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Com. 29 janvier 2025 n° 23-20.784 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 29 janvier 2025



Rejet

M. VIGNEAU, président,


Arrêt n° 54 F-B
Pourvoi n° S 23-20.784





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
1°/ La société Régie immobilière de la ville de [Localité 4], société anonyme,
2°/ la société L'Habitat social français, société anonyme,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 1],
3°/ la société Hénéo, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° S 23-20.784 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans le litige les opposant à la société E-Pango, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat des sociétés Régie immobilière de la ville de Paris, L'Habitat social français, et Hénéo, de la SCP Richard, avocat de la société E-Pango, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 2023) et les productions, la société Régie immobilière de la ville de Paris (la société RIVP) et ses filiales, la société L'Habitat social français et la société Hénéo, constituées en groupement, ont, après publication d'un appel d'offres, conclu avec la société E-Pango un accord-cadre multi-attributaires et un marché subséquent n° 1 portant sur la fourniture de gaz naturel pendant deux ans, moyennant un prix ferme.
2. L'article 26 du cahier des clauses particulières (CCP) de l'accord-cadre, renvoyant aux articles 29 à 36 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) alors en vigueur, permettait à la société RIVP de le résilier et de confier l'exécution des prestations à un tiers en cas de faute du titulaire.
3. Après avoir, le 17 décembre 2021, mis en demeure la société E-Pango de confirmer qu'elle poursuivrait l'exécution du marché au-delà du 27 décembre 2021, en la menaçant d'une résiliation du marché, et conclu le même jour un marché de substitution avec la société Gaz de [Localité 4], la société RIVP a, le 22 décembre 2021, notifié à la société E-Pango la résiliation du marché initial à ses frais et risques. La société Gaz de [Localité 4] a assuré la fourniture de gaz à compter du 28 décembre 2021.
4. Le 18 février 2022, la société RIVP a signifié à la société E-Pango le marché conclu avec la société Gaz de [Localité 4].
5. Invoquant leur créance au titre du surcoût de la prestation fournie par la société Gaz de [Localité 4] en exécution du marché de substitution par rapport au prix convenu dans le marché initial, les sociétés RIVP, L'Habitat social français et Hénéo ont obtenu, sur requête, l'autorisation de procéder à des saisies conservatoires à l'encontre de la société E-Pango. Celle-ci a alors saisi le juge de l'exécution en contestation des ordonnances sur requête ayant autorisé ces mesures.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Les sociétés RIVP, Hénéo et L'Habitat social français font grief à l'arrêt d'ordonner la mainlevée de l'ensemble des saisies conservatoires qu'elles avaient pratiquées à l'encontre de la société E-Pango en exécution de l'ordonnance sur requête du 13 octobre 2022 et de rejeter l'ensemble de leurs demandes, alors :
« 1°/ que les marchés privés de la commande publique ne relèvent pas des règles générales applicables aux contrats administratifs ; qu'en appliquant les règles générales des contrats administratifs, pour dire que la société RIVP avait méconnu le droit de suivi de la société E-Pango, cependant que ce droit de suivi était inapplicable au marché privé de fourniture de gaz conclu entre les deux sociétés, lequel relevait de ses seules dispositions contractuelles, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil, ensemble les règles générales applicables aux contrats administratifs ;
2°/ que le juge, tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, doit préciser le fondement juridique de sa décision ; qu'en appliquant le droit de suivi, tel qu'il est défini pour les contrats administratifs, au marché conclu entre la société RIVP et la société E-Pango qui était un marché privé de la commande publique, sans préciser le fondement juridique de sa décision, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
3°/ qu'il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l'acheteur public qui a vainement mis en demeure son cocontractant d'exécuter les prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux dispositions du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci aux frais et risques de son cocontractant par une entreprise tierce ; que si l'acheteur public doit notifier le contrat de substitution au cocontractant évincé afin de le mettre en mesure d'exercer son droit de suivi sur l'exécution du marché de substitution, aucune disposition ni aucune règle des contrats administratifs ne lui impose de procéder à cette notification avant la signature du contrat de substitution ; qu'en relevant, pour ordonner la mainlevée de l'ensemble des mesures conservatoires mises en place par les sociétés RIVP, Hénéo et L'Habitat social français, que leur créance ne paraissait pas suffisamment fondée dès lors que la société RIVP n'avait pas, préalablement à sa conclusion, notifié le marché de substitution à la société E-Pango, la cour d'appel a violé les règles générales applicables aux contrats administratifs ;
4°/ qu'il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l'acheteur public qui a vainement mis en demeure son cocontractant d'exécuter les prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux dispositions du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce ; que si l'acheteur public doit notifier au cocontractant évincé le marché de substitution afin de lui permettre d'exercer son droit de suivi sur l'exécution dudit marché, cette notification doit seulement avoir lieu en temps utile ; qu'en relevant, pour ordonner la mainlevée de l'ensemble des mesures conservatoires mises en place par les sociétés RIVP, Hénéo et L'Habitat social français, qu'elles ne pouvaient se prévaloir d'une créance suffisamment fondée dès lors que le marché de substitution n'avait été notifié à la société E-Pango que deux mois après sa conclusion, cependant que cette circonstance était insuffisante à caractériser une méconnaissance du droit de suivi de la société E-Pango, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des règles générales applicables aux contrats administratifs. »
Réponse de la Cour
7. Lorsqu'un contrat privé de la commande publique stipule, par un renvoi à un cahier des clauses administratives générales, que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice peut, après vaine mise en demeure de son cocontractant d'exécuter les prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce et que les montants découlant des surcoûts liés à l'achèvement des travaux par un nouvel entrepreneur seront à la charge du cocontractant défaillant, celui-ci doit être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts. A cet effet, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice doit notifier le marché de substitution au titulaire du marché résilié.
8. En premier lieu, après avoir relevé que le CCP de l'accord-cadre, qui renvoie au CCAG-FCS en vigueur, prévoit que l'entité adjudicatrice peut faire procéder à l'exécution du marché par un tiers, aux frais et risques du titulaire, et que l'augmentation des dépenses, par rapport au prix du marché, résultant de l'exécution du marché par ce tiers, sera à la charge du titulaire, la cour d'appel, qui n'a pas fait application des règles générales applicables aux contrats administratifs mais des stipulations du contrat liant les parties, a retenu à bon droit que le cocontractant défaillant devait être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution conclu avec la société Gaz de [Localité 4] et qu'à cette fin, la société RIVP devait lui notifier ce marché.
9. En second lieu, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le marché de substitution a commencé à recevoir exécution le 28 décembre 2021, mais n'a été notifié à la société E-Pango que le 18 février 2022, et en déduit que celle-ci a été placée dans l'impossibilité de vérifier en temps et en heure le montant des sommes que la société RIVP aurait à verser au tiers substitué, et donc des indemnités dont elle serait redevable.
10. En l'état de ces seules énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas exigé que la notification du marché de substitution à la société E-Pango intervienne avant la signature du contrat passé avec la société Gaz de [Localité 4], mais avant son commencement d'exécution et qui a caractérisé que le droit de suivi de la société E-Pango avait été méconnu, a légalement justifié sa décision.




Com. 29 janvier 2025 n° 23-20.836 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 29 janvier 2025



Cassation partielle

M. VIGNEAU, président


Arrêt n° 53 F-B
Pourvoi n° Y 23-20.836



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
M. [V] [O], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° Y 23-20.836 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société LBR, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [P] [N], domicilié [Adresse 1],
3°/ à la société Depreux Sébastien, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en sa qualité de liquidateur de la société La Brasserie,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [O], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société LBR et de M. [N], après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 6 juillet 2023), la société La Brasserie, ayant pour gérant M. [N], avait confié à M. [O], expert-comptable, une mission de tenue et de suivi de la comptabilité, révoquée le 31 décembre 2016.
2. Soutenant ne pas avoir été payé des honoraires qui lui étaient dus, M. [O] a assigné la société La Brasserie en paiement.
3. Le 15 juin 2018, cette dernière a cédé son fonds de commerce à la société LBR, créée en vue de la reprise du fonds de commerce et détenue par M. et Mme [N].
4. Le 6 février 2019, la société La Brasserie a été condamnée à payer à M. [O] une certaine somme à titre d'honoraires.
5. Elle a ensuite été mise en liquidation judiciaire et la société Depreux désignée liquidateur.
6. M. [O] a assigné la société LBR, M. [N] et le liquidateur de la société La Brasserie, afin de lui voir déclarer inopposable la cession de fonds de commerce.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'inopposabilité de la cession du fonds de commerce et de condamnation, alors « que l'action paulienne portant sur un acte ayant pour effet de faire échapper un bien aux poursuites des créanciers en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler n'est pas conditionnée à la preuve de l'insolvabilité apparente du débiteur ; que M. [O] a fondé son action paulienne sur le moyen selon lequel la cession du fonds de commerce avait substitué à un actif aisément saisissable un autre actif plus facilement dissimulable ; que la cour d'appel, après avoir constaté que la cession de fonds de commerce avait remplacé ledit fond par une somme d'argent, valeur plus aisément dissimulable, a écarté l'action paulienne, motif pris de l'absence de preuve de l'insolvabilité apparente de la société La Brasserie ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1341-2 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1341-2 du code civil :
8. Selon ce texte, le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.
9. Le créancier dispose de l'action paulienne lorsque la cession, bien que consentie au prix normal, a pour effet de faire échapper un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler. Le préjudice du créancier étant ainsi caractérisé, le succès de l'action paulienne n'est alors pas subordonné à la preuve de l'appauvrissement du débiteur.
10. Pour rejeter l'action paulienne formée par M. [O], l'arrêt retient qu'en cédant le fonds de commerce qui lui appartenait, la société La Brasserie a remplacé un fonds de commerce par une somme d'argent, valeur plus aisément dissimulable, mais que M. [O] ne rapportant pas la preuve de l'insolvabilité, au moins apparente, de la société La Brasserie au moment de la cession de son fonds de commerce, il ne saurait être fait droit à son action paulienne.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé le texte susvisé.




Com. 29 janvier 2025 n° 23-19.341 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 29 janvier 2025



Cassation

M. VIGNEAU, président


Arrêt n° 49 F-B
Pourvoi n° Y 23-19.341



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
Le groupement d'intérêt économique (GIE) Médiatransports, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de mandataire des sociétés Métrobus, société anonyme, (anciennement dénommée Régie publicitaire des transports parisiens Métrobus publicité), Médiagare, société en nom collectif, et Médiarail, société en nom collectif, toutes trois ayant leur siège [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 23-19.341 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Backstage Event, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat du groupement d'intérêt économique Médiatransports, agissant en qualité de mandataire des sociétés Métrobus (anciennement dénommée Régie publicitaire des transports parisiens Métrobus publicité), Médiagare et Médiarail, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Backstage Event, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mai 2023), le groupement d'intérêt économique (GIE) Médiatransports, agissant en qualité de mandataire des sociétés Métrobus (anciennement dénommée Régie publicitaire des transports parisiens Métrobus publicité), Médiagare et Médiarail, a conclu deux contrats de vente d'espaces publicitaires avec la société Agence OA, qui se présentait comme mandataire de la société Backstage Event (la société Backstage). Elle a réclamé le paiement de ces prestations à la société Backstage, en sa qualité d'annonceur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. Le GIE Médiatransports fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement, alors « que le vendeur d'espaces publicitaires peut rapporter par tous moyens la preuve de l'existence du contrat de mandat entre l'intermédiaire et l'annonceur, auquel il n'est pas partie ; que, dès lors, en énonçant que le GIE Médiatransports ne rapportait pas la preuve de la créance dont il se prévalait contre la société Backstage au titre des contrats de vente d'espaces publicitaires passés avec la société Agence OA, prise en qualité de mandataire de la société Backstage, aux motifs que ces ventes avaient été conclues "au vu d'attestations de mandat qui ne répondent pas aux dispositions impératives pour les mandats en matière de vente d'espaces publicitaires, prescrites à l'article 20 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993", la cour d'appel a violé ce texte et les articles 1984 et 1998 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 20 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et les articles 1984 et 1998 du code civil :
3. Selon le premier de ces textes, tout achat d'espace publicitaire ne peut être réalisé par un intermédiaire que pour le compte d'un annonceur et dans le cadre d'un contrat écrit de mandat, qui fixe les conditions de la rémunération du mandataire en détaillant, s'il y a lieu, les diverses prestations qui seront effectuées dans le cadre de ce contrat de mandat et le montant de leur rémunération respective. Tout rabais ou avantage tarifaire de quelque nature que ce soit accordé par le vendeur doit figurer sur la facture délivrée à l'annonceur. Même si les achats mentionnés au premier alinéa ne sont pas payés directement par l'annonceur au vendeur, la facture est communiquée directement par ce dernier à l'annonceur.
4. Il en résulte que la méconnaissance de ces formalités, qui ne sont pas requises à peine de nullité du mandat, est sanctionnée par la privation de toute rémunération de l'intermédiaire.
5. Aux termes du deuxième de ces textes, le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire.
6. Aux termes du dernier de ces textes, le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement.
7. Le tiers peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat, auquel il n'est pas partie (1re Civ., 3 juin 2015, pourvois n° 14-19.825, 14-20.518, Bull. 2015, I, n° 132 ; 3e Civ., 3 octobre 2024, pourvoi n° 23-13.242).
8. Il résulte de ce qui précède que le vendeur d'espaces publicitaires qui a conclu un contrat de vente avec le mandataire d'un annonceur, bénéficie d'une action directe en paiement contre ce dernier s'il justifie du principe de sa créance et du pouvoir du mandataire lors de la conclusion du contrat de vente d'espaces publicitaires, sans être tenu de rapporter la preuve que le mandat a été conclu par écrit.
9. Pour rejeter les demandes en paiement du GIE Médiatransports formées contre la société Backstage, l'arrêt, après avoir rappelé que l'article 20 de la loi du 29 janvier 1993 exige que le mandat soit formalisé par un écrit fixant la rémunération du mandataire, retient que les « attestations de mandat » émanant du directeur général de la société Backstage, que produit le GIE Médiatransports, à la fois ne constituent pas un contrat et ne respectent pas le formalisme exigé pour un mandat, dès lors que la rémunération de la société Agence OA n'y est pas mentionnée, et en déduit que le GIE Médiatransports ne rapporte pas la preuve de sa créance.
10. En statuant ainsi, en exigeant du GIE Médiatransports qu'il produise un contrat de mandat écrit conclu entre l'annonceur et son mandataire et répondant aux exigences prévues à l'article 20 de la loi du 29 janvier 1993, alors qu'il pouvait rapporter par tous moyens la preuve du contrat de mandat auquel il n'était pas partie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.




Civ.1 29 janvier 2025 n° 23-19.302

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SA9


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 29 janvier 2025



Cassation partielle

Mme CHAMPALAUNE, président


Arrêt n° 11 F-D
Pourvoi n° F 23-19.302




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 JANVIER 2025
M. [V] [W], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° F 23-19.302 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2023 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Piscines Vitalo, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Compagnie Chubb European Group SE, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à la société Gascogne bois, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
4°/ à la société Générali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
5°/ à la société Institut Technologique Fcba, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [W], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés Gascogne bois et Générali IARD, de la SCP Duhamel, avocat de la société Institut Technologique Fcba, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [W] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Piscines vitalo et la société Compagnie chubb european group.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 23 mai 2023), le 14 avril 2004, M. [W] a acquis auprès de la société Estève perrin une piscine enterrée à structure en bois, fabriquée par la société Beaver pool. Le 29 juin 2004, il a signé un procès-verbal de réception de travaux sans réserves.
3. Au mois de septembre 2012, il a constaté une importante dégradation de la structure en bois de la piscine.
4. Les 12 et 14 février 2014, il a assigné en référé aux fins d'expertise M. [O], en qualité de liquidateur de la société Estève perrin, la société Beaver pool et son assureur, la société ACE European group limited. Par ordonnance du 9 juillet 2014, les opérations d'expertise ont été déclarées communes et opposables à la société Gascogne bois, ayant fourni les éléments en bois, et à son assureur, la société Generali IARD, ainsi qu'à l'institut technologique FCBA (le FCBA), les ayant certifiés. L'expert a déposé son rapport le 10 octobre 2018.
5. Les 3, 7 et 10 janvier 2019, M. [W] a assigné la société Piscines vitalo, venant aux droits de la société Beaver pool, la société Chubb european group SE, anciennement dénommée ACE European group limited, la société Gascogne bois, la société Generali IARD et l'institut technologique FCBA aux fins d'indemnisation de ses préjudices sur différents fondements.
6. La société Piscines Vitalo a été condamnée au titre de la garantie décennale à indemniser M. [W] de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens réunis
Enoncé des moyens
7. Par son premier moyen, M. [W] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes dirigées contre les sociétés Gascogne bois et Generali Iard, sur le fondement de la garantie des vices cachés, alors « que l'action en garantie des vices cachés afférente à des contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juin 2008 doit être formée dans le bref délai, devenu un délai de deux ans, à compter de la connaissance du vice, et dans le délai-butoir de vingt ans courant à compter de la date de la vente, dès lors que le délai de droit de l'article L. 110-4 du code de commerce, courant à compter de la vente, auquel était soumis la cession n'était pas expiré au moment de l'entrée en vigueur de la loi de 2008 précitée ; qu'en affirmant que l'action en garantie des vices cachés formée par M. [W] contre la société Gascogne Bois et son assureur, la société Generali Iard, par assignation au fond du 10 janvier 2019, soit dans un bref délai après le dépôt du rapport d'expertise, le 10 octobre 2018, était prescrite depuis le 19 juin 2013 car une telle action était en outre enfermée dans le délai de prescription de droit commun, de cinq ans depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, courant à compter de la vente initiale, sans pouvoir excéder la durée totale du délai de dix ans prévu par la loi antérieure, à compter de la vente, quand s'agissant d'une vente conclue avant juin 2004, date de la réception de la piscine, le délai décennal de l'article L. 110-4 du code de commerce n'étant pas expiré au jour de l'entrée en vigueur de la réforme de 2008, l'acquéreur pouvait exercer l'action en garantie des vices cachés, dans un délai maximum de vingt ans à compter de la vente, soit jusqu'en 2024, la cour d'appel a violé l'article 1648, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, et l'article 2232 du code civil, ensemble l'article 26 I de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. »
8. Par son deuxième moyen, M. [W] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes dirigées contre l'institut technologique FCBA, sur le fondement de la garantie des vices cachés, alors que « l'action en garantie des vices cachés afférente à des contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juin 2008 doit être formée dans le bref délai, devenu un délai de deux ans, à compter de la connaissance du vice, et dans le délai-butoir de vingt ans courant à compter de la date de la vente, dès lors que le délai de droit de l'article L. 110-4 du code de commerce, courant à compter de la vente, auquel était soumis la cession n'était pas expiré au moment de l'entrée en vigueur de la loi de 2008 précitée ; qu'en affirmant que l'action en garantie des vices cachés formée par M. [W] contre la société Institut technologique FCBA, par assignation au fond du 10 janvier 2019, soit dans un bref délai après le dépôt du rapport d'expertise, le 10 octobre 2018, était prescrite depuis le 19 juin 2013 car une telle action était en outre enfermée dans le délai de prescription de droit commun, de cinq ans depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, courant à compter de la vente initiale, sans pouvoir excéder la durée totale du délai de dix ans prévu par la loi antérieure, à compter de la vente, quand s'agissant d'une vente conclue avant juin 2004, date de la réception de la piscine, le délai décennal de l'article L. 110-4 du code de commerce n'étant pas expiré au jour de l'entrée en vigueur de la réforme de 2008, l'acquéreur pouvait exercer l'action en garantie des vices cachés, dans un délai maximum de vingt ans à compter de la vente, soit jusqu'en 2024, la cour d'appel a violé l'article 1648, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, et l'article 2232 du code civil, ensemble l'article 26 I de la loi du loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1648, alinéa 1er, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, 2232, alinéa 1er, du code civil et 26, I, de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 :
9. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'action en garantie des vices cachés doit être formée dans un bref délai, devenu un délai de deux ans depuis l'ordonnance du 17 février 2005 susvisée, à compter de la découverte du vice, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.
10. Le deuxième de ces textes ayant pour effet, dans les ventes commerciales ou mixtes, d'allonger de dix à vingt ans le délai pendant lequel la garantie des vices cachés peut être mise en oeuvre, le délai-butoir qu'il prévoit relève, pour son application dans le temps, des dispositions transitoires énoncées au troisième, selon lequel les dispositions qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur et il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.
11. Il en résulte que ce délai-butoir est applicable aux ventes conclues avant l'entrée en vigueur de cette loi, si le délai de prescription décennal antérieur n'était pas expiré à cette date, compte étant alors tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie (Ch. mixte, 21 juillet 2023, n° 20-10.763, n° 21-19.936 et n° 21-17.789, publiés).
12. Pour déclarer irrecevables comme prescrites les demandes dirigées contre les sociétés Gascogne bois, Generali Iard et l'institut technologique FCBA sur le fondement de la garantie des vices cachés, l'arrêt retient que le délai de l'article L. 110-4 du code de commerce, raccourci de dix à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, doit être analysé comme un délai butoir qui, en vertu des dispositions transitoires de cette loi, a commencé à courir à compter de son entrée en vigueur, soit le 19 juin 2008 et a expiré le 19 juin 2013, et qu'aucune citation en justice de la société Gascogne bois et de l'institut technologique FCBA n'a été délivrée par M. [W] avant cette date.
13. En statuant ainsi, alors que, d'une part, la vente datait du 14 avril 2004, de sorte que le délai de dix ans de l'article L. 110-4 du code de commerce n'était pas expiré en 2008, d'autre part, que le délai-butoir de vingt ans de l'article 2232 du code civil, courant à compter de la vente, n'était pas expiré au jour des assignations des 3, 7 et 10 janvier 2019, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur les troisième et quatrième moyens, réunis
Enoncé des moyens
14. Par son troisième moyen, M. [W] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes dirigées contre la société Gascogne Bois, sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, alors « que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance ; qu'en retenant, pour juger prescrites les demandes formulées par M. [W] à l'encontre de la société Gascogne Bois et son assureur, la société Generali Iard, sur le fondement de la responsabilité civile, que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, à la condition que l'action soit exercée dans le délai de prescription de droit commun prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente et que la durée de ce délai de droit commun est de cinq ans à compter de la vente, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, sans pouvoir excéder la durée totale du délai de dix ans prévu par la loi antérieure de sorte qu'en présence d'une vente antérieure au 29 juin 2004, date de la réception des travaux de la piscine, la prescription de l'action en responsabilité délictuelle dont disposait M. [V] [W] à l'encontre de la société Gascogne Bois, en raison de la non-conformité des matériaux livrés à la société Piscines Vitalo, était acquise au plus tard le 19 juin 2013, soit cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi le 19 juin 2008, sans rechercher à quelle date le dommage invoqué par l'exposant s'était manifesté, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, applicable à la cause. »
15. Par son quatrième moyen, M. [W] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes formées contre l'institut technologique FCBA, sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, alors « que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance ; qu'en retenant, pour juger prescrites les demandes formulées par M. [W] à l'encontre de la société Institut technologique FCBA, sur le fondement de la responsabilité civile, que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, à la condition que l'action soit exercée dans le délai de prescription de droit commun prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente et que la durée de ce délai de droit commun est de cinq ans à compter de la vente, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, sans pouvoir excéder la durée totale du délai de dix ans prévu par la loi antérieure de sorte qu'en présence d'une vente antérieure au 29 juin 2004, date de la réception des travaux de la piscine, la prescription de l'action en responsabilité délictuelle dont disposait M. [V] [W] à l'encontre de la société Institut technologique FCBA, en raison de la non-conformité des matériaux livrés à la société Piscines Vitalo, était acquise au plus tard le 19 juin 2013, soit cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi le 19 juin 2008, sans rechercher à quelle date le dommage invoqué par l'exposant s'était manifesté, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
16. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
17. Pour déclarer irrecevables les demandes dirigées contre les sociétés Gascogne bois et Generali Iard et l'institut technologique FCBA sur le fondement de la responsabilité délictuelle, l'arrêt fixe le point de départ du délai de prescription au jour de la vente des éléments en bois, antérieure au 29 juin 2004, et en déduit que la prescription de l'action était acquise le 19 juin 2013, à l'expiration du nouveau délai quinquennal courant à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.
18. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3 , alinéa 2 , du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur la recevabilité et le bien-fondé des demandes formées par M. [W] contre l'institut technologique FCBA sur le fondement de la garantie des vices cachés et contre la société Gascogne bois sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
21. D'une part, s'il résulte des paragraphes 8 à 12 que les demandes formées par M. [W] contre le FCBA sur le fondement de la garantie des vices cachés ne sont pas prescrites, ces demandes doivent être rejetées dès lors qu'elles sont dirigées contre un établissement, dont la responsabilité est recherchée au titre d'une certification de matériaux, ne constituant pas une activité de vente, de production, de fabrication ou de distribution, de sorte qu'elles ne peuvent relever de la garantie des vices cachés.
22. D'autre part, si le dommage s'est manifesté en septembre 2012 de sorte que les demandes formées par M. [W] contre la société Gascogne bois sur le fondement de la responsabilité délictuelle ne sont pas prescrites, seule une action en garantie des vices cachés peut, le cas échéant, être formée contre la société Gascogne bois, attraite à l'instance en sa qualité supposée de fournisseur des éléments en bois, de sorte que les demandes dirigées contre elle et son assureur, fondées sur la responsabilité civile délictuelle, doivent être rejetées.
23. Enfin, la cassation des chefs de dispositif qui ont déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de M. [W] dirigées à l'encontre de la société Gascogne bois, de la société Generali et du FCBA emporte celle du chef de dispositif de l'arrêt ayant constaté que les appels en garantie formés à titre subsidiaire par les sociétés Gascogne bois et Generali IARD sont devenus sans objet, du chef de dispositif condamnant M. [W] aux dépens et du chef rejetant les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.




