans l'évaluation de l'avantage en nature de deux salariés, l'organisme social avait oublié de déduire le prix d'achat payé par ces salariés du prix réel du billet proposé au public, si bien que « la cour n'étant pas en mesure, au vu des pièces produites, de faire le lien entre les bordereaux de régularisation et les contraintes, ni d'identifier les montants intégrés à tort dans l'assiette des cotisations au titre des billets R2 et, par voie de conséquence, les cotisations indûment réclamées, les contraintes seront annulées » ; qu'en refusant d'évaluer le montant du redressement et des contraintes dont elle avait préalablement admis le bien fondé, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
3. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par une partie.
4. Pour annuler les contraintes, l'arrêt, après avoir relevé que ses salariés avaient bénéficié pour leurs déplacements privés ou ceux de leurs proches de conditions tarifaires préférentielles pour leurs billets d'avions susceptibles d'être regardées comme des avantages en nature au sens de l'article 3 de la délibération n° 280 du 19 décembre 2001, retient que le mode de calcul choisi pour évaluer les avantages consentis à deux d'entre eux ne saurait être entériné de sorte que la cour d'appel n'était pas en mesure d'identifier les montants intégrés à tort dans l'assiette des cotisations.
5. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant des avantages en nature dont elle avait constaté l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa dernière branche
Enoncé du moyen
6. La CAFAT fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que la cour d'appel a justement rappelé que le redressement portait sur l'affiliation de deux directeurs généraux successifs de la société au régime général de la CAFAT et la réintégration dans l'assiette des cotisations sociales de l'avantage en nature que constituaient les billets gratuits ou à prix réduit proposés aux salariés et« qu'en cause d'appel, la contestation de la société est circonscrite au redressement opéré au titre de l'avantage aérien au titre des billets R2 puisque ses développements consacrés à la critique de la décision déférée ne concernent que les « billets R2 (billets sans réservation préalable) » ; qu'en décidant d'annuler intégralement les contraintes – alors que pour la part concernant l'affiliation des directeurs généraux aucune contestation n'existait quant au bien-fondé du redressement – la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
7. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
8. L'arrêt annule les contraintes en totalité après avoir constaté que le redressement était la conséquence de l'affiliation de deux directeurs généraux successifs au régime général et de la réintégration dans l'assiette des cotisations de la valeur de l'avantage aérien octroyé au personnel de la société mais qu'en cause d'appel, la contestation de la société était circonscrite au second chef de redressement.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé.
Civ.1 15 novembre 2023 n° 22-16.737
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 15 novembre 2023
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 612 F-D
Pourvoi n° X 22-16.737
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 NOVEMBRE 2023
M. [H] [I], domicilié [Adresse 1] (Suisse), a formé le pourvoi n° X 22-16.737 contre le jugement rendu le 24 janvier 2022 par le tribunal de proximité de Villeurbanne, dans le litige l'opposant à la société Easyjet Airline Company Limited, dont le siège est [Adresse 2] (Royaume-Uni), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [I], après débats en l'audience publique du 26 septembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué ([Localité 5], 24 janvier 2022), M. [I] a acquis auprès de la société Easyjet (le transporteur aérien) trois billets d'avion, pour lui-même, son épouse et leur fille mineure, tous les trois ressortissants français, pour le vol de [Localité 3] à [Localité 4] prévu le 20 octobre 2018.
2. Lorsqu'ils se sont présentés au départ, le transporteur aérien a refusé l'embarquement de l'enfant au motif que son passeport était périmé depuis 18 jours.
3. Le 19 décembre 2018, M. [I] a saisi le tribunal d'une demande en indemnisation contre le transporteur aérien.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [I] fait grief au jugement de rejeter ses demandes, alors que « le juge qui constate l'existence d'un préjudice ne peut refuser de le réparer au motif qu'il ne dispose pas des éléments lui permettant de l'évaluer ; qu'au cas d'espèce, ayant retenu que l'indemnisation réclamée par M. [I] était fondée en son principe, le tribunal ne pouvait repousser la demande au motif que le demandeur ne produisait pas les justificatifs prouvant le montant qu'il avait payé pour les billets d'avion ou les frais supplémentaires supportés ; qu'en statuant comme il l'a fait, il a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
5. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le préjudice dont il constate l'existence dans son principe.