Crim. 28 janvier 2025 n° 24-81.410 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 24-81.410 F-B
N° 00078

RB5 28 JANVIER 2025

CASSATION

M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 28 JANVIER 2025


Le [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans, en date du 1er février 2024, qui a confirmé partiellement l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ordonnant des mesures conservatoires en matière de droit de l'environnement.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat du [1], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Un procès-verbal d'infraction a été dressé après le constat de l'utilisation, lors d'un chantier confié au [1] (le [1]), de matériaux impropres à la recharge granulométrique d'un ruisseau.
3. Une enquête préliminaire a été ouverte par le procureur de la République qui a ultérieurement saisi le juge des libertés et de la détention d'un référé environnemental afin d'ordonner au [1] la suspension des opérations, l'interdiction du dépôt et du déversement de déchets dans le lit du cours d'eau et une mesure de remise en état.
4. Par ordonnance du 3 novembre 2023, le juge des libertés et de la détention a fait droit à cette requête après avoir entendu M. [Z] [C], président du [1].
5. Le [1] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a .dit n'y avoir pas lieu à annuler le procès-verbal d'audition de M. [C] du 27 octobre 2023 et l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, a dit son appel mal fondé et a confirmé l'ordonnance entreprise, alors :
« 1°/ que la personne concernée par les mesures utiles visées à l'article L. 216-13 du code de l'environnement, qui peut être amenée à reconnaître sa culpabilité et dont les déclarations sont susceptibles d'être portées à la connaissance des autorités de poursuite, de la juridiction d'instruction ou de jugement, a le droit de se taire et doit en être informée lors de son audition par le juge des libertés et de la détention ; qu'en jugeant l'inverse, au motif inopérant que la personne concernée par les mesure utiles visées à l'article L. 216-13 du code de l'environnement, n'est ni suspectée, ni poursuivie, ni accusée, au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (p. 7, § 3), la cour d'appel a violé l'article L. 216-13 du code de l'environnement, ensemble l'article 9 de la Déclaration de 1789 ;
2°/ subsidiairement, que la déclaration d'inconstitutionnalité à intervenir des dispositions de l'article L. 216-13 du code de l'environnement emportera par voie de conséquence l'annulation de l'arrêt, privé de fondement juridique en application des articles 61-1 et 62 de la Constitution. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 216-13 du code de l'environnement et la décision n° 2024-1111 QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 15 novembre 2024 :
7. Il résulte de la réserve d'interprétation formulée par cette décision que les dispositions du texte susvisé ne sauraient, sans méconnaître le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, permettre au juge des libertés et de la détention, saisi d'un référé environnemental, d'entendre la personne concernée par les mesures que ce magistrat est susceptible d'ordonner, sans que ladite personne soit informée de son droit de se taire lorsqu'il apparaît qu'elle est déjà suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue, dès lors que ses déclarations sont susceptibles d'être portées à la connaissance de la juridiction de jugement.
8. Pour dire n'y avoir lieu à annulation du procès-verbal d'audition de M. [C] par le juge des libertés et de la détention sans notification préalable du droit de se taire ainsi que de l'ordonnance subséquente rendue par ce magistrat saisi d'un référé environnemental, l'arrêt attaqué énonce qu'une telle obligation n'est pas prévue à l'article L. 216-13 du code de l'environnement qui organise une procédure, distincte de l'enquête préliminaire en cours, qui ne constitue pas une voie de poursuite pénale.
9. Les juges ajoutent que les principes directeurs du procès pénal n'ont pas vocation à s'appliquer à la personne concernée par un référé environnemental qui n'a pas pour objet d'établir sa responsabilité pénale, l'existence d'une infraction pénale étant étrangère à cette procédure.
10. En se déterminant ainsi, alors que la personne concernée a été entendue sur des faits dont était déjà suspectée, dans le cadre d'une enquête préliminaire, la personne morale qu'elle représente, la chambre de l'instruction a fait une application du texte susvisé qui n'est pas conforme à la réserve susmentionnée du Conseil constitutionnel.
11. L'annulation est par conséquent encourue de ce chef.




Crim. 28 janvier 2025 n° 24-81.153 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 24-81.153 F-B
N° 00081

RB5 28 JANVIER 2025

CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI

M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 28 JANVIER 2025


M. [IT] [P], les sociétés [P] [3] et [2] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 8 janvier 2024, qui, pour infractions au code de l'environnement, a condamné le premier, à trois mois d'emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d'amende, la deuxième, à 150 000 euros d'amende, un an d'exclusion des marchés publics, la fermeture définitive d'un site, avec exécution provisoire, la troisième, à 100 000 euros d'amende, un an d'exclusion des marchés publics avec exécution provisoire, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [IT] [P] et des sociétés [P] [3] et [2], les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société [1], MM. [G] [X], [Y] [I] [LJ], [L] [W], [RP] [N], [D] [B], [XG] [R], [YT] [HP], [KP] [PM], [LT] [MM], [S] [AG], [JM] [SJ], [C] [GW] et [YT] [JW], Mmes [FT] [YJ], [VT] [H], épouse [N], [UG] [XP], épouse [B], [V] [J], [ZM] [Z], [UP] [M], épouse [F], [EP] [VJ], épouse [HP], [O] [T], veuve [NP], [E] [DW], épouse [MM], [BX] [K], épouse [AG], [TM] [OT] et [A] [U], épouse [GW], et la commune de [Localité 7], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [IT] [P] est le gérant des sociétés [P] [3] ([3]) et [2] ([2]), spécialisées dans le traitement des déchets.
3. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) a relevé à leur encontre diverses infractions à
4. M. [P], ainsi que les sociétés [3] et [2], ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs d'exploitation d'une ICPE sans autorisation, non enregistrée et non conforme à une mise en demeure.
5. Le tribunal a déclaré les prévenus coupables des faits leur étant reprochés.
6. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, le quatrième moyen, pris en sa première branche, le cinquième moyen, pris en sa première branche, et le sixième moyen
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] et la société [3] coupables d'avoir commis le délit d'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement sans autorisation sur la commune de [Localité 5], alors « que le délit de l'article L. 173-1, § 1, 3°, du code de l'environnement ne peut être imputé qu'à la personne qui exploite l'installation classée sans les autorisations, enregistrement ou déclarations idoines ; que les prévenus ont été poursuivis pour avoir entreposer des déchets verts sur une parcelle agricole située sur la commune de [Localité 4], pour laquelle elle ne disposait d'aucune autorisation préfectorale au titre des ICPE ; que les prévenus alléguaient en appel qu'ils n'étaient pas les exploitants de ce site, dès lors qu'il était exploité par un agriculteur qui avait souhaité bénéficier de déchets verts en tant que fertilisants ; qu'en rejetant ce moyen de défense, aux motifs inopérants que les prévenus étaient les instigateurs du transfert de déchets verts sur l'exploitation de l'agriculteur et qu'ils savaient que l'épandage était soumis à des conditions spécifiques, ce qui ne remettait pas en cause le fait que les prévenus n'étaient pas les exploitants du site sur lequel les déchets ont été stockés, le seul exploitant de ce site étant l'agriculteur, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles L. 511-1, L. 173-1, § I, 3°, du code de l'environnement et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer M. [P] et la société [3] coupables d'exploitation d'une ICPE sans autorisation l'arrêt attaqué énonce que le premier nommé a admis avoir fait évacuer, par la société [3], 2 500 m³ de déchets verts en provenance d'une ICPE exploitée par la société [2] vers une parcelle exploitée par un agriculteur tiers, afin d'être en règle lors d'un contrôle, annoncé par la DREAL, du site de l'ICPE.
10. Les juges relèvent que le prévenu ne peut prétexter que ces déchets ne sont plus sur le site qu'il exploite pour échapper à la responsabilité résultant d'une infraction dont il est l'instigateur.
11. Ils ajoutent que M. [P] admet que, si une partie des déchets a été transportée par l'agriculteur tiers, le déplacement du surplus a été opéré par la société [3], ce qui révèle une participation active de cette personne morale à l'élément matériel de l'infraction.
12. Ils observent que M. [P] reconnaît qu'il aurait dû vérifier que l'agriculteur avait une autorisation d'épandage et, en sa qualité de professionnel connaissant la réglementation, qu'il devait s'assurer que l'évacuation de ces déchets était conforme aux prescriptions administratives.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs dont il résulte que les prévenus, qui exercent effectivement, à titre professionnel, une activité économique, ont exploité de fait, en y transférant des déchets, une ICPE dépourvue d'autorisation, la cour d'appel a justifié sa décision.
14. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche, et le cinquième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé des moyens
15. Le quatrième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [2] à payer une amende de 100 000 euros et a ordonné à son encontre, à titre de peine complémentaire, l'exclusion des marchés publics pour une durée d'un an, alors :
« 2°/ que selon l'article 471, alinéa 4, du code de procédure pénale, les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision ; que l'article 131-10 du code de procédure pénale, auquel l'article précité renvoie, vise les interdictions concernant les personnes physiques ; qu'il s'en déduit que l'article 471, alinéa 4, précité ne permet pas l'exécution provisoire des interdictions qui sont prononcées à titre de peine complémentaires à l'encontre des personnes morales ; que dès lors en ordonnant l'exécution provisoire de l'interdiction de candidater à un marché, la cour d'appel a méconnu l'article 471 du code de procédure pénale. »
16. Le cinquième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [3] à payer une amende de 150 000 euros et a ordonné à son encontre, à titre de peines complémentaires, l'exclusion des marchés publics pour une durée d'un an et la fermeture définitive de son site de [Localité 6] et a ordonné l'exécution provisoire de ces peines complémentaires, alors :
« 2°/ que selon 471 alinéa 4 du code de procédure pénale, les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision ; que l'article 131-10 du code de procédure pénale vise les interdictions concernant les personnes physiques ; qu'il s'en déduit que l'article 471, alinéa 4, précité ne permet pas l'exécution provisoire des interdictions concernant les personnes morales ; que dès lors en ordonnant l'exécution provisoire de l'interdiction de candidater à un marché et de la fermeture définitive du site de [Localité 6], la cour d'appel a méconnu l'article 471 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 471, alinéa 4, du code de procédure pénale :
18. Aux termes de ce texte, les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision.
19. Il résulte de ces dispositions, en ce qu'elles ne visent pas l'article 131-39 du même code, que les peines prononcées à l'encontre des personnes morales en application de ce dernier texte ne peuvent être assorties de l'exécution provisoire.
20. En ordonnant l'exécution provisoire des peines d'exclusion des marchés publics et de fermeture définitive d'un site à l'encontre de la société [3], ainsi que, à l'encontre de la société [2], de celle d'exclusion des marchés publics, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés.
21. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation aura lieu par voie de retranchement et sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
23. La déclaration de culpabilité de M. [P] et des sociétés [3] et [2] devenant définitive, il y a lieu de faire partiellement droit aux demandes formées en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.




Civ.3 23 janvier 2025 n° 23-14.887 B

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 23 janvier 2025



Rejet

Mme TEILLER, président


Arrêt n° 41 FS-B
Pourvoi n° H 23-14.887



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2025
Mme [U] [J], épouse [Z], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 23-14.887 contre l'arrêt rendu le 9 février 2023 par la cour d'appel de Pau (2e chambre - section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [H], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [R] [H], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandjean, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [J], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de MM. [X] et [R] [H], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Grandjean, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mme Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 9 février 2023), Mme [J] (la locataire), preneuse à bail commercial de locaux appartenant à MM. [X] et [R] [H] (les bailleurs) et situés dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, a sollicité, par actes extrajudiciaires des 9 et 10 décembre 2015, le renouvellement de son bail venant à expiration le 30 décembre suivant.
2. Les bailleurs ont accepté le principe du renouvellement mais sollicité la fixation du loyer du bail renouvelé à un prix déplafonné et, après notification d'un mémoire, ont assigné la locataire devant le juge des loyers commerciaux.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. La locataire fait grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme le prix du bail renouvelé, alors « qu'aux termes de l'article L. 145-34, alinéa 1er, du code de commerce, le loyer peut être déplafonné en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, dont les obligations respectives des parties ; que, suivant l'article R. 145-8 du même code, les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer ; que, pour décider qu'il y avait lieu à déplafonnement, la cour d'appel a estimé devoir « tenir compte de l'évolution des primes de l'assurance responsabilité civile propriétaire non occupant, obligatoire depuis 2014, volontairement souscrite auparavant, et qui est passée de 644 euros en 2007 à 1 046,90 euros en 2015, soit une augmentation de 62,56 % » ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que cette prime d'assurance était payée par le propriétaire avant même que cette assurance ne fût obligatoire - si bien que son augmentation ne résultait pas d'une obligation prévue par la loi, mais des rapports entre le propriétaire et son assureur - la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 145-34, alinéa 1er, du code de commerce, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques.
6. Selon les articles L. 145-33, 3°, et R. 145-8 du code de commerce, les obligations respectives des parties, découlant de la loi et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix, peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.
7. Dès lors, la création, au cours du bail expiré, d'une obligation légale nouvelle à la charge du bailleur est un élément à prendre en considération pour la fixation du prix du bail commercial.
8. Tel est le cas de l'obligation du bailleur, imposée par l'article 58 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 et figurant désormais à l'article 9-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, de s'assurer contre les risques de responsabilité civile dont il doit répondre en sa qualité de copropriétaire non-occupant.
9. Ayant retenu, à bon droit, qu'il devait être tenu compte de la charge légale nouvelle, tenant à l'obligation de souscrire une assurance de responsabilité civile du copropriétaire non-occupant, à laquelle les bailleurs étaient tenus, depuis 2014, pour la fixation du loyer du bail renouvelé en 2015, peu important que cette assurance ait été volontairement souscrite auparavant, la cour d'appel, qui a souverainement estimé que l'augmentation des charges supportées par les bailleurs, à raison de leurs obligations légales, qui, cumulées, avaient abouti à une baisse du revenu locatif de 27,97 % au cours du bail expiré, constituait une modification notable des obligations des parties au cours du bail expiré, en a exactement déduit que le loyer du bail renouvelé devait être fixé selon les règles du déplafonnement.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.




Civ.2 23 janvier 2025 n° 23-16.795 B

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 23 janvier 2025



Cassation partielle

Mme MARTINEL, président


Arrêt n° 79 FS-B+R

Pourvois n° F 23-16.795 Y 23-15.983 JONCTION



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2025

I. Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° F 23-16.795 contre l'arrêt rendu le 22 février 2023 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Caisse meusienne d'assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à M. [Y] [I],
3°/ à [C] [I],
4°/ à [N] [I],
ces deux derniers enfants mineurs représentés par l'association La Mouette, prise en qualité d'administrateur ad hoc,
tous domiciliés [Adresse 5],
5°/ à l'association La Mouette, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité d'administrateur ad hoc de [C] et [N] [I],
6°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, dont le siège est [Adresse 2],
7°/ à Mme [O] [E], épouse [I], domiciliée [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
II. La caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne a formé le pourvoi n° Y 23-15.983 contre le même arrêt, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Y] [I],
2°/ à [C] [I], enfant mineure représentée par l'association La Mouette, prise en qualité d'administrateur ad hoc,
3°/ à l'association La Mouette, prise en qualité d'administrateur ad hoc de [C] et [N] [I],
4°/ à la Caisse meusienne d'assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle,
5°/ au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages,
6°/ à [N] [I], enfant mineur représenté par l'association La Mouette, prise en qualité d'administrateur ad hoc,
7°/ à Mme [O] [E], épouse [I],
défendeurs à la cassation.
M. [Y] [I], [C] et [N] [I], mineurs représentés par l'association La Mouette, et l'association La Mouette, en qualité d'administrateur ad hoc de ces deux derniers, ont formé un pourvoi incident dans chaque pourvoi.
Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, demandeur au pourvoi principal n° F 23-16.795, invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
La caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, demanderesse au pourvoi principal n° 23-15.983, invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Les demandeurs aux pourvois incidents n° 23-16.795 et 23-15.983 invoquent, à l'appui de chacun de leurs recours, un moyen unique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Caisse meusienne d'assurances mutuelles, de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. [Y] [I], de [C] et [N] [I], mineurs représentés par l'association La Mouette, et de l'association La Mouette en qualité d'administrateur ad hoc de ces deux derniers, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 décembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, Mme Cassignard, M. Martin, Mmes Chauve, Salomon, conseillers, Mmes Brouzes, Philippart, M. Riuné, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 23-16.795 et 23-15.983 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 22 février 2023), le 1er août 2013 est survenu un accident de la circulation impliquant le véhicule, conduit par Mme [E], que M. [I], son époux, avait assuré auprès de la société Caisse meusienne d'assurances mutuelles (l'assureur). Leurs deux enfants mineurs, [C] et [N] [I], passagers du véhicule, ont été blessés.
3. Se prévalant des fausses déclarations de M. [I] portant sur l'identité du conducteur habituel et sur le relevé d'information sans sinistre qu'il avait produit, l'assureur a invoqué la nullité du contrat d'assurance automobile de responsabilité civile et d'assistance conclu le 16 août 2012, ce dont il a informé M. [I] et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO), par lettres du 17 mars 2014.
4. Un juge des tutelles a désigné l'association La Mouette (l'association) en qualité d'administrateur ad hoc pour représenter les deux enfants mineurs.
5. En l'absence de versement de nouvelles provisions par l'assureur au titre de la procédure d'indemnisation pour le compte de qui il appartiendra, [C] et [N] [I], représentés par l'association, et M. [I], victime par ricochet se prévalant d'un préjudice d'accompagnement, ont assigné Mme [E], l'assureur et le FGAO devant un tribunal de grande instance, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne (la caisse), à fin d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen des moyens
Sur le moyen des pourvois incidents de M. [I], qui est préalable
Enoncé du moyen
6. M. [I] fait grief à l'arrêt de dire que la nullité du contrat d'assurance lui est opposable pour les préjudices qu'il a subi par ricochet et de le débouter de ses demandes à l'encontre de l'assureur, alors « que la nullité édictée par l'article L. 113-8 du code des assurances n'est pas opposable aux victimes indirectes d'un accident de la circulation ; qu'en estimant néanmoins, pour retenir que la nullité pour fausse déclaration intentionnelle du contrat d'assurance automobile souscrit par lui auprès de l'assureur lui était opposable pour les préjudices qu'il a subi par ricochet, que sa situation de victime indirecte ne le relève pas de son statut de cocontractant pour lui donner la qualité de victime indirecte à cette assurance et pouvoir bénéficier d'une garantie et qu'il ne pouvait dès lors pas exercer son recours contre l'assureur, cependant que la nullité du contrat ne pouvait s'opposer à la réparation de son préjudice par ricochet lié au préjudice direct subi par ses enfants victimes directes, la cour d'appel a violé les articles L. 113-8 et R. 211-13 du code des assurances, interprétés à la lumière des directives 72/166/CEE du Conseil en date du 24 avril 1972, 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983 et n° 2009/103 du 16 septembre 2009. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 113-8 et R. 211-13 du code des assurances, interprétés à la lumière de l'article 3, § 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972, de l'article 2, § 1, de la deuxième directive 84/5/ CEE du Conseil du 30 décembre 1983 et des articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 :
7. Selon l'article L. 113-8 du code des assurances, le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans incidence sur le sinistre.
8. Le principe de primauté du droit de l'Union européenne, consacré par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Costa (CJCE, arrêt du 15 juillet 1964, Costa contre E.N.E.L., 6/64), et qualifié de « fondamental » (CJCE, arrêt du 10 octobre 1973, Variola c/ Administration des finances italienne, 34/73, Rec. 981), impose à toutes les instances des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l'Union, le droit des États membres ne pouvant affecter l'effet reconnu à ces différentes normes sur le territoire de ces États (CJUE, arrêt du 24 juin 2019, Poplawski, C-573/17, point 54).
9. L'obligation d'interprétation conforme, qui contribue à assurer la primauté de la norme européenne sur la norme nationale qui n'aurait pas été mise en conformité avec celle-ci, découle de l'obligation des États membres, en présence d'une directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que de leur devoir en vertu de l'article 5 du Traité, devenu l'article 4.3 du Traité sur l'Union européenne, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation. Elle pèse sur toutes les autorités d'un État membre, en ce compris les autorités juridictionnelles et dans le contexte d'un litige entre particuliers (CJCE, arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, 14/83, point 26). Cette jurisprudence a, depuis, été reprise de manière constante. Elle s'appuie dorénavant sur l'article 288, alinéa 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 7 août 2018, Smith, C-122/17, point 39).
10. En conséquence, alors qu'elle jugeait que la nullité du contrat résultant de la fausse déclaration de l'assuré était opposable à la victime, dès lors que l'assureur qui déniait sa garantie avait régulièrement mis en cause le FGAO (Crim., 31 mai 1988, pourvoi n° 87-84.010, publié au Bulletin ; Crim., 12 juin 2012, pourvoi n° 11-87.395), la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence par un arrêt du 29 août 2019 (2e Civ., 29 août 2019, pourvoi n° 18-14.768, publié au Bulletin) et juge désormais qu'il se déduit des articles L. 113-8 et R. 211-13 du code des assurances, interprétés à la lumière de l'article 3, § 1, de la directive n° 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 et de l'article 2, § 1, de la deuxième directive n° 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983 et des articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009, que la nullité édictée par l'article L. 113-8 du code des assurances n'est pas opposable aux victimes d'un accident de la circulation ou à leurs ayants droit et que le FGAO ne peut être appelé à indemniser la victime dans un tel cas.
11. Cette nouvelle jurisprudence (2e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-23.381, publié ; Crim., 8 septembre 2020, pourvoi n° 19-84.983, publié au Bulletin) s'inscrit dans la suite de l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 20 juillet 2017 (Fidelidade - Companhia de Seguros, C-287/16), qui a dit pour droit que l'article 3, § 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, et l'article 2, § 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, la nullité d'un contrat d'assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d'assurance en ce qui concerne l'identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d'assurance est conclu n'avait pas d'intérêt économique à la conclusion dudit contrat.
12. Complétant sa jurisprudence, en réponse à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation (2e Civ., 30 mars 2023, pourvoi n° 22-70.015), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, notamment, que l'article 3, premier alinéa, et l'article 13, § 1, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent, sauf si la juridiction de renvoi constate l'existence d'un abus de droit, à une réglementation nationale qui permet d'opposer au passager d'un véhicule impliqué dans un accident de la circulation, qui est victime de cet accident, lorsque celui-ci est également le preneur d'assurance, la nullité du contrat d'assurance de la responsabilité civile automobile résultant d'une fausse déclaration de ce preneur d'assurance faite lors de la conclusion de ce contrat, quant à l'identité du conducteur habituel du véhicule concerné (CJUE, arrêt du 19 septembre 2024, Matmut, C-236/23).
13. Elle précise que commet un abus de droit l'assuré qui effectue de fausses déclarations dans le but essentiel de se prévaloir lui-même des articles 3 et 13 de la directive 2009/103 pour contourner une disposition nationale relative aux conditions légales de nullité d'un contrat (CJUE, même arrêt, points 49 à 61).
14. Dans cet arrêt (points 31, 34 et 43), la Cour de justice de l'Union européenne affirme que l'objectif de protection des victimes d'accidents causés par les véhicules terrestres à moteur a constamment été poursuivi et renforcé par le législateur de l'Union (ordonnance du 13 octobre 2021, Liberty Seguros, C-375/20, point 56, et jurisprudence citée) et rappelle qu'il n'existe qu'une seule dérogation à l'obligation faite aux assureurs d'indemniser les tiers victimes d'un accident de la circulation, prévue à l'article 13, § 1, deuxième alinéa, de la directive 2009/103, concernant l'hypothèse où les tiers lésés ont, de leur plein gré, pris place dans le véhicule utilisé ou conduit par des personnes n'y étant ni expressément ni implicitement autorisées, en sachant que celui-ci avait été volé (ordonnance Liberty Seguros précitée, point 60 et jurisprudence citée).
15. La question se pose de savoir si la nullité du contrat d'assurance peut être opposée à une victime par ricochet, auteur de la fausse déclaration intentionnelle à l'origine de cette nullité.
16. A cet égard, la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 du Parlement européen et du Conseil définit la « personne lésée » comme celle « ayant droit à la réparation du dommage causé par des véhicules ».
17. Il s'en déduit que la nullité édictée par l'article L.113-8 du code des assurances n'est pas opposable à la victime par ricochet qui est également le preneur d'assurance, à l'origine de la fausse déclaration, sauf si elle a commis un abus de droit tel que défini au paragraphe 13.
18. Pour dire que la nullité du contrat d'assurance est opposable à M. [I], l'arrêt constate que ce dernier était partie à ce contrat en qualité de souscripteur bénéficiaire et retient que le fait qu'il soit une victime par ricochet ne le relève cependant pas de son statut de cocontractant, qui le prive, en raison de la faute contractuelle qu'il a commise, de la qualité de tiers victime à l'égard de l'assureur.
19. En statuant ainsi, alors que, sauf abus de droit qu'elle aurait commis en qualité de souscripteur, la nullité du contrat d'assurance est inopposable à la victime par ricochet, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 23-16.795 formé par le FGAO, et sur le moyen du pourvoi n° 23-15.983 formé par la caisse, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
20. Par son moyen, le FGAO fait grief à l'arrêt de lui déclarer opposable la nullité du contrat d'assurance souscrit auprès de l'assureur, de le débouter de sa demande de mise hors de cause et de le condamner à relever et garantir l'assureur de toutes ses condamnations envers les victimes directes [C] et [N] [I] en principal et intérêts au taux légal simple, alors « qu'il résulte de l'article L. 113-8 du code des assurances, ensemble l'article R. 211-13 du même code, interprétés à la lumière de l'article 3, § 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 et de l'article 2, § 1, de la deuxième directive 84/5/ CEE du Conseil du 30 décembre 1983 et des articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Conseil du 16 septembre 2009, tels qu'interprétés par la Cour de justice dans son arrêt Fidelidade (C-287/16), que la nullité du contrat d'assurance n'est pas opposable, par l'assureur de responsabilité civile automobile, à la victime d'un accident de la circulation ou à ses ayants droit ; qu'en jugeant toutefois que la nullité pour fausse déclaration intentionnelle du contrat d'assurance souscrit par M. [Y] [I] auprès de l'assureur était opposable à ce dernier et au FGAO, aux motifs que « les directives européennes n'ont un effet direct que « vertical » et non « horizontal », soit que les particuliers qui peuvent les invoquer à l'encontre de la puissance publique et ses services, ne peuvent pas le faire envers d'autre personnes physiques ou morales particulières comme en l'espèce, des individus contre une société privée d'assurance ; que la jurisprudence dite Fidelidade n'a eu de force obligatoire qu'à l'égard de la Cour suprême du Portugal et qu'il en résulte que la mise en cause du FGAO était fondée », la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit européen. »
21. Par son moyen, la caisse fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement dans les limites de l'appel, de dire que la nullité du contrat d'assurance lui est opposable et de la débouter de toutes ses demandes, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt du 20 juillet 2017, C 287-16) que l'article 3, § 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 et que l'article 2, § 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983, devenus respectivement articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Conseil du 16 septembre 2009, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes d'un accident de la circulation la nullité d'un contrat d'assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d'assurance ; qu'il s'en déduit qu'interprétée à la lumière des dispositions des directives susvisées, la nullité édictée par l'article L. 113-8 du code des assurances n'est pas opposable aux victimes d'un accident de la circulation ou à leurs ayants droit, et donc aux tiers payeurs subrogés dans les droits des victimes ; qu'en estimant néanmoins, pour retenir que la nullité pour fausse déclaration intentionnelle du contrat d'assurance automobile souscrit par M. [I] auprès de l'assureur était opposable à la caisse, que les directives européennes n'ont qu'un effet direct vertical, que la jurisprudence dite « Fidelidade » n'a de force obligatoire qu'à l'égard de la Cour suprême du Portugal, et que la caisse ne pouvait dès lors pas exercer son recours contre l'assureur pour les prestations ou indemnités non garanties par le FGAO, la cour d'appel a violé les articles L. 113-8 et R. 211-13 du code des assurances, interprétés à la lumière des directives susvisées. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 113-8 et R. 211-13 du code des assurances, interprétés à la lumière de l'article 3, § 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972, de l'article 2, § 1, de la deuxième directive 84/5/ CEE du Conseil du 30 décembre 1983 et des articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 :
22. Afin de respecter l'obligation d'interprétation conforme, telle que rappelée aux paragraphes 8 à 12, pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de l'article L. 211-7-1 du code des assurances, les articles L. 113-8 et R. 211-13 du même code doivent s'interpréter à la lumière de la directive n° 2009/103 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (2e Civ., 29 août 2019, pourvoi n° 18-14.768, publié au Bulletin ; 2e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-23.381, publié au Bulletin ; Crim. 8 septembre 2020, pourvoi n° 19-84.983, publié au Bulletin).
23. Par ailleurs, l'assureur ne peut opposer à la caisse, subrogée dans les droits des victimes, la nullité du contrat d'assurance qu'il ne peut opposer à ces dernières.
24. Pour dire que la nullité du contrat d'assurance est opposable au FGAO et à la caisse, débouter le FGAO de sa demande de mise hors de cause, condamner ce dernier à garantir l'assureur des sommes avancées au titre de la mise en oeuvre de la garantie pour le compte de qui il appartiendra et débouter la caisse de toutes ses demandes à l'encontre de l'assureur, l'arrêt retient que si, par son arrêt Fidelidade du 20 juillet 2017, rendu sur la question préjudicielle posée par la Cour suprême du Portugal, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé contraire à la réglementation communautaire la législation d'un Etat membre aux termes de laquelle la nullité du contrat d'assurance pour fausse déclaration du souscripteur concernant l'identité du conducteur habituel serait opposable aux tiers victimes, cette jurisprudence n'a, cependant, eu de force obligatoire qu'à l'égard de la Cour suprême du Portugal, en l'absence de tout effet direct horizontal s'attachant aux directives.
25. L'arrêt relève ensuite que, s'agissant de l'inopposabilité aux tiers victimes et à leurs ayants droit de la nullité du contrat d'assurance, la quatrième directive automobile 2009/103/CE du 16 septembre 2009 n'a été transposée, en droit français, que par la loi du 22 mai 2019 entrée en vigueur le 24 mai suivant, qui a créé le nouvel article L. 211-7-1 du code des assurances.
26. Il en déduit que la mise en cause du FGAO, en 2014, était fondée, puisque, en application de l'article 2 du code civil, l'article L. 211-7-1 précité n'était pas alors applicable.
27. Il ajoute que la seule garantie pour compte à laquelle l'assureur est tenu ne permet pas à la caisse d'exercer son recours subrogatoire à l'encontre de celui-ci, pour les prestations d'assurance maladie qu'elle a servies aux victimes, dès lors que l'assureur ne pourrait pas en obtenir ensuite le remboursement auprès du FGAO, compte tenu du caractère seulement subsidiaire de l'intervention de ce fonds.
28. En statuant ainsi, alors que la nullité du contrat d'assurance était inopposable aux victimes et à la caisse, subrogée dans leurs droits, et, qu'en conséquence, seul l'assureur était tenu de les indemniser, le FGAO devant être mis hors de cause, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
29. Par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif ayant infirmé le jugement, dit que la nullité du contrat d'assurance est opposable au FGAO et à M. [I] pour les préjudices qu'il a subis par ricochet ainsi qu'à la caisse, débouté le FGAO de sa demande de mise hors de cause, dit que le FGAO devra relever et garantir l'assureur de toutes ses condamnations envers les victimes directes [C] et [N] [I] en principal et en intérêts au taux légal simple, débouté M. [I] de toutes ses demandes à l'encontre de l'assureur et débouté la caisse de toutes ses demandes à l'encontre de l'assureur, entraîne la cassation des dispositions condamnant l'assureur, seulement au titre de sa garantie pour compte, à payer les sommes mises à la charge de Mme [E] au profit de [C] et [N] [I], déboutant le FGAO de sa demande au titre de l'article L. 112-14 [lire L. 211-14] du code des assurances contre l'assureur, condamnant le FGAO à payer à l'assureur la somme de 2 000 euros au titre de ses frais de défense en première instance et en appel et déboutant toutes les autres parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
30. En revanche, la cassation prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant Mme [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci.
Mise hors de cause
32. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause M. [I] et [C] et [N] [I], ces derniers représentés par l'association la Mouette, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.




Civ.3 23 janvier 2025 n° 23-19.970 B

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FC


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 23 janvier 2025



Rejet

Mme TEILLER, président


Arrêt n° 39 FS-B
Pourvoi n° H 23-19.970





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2025

La société [Adresse 3], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 23-19.970 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre1-2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Z] [V],
2°/ à Mme [B] [U],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [Adresse 3], de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. [V] et de Mme [U], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, consieller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 juin 2023) statuant en référé, par acte sous seing privé du 1er avril 1999, Mme [J] a donné en location à M. [V] et Mme [U] une villa, correspondant à la parcelle cadastrée section KH n° [Cadastre 1], voisine de celle appartenant à la société civile immobilière [Adresse 3] (la SCI), cadastrée section KH n° [Cadastre 2].
2. Invoquant un trouble manifestement illicite tenant à l'obstruction par la SCI du chemin traversant sa propriété qu'ils empruntent pour accéder en véhicule à leur logement, M. [V] et Mme [U] l'ont assignée, en référé, en retrait de la chaîne et d'un écriteau empêchant un accès libre et suffisant à leur habitation.
3. La SCI a soulevé une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [V] et Mme [U].
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [V] et Mme [U], et de lui ordonner de déposer le dispositif avec chaîne munie d'un écriteau « accès interdit propriété privée », alors « que le simple occupant d'un fonds, tel un locataire, n'a pas qualité pour se prévaloir de la servitude conventionnelle de passage bénéficiant à ce fonds ; que la SCI opposait une telle fin de non-recevoir à M. [V] et Mme [U], dont il est constant qu'ils étaient locataires de la parcelle de Mme [J] et qu'ils fondaient leur action sur un trouble manifestement illicite tenant à l'empêchement d'exercer le droit de passage qu'ils tenaient de la servitude conventionnelle de passage bénéficiant à la parcelle de leur bailleresse ; qu'en écartant cette fin de non-recevoir au motif que le litige ne concernait pas l'existence et l'assiette d'un droit de passage consenti à une personne non-partie à la procédure mais l'existence d'un trouble manifestement illicite dont M. [V] et Mme [U] seraient directement et personnellement victimes du fait de l'obstruction de ce passage, la cour d'appel a violé les articles 31 et 32 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
7. Aux termes de l'article 32 du même code, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
8. Selon l'article 835, alinéa 1, de ce code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
9. Si le locataire n'a pas qualité pour agir en reconnaissance de l'existence d'une servitude de passage au profit du fonds qu'il loue, il peut, en cas d'atteinte au droit de passage bénéficiant à ce fonds susceptible de constituer un trouble manifestement illicite, agir en référé pour réclamer le rétablissement dudit passage.
10. Ayant relevé que l'action de M. [V] et Mme [U] ne concernait pas la reconnaissance d'un droit de passage consenti au profit du fonds loué, la fixation ou le rétablissement de son assiette, mais visait à obtenir les mesures propres à faire cesser le trouble qu'ils dénonçaient, résultant de l'obstruction d'une voie carrossable desservant leur domicile, la cour d'appel en a exactement déduit qu'ils étaient recevables à agir, en référé, pour réclamer le rétablissement du passage.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. La SCI fait grief à l'arrêt de lui ordonner de déposer le dispositif avec chaîne munie d'un écriteau « accès interdit propriété privée », alors « qu'en déduisant le trouble manifestement illicite de ce que M. [V] et Mme [U] tiraient leur droit de passage de la servitude conventionnelle de passage bénéficiant au fonds de Mme [J] et de ce que la SCI faisait obstacle à ce passage, quand M. [V] et Mme [U], simples occupants de la parcelle de Mme [J], qu'ils avaient prise à bail, ne pouvaient se prévaloir de la servitude conventionnelle de passage, la cour d'appel a violé l'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
13. La cour d'appel a, d'abord, retenu que l'existence d'une servitude de passage bénéficiant à la parcelle appartenant au bailleur de M. [V] et Mme [U] ressortait du titre de propriété du 1er avril 1999, puis a énoncé, à bon droit, que ces derniers pouvaient s'en prévaloir pour démontrer l'existence d'un trouble manifestement illicite, tenant à l'entrave faite à ce passage.
14. Elle a, ensuite, relevé que le chemin en litige était le seul carrossable permettant un accès en véhicule à la villa louée à M. [V] et Mme [U], et que ces derniers l'avaient régulièrement emprunté sans aucune opposition de la part de la SCI, avant que celle-ci ne décide d'installer, en invoquant le droit de se clore, une chaîne surmontée d'un panneau « propriété privée défense d'entrer ».
15. Elle a pu en déduire que le dispositif installé, qui interdisait le passage et empêchait la desserte complète du fonds loué par M. [V] et Mme [U], constituait un trouble manifestement illicite.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.