6. Pour rejeter la demande de M. [I], après avoir retenu que le passeport de l'enfant étant périmé depuis moins de cinq ans, son embarquement avait été refusé à tort, le jugement relève que, si l'indemnisation est fondée en son principe, M. [I] ne produit aucun justificatif prouvant le montant qu'il a payé pour les billets d'avion ou pour les frais supplémentaires dont il réclame le paiement.
7. En statuant ainsi, le tribunal a violé le texte susvisé.
Civ.2 12 octobre 2023 n° 22-16.508
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 12 octobre 2023
Cassation partielle
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 1018 F-D
Pourvoi n° Y 22-16.508
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2023
M. [D] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 22-16.508 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2022 par la cour d'appel d'Amiens (2e protection sociale), dans le litige l'opposant à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de M. [M], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présentes Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 16 mai 2022), M. [M], affilié à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (la CIPAV) du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2014, et son épouse, Mme [Z], ont saisi la commission de recours amiable de la CIPAV en validation de trimestres supplémentaires, remboursement de cotisations, et affiliation rétroactive de Mme [Z].
2. Après rejet de leur demande, ils ont saisi une juridiction de sécurité sociale aux mêmes fins, ainsi qu'en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de réparation de son préjudice matériel, alors « que le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties pour l'évaluer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a exactement constaté qu' « en s'abstenant de répondre à la demande d'affiliation, puis en calculant des cotisations sur la base des deux revenus, la CIPAV a commis une faute, laquelle a créé un préjudice correspondant à la différence entre les cotisations qui auraient dû être acquittées et celles qui l'ont été » ; que la cour d'appel a pourtant rejeté la demande en retenant que « faute de rapporter la preuve du montant du préjudice subi, résultant d'un trop versé de cotisations, M. [M] doit être débouté de l'ensemble de ses demandes » ; qu'en rejetant la demande d'indemnisation du préjudice, dont elle avait constaté le principe, en se fondant sur l'insuffisance des preuves pour l'évaluer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
5. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe.
6. Pour rejeter la demande de M. [M] tendant au paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel retient que la CIPAV a commis une faute qui a créé un préjudice correspondant à la différence entre les cotisations qui auraient dû être acquittées et celles qui l'ont été.
7. Elle ajoute que faute de rapporter la preuve du montant du préjudice subi, résultant d'un trop versé de cotisations, M. [M] doit être débouté de l'ensemble de ses demandes.
8. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant d'un dommage dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Civ.2 21 septembre 2023 n° 21-24.992
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 21 septembre 2023
Cassation
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 867 F-D
Pourvoi n° Z 21-24.992
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2023
M. [T] [O], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-24.992 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2021 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Allianz délégation Caraïbe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chauve, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [O], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz délégation Caraïbe, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Chauve, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 7 septembre 2021), un immeuble destiné à la location appartenant à M. [O] et assuré par la société Allianz délégation Caraïbe (l'assureur), a été endommagé par un incendie.
2. M. [O] a saisi un tribunal judiciaire aux fins d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices, estimant insuffisantes les sommes versées par son assureur à titre amiable.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [O] fait grief à l'arrêt de dire que le montant de l'indemnisation due par l'assureur s'élève à la seule somme de 98 621,04 euros et de le condamner à rembourser à celui-ci la somme de 568,98 euros, au titre du trop-perçu sur l'indemnisation due, alors « que le juge ne peut refuser d'accorder l'indemnisation d'un dommage dont il admet l'existence, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par une partie ; qu'en jugeant, pour écarter toute indemnisation par l'assureur des meubles garnissant les logements incendiés dont il était propriétaire, que « le tribunal a[vait], à tort, considéré que les deux factures pro forma suffisaient à lui permettre de faire la preuve des meubles meublants perdus dans le sinistre », qu'il lui appartenait de produire « les justificatifs du contenu de chaque appartement meublé », qu'il n'était pas possible « de connaître le contenu exact de chaque appartement loué », qu'il n'appartenait pas à la cour « de se substituer à l'assuré et de tenter de faire un récapitulatif des éléments » détruits et qu'« il [était] impossible à la cour de faire l'inventaire des meubles meublants appartenant au propriétaire et détruits par l'incendie », la cour d'appel, qui, après avoir reconnu le bien-fondé en son principe de sa demande indemnitaire, a cependant refusé d'évaluer le préjudice dont il sollicitait la réparation, a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
4. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par une partie.