Civ.3 23 janvier 2025 n° 23-12.385 B

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 23 janvier 2025



Cassation partielle

Mme TEILLER, président


Arrêt n° 42 FS-B
Pourvoi n° N 23-12.385



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2025
1°/ M. [H] [S], domicilié [Adresse 3],
2°/ Mme [I] [S], domiciliée [Adresse 1],
3°/ Mme [W] [S], domiciliée [Adresse 5],
4°/ Mme [Z] [S], domiciliée [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° N 23-12.385 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant à M. [D] [A], domicilié [Adresse 4], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pons, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [H] [S] et de Mmes [I], [W] et [Z] [S], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [A], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pons, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, M. Choquet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 6 décembre 2022), le 31 décembre 1983, [L] [J] et son époux ont consenti à leur fils, M. [A], et à leur fille, [N] [X], une donation-partage leur attribuant la propriété d'une maison chacun, contiguë l'une de l'autre.
2. M. [H] [S] et Mmes [I], [W] et [Z] [S] (les consorts [S]), venant aux droits de [N] [X], ont assigné M. [A] en revendication de la copropriété indivise du sas d'entrée de sa maison, situé côté rue, permettant d'accéder à leur bien immobilier, ainsi que d'un escalier intérieur conduisant au jardin, subsidiairement, en reconnaissance de l'existence d'une servitude par destination du père de famille, issue de la division d'un seul fonds, et en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. Les consorts [S] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de reconnaissance d'une servitude de passage par destination du père de famille et en paiement d'indemnité d'occupation, alors « qu'il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que l'unité préalable de la propriété s'entend, non au sens matériel, mais au sens juridique ; qu'en considérant que l'acte de donation-partage dressé le 31 décembre 1983 ne peut être considéré comme l'acte visé par l'article 694 du code civil puisqu'il n'est pas l'acte procédant à la première séparation des deux fonds, M. [D] [A] prouvant que les fonds ont été divisés au moins une autre fois lors du décès de Mme [T] [B] survenu le 21 novembre 1928 et que, par suite, les consorts [S] ne peuvent pas démontrer que l'acte par lequel s'est opérée la séparation des deux héritages ne contient aucune disposition contraire à l'existence de la servitude invoquée, quand il n'était pas contesté aux débats qu'après avoir été divisée au décès de Mme [T] [B], la propriété des maisons litigieuses avait retrouvé son unité en la personne de M. [V] [O] après le rachat par celui-ci de la part d'héritage de ses soeurs et qu'elle avait été transférée comme telle à Mme [L] [J], qui avait ensuite procédé à sa division par acte de donation-partage du 31 décembre 1983, la cour d'appel a violé l'article 693 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 693 et 694 du code civil :
5. Aux termes du premier de ces textes, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.
6. Selon le second, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division d'un fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.
7. Les conditions d'existence d'une servitude par destination du père de famille doivent s'apprécier au jour de la division des fonds concernés, y compris lorsque les deux fonds, après avoir été réunis, font l'objet d'une nouvelle division.
8. Pour rejeter les demandes des consorts [S], l'arrêt retient que l'acte de donation-partage du 31 décembre 1983 ne peut être considéré comme l'acte ayant procédé à la première séparation des deux fonds puisque ceux-ci avaient déjà été divisés auparavant lors du décès de [T] [B] en 1928 et que, dès lors, les consorts [S] ne prouvent pas que l'acte par lequel s'est opérée la séparation des deux héritages ne contient aucune disposition contraire à l'existence de la servitude invoquée.
9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les fonds avaient été réunis, préalablement à la donation-partage de 1983, dans les mains d'un même propriétaire, de sorte qu'il lui revenait d'apprécier l'existence d'une stipulation contraire au maintien d'une servitude au regard de ce seul dernier acte, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. Les consorts [S] font le même grief à l'arrêt, alors « que la création d'une servitude par destination du père de famille n'est pas exclue par un autre aménagement qui existe ou aurait existé au profit du fonds dominant ; qu'en considérant que M. [D] [A] apportait la preuve de l'existence sur la façade de la maison située au n° 4 appartenant aux consorts [S] d'une ouverture indépendante donnant sur la rue, motifs impropres à exclure la création de la servitude par destination du père de famille invoquée par les consorts [S], la cour d'appel a violé l'article 692 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 692, 693 et 694 du code civil :
11. Aux termes du premier de ces textes, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues et apparentes.
12. Aux termes du deuxième, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.
13. Selon le troisième, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division d'un fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.
14. Pour rejeter les demandes des consorts [S], l'arrêt retient qu'il résulte d'un avis technique produit par M. [A] qu'il existait par le passé sur la façade de la maison appartenant aux consorts [S], au lieu et place d'une fenêtre, une autre ouverture donnant sur la rue, indépendante de la servitude revendiquée.
15. En se déterminant ainsi, sans préciser la date de la disparition de l'ouverture dont elle retenait l'existence et sans caractériser en quoi la présence d'une porte dans le bâtiment aurait exclu tout signe apparent de la servitude par destination du père de famille invoquée, au moment de la division du fonds par un propriétaire unique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.




Civ.3 23 janvier 2025 n° 23-18.643 B

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 23 janvier 2025



Cassation partielle

Mme TEILLER, président


Arrêt n° 40 FS-B
Pourvoi n° Q 23-18.643



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2025
La société Etanchisol, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-18.643 contre l'arrêt rendu le 29 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Capstone Carré Ivry, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Etanchisol, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Capstone Carré Ivry, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mme Schmitt, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 mars 2023), le 3 février 2015, la société Capstone Carré Mure, devenue la société Capstone Carré Ivry (la bailleresse), propriétaire de locaux commerciaux situés au sein d'un parc d'activité donnés à bail à la société Etanchisol (la locataire), après lui avoir délivré le 26 novembre 2014 un commandement de payer des loyers et charges, l'a assignée en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire.
2. Le 10 juillet 2015, la bailleresse a délivré un deuxième commandement de payer visant la clause résolutoire. Le 30 juillet 2015, la locataire a assigné la bailleresse en contestation de ce commandement.
3. Le 5 août 2016, la locataire a assigné la bailleresse en contestation du congé délivré sans offre de renouvellement le 29 juin 2016, et en paiement d'une indemnité d'éviction.
4. Les instances ont été jointes.
5. La locataire a demandé de voir réputer non écrite la clause d'indexation insérée au bail et de condamner la bailleresse à lui payer une certaine somme au titre du trop-perçu de loyers par l'effet de l'indexation, rétroactivement sur une période de cinq ans.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La locataire fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la bailleresse au paiement d'une certaine somme au titre de l'indu, alors « que lorsque la clause d'indexation est réputée non écrite, elle est considérée comme n'ayant jamais existé ; que le bailleur doit donc restituer toutes les augmentations de loyer résultant de l'application d'une clause d'indexation invalidée, dans la limite de la prescription quinquennale, la restitution des indexations illicites non prescrites devant nécessairement s'effectuer au regard du loyer initial et non du montant du dernier loyer illicitement indexé, sauf à permettre à une clause contraire à l'ordre public de direction de continuer à produire des effets ; qu'en énonçant, pour limiter le montant des restitutions dues à la société Etanchisol, que l'action en répétition de l'indu étant soumise à la prescription quinquennale, la créance de restitution ne pouvait être calculée que sur la base du loyer acquitté à la date du point de départ de la prescription, la cour d'appel a violé les articles L. 145-15 et L. 145-37 et suivants code de commerce, ensemble, par fausse application, l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 145-15 du code de commerce :
7. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
8. Selon le second, sont réputés non écrits, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le chapitre V ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l'article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54.
9. Il est jugé que l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail commercial n'est pas soumise à prescription (3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, publié ; 3e Civ., 16 novembre 2023, pourvoi n° 22-14.091, publié).
10. Le locataire à bail commercial qui a acquitté un loyer indexé en vertu d'une clause d'indexation ultérieurement réputée non écrite peut agir en paiement des sommes indûment versées dans les cinq ans précédant sa demande en justice.
11. Dès lors qu'une stipulation réputée non écrite est censée n'avoir jamais existé, la créance de restitution de l'indu doit être calculée sur la base du montant du loyer qui aurait été dû à défaut d'application d'une telle stipulation.
12. Pour limiter le montant de l'indu à une certaine somme, l'arrêt, après avoir réputé non écrite la clause d'indexation, et énoncé que la demande en restitution des sommes indûment versées en vertu d'une clause censée n'avoir jamais existé est une action en répétition de l'indu, soumise à la prescription quinquennale de droit commun, en déduit que la créance de restitution ne peut être calculée sur la base du loyer initial mais doit l'être sur celle du loyer acquitté à la date du point de départ de la prescription.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
14. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de production des justificatifs des appels de charges, de la condamner à payer une certaine somme au titre des charges locatives impayées, de dire acquise la clause résolutoire insérée au bail et de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction, alors « qu'à supposer que la cour d'appel ait justifié sa décision en énonçant, pour dire mal fondée la demande de productions de la société Etanchisol et la condamner au paiement des charges réclamées, que les décisions de gestion d'une SCPI relèvent de la seule société gestionnaire, laquelle a justifié les dépenses engagées, ce motif entre alors en contradiction avec celui par lequel elle avait précédemment relevé que le rejet de la demande de production de justificatifs financiers par les premiers juges ne permettait pas au preneur de procéder aux vérifications légitimes de l'exigibilité des charges qui lui étaient facturées ; que la cour d'appel a ainsi méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
15. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.
16. Pour condamner la locataire au paiement des charges locatives, l'arrêt retient, d'abord, que si la locataire n'a pas pu procéder aux vérifications légitimes de l'exigibilité des charges qui lui étaient facturées, sa demande de production de justificatifs financiers doit être rejetée en raison de sa formulation trop générale, puis que la société gestionnaire du centre commercial a justifié des dépenses engagées.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la bailleresse au paiement de la somme de 128,84 euros hors taxes, rejetant la demande de production par la bailleresse des justificatifs des appels de charges, condamnant la locataire à payer à cette dernière la somme de 75 276,60 euros au titre des charges locatives impayées, disant acquise la clause résolutoire insérée au bail et rejetant sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant la locataire au paiement d'une indemnité contractuelle de retard, au paiement de la somme de 16 221,67 euros et rejetant sa demande en restitution du dépôt de garantie, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.




Soc. 22 janvier 2025 n° 24-17.726 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
COUR DE CASSATION


ZB

______________________
QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITÉ ______________________




Audience publique du 22 janvier 2025



NON-LIEU A RENVOI

M. SOMMER, président


Arrêt n° 152 FS-B
Pourvoi n° P 24-17.726




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025

Par mémoire spécial présenté le 14 novembre 2024, M. [L] [E], domicilié [Adresse 2], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° P 24-17.726 qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 15 mars 2024 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans une instance l'opposant à la société Sea Investments, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [E], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Sea Investments, et l'avis de Mme Wurtz, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Flores, Mme Le Quellec, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Laplume, Rodrigues, Segond, conseillers référendaires, Mme Wurtz, premier avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. M. [E] a été engagé en qualité de marin-cuisinier par la société Sea Investments suivant contrat à durée déterminée du 5 mai au 30 septembre 2019 afin d'exercer sa prestation de travail à bord d'un navire.
2. Le 10 juin 2020, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de diverses sommes, notamment, à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 15 mars 2024 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le salarié a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« L'article L. 5544-1 du code des transports, en ce qu'il exclut, s'agissant des marins, le régime d'allègement de la preuve des heures de travail institué par l'article L. 3171-4 du code du travail, porte-t-il une atteinte excessive au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. L'article L. 5544-1 du code des transports dispose que sauf mention contraire, les articles L. 3111-2, L. 3121-1 à L. 3121-39, L. 3121-43, L. 3121-48 à L. 3121-52, L. 3121-63, L. 3121-67 à L. 3121-69, L. 3122-1 à L. 3122-24 et L. 3131-1 à L. 3131-3, L. 3162-1 à L. 3162-3, L. 3163-1 à L. 3163-3, L. 3164-1, L. 3171-1, L. 3171-3, L. 3171-4 et L. 4612-16 du code du travail ne sont pas applicables aux marins.
5. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la durée du temps de travail pour les marins.
6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
7. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
8. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
9. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni ne déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
10. Eu égard aux conditions particulières dans lesquelles il exerce ses fonctions et aux risques auxquels il est exposé, le marin n'est pas dans la même situation qu'un autre salarié et l'exclusion par la loi de l'application des dispositions de droit commun relatives à la preuve de la durée du travail ne lui interdisant pas d'obtenir le paiement des heures de travail accomplies, dont la preuve est assurée selon les dispositions spécifiques applicables aux gens de mer, notamment par la tenue à bord d'un registre des heures quotidiennes de travail ou de repos, la différence de traitement qui en résulte se trouve en rapport direct avec la loi qui l'établit.
11. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.




Crim. 22 janvier 2025 n° 23-86.433 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 23-86.433 F-B
N° 00068

GM 22 JANVIER 2025

REJET

M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 JANVIER 2025


M. [Z] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Colmar, en date du 10 octobre 2023, qui a prononcé sur une demande de suspension de peine pour raison médicale.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Z] [H], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Z] [H], qui exécute une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle prononcée par la cour d'assises le 21 mai 2021, a sollicité une suspension de sa peine pour raison médicale, sur le fondement de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale.
3. Par jugement du 13 avril 2022, le tribunal de l'application des peines a rejeté cette demande.
4. M. [H] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
5. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le rejet de la demande de suspension de peine présentée par M. [H], alors :
« 1°/ que selon les termes de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, la suspension peut être ordonnée lorsqu'il est établi par une expertise médicale que le condamné est atteint d'une pathologie engageant le pronostic vital ; depuis la loi du 15 août 2014 ayant modifié la rédaction du texte dont s'agit, il suffit qu'une seule expertise médicale établisse que le condamné se trouve dans cette situation ; en l'espèce, la cour d'appel qui relève que l'un des experts commis, le docteur [J], concluait que le pronostic vital de M. [H] était engagé à court terme ne pouvait statuer comme elle l'a fait et considérer que la situation de l'intéressé ne répond pas au premier critère de l'octroi d'une suspension de peine sans violer ledit article 720-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que les circonstances selon lesquelles un autre expert, le docteur [L], concluait que le pronostic vital était engagé à moyen terme, l'un comme l'autre des experts concernés estimant que l'issue ne pouvait être déterminée de façon précise, ne pouvait en déduire que s'il ne fait pas de doute que le pronostic vital de M. [H] est engagé, la circonstance selon laquelle l'issue ne peut être déterminée de façon précise exclut un pronostic vital engagé à court terme, la situation de l'intéressé ne répondant donc pas au premier critère d'octroi d'une suspension de peine pour raison médicale, sans refuser de déduire les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations relatives au fait que le pronostic vital de M. [H] était irrémédiablement engagé à brève échéance et des conclusions du docteur [J], qu'elle citait, lequel évoquait un pronostic vital engagé à court terme, méconnaissant ainsi l'article susvisé, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que l'article 720-1-1 du code de procédure pénale qui ne soumet la possibilité de demander une suspension de peine qu'à l'existence d'une pathologie engageant le pronostic vital du condamné dûment constatée, n'exige pas que le moment de l'issue fatale soit déterminé avec précision ; en considérant que lorsque l'issue ne peut être déterminée de façon précise, cela exclut tout pronostic vital engagé à court terme, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
5°/ qu'en toute hypothèse, à supposer même qu'il ne soit pas établi par les expertises que le condamné se trouve dans l'une des situations prévues par l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, il entre dans l'office du juge concurremment au recours prévu par l'article 803-8 du code de procédure pénale, lorsqu'il est saisi d'une demande de suspension de peine, soit d'ordonner une nouvelle expertise, soit de rechercher si le maintien en détention de l'intéressé n'est pas constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant ; en effet, en tant que gardien des libertés individuelles, il incombe au juge judiciaire de veiller à ce que toute détention soit en toute circonstance mise en oeuvre dans des conditions respectant la dignité de la personne et de s'assurer que la privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant ; en se déclarant incompétente pour statuer sur ce moyen et en considérant par ailleurs qu'une suspension de peine n'a pas vocation à être prononcée par le juge de l'application des peines en vertu des dispositions de l'article 803-8 du code de procédure pénale, la chambre de l'application des peines de la cour d'appel a méconnu l'article 3 de la CEDH et les principes susvisés, et a excédé négativement ses pouvoirs. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses trois premières branches
7. Pour rejeter la demande de suspension de peine pour raison médicale de M. [H], l'arrêt attaqué retient que, s'il est établi que ce dernier souffre d'une maladie qui se caractérise par l'existence de lésions tumorales cérébrales multiples, dont l'une évolue défavorablement depuis le mois de juin 2021 et n'est pas opérable, les experts considèrent que l'aggravation de sa maladie est d'intensité modérée, que le pronostic vital et fonctionnel du patient est engagé, sans que son échéance puisse être établie de façon précise.
8. Les juges en déduisent qu'il est exclu que le pronostic vital de l'intéressé soit engagé à court terme, de sorte que la première condition d'octroi de la mesure sollicitée n'est pas remplie.
9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
10. En effet, si l'article 720-1-1 du code de procédure pénale dispose que la suspension de peine peut être ordonnée pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention, la Cour de cassation a interprété ce texte en ce sens qu'il n'est applicable qu'aux condamnés dont le pronostic vital est engagé à court terme (Crim., 28 septembre 2005, pourvoi n° 05-81.010, Bull. crim. 2005, n° 247).
11. Cette interprétation est conforme à la volonté du législateur, telle qu'elle ressort des travaux préparatoires de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dont ces dispositions sont issues. Ces travaux font état du but poursuivi par cette loi, de permettre une suspension de peine à l'égard des personnes détenues en fin de vie dont l'état de santé appelle des soins qu'ils ne peuvent recevoir en prison. Il en résulte que ce pronostic doit être connu de manière suffisamment certaine.
12. Dès lors, les griefs ne sont pas fondés.
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
13. Pour écarter le moyen pris de la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, pris de ce que le maintien en détention de M. [H] serait constitutif d'un traitement inhumain et dégradant, l'arrêt attaqué retient que ce moyen relève des dispositions introduites par la loi du 8 avril 2021 dans le code de procédure pénale sur les conditions de détention indignes, qui permettent au détenu qui s'estimerait dans une telle situation de saisir le juge de l'application des peines par une requête motivée, et que cette procédure échappe à la compétence de la chambre de l'application des peines saisie de la contestation d'une décision ayant rejeté une mesure de suspension de peine.
14. C'est à tort que la cour d'appel s'est ainsi déclarée incompétente.
15. En effet, il résulte des articles 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale qu'il entre dans l'office du juge saisi d'une demande de suspension de peine de rechercher si le maintien en détention de l'intéressé n'est pas constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant en raison de son incompatibilité avec les garanties qui lui sont dues pour protéger sa santé, indépendamment du recours qu'il pourrait exercer sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale.
16. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que la juridiction, pour dire que la détention de l'intéressé pouvait être maintenue, a constaté qu'il bénéficie d'une prise en charge hospitalière appropriée.
17. Il s'ensuit que le grief doit être écarté.
18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.