5. Pour rejeter la demande d'indemnisation formée au titre du mobilier garnissant les lieux donnés à bail meublé, l'arrêt énonce que M. [O] doit justifier de l'étendue du sinistre et apporter les justificatifs pour chaque appartement meublé, ce qu'il ne fait pas, dès lors qu'il se borne à produire les contrats de bail sans joindre le moindre état des lieux et deux factures, qui sont insuffisantes à faire la preuve des meubles meublants perdus dans le sinistre. Il ajoute que la cour d'appel n'a pas à se substituer à l'assuré pour tenter de faire un récapitulatif des éléments d'indemnisation.
6. En statuant ainsi, alors qu'elle relevait que la garantie des meubles meublants des différents appartements était acquise à l'assuré et justifiée par les clauses du contrat et que des meubles lui appartenant avaient été détruits par l'incendie, ce dont il résultait que M. [O] avait nécessairement subi une perte au titre des meubles garnissant les logements incendiés, la cour d'appel, qui a refusé d'indemniser un préjudice dont elle constatait l'existence, a violé le texte susvisé ;
Com. 20 septembre 2023 n° 21-25.386 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SMSG
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 20 septembre 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 573 FS-B
Pourvoi n° C 21-25.386
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 SEPTEMBRE 2023
La société Effigest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-25.386 contre le jugement rendu le 19 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Versailles (4e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société C and B, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de Me Bardoul, avocat de la société Effigest, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fevre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Versailles, 19 novembre 2021), rendu en dernier ressort, par un acte du 8 juillet 2021 transformé en procès-verbal de recherches infructueuses, la société Effigest, expert-comptable, a assigné la société C and B aux fins de la voir condamner à lui payer, d'une part, la somme de 756 euros, correspondant à trois factures émises pour des frais de domiciliation, d'autre part, la somme de 2 910 euros, correspondant à neuf factures mensuelles émises entre avril et décembre 2019 pour des interventions comptables, outre la somme de 645,66 euros au titre de frais de recouvrement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. La société Effigest fait grief au jugement de ne condamner la société C and B à lui payer que les sommes de 756 euros, majorée des intérêts de retard calculés au taux de l'intérêt légal à compter du 28 janvier 2021, et de 120 euros, pour frais de recouvrement, alors « que, dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation ; qu'en cas d'abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d'une demande tendant à obtenir des dommages-intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat ; qu'en déboutant, alors même qu'elle n'était saisie d'aucune contestation ou demande de la partie adverse dont il avait constaté l'absence, la société Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations de tenue de comptabilité au motif qu'elle ne produisait ni tarif horaire ni feuille de temps passé sur ces travaux qui justifierait le quantum de sa facturation, le tribunal a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018. »
Réponse de la Cour
3. Selon l'article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation.
4. Selon l'article 1105, alinéa 3, du code civil, les règles générales relatives à la formation, à l'interprétation et aux effets des contrats s'appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats.
5. Selon l'article 151, alinéa 1, du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable, l'expert-comptable passe avec son client un contrat écrit définissant sa mission et précisant les droits et obligations de chacune des parties.
6. Il en résulte que les dispositions de l'article 1165 du code civil ne sont, conformément à l'article 1105, alinéa 3, du même code, pas applicables.
7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. La société Effigest fait le même grief au jugement, alors « qu'en matière de louage d'ouvrage, il appartient au juge de fixer la rémunération due au prestataire compte tenu des éléments de la cause ; que le juge est ainsi tenu de fixer le montant d'honoraires dont il ressort de ses constatations qu'ils sont fondés en leur principe ; que le montant des honoraires dus à l'expert-comptable doit être déterminé en fonction du travail fourni et du service rendu ; qu'en déboutant la société d'expertise-comptable Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations de tenue de comptabilité, dont il a constaté la réalisation, au motif qu'elle ne produisait ni tarif horaire ni feuille de temps passé sur ces travaux qui justifierait le quantum de sa facturation, quand il lui revenait d'évaluer le montant des honoraires dus, le tribunal a violé les articles 4 et 1787 du code civil, ensemble l'article 24 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil et l'article 24 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 :
9. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies et est, par suite, tenu d'évaluer une créance dont il a constaté l'existence en son principe.
10. Selon le second de ces textes, les honoraires de l'expert-comptable doivent constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu.
11. Pour rejeter les demandes en paiement des factures correspondant aux prestations comptables, le jugement, après avoir constaté que la société Effigest ne produit aux débats aucune lettre de mission la liant à la société C and B, retient que s'il n'est pas contestable que des prestations ont bien été réalisées par la société Effigest, celle-ci ne produit ni tarif horaire ni feuille de temps passé sur ces travaux qui justifierait le quantum de sa facturation.
12. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant des honoraires dus à la société Effigest, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les prestations avaient été réalisées et que ces honoraires étaient fondés en leur principe, le tribunal, qui devait en fixer le montant, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés.
Com. 20 septembre 2023 n° 21-25.387
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 20 septembre 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 574 FS-D
Pourvoi n° D 21-25.387
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 SEPTEMBRE 2023
La société Effigest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 21-25.387 contre le jugement rendu le 19 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Versailles (4e chambre), dans le litige l'opposant à la société Bugada, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de Me Bardoul, avocat de la société Effigest, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Versailles, 19 novembre 2021), rendu en dernier ressort, par un acte du 30 juillet 2021 transformé en procès-verbal de recherches infructueuses, la société Effigest, expert-comptable, a assigné la société Bugada aux fins de la voir condamner à lui payer une somme totale de 3 630 euros au titre d'interventions juridiques réalisées en septembre et octobre 2019 en vue de l'acquisition d'un fonds de commerce, outre 243,20 euros au titre de frais de recouvrement amiable.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. La société Effigest fait grief au jugement de rejeter ses demandes, alors « que dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation ; qu'en cas d'abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d'une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat ; qu'en déboutant, alors même qu'elle n'était saisie d'aucune contestation ou demande de la partie adverse, la société Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations de service réalisée au motif qu'elle ne justifierait pas du quantum du prix fixé et facturé par elle, le tribunal a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, modifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018. »
Réponse de la Cour
3. Selon l'article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation.
4. Selon l'article 1105, alinéa 3, du code civil, les règles générales relatives à la formation, à l'interprétation et aux effets des contrats s'appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats.
5. Selon l'article 151, alinéa 1er, du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable, l'expert-comptable passe avec son client un contrat écrit définissant sa mission et précisant les droits et obligations de chacune des parties.
6. Il en résulte que les dispositions de l'article 1165 du code civil ne sont, conformément à l'article 1105, alinéa 3, du même code, pas applicables.
7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. La société Effigest fait le même grief au jugement, alors « qu'en matière de louage d'ouvrage, il appartient au juge de fixer la rémunération due au prestataire compte tenu des éléments de la cause ; que le juge est ainsi tenu de fixer le montant d'honoraires dont il ressort de ses constatations qu'ils sont fondés en leur principe ; que le montant des honoraires dus à l'expert-comptable doit être déterminé en fonction du travail fourni et du service rendu ; qu'en déboutant la société d'expertise-comptable Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations, dont il a pourtant constaté la réalisation, au motif qu'il n'était pas justifié du quantum facturé, quand il lui revenait d'évaluer le montant des honoraires dus, le tribunal a violé les articles 4 et 1787 du code civil, ensemble l'article 24 de l'ordonnance nº 45-2138 du 19 septembre 1945. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil et l'article 24 de l'ordonnance nº 45-2138 du 19 septembre 1945 :
9. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies et est, par suite, tenu d'évaluer une créance dont il a constaté l'existence en son principe.