Soc. 22 janvier 2025 n° 23-20.466 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 22 janvier 2025



Rejet

M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président


Arrêt n° 79 F-B
Pourvoi n° W 23-20.466


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
La société Alten, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 23-20.466 contre l'arrêt rendu le 5 juillet 2023 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans le litige l'opposant à M. [N] [E], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Alten, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [E], et l'avis de Mme Canas, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 juillet 2023), M. [E] a été engagé par la société Alten en qualité de technicien, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 14 juin 2004. Il est classé en position 3.3 coefficient 500.
2. Le salarié a exercé différents mandats de représentant du personnel qui représentaient, à la fin de l'année 2019, 41 % de son temps de travail, puis, à compter de l'année 2020, un total de vingt-quatre heures par mois, compte tenu de la réduction du nombre de ses mandats.
3. Le salarié est toujours en poste au sein de la société Alten.
4. Le 9 juillet 2019, il a saisi la juridiction prud'homale pour demander la fixation de son salaire de référence, pour les années 2018, 2019 et 2020, en application du mécanisme de garantie d'évolution salariale prévu par l'article L. 2141-5-1 du code du travail ainsi qu'un rappel de salaires.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le salaire de base du salarié au 1er janvier 2020 doit être fixé à la somme mensuelle de 2 914,22 euros bruts et de le condamner à verser au salarié divers rappels de salaire et de congés payés afférents au titre des années 2018, 2019, 2020 et de janvier 2021 à mars 2023, alors « qu'en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise déterminant des garanties d'évolution de la rémunération au moins aussi favorables, les représentants élus du personnel et représentants syndicaux dont le nombre d'heures de délégation sur l'année dépasse 30 % de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail bénéficient d'une évolution de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, au moins égale, sur l'ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise ; que ces dispositions ont pour objet d'assurer aux représentants du personnel une évolution salariale, et non une évolution professionnelle, pendant la durée de leur mandat ; qu'en conséquence, la moyenne des augmentations individuelles doit tenir compte uniquement des augmentations de salaire à qualification identique, et non des augmentations de salaire consécutives à une promotion professionnelle ; qu'en affirmant cependant, pour retenir que le salarié était fondé à réclamer chaque année une augmentation de salaire égale au taux moyen d'augmentation des salaires communiqué aux organisations syndicales lors des négociations annuelles obligatoires, que ''c'est à juste titre que M. [E] soutient que les augmentations accordées aux salariés de l'entreprise en raison d'une promotion doivent être comprises dans l'évaluation des augmentations générales et dans la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise'', ''dès lors que l'article L. 2141-5-1 fait référence à l'évolution de la rémunération au sens de l'article L. 3221-3 lequel entend la rémunération d'un salarié en raison de son emploi'', la cour d'appel a violé l'article L. 2141-5-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 2141-5-1 du code du travail, en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise déterminant des garanties d'évolution de la rémunération des salariés mentionnés aux 1° à 7° de l'article L. 2411-1 et aux articles L. 2142-1-1 et L. 2411-2 au moins aussi favorables que celles mentionnées au présent article, ces salariés, lorsque le nombre d'heures de délégation dont ils disposent sur l'année dépasse 30 % de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l'établissement, bénéficient d'une évolution de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, au moins égale, sur l'ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise.
7. La Cour de cassation juge qu'il résulte de l'article L. 2141-5-1 du code du travail, de l'étude d'impact relative à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ayant créé ce texte, ainsi que des travaux parlementaires, que les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable, au sens de ce texte, sont ceux qui relèvent du même coefficient dans la classification applicable à l'entreprise pour le même type d'emploi, engagés à une date voisine ou dans la même période (Soc., 20 décembre 2023, pourvoi n° 22-11.676, publié).
8. Il résulte du même texte qu'en l'absence de tout salarié relevant de la même catégorie professionnelle au sens des dispositions susvisées, l'évolution de la rémunération du salarié doit être déterminée par référence aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise, y compris lorsque certaines augmentations individuelles résultent d'une promotion entraînant un changement de catégorie professionnelle.
9. Ayant constaté que le nombre d'heures de délégation dont le salarié disposait entre 2017 et 2020 était supérieur à 30 % de la durée de travail prévue au contrat de travail et que le salarié était le seul dans l'entreprise à être classé au coefficient 500 de la position 3.3 du type d'emploi « ingénieur assimilé cadre », la cour d'appel en a exactement déduit que l'évolution de la rémunération du salarié devait être déterminée par référence aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise, y compris lorsque certaines augmentations individuelles résultaient d'une promotion entraînant un changement de catégorie professionnelle.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
11. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ qu'en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise déterminant des garanties d'évolution de la rémunération au moins aussi favorables, les représentants élus du personnel et représentants syndicaux dont le nombre d'heures de délégation sur l'année dépasse 30 % de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail bénéficient d'une évolution de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, au moins égale, sur l'ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise ; qu'il en résulte qu'en l'absence de salariés relevant de la même catégorie avec une ancienneté comparable, le représentant du personnel peut prétendre, d'une part, aux augmentations générales de salaire accordées par l'employeur et, d'autre part, à la moyenne des augmentations individuelles accordées aux autres salariés ; qu'en retenant, en l'espèce, que le taux d'augmentation générale de salaire figurant sur les documents communiqués lors de la négociation annuelle obligatoire pouvait être pris en compte, peu important qu'il ne distingue pas entre les augmentations générales et les augmentations individuelles, cependant que le législateur a précisément exclu de faire masse des augmentations générales et des augmentations individuelles pour déterminer un taux moyen d'augmentation, la cour d'appel a violé l'article L. 2141-5-1 du code du travail ;
3°/ que selon l'article L. 2141-5-1 du code du travail, la garantie d'évolution salariale s'applique sur l'ensemble de la durée du mandat, de sorte qu'il convient de comparer, sur cette période ou au cours de chacune des années de cette période, les évolutions de salaire dont le représentant du personnel a bénéficié et celles dont les autres salariés, présents sur la même période ou pendant l'année considérée, ont également bénéficié ; qu'en retenant encore, pour admettre que le salarié pouvait se référer, pour calculer l'évolution de salaire à laquelle il avait droit chaque année, au taux d'augmentation figurant dans les documents de négociation annuelle obligatoire, peu important que ces documents prennent en compte les salariés présents au 31 décembre de l'année N-1 et également présents au moins un jour sur l'année N, mais non ceux arrivés en cours d'année N, au motif tout aussi inopérant qu'erroné que ''cela ne constitue pas une incompatibilité avec l'article L. 2141-5-1 du code du travail'', la cour d'appel a encore violé le texte précité. »
Réponse de la Cour
12. L'arrêt relève d'abord que, si les documents des négociations annuelles obligatoires ne distinguent pas les augmentations générales et les augmentations individuelles, ils offrent une base de référence objective qui, pour l'ensemble du personnel, permet de déterminer une augmentation générale pour une année et que les documents des négociations annuelles obligatoires présentent un degré de pertinence objectif.
13. L'arrêt retient ensuite que le pourcentage d'augmentation déterminé dans les documents des négociations annuelles obligatoires ne porte que sur les salariés présents au 31 décembre d'une année donnée pour peu qu'ils aient été présents au moins un jour durant cette année, que la période d'un an visée par les documents de la négociation annuelle obligatoire correspond à une période au cours de laquelle le salarié disposait d'heures de délégation dépassant 30 % de sa durée de travail et que le panel de comparaison des salariés présents au 31 décembre de l'année précédant l'année de référence n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article L. 2141-5-1 du code du travail.
14. La cour d'appel a pu en déduire que le montant de l'évolution de la rémunération du salarié devait être calculé en soustrayant les salaires perçus par le salarié du salaire de base majoré du pourcentage moyen des augmentations moyennes telles que déterminées par référence aux documents des négociations annuelles obligatoires.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.




Crim. 22 janvier 2025 n° 24-81.201 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 24-81.201 F-B
N° 00070

GM 22 JANVIER 2025

REJET

M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 JANVIER 2025


M. [K] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 22 novembre 2023, qui, pour violences aggravées, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de M. [K] [R], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 4 octobre 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [K] [R] coupable de violences sans incapacité sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis probatoire pendant deux ans, et a prononcé sur les intérêts civils.
3. M. [R] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [K] [R] à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pour une durée de deux ans, alors « qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale ; que cette exigence s'applique à la peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, seules les obligations particulières du sursis probatoire n'ayant pas à être motivées ; qu'il appartient en conséquence à la juridiction pénale de motiver le choix du délai de mise à l'épreuve en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que l'arrêt attaqué est dépourvu de toute motivation sur ce point ; que la cour d'appel a violé les articles 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
5. L'exigence selon laquelle, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée, s'applique au choix de la peine et non au choix de sa modalité que constitue le délai d'épreuve prévu à l'article 132-42 du code pénal, que le juge de l'application des peines peut modifier.
6. Le demandeur ne saurait donc se faire un grief de ce que la cour d'appel n'a pas spécialement motivé la durée du délai de probation de la peine d'emprisonnement avec sursis probatoire prononcée à son encontre.
7. Ainsi, le moyen doit être écarté.
8. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.




Soc. 22 janvier 2025 n° 23-11.049

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 22 janvier 2025



Rejet

Mme MARIETTE, conseiller doyen faisant fonction de président


Arrêt n° 49 F-D

Pourvois n° T 23-11.033 U 23-11.034 V 23-11.035 W 23-11.036 X 23-11.037 Y 23-11.038 Z 23-11.039 A 23-11.040 B 23-11.041 C 23-11.042 D 23-11.043 E 23-11.044 F 23-11.045 H 23-11.046 G 23-11.047 J 23-11.048 K 23-11.049 JONCTION



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
La société Rexel France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 16], venant aux droits de la société Coaxel Toulousaine, a formé les pourvois n° T 23-11.033, U 23-11.034, V 23-11.035, W 23-11.036, X 23-11.037, Y 23-11.038, Z 23-11.039, A 23-11.040, B 23-11.041, C 23-11.042, D 23-11.043, E 23-11.044, F 23-11.045, H 23-11.046, G 23-11.047, J 23-11.048 et K 23-11.049 contre dix-sept arrêts rendus le 9 septembre 2022 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 2, chambre sociale), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à M. [Y] [O], domicilié [Adresse 8],
2°/ à M. [C] [B], domicilié [Adresse 10],
3°/ à M. [OL] [M], domicilié [Adresse 13],
4°/ à M. [D] [K], domicilié [Adresse 2],
5°/ à Mme [E] [V], domiciliée [Adresse 1],
6°/ à M. [AO] [Z], domicilié [Adresse 12],
7°/ à M. [G] [W], domicilié [Adresse 4],
8°/ à Mme [N] [F], domiciliée [Adresse 6],
9°/ à M. [C] [X], domicilié [Adresse 3],
10°/ à M. [H] [I], domicilié [Adresse 5],
11°/ à Mme [U] [A], domiciliée [Adresse 18],
12°/ à Mme [E] [P], domiciliée [Adresse 7],
13°/ à M. [T] [S], domicilié [Adresse 15],
14°/ à M. [AO] [J], domicilié [Adresse 9],
15°/ à M. [D] [NX], domicilié [Adresse 17],
16°/ à M. [R] [NP], domicilié [Adresse 14],
17°/ à M. [L] [NI], domicilié [Adresse 11],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation commun.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Rexel France, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [O] et seize autres salariés, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° T 23-11.033 à K 23-11.049 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Toulouse, 9 septembre 2022), la société SCT Toutéléctric, spécialisée dans la distribution de matériel électrique, qui employait plus de 300 salariés sur 40 agences, a été rachetée le 5 avril 2012 par la société Coaxel Toulousaine, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Rexel France (la société), filiale du groupe Rexel.
3. La société a ensuite envisagé une procédure de licenciement collectif pour motif économique et a consulté le comité d'entreprise sur le projet de réorganisation à compter du 20 décembre 2012 et le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).
4. Licenciés pour motif économique par lettre du 8 octobre 2013, M. [O] et seize autres salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour contester le bien fondé de leur licenciement et solliciter le versement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief aux arrêts de la condamner à payer des dommages-intérêts pour insertion d'une clause illicite dans le plan de sauvegarde de l'emploi, alors :
« 1°/ que ne viole aucune liberté fondamentale la clause du PSE subordonnant le versement d'indemnités à l'absence de contentieux collectif du CE et du CHSCT sur la régularité de la procédure de licenciement économique, les mesures de reclassement proposées et à l'absence de contentieux individuel sur le licenciement économique, dès lors que les salariés ont saisi le juge prud'homal sans qu'aucune sanction ne soit prononcée ou même envisagée à leur encontre ; qu'en décidant le contraire et en retenant une atteinte effective au droit de saisir le juge prud'homal, bien que celui-ci a été saisi sans qu'aucune sanction ne soit prononcée ou même envisagée, la cour d'appel a violé par fausse application les articles L. 1121-1 du code du travail et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'à la supposer illicite, la clause du PSE subordonnant le versement d'indemnités à l'absence de contentieux collectif du CE et du CHSCT sur la régularité de la procédure de licenciement économique, les mesures de reclassement proposées et à l'absence de contentieux individuel sur le licenciement économique ne cause aucun préjudice aux salariés qui ont saisi le juge prud'homal sans qu'aucune sanction ne soit prononcée ou même envisagée à leur encontre ; qu'en retenant que la clause avait causé un préjudice au salarié, qui avait pourtant saisi le juge prud'homal sans qu'aucune sanction ne soit prononcée ou même envisagée à son encontre, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il ressortait que le salarié n'avait subi aucun préjudice, a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles L. 1121-1 du code du travail et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
7. D'abord, il résulte des articles L. 1221-1 du code du travail et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'une clause par laquelle le bénéfice pour les salariés d'un droit résultant de la rupture du contrat de travail est subordonné à la renonciation de ces derniers, à contester le bien fondé de cette rupture, est nulle comme portant atteinte au droit d'agir en justice.
8. La cour d'appel qui a constaté que le plan de sauvegarde de l'emploi comportait une clause subordonnant le versement des indemnités qu'il prévoyait, d'une part, à l'absence de contentieux collectif du comité d'entreprise et du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail sur la régularité de la procédure de licenciement économique ainsi que sur les mesures de reclassement proposées et, d'autre part, à la fourniture des mêmes garanties écrites tenant à l'absence de contentieux individuel sur quelconque aspect du licenciement économique, en a exactement déduit qu'une telle clause était illicite comme portant une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit d'agir en justice reconnu à tout salarié.
9. Ensuite, l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.
10. La cour d'appel, après avoir relevé que la clause litigieuse, tant que son caractère illicite n'avait pas été sanctionné, avait fait planer une certaine pression sur les salariés leur occasionnant par là même un préjudice, certes immatériel mais réel, a souverainement apprécié le montant de ce préjudice ayant résulté pour eux de cette clause illicite.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.




Soc. 22 janvier 2025 n° 23-21.936 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
ZB1


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 22 janvier 2025



Rejet

M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président


Arrêt n° 67 F-B
Pourvoi n° U 23-21.936



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
1°/ La Fédération des services CFDT, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 9],
2°/ Mme [K] [X], domiciliée [Adresse 1], [Localité 8],
ont formé le pourvoi n° U 23-21.936 contre le jugement rendu le 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Créteil (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Codirep, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 12], [Localité 11],
2°/ à la Fédération nationale encadrement commerce services CFE-CGC, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 5],
3°/ à la Fédération du commerce, des services et de la force de vente CFTC, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 6],
4°/ à la Fédération du commerce, de la distribution et des services CGT, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 10],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération des services CFDT et de Mme [X], de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la Fédération nationale encadrement commerce services CFE-CGC, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Codirep, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Créteil, 16 octobre 2023) des élections professionnelles ont été organisées au sein de la société Codirep au mois de février 2023. Selon les productions, les résultats ont été les suivants : - Fédération des services CFDT(la fédération CFDT) : 51,29 % - Fédération CGT du commerce, de la distribution et des services (la fédération CGT) : 17,36 % - Fédération CFTC du commerce, des services et de la force de vente (la fédération CFTC) : 23,79 % - Fédération nationale encadrement commerce services de la CFE-CGC (la fédération CFE-CGC) : 7,56 % ( 51,65 % au sein du collège cadre).
2. Au mois de mars 2023, la société Codirep a engagé la négociation annuelle obligatoire sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l'entreprise (NAO). La fédération CFDT a refusé de signer l'accord, qui a été signé le 17 avril 2023 par les fédérations CFTC, CGT et CFE-CGC.
3. La fédération CFE-CGC et la fédération CFTC ont sollicité l'organisation d'une consultation des salariés pour valider cet accord.
4. Le scrutin s'est déroulé le 9 juin 2023. 66 % des salariés ont répondu favorablement à la question « approuvez-vous l'accord NAO dans son entièreté ? ».
5. Soutenant que les organisations syndicales ayant demandé la consultation des salariés n'avaient pas recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des élections, que le référendum organisé n'avait pas lieu d'être et que la question posée aux personnels était équivoque, la fédération CFDT et Mme [X] ont saisi le tribunal judiciaire afin d'annuler la consultation des salariés organisée le 9 juin 2023 au sein de la société, juger l'accord négocié dans le cadre de la NAO 2023 non écrit et condamner la société à payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts à la fédération CFDT en réparation du préjudice subi.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La fédération CFDT et Mme [X] font grief au jugement de les débouter de leurs demandes afin d'annuler la consultation des salariés organisée le 9 juin 2023 au sein de la société Codirep, de juger que l'accord négocié dans le cadre des NAO 2023 est réputé non écrit, de condamner la société Codirep à payer à la fédération CFDT une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi et de déclarer valide l'accord « négociations annuelles obligatoires de la SNC Codirep exercice 2023 » validé par voie de référendum le 9 juin 2023, alors « que l'accord signé par l'employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % mais moins de 50 % des suffrages exprimés est valide si une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages indiquent dans un délai d'un mois à compter de la signature de l'accord qu'elles souhaitent une consultation des salariés visant à valider l'accord et si cet accord est effectivement approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés ; que dans l'entreprise ou l'établissement, sont représentatives les organisations syndicales qui satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 du code du travail et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants ; qu'il était constant et acquis aux débats que lors de ces dernières élections le syndicat CFE-CGC avait obtenu moins de 10 % d'audience électorale tous collèges confondus, ce dont il résulte qu'il n'était pas représentatif au niveau de l'entreprise ; qu'en prenant cependant en considération la part des suffrages obtenus par cette organisation pour apprécier le seuil de 30 % permettant une consultation des salariés, le tribunal judiciaire a violé les articles L. 2232-12, L. 2121-1 et L. 2122-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article L. 2122-2 du code du travail, dans l'entreprise ou l'établissement, sont représentatives à l'égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels leurs règles statutaires leur donnent vocation à présenter des candidats les organisations syndicales catégorielles affiliées à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale qui satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique dans ces collèges, quel que soit le nombre de votants.
8. Aux termes de l'article L. 2232-12, premier et deuxième alinéas, du même code, la validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants. Si cette condition n'est pas remplie et si l'accord a été signé à la fois par l'employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des élections mentionnées au premier alinéa, quel que soit le nombre de votants, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages disposent d'un délai d'un mois à compter de la signature de l'accord pour indiquer qu'elles souhaitent une consultation des salariés visant à valider l'accord. Au terme de ce délai, l'employeur peut demander l'organisation de cette consultation, en l'absence d'opposition de l'ensemble de ces organisations.
9. La Cour de cassation juge (Soc., 31 mai 2011, pourvoi n° 10-14.391, Bull. 2011, V, n° 134) qu'un syndicat représentatif catégoriel peut, avec des syndicats représentatifs intercatégoriels, et sans avoir à établir sa représentativité au sein de toutes les catégories de personnel, négocier et signer un accord d'entreprise intéressant l'ensemble du personnel, son audience électorale, rapportée à l'ensemble des collèges électoraux, devant alors être prise en compte pour apprécier les conditions de validité de cet accord.
10. Il en résulte que, lorsqu'un accord n'a pas été signé par des organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, un syndicat représentatif catégoriel ayant signé un tel accord peut demander, avec un ou plusieurs syndicats représentatifs intercatégoriels l'ayant également signé, une consultation des salariés visant à le valider, à la condition que ces organisations syndicales représentatives aient recueilli ensemble au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur des syndicats représentatifs, tous collèges confondus.
11. Après avoir constaté que la fédération CFE-CGC, syndicat catégoriel d'encadrement a obtenu lors des élections professionnelles de février 2023 51,65 % des suffrages exprimés au sein du collège cadres et a ainsi atteint le seuil de 10 % au sein de ce collège, c'est à bon droit que le tribunal retient que la fédération CFE-CGC est représentative au sein de la société Codirep.
12. Ayant ensuite constaté que la fédération CFE-CGC, syndicat catégoriel a signé l'accord collectif intercatégoriel avec les fédérations CFTC et CGT, syndicats intercatégoriels et que les fédérations CFTC et CFE-CGC avaient respectivement recueilli 23,79 % et 7,56 % des suffrages au niveau de l'entreprise, le tribunal en a déduit exactement que le seuil de 30 % des suffrages exprimés requis par l'article L. 2232-12, deuxième alinéa, du code du travail avait été atteint, de sorte que ces organisations syndicales pouvaient demander une consultation des salariés visant à valider l'accord.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
14. La fédération CFDT et Mme [X] font le même grief au jugement, alors « que la consultation des salariés se déroule dans le respect des principes généraux du droit électoral ; qu'à ce titre, la question posée doit satisfaire à la double exigence de loyauté et de clarté de la consultation et ne doit pas comporter d'équivoque, et les salariés doivent être effectivement éclairés sur la portée de leur vote ; qu'il ressort des énonciations du jugement attaqué d'une part que la question soumise à consultation était ainsi libellée : approuvez-vous l'accord NAO dans son entièreté ?", d'autre part que certaines des mesures prévues par cet accord étaient d'ores et déjà appliquées unilatéralement par l'employeur, ce dont il résulte que les salariés pensaient se prononcer sur l'approbation de l'entièreté de l'accord alors qu'il ne s'agissait en réalité que d'en approuver une partie sans que cela puisse emporter suppression des mesures d'augmentations individuelles qui leur étaient appliquées par décision unilatérale de l'employeur ; qu'en jugeant néanmoins une telle consultation régulière, le tribunal judiciaire a violé l'article L. 2232-12 du code du travail. »
Réponse de la Cour
15. Le jugement constate d'abord que, s'il est exact que certaines des mesures prévues par l'accord étaient déjà appliquées dès les paies d'avril et mai 2023 unilatéralement par l'employeur, cela ne remet pas en cause l'objet même de la consultation puisque l'accord NAO porte sur une pluralité de mesures, ensuite que la société Codirep justifie avoir informé les salariés consultés sur les mesures qui avaient déjà été mises en place par l'employeur et celles sur lesquelles l'accord des salariés était nécessaire pour être mises en place et qu'il n'est donc pas démontré par la fédération CFDT et Mme [X] que les salariés ont été induits en erreur quant à l'enjeu de la question qui leur était posée, enfin que la fédération CFDT a pu faire part de ses critiques sur la question posée, auprès des salariés, par la diffusion de tracts.
16. Le tribunal judiciaire qui, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, a estimé que les modalités de la consultation n'étaient pas déloyales, en a déduit à bon droit que l'accord négocié avait été validé par la consultation des salariés du 9 juin 2023.
17. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.