10. Selon le second de ces textes, les honoraires de l'expert-comptable doivent constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu.
11. Pour rejeter la demande, le jugement, après avoir constaté que la société Effigest ne produit aux débats aucune lettre de mission ni aucun contrat la liant à la société Bugada, énonce qu'il n'est pas contestable que des prestations ont été réalisées par la société Effigest, mais relève que celle-ci ne justifie pas du quantum qu'elle leur affecte.
12. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant des honoraires dus à la société Effigest, alors qu'il résultait de ses propres constatations que des prestations avaient été réalisées et que ces honoraires étaient fondés en leur principe, le tribunal, qui devait en fixer le montant, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé
Soc. 13 septembre 2023 n° 22-17.198
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 13 septembre 2023
Cassation
Mme MONGE, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 877 F-D
Pourvoi n° Y 22-17.198
Aide juridictionnelle totale en demande au profit de M.[T]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 14 avril 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023
M. [K] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 22-17.198 contre le jugement rendu le 9 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes d'Albertville (section commerce), dans le litige l'opposant à l'association Visas loisirs, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 21 juin 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes d'Albertville, 9 septembre 2021), rendu en dernier ressort, M. [T] a été engagé, en qualité de directeur pour un séjour ski d'une durée de huit jours, par l'association Visas loisirs, par un contrat d'engagement éducatif du 15 février 2020.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 2 juillet 2020, afin notamment d'obtenir le paiement de son salaire et de dommages-intérêts ainsi que la remise de documents de fin de contrat.
3. En cours de procédure, l'employeur a transmis à M. [T] les documents de fin de contrat et lui a versé son salaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief au jugement de dire qu'il devra fournir les justificatifs manquants, qu'il reste redevable de la somme de 293,70 euros envers l'employeur au titre du reliquat de l'avance sur régie, qu'à défaut il devra rembourser l'intégralité de l'avance sur régie, et de le condamner à payer à l'employeur une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que le juge doit trancher les contestations dont il est saisi ; qu'en l'espèce, les parties s'opposaient sur la régularité de nombreux justificatifs produits par M. [T] pour justifier de l'usage de l'avance sur régie ; que se bornant à juger que M. [T] devra fournir les justificatifs manquants sans identifier préalablement quels étaient les justificatifs régulièrement fournis et ceux qu'ils considéraient comme manquant, les juges du fond ont méconnu l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
5. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l'insuffisance des preuves fournies par une partie.
6. Pour débouter le salarié de sa demande en remboursement au réel de ses frais professionnels, le jugement, après avoir relevé notamment que le salarié avait produit divers éléments dont certains n'étaient pas des factures, que pour une dépense médicale le salarié ne produisait pas l'original de la feuille de soin et qu'il ne fournissait pas l'original de la facture de taxi qu'il avait scannée, retient que les dépenses en lien avec l'activité et pouvant être prises en charge représentent la somme de 926,36 euros.
7. Le conseil de prud'hommes en a déduit que le salarié était redevable envers son employeur d'une certaine somme au titre du reliquat de l'avance sur régie s'il fournissait les justificatifs et de la totalité de l'avance s'il ne les fournissait pas.
8. En statuant ainsi, alors qu'il ne pouvait, sans méconnaître son office, s'abstenir d'identifier quels étaient les justificatifs pertinents, ceux qui ne pouvaient être retenus et ceux qui manquaient, dès lors qu'il avait constaté que nombre de dépenses avaient été faites en lien avec l'activité, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif du jugement condamnant le salarié à une certaine somme pour procédure abusive, et de ceux le condamnant aux dépens et au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
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