Crim. 22 janvier 2025 n° 23-85.709 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° N 23-85.709 F-B
N° 00072

GM 22 JANVIER 2025

REJET

M. BONNAL président,




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 JANVIER 2025

M. [D] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-5, en date du 13 septembre 2023, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 11 janvier 2023, pourvoi n° 22-81.750), pour association de malfaiteurs en récidive, l'a condamné à onze ans d'emprisonnement, une amende de 15 000 euros, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, cinq ans d'interdiction de séjour, une confiscation, et a fixé la durée de la période de sûreté aux deux tiers de celle de la peine.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [D] [X], et les conclusions de M. Fusina, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans une procédure suivie des chefs d'assassinat en bande organisée, association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime, infractions à la législation sur les armes, recel aggravé et usage de fausse plaque d'immatriculation, M. [D] [X] a présenté une requête en nullité de pièces de procédure qui a été rejetée par la chambre de l'instruction, par arrêt du 15 janvier 2018. Il a formé, contre cette décision, un pourvoi en cassation, dont l'examen immédiat a été refusé par une ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 20 avril 2018.
3. Par arrêt du 14 novembre 2019, la chambre de l'instruction a notamment ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel de M. [X] pour association de malfaiteurs.
4. Par jugement du 18 mars 2021, le tribunal correctionnel a condamné M. [X] pour association de malfaiteurs en récidive à onze ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, 15 000 euros d'amende et une confiscation.
5. Le prévenu a relevé appel et le ministère public a formé appel incident.
6. Par arrêt en date du 26 janvier 2022, la cour d'appel a condamné le prévenu, pour association de malfaiteurs en récidive, à onze ans d'emprisonnement, 15 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, cinq ans d'interdiction de séjour, une confiscation et a fixé la durée de la période de sûreté aux deux tiers de celle de la peine.
7. Par arrêt du 11 janvier 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé les arrêts susvisés, en date des 15 janvier 2018 et 26 janvier 2022, en leurs seules dispositions relatives à M. [X]. Elle a renvoyé la cause devant la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel, pour qu'il soit statué tant sur le moyen de nullité qui avait été proposé devant la chambre de l'instruction que sur le fond.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de la mesure de géolocalisation du véhicule de M. [X], alors :
« 1°/ que la méconnaissance des dispositions de l'article 230-34 du code de procédure pénale, qui subordonnent à une décision écrite du juge d'instruction ou du procureur de la République la pose d'un matériel destiné à la localisation en temps réel qui implique l'introduction dans un lieu privé destiné ou utilisé à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel, ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans de tels lieux, est constitutive d'une nullité d'ordre public à laquelle les dispositions de l'article 802 dudit code sont étrangères ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité de l'opération de pose de la balise sur le véhicule Peugeot 407 de M. [X], qui était stationné dans l'enceinte d'un ensemble immobilier en copropriété, en dépit de l'absence d'autorisation écrite du procureur de la République, que la nullité invoquée n'étant pas d'ordre public, elle suppose la preuve d'un grief, non rapportée en l'espèce, la cour d'appel a méconnu les articles 230-34 et 802 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du même code ;
2°/ en tout état de cause que la méconnaissance de l'article 230-34 du code de procédure pénale fait nécessairement grief à la personne qu'elle concerne ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité de l'opération de pose de la balise, que M. [X] ne caractérisait pas en quoi la pose de la balise aurait constitué une atteinte à sa vie privée, la cour d'appel a méconnu les articles 8 de la convention européenne des droits de l'homme, 230-34 et 802 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du même code. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter l'exception de nullité du procès-verbal relatant l'opération de pose d'une balise de géolocalisation sur le véhicule de M. [X] ainsi que des actes subséquents, l'arrêt attaqué retient, d'abord, que la géolocalisation a été autorisée dans des conditions régulières au regard des dispositions des articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale.
11. Les juges constatent que la mise en place du dispositif sur le véhicule de M. [X], alors garé sur le parking de sa résidence, constituant un lieu privé, a été faite sans autorisation spécifique, en méconnaissance des dispositions de l'article 230-34 du code précité. Ils en concluent que l'opération est irrégulière.
12. Ils ajoutent que la nullité invoquée n'est pas d'ordre public et qu'il appartient à M. [X], qui a intérêt et qualité pour la solliciter, de démontrer le grief qu'il a subi.
13. Ils relèvent qu'il n'existe pas de grief nécessaire, l'introduction dans un lieu privé tel que ce parking n'étant pas synonyme d'une atteinte effective à la vie privée.
14. Ils retiennent encore que la pose de la balise n'a pas nécessité de s'introduire dans le véhicule, que l'adresse du domicile de l'intéressé était connue auparavant, et que le véhicule était stationné sur un parking aérien, visible de l'extérieur.
15. Ils précisent que M. [X] ne démontre pas, comme cela lui incombe, l'atteinte effective portée à sa vie privée.
16. En prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
17. En effet, les dispositions de l'article 230-34, alinéa 1er, du code de procédure pénale, qui soumettent à autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction l'introduction dans un lieu privé destiné ou utilisé à l'entrepôt notamment de véhicules, ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans un tel lieu, afin de mettre en place ou de retirer un moyen technique de géolocalisation, ont pour objet la protection de la vie privée.
18. Leur méconnaissance ne constitue pas une nullité d'ordre public, mais une nullité d'ordre privé, qui ne cause pas nécessairement grief à la personne concernée. Il s'en déduit qu'en cas de non-respect de ces dispositions, il appartient au requérant d'établir qu'une telle irrégularité lui a causé effectivement un grief.
19. Ainsi, le moyen est infondé.
20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.




Soc. 22 janvier 2025 n° 23-22.216 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
JL10


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 22 janvier 2025



Rejet

M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président


Arrêt n° 71 F-B
Pourvoi n° Y 23-22.216



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
1°/ Le syndicat CFE-CGC Orange, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ Mme [S] [F], domiciliée [Adresse 4],
3°/ M. [J] [Z], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° Y 23-22.216 contre le jugement rendu le 30 octobre 2023 par le tribunal de proximité de Vanves (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant à la société Orange, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Arsac, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat du syndicat CFE-CGC Orange, de Mme [F] et de M. [Z], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Orange, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Arsac, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de proximité de Vanves, 30 octobre 2023), le 21 novembre 2019 s'est tenu le premier tour des élections professionnelles au sein de l'unité économique et sociale Orange, composée des sociétés Orange et Orange Caraïbe.
2. Par courriel du 18 juillet 2023, le syndicat CFE-CGC Orange (le syndicat) a informé les sociétés Orange et Orange Caraïbe, aux droits desquelles vient la société Orange (la société), de la désignation de Mme [F] et de M. [Z] en qualité de délégués syndicaux de l'établissement distinct Direction Orange innovation (DO innovation).
3. Ces salariés n'avaient pas été candidats au premier tour des élections professionnelles.
4. Par requête du 31 juillet 2023, les sociétés Orange et Orange Caraïbe ont saisi le tribunal de proximité aux fins d'annulation de ces désignations.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Les salariés font grief, avec le syndicat, au jugement d'annuler leur désignation en qualité de délégués syndicaux CFE-CGC de l'établissement « DO innovation » de l'unité économique et sociale Orange, alors :
« 1°/ qu'en application de l'article L. 2143-3, alinéa 2, du code du travail, lorsque tous les élus ou tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou d'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique ; que cette renonciation doit être antérieure à la désignation par l'organisation syndicale de l'un de ses adhérents ou de l'un de ses anciens élus en qualité de délégué syndical ; que pour annuler les désignations de Mme [F] et de M. [Z] en qualité de délégués syndicaux, le jugement retient que s'il est établi que les 28 candidats du syndicat CFE-CGC Orange, susceptibles d'être désignés en priorité délégués syndicaux, ont renoncé à leur droit de priorité avant le premier tour des élections professionnelles organisées le 21 novembre 2019, ces renonciations ne peuvent être considérées comme valables dès lors qu'elles ont été faites avant que le droit soit né, qu'elles n'ont pas été confirmées après le premier tour des élections professionnelles leur ayant conféré effectivement le droit de priorité et qu'elles apparaissent liées, en raison de leur caractère systémique, à l'acte de candidature aux élections professionnelles ; qu'en statuant ainsi quand la renonciation peut porter sur un droit non encore acquis et qu'il avait constaté que tous les candidats du syndicat CFE-CGC Orange, remplissant les conditions de score personnel de 10 %, avaient préalablement renoncé à la possibilité d'être désigné délégué syndical ce dont il résultait que le syndicat pouvait désigner deux de ses adhérents en qualité de délégués syndicaux, le tribunal, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 2143-3 du code du travail ;
2°/ qu'eu égard aux travaux préparatoires à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, la mention de l'article L. 2143-3, alinéa 2, selon laquelle si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33", doit être interprétée en ce sens que lorsque tous les élus ou tous les candidats qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique ; qu'en jugeant que la renonciation des candidats présentés aux dernières élections professionnelles par le syndicat CFE-CGC Orange devait, pour être valable, intervenir après le premier tour des élections, le tribunal, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé l'article L. 2143-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. L'article L. 2143-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique. Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa de ce texte, ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33.
7. Un salarié ne peut par avance renoncer au droit d'être désigné délégué syndical qu'il tient des dispositions d'ordre public de l'article L. 2143-3 du code du travail lorsqu'il a obtenu un score électoral d'au moins 10 %.
8. Le tribunal, après avoir relevé que la totalité des vingt-huit candidats du syndicat avaient renoncé à leur droit de priorité avant même le premier tour des élections et qu'aucun d'entre eux n'avait confirmé cette renonciation après le premier tour, en a exactement déduit que ces renonciations n'étaient pas valables, de sorte que les désignations litigieuses devaient être annulées.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.




Crim. 22 janvier 2025 n° 24-82.364 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 24-82.364 F-D
N° 00061

GM 22 JANVIER 2025

ANNULATION PARTIELLE

M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 JANVIER 2025


M. [P] [B] et Mme [Y] [B], parties civiles, ont formé un pourvoi contre la décision du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 20 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre M. [Z] [L] des chefs de viol et agression sexuelle, aggravés, enregistrement et détention d'images pédo-pornographiques, a rejeté leur demande de communication de pièces du dossier.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [P] [B], Mme [Y] [B], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une information a été ouverte des chefs susvisés.
3. M. [P] [B] et Mme [Y] [B], grands-parents de [X] [B], victime des faits poursuivis, se sont constitués partie civile.
4. Leur avocat a sollicité l'autorisation de leur communiquer diverses pièces du dossier de la procédure.
5. Par ordonnance du 15 mars 2024, le juge d'instruction a rejeté cette demande.
6. M. et Mme [B] ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fait droit à la demande de communication des seules pièces B2 à B5, B15 à B23 et V1 à V21 et a rejeté la demande de remise aux époux [B] de la reproduction des cotes B1, B6 à B14, B24 à B37, Ca1 à Ca87, D1 à D456, alors :
« 1°/ que lorsque la copie du dossier de l'information a été demandée par l'avocat, celui-ci doit, le cas échéant, donner connaissance au juge d'instruction, par déclaration à son greffier ou par lettre ayant ce seul objet et adressée en recommandé avec accusé de réception, de la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client ; qu'en relevant, pour rejeter la demande de communication de la copie des pièces D1 à D456 formulée par le conseil des époux [B], parties civiles, que la liste des pièces communiquées aux parties ne peut consister en l'intégralité de la cote D et inventaire du dossier d'information et qu'il appartient au conseil des parties de lister précisément les pièces de la cote D dont il sollicite la communication cependant que le conseil des époux [B] a sollicité du juge d'instruction la remise de la reproduction des cotes D1 à D456 et que l'indication de numéros de cotes d'un dossier d'instruction constitue bien une liste de pièces ou actes, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs ;
2°/ que l'alinéa 7 de l'article 114 du code de procédure pénale n'interdit pas au conseil d'une partie de solliciter la remise de la reproduction de la totalité des pièces cotées D au dossier d'instruction, pourvu qu'elles soient numérotées, ni n'impose au conseil de ne solliciter que quelques pièces cotées D ; qu'en rejetant la demande du conseil des époux [B] au motif qu'il a sollicité la remise de la totalité des pièces de la cote D, dont il a précisé les numéros dans sa demande, le président de la chambre de l'instruction a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et a excédé ses pouvoirs ;
3°/ que le seul motif de rejet total ou partiel d'une demande de communication de copies de pièces du dossier d'information qui est prévu par la loi est le risque de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure ; qu'en retenant, pour s'opposer à la demande de remise de la reproduction des cotes B1, B6 à B14 et B24 à B37, que seules les pièces B2 à B5 et B15 à B23 peuvent recevoir un intérêt procédural pour les parties civiles, le président de la chambre de l'instruction, qui n'a pas justifié sa décision au regard du seul motif de rejet prévu par la loi, a excédé ses pouvoirs ;
4°/ que le seul motif de rejet total ou partiel d'une demande de communication de copies de pièces du dossier d'information qui est prévu par la loi est le risque de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure ; qu'en fondant son refus de faire droit à la demande de communication aux parties civiles des pièces de la cote C relatives au contrôle judiciaire et à la détention provisoire des mis en examen sur l'absence de droit des parties de contester l'octroi de ces statuts, le président de la chambre de l'instruction, qui a invoqué un motif de rejet non prévu par la loi, a excédé ses pouvoirs ;
5°/ que le risque de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure, susceptible de justifier le rejet d'une demande de transmission de la copie de pièces du dossier à une partie, doit être caractérisé concrètement ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande de remise aux parties civiles des copies des pièces de la cote C, à affirmer un risque abstrait de pression sans mieux justifier en quoi les époux [B], qui ont déjà connaissance du contenu du dossier par leur avocat et peuvent le consulter, pourraient exercer des pressions, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs ;
6°/ qu'en relevant l'existence d'un risque de pression « sur les mis en examen » cependant qu'il était saisi d'une demande présentée dans le cadre de la procédure n° 123/5 qui concerne un seul mis en examen M. [Z] [L] et que l'ordonnance mentionne à tort en première page le numéro de procédure « 123/6 » et « la procédure suivie au tribunal judiciaire d'Angoulême (cabinet de [T] [I]) contre [U] [G], [K] [A] et [J] [M] des chefs de viol sur mineur de 15 ans, agression sexuelle sur mineur de 15 ans » et autres infractions, le président de la chambre de l'instruction, qui a apprécié le risque de pression au regard de mis en examen qui sont concernés par une autre procédure (123/6) dans le cadre de laquelle, au demeurant, il a été fait intégralement droit à la demande de remise des pièces des parties civiles le 6 mars 2024, a excédé ses pouvoirs ;
7°/ qu'en n'explicitant pas pour quels motifs les époux [B], qui ont reçu intégralement copie du dossier d'information n° 123/6, dans lequel ils sont constitués également parties civiles pour des faits de viol et d'agression sexuelle sur la personne de leur petit-fils [X], du fait de l'ordonnance rendue par le président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux en date du 6 mars 2024, ne devaient pas avoir accès à la copie du dossier d'information n° 123/5, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
8. Les demandeurs ne sauraient soutenir que le président de la chambre de l'instruction aurait excédé ses pouvoirs en leur refusant la remise, par leur avocat, de la copie des pièces de la cote relative à la détention provisoire et au contrôle judiciaire de la personne poursuivie, dès lors que ce refus est fondé sur l'existence d'un risque de pression, motif prévu par l'article 114, alinéa 9, du code de procédure pénale.
9. Ainsi, les griefs ne peuvent être accueillis.
Sur le moyen, pris en ses sixième et septième branches
10. Une erreur matérielle, portant sur le numéro d'enregistrement d'une procédure, et la teneur d'une décision prise sur une demande de communication de copies de pièces dans une procédure distincte ne peuvent caractériser un risque d'excès de pouvoir qui entacherait la décision attaquée.
11. Ainsi, les griefs ne peuvent être accueillis.
Mais sur le moyen, pris en ses trois premières branches
Vu l'article 114, alinéas 8 à 10, du code de procédure pénale :
12. Selon ce texte, l'avocat qui souhaite communiquer à son client une reproduction de la copie de la procédure d'information doit en informer le juge d'instruction et lui indiquer la liste des pièces concernées. Le juge d'instruction peut s'opposer à cette communication par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les parties à la procédure ou les personnes qui y concourent. Sa décision est susceptible de recours devant le président de la chambre de l'instruction qui statue par une ordonnance non susceptible de recours, sauf si elle fait apparaître un risque d'excès de pouvoir. Tel est le cas lorsque le président de la chambre de l'instruction ne justifie pas le refus de communication d'une pièce de la procédure par un risque de pression qu'il doit caractériser.
13. Pour rejeter la demande de l'avocat tendant à la communication à ses clients, parties civiles, de la reproduction de pièces de la procédure figurant à la cote des pièces de fond, intitulée cote D, la décision attaquée énonce qu'une telle demande doit comporter la liste des pièces concernées et ne peut porter, sans distinction, sur l'intégralité de la cote de fond de la procédure.
14. Pour rejeter cette même demande en ce qu'elle vise certaines pièces de procédure, figurant à la cote des pièces de renseignements de personnalité, intitulée cote B, le juge ajoute que seules certaines des pièces figurant à cette cote présentent un intérêt pour les parties civiles.
15. En refusant ainsi la communication de pièces de la procédure aux parties civiles, pour des motifs étrangers au risque de pression sur les témoins, les victimes, les personnes qui sont parties à la procédure ou qui y concourent, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs.
16. L'annulation est, dès lors, encourue. Elle interviendra avec renvoi et portera sur le seul refus de communication des pièces des cotes B et D dont la copie a été sollicitée.




Soc. 22 janvier 2025 n° 23-17.782 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 22 janvier 2025



Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président


Arrêt n° 77 F-B
Pourvoi n° D 23-17.782
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
1°/ La fédération des employés et cadres Force ouvrière, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ le comité social et économique de la Caixa Geral de Depositos, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° D 23-17.782 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige les opposant à la société Caixa Geral de Depositos (CGD), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la fédération des employés et cadres Force ouvrière et du comité social et économique de la Caixa Geral de Depositos, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte au comité social et économique de la Caixa Geral de Depositos du désistement de son pourvoi, de sorte que la Cour n'est plus saisie du 3ème moyen du mémoire ampliatif déposé par la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mars 2023), la société Caixa Geral de Depositos (la société), détenue à 100 % par l'Etat portugais, est implantée en France sous la forme d'une succursale comprenant un siège et quarante-huit agences employant environ 540 salariés.
3. A la suite de projets de restructuration, des salariés ont exercé leur droit de grève du 17 avril au 30 juin 2018.
4. Estimant que la grève était consécutive à une faute de l'employeur, lequel, en refusant de donner aux représentants du personnel les informations nécessaires sur les dangers qui pesaient sur la succursale française, aurait « généré un stress et une angoisse intense des salariés » les contraignant à faire une grève de longue durée, la fédération des employés et cadres Force ouvrière (le syndicat FEC-FO) et les salariés grévistes ont demandé à l'employeur de régler les salaires afférents aux jours de grève.
5. A la suite du refus de l'employeur, le syndicat FEC-FO a assigné ce dernier, par acte du 21 mai 2021, devant le tribunal judiciaire aux fins de lui ordonner de régulariser la situation de ses salariés ou anciens salariés ayant participé à la grève qui s'est déroulée du 17 avril au 30 juin 2018 en leur versant le salaire dont ils ont été privés du fait de leur participation à la grève, ainsi que les primes de garderie ou de scolarité, et de le condamner à verser au syndicat FEC-FO une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le syndicat FEC-FO fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande tendant à la régularisation de la situation des salariés ou anciens salariés ayant participé à la grève qui s'est déroulée du 17 avril 2018 au 30 juin 2018 en leur versant le salaire et les primes de garderie ou de scolarité dont ils ont été privés du fait de leur participation à cette grève, alors « qu'il résulte l'article L. 2132-3 du code du travail qu'un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à une situation illicite ; qu'il en résulte qu'il est recevable à voir ordonner à l'employeur de régulariser la situation de salariés ayant participé à une grève menée en réaction au comportement fautif de l'employeur en leur versant les rappels de salaire et de primes dont ils ont été privés à raison de cette grève, dès lors que cette action ne tend pas à la constitution de droits déterminés au profit de salariés nommément désignés ; qu'en déclarant irrecevable la demande de la fédération syndicale tendant à ce qu'il soit enjoint à la société CGD de régulariser la situation des salariés qui ont fait grève durant la période du 17 avril au 30 juin 2018 en réaction au comportement fautif de leur employeur en procédant à des rappels de salaire et de primes de garderie et de scolarité dont ils ont été privés à cette occasion, quand cette demande ne visait pas à la reconstitution de droits déterminés au profit de salariés nommément désignés, la cour d'appel a violé les articles L. 2132-3 et L. 2262-12 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
8. Il en résulte que si un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d'égalité de traitement et demander, outre l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte, il ne peut prétendre obtenir du juge qu'il condamne l'employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts.
9. Ayant relevé que le syndicat FEC-FO sollicitait la condamnation de l'employeur à régulariser la situation de ses salariés ou anciens salariés ayant participé à la grève qui s'est déroulée du 17 avril au 30 juin 2018 en leur versant le salaire dont ils ont été privés du fait de leur participation à la grève, ainsi que les primes de garderie ou de scolarité, la cour d'appel en a déduit à bon droit que cette action ne relevait pas de la défense de l'intérêt collectif mais de l'intérêt individuel de chacun des salariés concernés, peu important qu'ils n'aient pas été nommément désignés.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. Le syndicat FEC-FO fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande tendant au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession, alors « qu'il résulte de l'article L. 2132-3 du code du travail que les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; qu'un litige est de nature à affecter l'intérêt collectif de la profession dès lors qu'il concerne l'exercice du droit de grève ; qu'en déclarant irrecevable la demande du syndicat exposant tendant au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession résultant de la faute commise par l'employeur, à l'origine de la grève menée au sein de l'entreprise du 17 avril au 30 juin 2018, ayant consisté à tenir au personnel et ses représentants des déclarations mensongères sur un projet de vente de sa succursale française et avoir refusé de leur communiquer les informations utiles pour les éclairer sur ce projet, la cour d'appel a violé l'article L. 2132-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 2132-3 du code du travail :
12. Aux termes de ce texte, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
13. Dans le cas où les salariés se trouvent dans une situation contraignante telle qu'ils ont été obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d'un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, celui-ci peut être condamné à payer aux salariés grévistes une indemnité correspondant à la perte de salaire.
14. Pour déclarer irrecevable la demande du syndicat FEC-FO de condamnation de l'employeur à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession, l'arrêt retient que l'action du syndicat tend à réparer le préjudice individuel des salariés grévistes qui trouverait sa source dans le comportement fautif de l'employeur qui aurait contraint les organisations syndicales à appeler les salariés à faire grève, et non pas à réparer le préjudice qui résulterait d'une atteinte au droit de grève.
15. En statuant ainsi, alors que l'action engagée par un syndicat afin de faire juger que les salariés se trouvaient dans une situation contraignante telle qu'ils ont été obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d'un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, constitue une action engagée dans l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel a violé le texte susvisé.




Soc. 22 janvier 2025 n° 24-40.030 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
COUR DE CASSATION


JL10

______________________
QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITÉ ______________________




Audience publique du 22 janvier 2025



NON-LIEU A RENVOI

M. SOMMER, président


Arrêt n° 151 FS-B
Affaire n° H 24-40.030

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025

Le conseil de prud'hommes de Carcassonne (section encadrement) a transmis à la Cour de cassation, suite au jugement rendu le 13 novembre 2024, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 21 novembre 2024, dans l'instance mettant en cause :
d'une part,
la société Lidl, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1],
d'autre part,
M. [O] [K], domicilié [Adresse 2].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Lidl, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Laplume, Rodrigues, Segond, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. M. [K] a été engagé en qualité de chef de magasin par la société Lidl le 3 mars 2014, puis promu le 5 mars 2018 directeur de magasin.
2. Le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie du 2 décembre 2021 au 11 octobre 2022, date de son licenciement.
3. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 9 novembre 2023, afin de solliciter la condamnation de son employeur à lui payer des rappels de salaire au titre des congés payés dus pendant son arrêt de travail pour maladie.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
4. Par jugement du 13 novembre 2024, le conseil de prud'hommes de Carcassonne a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Ordonne la transmission du mémoire présenté par la société Lidl à la Cour de cassation afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions de l'article 37 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 et les arrêts du 13 septembre 2024 [2023] rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation sous les pourvois n° 22-17.340 à 22-17.242, 22-17.638, 22-17.529 et 22-11.106 portant sur le régime des congés payés sont contraires aux dispositions des articles 2, 4, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et de l'article 3 de la Constitution de 1958. »
5. Devant la Cour, la société Lidl demande que soit posée la question suivante :
« Les dispositions des I et II de l'article 37 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 ainsi que celles des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail, telles qu'interprétées de façon constante par la Cour de cassation, sont-elles conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de la liberté d'entreprendre, à la garantie des droits et au principe de souveraineté nationale ? »
6. Si la question peut être reformulée par le juge à l'effet de la rendre plus claire ou de lui restituer son exacte qualification, il ne lui appartient pas d'en modifier l'objet ou la portée, de sorte que ne peuvent être examinés ni le grief d'inconstitutionnalité des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail, tels qu'interprétés de façon constante par la Cour de cassation, ni la méconnaissance par les dispositions contestées du principe de la liberté d'entreprendre, à la garantie des droits et au principe de souveraineté nationale qui n'ont pas été soumis au conseil de prud'hommes.
7. Il y a donc lieu pour la Cour de cassation de se prononcer sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité telle qu'elle a été posée par la juridiction qui la lui a transmise et soulevée dans le mémoire distinct produit devant celle-ci.
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
8. La disposition contestée est applicable au litige.
9. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
10. Cependant, si tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la Cour suprême compétente, il n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante relative à l'article 37 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, les jurisprudences visées par la question ne portant pas sur cette disposition législative.
11. La question prioritaire de constitutionnalité est donc, sur ce point, irrecevable.
12. Par ailleurs, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
13. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que l'article 37 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, se borne à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux et ne met en cause aucune règle ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.
14. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.




Crim. 21 janvier 2025 n° 23-81.543 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 23-81.543 F-B N° 00053
ODVS 21 JANVIER 2025 CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 21 JANVIER 2025


M. [T] [R] et la société [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 4 novembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre eux des chefs de travail dissimulé et prêt illicite de main-d'oeuvre, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. [T] [R] et la société [1], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF du Limousin, et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre, la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l'issue d'une information, la société [1] et son gérant, M. [T] [R], ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs précités.
3. Par arrêt du 19 mai 2022, devenu définitif, la cour d'appel, confirmant partiellement le jugement, a, notamment, déclaré les prévenus coupables de faits de travail dissimulé et de prêt illicite de main-d'oeuvre, et renvoyé l'affaire sur intérêts civils.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en ses première à troisième branches
4. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat, sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche, et sur le troisième moyen
Enoncés des moyens
5. Le moyen relevé d'office est pris de la violation des articles 1240 du code civil, 2 et 3 du code de procédure pénale.
6. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné les prévenus à verser la somme de 364 777 euros au titre des annulations d'exonération de charges alors :
« 5°/ que seul le préjudice direct et personnel résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en prenant en considération, dans l'évaluation du préjudice de l'Urssaf, l'annulation des exonérations de cotisations dont ont bénéficié les trois sociétés sous-traitantes, cependant qu'une telle annulation ne constitue pas une composante du préjudice de l'Urssaf mais une simple sanction administrative qu'il appartient à l'Urssaf de mettre directement en oeuvre, la cour d'appel a méconnu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale. »
7. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné les prévenus à verser la somme de 138 754 euros au titre des annulations d'exonération de charges de la société [1] alors « que seul le préjudice direct et personnel résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en considérant que l'exonération de cotisations dont ont bénéficié la société [1] et sn gérant, au titre des années 2014 et 2015, causait nécessairement un préjudice à l'Urssaf, cependant qu'une telle annulation ne constitue pas une composante de son préjudice mais une simple sanction administrative qu'il appartient à l'Urssaf de mettre directement en oeuvre, la cour d'appel a méconnu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1240 du code civil, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale:
8. Il résulte du premier de ces textes que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
9. Il résulte des deux suivants que le droit à réparation appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage, matériel ou moral, découlant des faits, objet de la poursuite.
10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour condamner M. [R] et la société [1] à verser diverses sommes à l'URSSAF, l'arrêt attaqué énonce que la partie civile a procédé au calcul des cotisations éludées au regard du nombre de salariés et des heures non déclarées en y appliquant les majorations et pénalités légales.
12. En se déterminant ainsi, alors qu'en cas de constat de l'infraction de travail dissimulé, les majorations du montant du redressement des cotisations et contributions sociales prévues à l'article L. 243-7-7 du code de la sécurité sociale, les suppressions des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations et contributions de sécurité sociale prévues par l'article L. 133-4-2 dudit code et les pénalités prévues par les articles R. 243-12 et R. 243-13 dudit code revêtent le caractère d'une punition, et ne peuvent, à ce titre, à la différence des intérêts de retard et de la majoration principale de 5 % prévue par l'article R. 243-16, I, du même code, qui indemnisent un préjudice, entrer dans l'évaluation du dommage subi par l'URSSAF, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième grief.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation à intervenir ne concerne que le montant des sommes allouées à l'URSSAF au titre de son préjudice. Les autres dispositions seront donc maintenues.




Crim. 21 janvier 2025 n° 22-87.145 B

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 22-87.145 FS-B+R
N° 00003

LR 21 JANVIER 2025

CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI

M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 21 JANVIER 2025


MM. [NL] [XG], [ZL] [FS], Mmes [SI] [CL], épouse [VE], et [OS] [YM], ainsi que Mme [HM] [GI], partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 30 septembre 2022, qui, pour harcèlement moral, a condamné les deux premiers à un an d'emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d'amende et une confiscation, et, pour complicité de harcèlement moral, la troisième à six mois d'emprisonnement avec sursis et une confiscation, la quatrième à trois mois d'emprisonnement avec sursis et une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [ZL] [FS], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [NL] [XG], les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mme [SI] [CL], épouse [VE], les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [OS] [YM], les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme [HM] [GI], les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de MM. [EY] et [HU] [BC], Mme [UI] [H], épouse [BC], Mmes [VL] et [TE] [BC], les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération [5], l'Union [15], Mmes [Y] [HW], [ZT] [PL], M. [R] [PL], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat du syndicat [1], M. [UK] [SN], Mme [ZB] [LY], épouse [XT], la fédération [2], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du Syndicat [10], l'Union [13], Association [6], la Fédération [3], la Fédération [14], la Fédération [4], Mmes [CX] [E], [UI] [D], [PT] [Z], [EL] [V], [IP] [BZ] [N], [NN] [J], [SI] [DT], [RO] [FA], [BF] [VR], [TY] [EG], [VC] [WS], [PG] [ZN], [MD] [UP], [TA] [GN], [FU] [MF] épouse [FW], [GD] [MF], [NR] [YU], [FF] [SV], [TR] [FH], [L] [YZ], [IX] [PV], [NB] [LL], [I] [FM], [VC] [AM], [GB] [BI], épouse [MF], [TR] [IB], [JH] [YS], [I] [IV], [RM] [HJ], [OS] [YH], [LR] [ZV], [TW] [XR], [GP] [CU], [BK] [F], épouse [VW], [L] [OO], [UZ] [MA], [CG] [SG], [TR] [XN], [T] [RJ], [TW] [JL], épouse [EK], [NY] [WU], [IK] [ZY], [HH] [DD], [GX] [LW], [WM] [IS], [FU] [VO], [TW] [YD], [GD] [MP], épouse [TO], MM. [YO] [K], [OA] [U], [UB] [G], [KZ] [O], [KS] [B], [UB] [JJ], [NG] [LE], [KB] [NT], [FO] [GV], [KI] [TC], [RA] [BH], [XY] [UX], [P] [HO], [KB] [PN], [OA] [MZ], [KF] [KD], [KB] [RH], [RU] [WK], [ID] [AE], [KB] [MS], [KP] [AK], [JO] [OM], [ZE] [VY], [CM] [TJ], [VJ] [YF], [YO] [BN], [W] [MF], [IG] [JR], [KB] [KX], [YO] [AD], [PI] [ET], [XL] [HC], [YK] [CY], [KF] [JW], [UB] [EN], [ZG] [WZ], [NE] [XE], [SB] [PB], [IV] [DG], [RW] [MK], [FC] [WF], [RF] [SX], [WX] [RC], [SP] [EH], [RW] [IV], [JC] [OH], [FO] [LT], [GG] [JE], [NL] [JY], [XL] [DA], [WX] [DY], [YO] [EV], [DM] [LJ], [W] [SD], [IN] [MU], [HA] [AZ], [KB] [EB], [XL] [VT], [JC] [TH], [ID] [US], [WX] [KF], [AP] [EE], [JO] [MX], [VJ] [AU], [ZG] [HR], [MM] [SG], [JC] [WP], [XL] [PP], [UB] [GT], [H] [NV], [ID] [CA], [M] [LC], [YA] [DV], [UB] [ZI], [DS] [XJ], [AP] [SK], [CS] [LG], [WD] [BW], [BE] [BX], [X] [OK], [II] [EI], [OU] [OW], [P] [DB], [ID] [KM], [KF] [BU],
les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de M. [DS] [AR], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Cavalerie, Seys, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Pradel, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, Mme Sommier, greffier de chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre présent au prononcé,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite de la plainte déposée par le syndicat [12], en décembre 2009, du chef notamment de harcèlement moral contre la société [8] et trois de ses dirigeants, dénonçant les conditions dans lesquelles avaient été mis en oeuvre le plan NExT (« Nouvelle Expérience des Télécoms ») et son volet social, le programme ACT (« Anticipation et Compétences pour la Transformation »), annoncés en 2006, reposant sur une réduction des effectifs à hauteur de 22 000 salariés ou agents (ci-après indifféremment désignés comme salariés ou agents) sur environ 120 000, une information a été ouverte le 8 avril 2010.
3. La société [8], devenue la société [11] le 1er juillet 2013 (ci-après la société [8]), et plusieurs cadres dirigeants, dont le président-directeur général du groupe, M. [NL] [XG], ont été mis en examen, notamment, du chef de harcèlement moral ou complicité de ce délit.
4. Par ordonnance du 12 juin 2018, le juge d'instruction a notamment renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral, commis entre 2007 et 2010, la société [8], M. [XG], ainsi que deux cadres dirigeants de l'entreprise, M. [ZL] [FS], directeur des opérations France au sein de la société [8], directeur exécutif délégué et président de la société [11], et M. [YK] [C], directeur des ressources humaines.
5. Il est reproché à ces prévenus, ainsi qu'à la société [8], d'avoir, entre 2007 et 2010, harcelé notamment trente-neuf salariés nommément désignés par « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail des personnels, susceptible de porter atteinte à leur droit et à leur dignité, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel, en l'espèce en mettant en place, dans le cadre des plans NExT et ACT, une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et agents, à créer un climat professionnel anxiogène, en recourant notamment à des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ, des mobilités géographiques et/ou fonctionnelles forcées, la surcharge de travail, la pression des résultats ou à l'inverse l'absence de travail, un contrôle excessif et intrusif, l'attribution de missions dévalorisantes, l'absence d'accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines, des formations insuffisantes voire inexistantes, l'isolement des personnels, des manoeuvres d'intimidation, voire des menaces et des diminutions de rémunération ».
6. Par la même ordonnance, le juge d'instruction a renvoyé devant le tribunal correctionnel, sous la prévention de complicité du délit de harcèlement moral reproché à la société [8] et aux dirigeants précités, Mme [SI] [CL], épouse [VE], directrice du programme ACT, directrice des ressources humaines France puis directrice adjointe des ressources humaines du groupe, Mme [OS] [YM], directrice des actions territoriales d'opérations France, M. [OF] [UD], directeur des ressources humaines France, et M. [DS] [AR], directeur de la direction territoriale Est puis directeur des ressources humaines France.
7. Il leur est reproché de s'être rendus complices du délit de harcèlement moral, au préjudice notamment des mêmes trente-neuf salariés, en ayant facilité sciemment la préparation et la consommation de celui-ci, par aide et assistance, en l'espèce, notamment, s'agissant de Mme [CL]-[VE], entre 2007 et 2010, « en organisant le suivi strict et concret des réductions d'effectifs, en mettant en place des outils de pression sur les départs tels que les réorganisations laissant des salariés et des agents sans poste, un management par les résultats, en encourageant les procédés visant à créer une instabilité pour les agents et salariés, et en organisant les incitations financières relatives à l'atteinte des objectifs de réduction d'effectifs », et, s'agissant de Mme [YM], entre 2007 et mars 2008, « en organisant le suivi strict et concret des réductions d'effectifs et en pratiquant un mode de management très directif encourageant la pression sur les départs ».
8. De très nombreuses parties civiles se sont constituées, dont Mme [HM] [GI].
9. Par jugement du 20 décembre 2019, le tribunal correctionnel a, sur l'action publique, prononcé des relaxes partielles concernant, d'une part, les faits commis du 1er janvier 2009 à fin 2010, s'agissant de MM. [XG], [FS] et [C] ainsi que Mme [CL]-[VE], d'autre part, ceux commis du 6 mai 2008 à fin 2010 s'agissant de M. [AR], et déclaré les prévenus coupables des délits qui leur étaient reprochés, entre janvier 2007 et décembre 2008, et a prononcé sur les intérêts civils.
10. Les prévenus ont interjeté appel, à l'exception de la société [8]. Le ministère public a interjeté appel incident ainsi que les parties civiles. M. [C] s'est désisté de son appel.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [XG], le deuxième moyen proposé pour M. [FS], le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, et le troisième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposés pour Mme [CL]-[VE], et le troisième moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [YM]
11. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [XG], le premier moyen proposé pour Mme [CL]-[VE], et le troisième moyen proposé pour M. [FS]
Enoncé des moyens
12. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral institutionnel, alors :
« 1°/ que les dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, portent atteinte à la liberté d'entreprendre en ce qu'elles incriminent toute politique d'entreprise ayant simplement pour effet une dégradation des conditions de travail d'autrui, ladite dégradation devant seulement être susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, et aux droits collectifs des travailleurs, en ce qu'elles répriment toute politique syndicale ayant les mêmes effets ; qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et de constater, à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, que l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale au regard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946. »
13. Le moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors « que l'article 222-33-2 du code pénal, tel qu'interprété par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, est contraire au principe de légalité des délits et des peines, au principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, au principe d'interprétation stricte de la loi pénale, à la nécessaire prévisibilité de la loi pénale et au principe de sécurité juridique, garantis par les articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il réprime le harcèlement moral institutionnel commis antérieurement à la décision de la Cour de cassation l'ayant consacré, quand aucun justiciable ne pouvait alors savoir, ni à partir du libellé de l'article 222-33-2, ni à l'aide de l'interprétation qui en était donnée par les tribunaux, ni en recourant à des conseils éclairés, que certains de ses actes ou omissions étaient susceptibles d'engager sa responsabilité pénale et quelle peine il encourait de ce chef ; qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'exposante par mémoire distinct et motivé ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale. »
14. Le moyen proposé pour M. [FS] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, condamné à une peine d'un an d'emprisonnement assortie en totalité du sursis simple, ainsi qu'à une peine d'amende de 15 000 euros et à titre de peine complémentaire à la confiscation des scellés, et sur l'action civile, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevées par tous les prévenus appelants, notamment par M. [FS], confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué, condamné M. [FS], solidairement avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans ce tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dommages et intérêts, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles également mentionnées les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et ajoutant au jugement, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans le tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en cause d'appel, alors « que les dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal sont contraires aux principes de légalité des délits et des peines, d'interprétation stricte de la loi pénale et de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère, garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles répriment le harcèlement moral institutionnel bien que le texte ne dispose rien de tel, que le principe d'interprétation stricte de la loi pénale empêche une interprétation extensive et qu'à supposer même que les deux arrêts de la Cour de cassation des 4 octobre 2016 et 5 juin 2018 puissent constituer des précédents jurisprudentiels, ils ne pouvaient, au regard du principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère, constituer la loi au sens matériel applicable aux faits incriminés pour avoir été rendus postérieurement à la période de prévention et à celle retenue par la cour d'appel allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 ; qu'après renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité de M. [ZL] [FS], par un écrit distinct et motivé, au Conseil constitutionnel, et de la déclaration de non-conformité de ses dispositions à la Constitution qui s'ensuivra, l'arrêt attaqué aura perdu son fondement juridique. »
Réponse de la Cour
15. Les moyens sont réunis.
16. Par arrêts des 5 septembre et 17 octobre 2023, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité posées, d'une part, par M. [XG] et Mme [CL]-[VE], d'autre part, par M. [FS].
17. Il en résulte que les griefs sont devenus sans objet.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et cinquième branches, proposé pour M. [XG], le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [FS], le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen, pris en ses première et cinquième branches, proposés pour Mme [CL]-[VE], et le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [YM]
Enoncés des moyens
18. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral institutionnel, alors :
« 2°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le harcèlement moral ne peut être consommé que dans des relations interpersonnelles entre l'auteur de l'agissement et une ou plusieurs personnes déterminées ; qu'en retenant, pour déclarer M. [XG] coupable de harcèlement moral institutionnel à raison de faits « résultant, non pas de [ses] relations individuelles avec [les] salariés, mais de la politique d'entreprise [que les dirigeants] avaient conçue et mise en oeuvre » (arrêt, p. 127, § 2, alinéa 1), que « les décisions d'organisation prises dans le cadre professionnel peuvent, dans un contexte particulier, être source d'insécurité permanente pour tout le personnel et devenir alors harcelantes pour certains salariés » (arrêt, p. 129, § 1er), quand il ressort de cette analyse qu'elle a appliqué extensivement la loi pénale à des agissements qui n'étaient ni directement imputables au prévenu, ni dirigés contre des fonctionnaires ou des salariés déterminés, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 et 222-33-2 du code pénal ;
5°/ qu'en toute hypothèse, nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; qu'une "politique d'entreprise" constitutive de harcèlement moral institutionnel résulte de la délibération des organes collégiaux d'une société anonyme et ne peut engager la responsabilité pénale que de la personne morale, à l'exclusion de celle des personnes physiques occupant des postes de direction sauf à ce que soient caractérisés, à l'égard de ces dernières, des agissements répétés s'inscrivant dans une relation interpersonnelle avec des salariés déterminés ; qu'en déclarant M. [XG] coupable, comme auteur, du chef de harcèlement moral institutionnel, cependant qu'elle constatait que la politique d'entreprise poursuivie procédait d'« une décision arrêtée au plus haut niveau de pilotage de la société » (arrêt, p. 136, § 1), qu'« il n'exist[ait] aucun lien professionnel direct entre les [...] prévenus personnes physiques » et les plaignants, qu'« ils ne se connaissaient pas et n'[avaient] jamais travaillé ensemble » et que la responsabilité de M. [XG] « repos[ait] [...] sur une décision partagée » (jugement confirmé, p. 100, § 3 ; arrêt, p. 136, § 1) en ce que son « absence ou [son] refus de [...] participation [...] n'aurait pas permis la réalisation du délit » (jugement confirmé, p. 281), ce dont il résultait que seule la société [8] avait des relations directes avec chacun des fonctionnaires et salariés concernés et que, engagée par la délibération collégiale de ses organes, elle pouvait seule être déclarée coupable, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-1, 121-2 et 222-33-2 du code pénal. »
19. Le moyen proposé pour M. [FS] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, condamné à une peine d'un an d'emprisonnement assortie en totalité du sursis simple, ainsi qu'à une peine d'amende de 15 000 euros et à titre de peine complémentaire à la confiscation des scellés, et sur l'action civile, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevées par tous les prévenus appelants, notamment par M. [FS], confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué, condamné M. [FS], solidairement avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans ce tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dommages et intérêts, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles également mentionnées les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et ajoutant au jugement, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans le tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en cause d'appel, alors :
« 1°/ que l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, ne sanctionne pas le « harcèlement moral institutionnel », défini par l'arrêt attaqué comme un harcèlement qui serait le résultat d'agissements répétés pouvant résulter de méthode de gestion ou de management, voire d'une véritable organisation managériale, lesquelles n'avaient pas nécessairement pour objet initial de dégrader les conditions de travail mais, qui ont eu pour objet final ou pour effet, dans leur mise en oeuvre, de dégrader les conditions de travail individuelles et collectives de salariés et d'agents non déterminés d'une entreprise ; qu'il sanctionne des agissements répétés à l'encontre d'une ou de plusieurs personnes déterminées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en décidant néanmoins que la disposition susvisée sanctionnerait le « harcèlement moral institutionnel », la cour d'appel a violé l'article susvisée. »
20. Le deuxième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que la complicité suppose un fait principal punissable ; que la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'est incriminé au titre du harcèlement moral dans le cadre du travail le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ce qui implique que soit identifiée une victime déterminée ; qu'en déclarant Mme [SI] [VE] coupable de complicité de harcèlement moral institutionnel qui n'est pas incriminé par l'article 222-33-2 du code pénal dès lors qu'il n'implique pas que soit identifiée une victime déterminée, la cour d'appel a méconnu ledit texte, ensemble le principe de légalité des délits et des peines et le principe d'interprétation stricte de la loi pénale. »
21. Le troisième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que la complicité suppose un fait principal punissable ; que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le harcèlement moral ne peut être consommé que dans des relations interpersonnelles entre l'auteur de l'agissement et une ou plusieurs personnes déterminées ; qu'en retenant, pour déclarer Mme [CL]-[VE] coupable de complicité de harcèlement moral institutionnel à raison de faits « résultant, non pas de [ses] relations individuelles avec [les] salariés, mais de la politique d'entreprise [que les dirigeants] avaient conçue et mise en oeuvre » (arrêt, p. 127, § 2, alinéa 1er), que « les décisions d'organisation prises dans le cadre professionnel peuvent, dans un contexte particulier, être source d'insécurité permanente pour tout le personnel et devenir alors harcelantes pour certains salariés » (arrêt, p. 129, § 1), quand il ressort de cette analyse qu'elle a appliqué extensivement la loi pénale à des agissements qui n'étaient ni directement imputables à la prévenue, ni dirigés contre des fonctionnaires ou des salariés déterminés, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 et 222-33-2 du code pénal ;
5°/ qu'en toute hypothèse la complicité suppose un fait principal punissable ; nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; qu'une « politique d'entreprise » constitutive de harcèlement moral institutionnel résulte de la délibération des organes collégiaux d'une société anonyme et ne peut engager la responsabilité pénale que de la personne morale, à l'exclusion de celle des personnes physiques occupant des postes de direction sauf à ce que soient caractérisés, à l'égard de ces dernières, des agissements répétés s'inscrivant dans une relation interpersonnelle avec des salariés déterminés ; qu'en déclarant Mme [CL]-[VE] coupable, comme complice, du chef de harcèlement moral institutionnel, cependant qu'elle constatait que la politique d'entreprise poursuivie procédait d'« une décision arrêtée au plus haut niveau de pilotage de la société » (arrêt, p. 136, § 1), qu'« il n'exist[ait] aucun lien professionnel direct entre les [...] prévenus personnes physiques » et les plaignants, qu'« ils ne se connaissaient pas et n'[avaient] jamais travaillé ensemble » et que la responsabilité de Mme [CL]-[VE] « repos[ait] [...] sur une décision partagée » (jugement confirmé, p. 100, § 3 ; arrêt, p. 136, § 1) ce dont il résultait que seule la société [8] avait des relations directes avec chacun des fonctionnaires et salariés concernés et que, engagée par la délibération collégiale de ses organes, elle pouvait seule être déclarée coupable, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-1, 121-2 et 222-33-2 du code pénal. »
22. Le moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 1°/ que, d'une part, lorsque le délit de harcèlement moral résulte de méthodes de management applicables à une communauté de salariés, les agissements répétés réprimés au titre de ce délit sont ceux qui s'individualisent à l'égard de chacun des salariés, seuls ceux-ci étant susceptibles d'entraîner directement la dégradation de leurs conditions de travail ; qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] en retenant, non pas la commission d'agissements individualisés commis à l'égard de chacun des salariés, mais la définition d'une politique d'entreprise applicable à l'ensemble du groupe, la cour d'appel a violé le principe d'interprétation stricte de la loi pénale et les articles 111-4, 222-33-2 du code pénal et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
23. Les moyens sont réunis.
24. La cour d'appel a retenu que les prévenus s'étaient rendus coupables de harcèlement moral institutionnel ou de complicité de ce délit.
25. Le harcèlement moral institutionnel a été défini par l'arrêt attaqué, par motifs adoptés, comme des agissements définissant et mettant en oeuvre une politique d'entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d'une collectivité d'agents, agissements porteurs, par leur répétition, de façon latente ou concrète, d'une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et qui outrepassent les limites du pouvoir de direction.
26. Les juges ont encore défini la politique d'entreprise comme la politique principale des ressources humaines, composante de la politique générale de la société, déterminée par la ou les personnes qui ont le pouvoir et la capacité de faire appliquer leurs décisions aux agents et de modifier les comportements de ceux-ci.
27. Les moyens posent la question de savoir si le harcèlement moral institutionnel, ainsi défini, entre dans les prévisions de l'article 222-33-2 du code pénal.
28. La Cour de cassation juge, de façon constante, et au visa de l'article 111-4 du code pénal, que le principe de légalité des délits et des peines impose l'interprétation stricte de la loi pénale (par exemple, Crim., 25 juin 2002, pourvoi n° 00-81.359, Bull. crim. 2002, n° 144). Il se déduit de cette exigence que si le juge ne peut appliquer, par voie d'analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu'elle ne vise pas, en revanche, il peut, en cas d'incertitude sur la portée d'un texte pénal, rechercher celle-ci en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption (Crim., 5 septembre 2023, pourvoi n° 22-85.540, publié au Bulletin).
29. L'article 222-33-2 du code pénal, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, issue de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 dite loi de modernisation sociale, incrimine le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
30. Ce texte distingue ainsi les agissements qui ont pour objet une dégradation des conditions de travail de ceux qui ont un tel effet.
31. La caractérisation des agissements ayant pour effet une dégradation des conditions de travail suppose que soient précisément identifiées les victimes de tels agissements. En revanche, lorsque les agissements harcelants ont pour objet une telle dégradation, la caractérisation de l'infraction n'exige pas que les agissements reprochés à leur auteur concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec lui ni que les salariés victimes soient individuellement désignés. En effet, dans cette hypothèse, le caractère formel de l'infraction n'implique pas la constatation d'une dégradation effective des conditions de travail.
32. En outre, le terme « autrui » peut désigner, en l'absence de toute autre précision, un collectif de salariés non individuellement identifiés.
33. Cette interprétation est conforme à la portée que le législateur a souhaité donner à cette incrimination.
34. En effet, si les travaux préparatoires à la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 précitée n'abordent pas spécifiquement la question du harcèlement moral collectif ou institutionnel, ils font état de ce qu'il a été « pris connaissance avec attention » d'un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme du 29 juin 2000 consacré au harcèlement moral au travail.
35. Cet avis a identifié trois formes possibles de harcèlement moral, soit le harcèlement individuel, pratiqué dans un but purement gratuit de destruction d'autrui et de valorisation de son propre pouvoir, le harcèlement professionnel organisé à l'encontre d'un ou plusieurs salariés, précisément désignés, destiné à contourner les procédures légales de licenciement et le harcèlement institutionnel qui participe d'une stratégie de gestion de l'ensemble du personnel.
36. Par ailleurs, saisi par le Premier ministre en vue de conduire une réflexion sur le harcèlement moral au travail, à la suite d'un premier débat à l'Assemblée nationale sur cette question, le Conseil économique et social a, dans un avis du 11 avril 2001, distingué « le harcèlement essentiellement individuel ou d'un petit groupe » du harcèlement « collectif, professionnel ou institutionnel, qui s'inscrit alors dans une véritable stratégie du management pour imposer de nouvelles règles de fonctionnement, de nouvelles missions ou de nouvelles rentabilités », en précisant que « le harcèlement moral pourra alors se développer au moment de restructurations, de fusions-absorptions des entreprises privées ou de changement d'orientation managériale » (avis du Conseil économique et social, 11 avril 2001, p. 52).
37. Dans ce même document, il a proposé de définir l'infraction de harcèlement moral au travail comme « tous agissements répétés visant à dégrader les conditions humaines, relationnelles, matérielles de travail d'une ou plusieurs victimes, de nature à porter atteinte à leurs droits et leur dignité, pouvant altérer gravement leur état de santé et pouvant compromettre leur avenir professionnel », précisant que cette définition rendait compte de l'ensemble des situations de harcèlement moral au travail.
38. Commentant les termes de la définition proposée « d'une ou plusieurs victimes », le Conseil économique et social a souligné que « si le harcèlement moral au travail atteint, le plus souvent, une seule personne qui devient la cible des agissements d'un seul ou de plusieurs auteurs, il n'est pas rare que le processus vise en même temps plusieurs victimes. C'est alors souvent le cas d'une stratégie globale pour imposer de nouvelles méthodes de management, pour obtenir la démission de personnels dont les caractéristiques (par exemple, l'âge) ne correspondent pas aux « besoins » de l'entreprise. Il peut s'agir aussi d'un comportement individuel abusif de l'employeur » (avis précité pp. 59 et 60).
39. Il résulte encore des travaux préparatoires que le législateur a souhaité adopter une définition de cette infraction, d'une part, « la plus large et la plus consensuelle possible » qui « s'inspire très largement de l'avis du Conseil économique et social », d'autre part, qui tienne compte de son caractère protéiforme et complexe (rapport à la commission des affaires sociales du Sénat, n° 275, 18 avril 2001, MM. Claude Huriet, Bernard Seillier, Alain Gournac et Mme Annick Bocandé).
40. Il s'ensuit que l'élément légal de l'infraction de harcèlement moral n'exige pas que les agissements répétés s'exercent à l'égard d'une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes, pourvu que ces dernières fassent partie de la même communauté de travail et aient été susceptibles de subir ou aient subi les conséquences visées à l'article 222-33-2 du code pénal.
41. Ainsi, indépendamment de toute considération sur les choix stratégiques qui relèvent des seuls organes décisionnels de la société, constituent des agissements entrant dans les prévisions de l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa version résultant de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en oeuvre, en connaissance de cause, une politique d'entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d'atteindre tout autre objectif, qu'il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.
42. Les moyens doivent, dès lors, être écartés.
Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour M. [XG], le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour M. [FS], le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, et le cinquième moyen proposés pour Mme [CL]-[VE], et le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour Mme [YM]
43. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral institutionnel, alors :
« 3°/ qu'en affirmant, pour écarter le moyen tiré de l'imprévisibilité de l'interprétation retenue de la loi pénale à la date des faits poursuivis, que l'exigence de prévisibilité « s'applique à la loi et pas à la jurisprudence » (arrêt, p. 128, § 1, alinéa 3), quand la notion de "droit" utilisée à l'article 7 correspond à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la Convention, englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l'accessibilité et de la prévisibilité, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde, 111-3 et 112-1 du code pénal ;
4°/ que le principe de la légalité des délits et des peines interdit que le droit pénal soit interprété extensivement au détriment du prévenu ; qu'il en résulte que, faute au minimum d'une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible, les exigences de l'article 7 de la Convention de sauvegarde ne sauraient être regardées comme respectées ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés, que la jurisprudence antérieure et concomitante à la période de prévention avait admis la responsabilité pénale de dirigeants du chef de harcèlement moral à raison d'une politique d'entreprise, quand il en résultait au contraire une exigence dominante d'une intention de nuire et la limitation du harcèlement moral à des agissements s'inscrivant dans des relations interpersonnelles en sorte que, même en tant que professionnel qui pouvait s'entourer de conseils de juristes, il était difficile, voire impossible pour M. [XG] de prévoir l'extension de l'application du texte à une politique d'entreprise et donc de savoir, au moment où il les a commis, que ses actes pouvaient entraîner une sanction pénale, la cour d'appel a violé les articles 34 de la Constitution, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 15, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 6, § 1, et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-3, 111-4, 112-1 et 222-33-2 du code pénal. »
44. Le moyen proposé pour M. [FS] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, condamné à une peine d'un an d'emprisonnement assortie en totalité du sursis simple, ainsi qu'à une peine d'amende de 15 000 euros et à titre de peine complémentaire à la confiscation des scellés, et sur l'action civile, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevées par tous les prévenus appelants, notamment par M. [FS], confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué, condamné M. [FS], solidairement avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans ce tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dommages et intérêts, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles également mentionnées les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et ajoutant au jugement, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans le tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en cause d'appel, alors :
« 3°/ qu'il résulte des articles 111-3 du code pénal et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la répression pénale ne peut s'accomplir sur le fondement d'un texte qui n'était pas clair et n'a pas donné lieu, au moment des faits considérés, à une interprétation jurisprudentielle éclairante, de sorte que le justiciable ne pouvait raisonnablement prévoir que les actes qu'il a accomplis étaient répréhensibles ; qu'à supposer même, pour les besoins de la discussion, que l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa rédaction applicable en la cause, puisse être interprété, en raison de son ambigüité, comme pouvant sanctionner le «harcèlement moral institutionnel» matérialisé par une politique générale d'entreprise ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail individuelles et collectives de salariés et d'agents non déterminés d'une entreprise, Monsieur [FS] ne pouvait être sanctionné pénalement sur le fondement de cette dernière disposition dont l'ambiguïté n'avait pas été levée, au moment des faits, par une interprétation jurisprudentielle ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel aurait donc, en toute hypothèse, violé les dispositions susvisées ;
4°/ qu'en se fondant, pour écarter « le moyen tiré de l'imprévisibilité au visa de l'article 7 de la Convention européenne de droits de l'homme », sur deux arrêts de la Cour de cassation en date des 4 octobre 2016 et 5 juin 2018 (arrêt, p. 128), soit postérieurs aux faits incriminés, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 111-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
45. Le deuxième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 2°/ en toute hypothèse, que la complicité suppose un fait principal punissable ; qu'une interprétation nouvelle et imprévisible d'un texte pénal par la jurisprudence, constitutive d'un revirement de jurisprudence, ne peut s'appliquer à des faits antérieurs à la décision qui la contient sans porter atteinte au principe de sécurité juridique garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et au principe de prévisibilité juridique découlant de l'article 7 de la même Convention ; que Mme [SI] [VE] faisait valoir devant la cour d'appel n'avoir « pu se rendre complice de l'infraction de harcèlement moral telle qu'entendue par le tribunal, le harcèlement moral institutionnel n'existant pas à l'époque des faits qui lui sont reprochés - et la consécration de celui-ci ayant été imprévisible, cette consécration du harcèlement moral institutionnel ne saurait s'appliquer de manière rétroactive aux faits [qui lui étaient reprochés] » (écritures aux fins de relaxe, p. 38, dernier §) ; que pour déclarer Mme [SI] [VE] coupable de complicité de harcèlement moral, la cour d'appel a énoncé que « [v]ainement, la défense des prévenus oppose à la cour le moyen tiré de l'imprévisibilité au visa de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ; [qu'en] effet, cette exigence de prévisibilité s'applique à la loi et pas à la jurisprudence ; [que l]es prévenus ne peuvent invoquer pour s'abriter l'imprévisibilité du revirement de jurisprudence alors que l'interprétation du texte est au coeur de la construction du droit et relève de l'office du juge » (arrêt attaqué, p. 127, § 2 et 3) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les principes de sécurité juridique et de prévisibilité juridique découlant des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. »
46. Le cinquième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors « qu'en se fondant, pour écarter « le moyen tiré de l'imprévisibilité au visa de l'article 7 de la Convention européenne de droits de l'homme », sur deux arrêts de la Cour de cassation en date des 4 octobre 2016 et 5 juin 2018 (arrêt, p. 128), soit postérieurs aux faits incriminés, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 111-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
47. Le moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 3°/ qu'en tout état de cause, une interprétation jurisprudentielle nouvelle plus sévère ne peut trouver à s'appliquer aux prévenus faute d'avoir été raisonnablement prévisible au moment des faits ; que l'article 222-33-2 du Code pénal n'a jamais permis de condamner des agissements insusceptibles d'entraîner directement la dégradation des conditions de travail faute d'avoir été individualisés à l'égard des salariés ; qu'en déclarant pourtant les prévenus coupables de harcèlement moral pour avoir défini une politique d'entreprise s'appliquant de façon indifférenciée à une communauté de salariés et n'ayant qu'indirectement entraîné la dégradation de leurs conditions de travail, la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ qu'au surplus, en appliquant aux prévenus une interprétation jurisprudentielle plus sévère qui n'était pas raisonnablement prévisible au moment de faits, aux motifs erronés que « l'exigence de prévisibilité s'applique à la loi et pas à la jurisprudence » (arrêt, p. 128, § 3), la cour d'appel a encore violé l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
48. Les moyens sont réunis.
49. La Cour européenne des droits de l'homme juge que l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme n'a pas pour unique objet de prohiber l'application rétroactive du droit pénal au désavantage de l'accusé mais consacre aussi, d'une manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, notamment par analogie.
50. Elle en déduit qu'une infraction doit être clairement définie par la loi et que cette condition est satisfaite lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les tribunaux, le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quelles actions et omissions engagent sa responsabilité pénale.
51. Elle précise, à cet égard, que la notion de « droit » utilisée à l'article 7 précité englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, notamment celles d'accessibilité et de prévisibilité.
52. Pour autant, selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 7 de la Convention ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible. A la différence des cas de revirement de jurisprudence, une interprétation de la portée d'une infraction qui se trouve être cohérente avec la substance de cette infraction doit, en principe, être considérée comme prévisible.
53. Pour déterminer si une interprétation large donnée de la loi par les juridictions internes était raisonnablement prévisible, la Cour européenne des droits de l'homme recherche si l'interprétation en question correspondait à une ligne perceptible de jurisprudence, ou si son application dans des circonstances élargies cadrait néanmoins avec la substance de l'infraction (en dernier lieu, CEDH, arrêt du 9 juillet 2024, Delga c. France, n° 8998/20).
54. En l'espèce, c'est à tort que, pour écarter les moyens pris de la méconnaissance du principe de prévisibilité juridique garanti par l'article 7 précité, la cour d'appel retient que ce principe s'applique à la loi et non à la jurisprudence.
55. C'est également à tort qu'elle s'appuie sur deux arrêts du 4 octobre 2016 (Crim., 4 octobre 2016, pourvoi n° 16-81.200) et du 5 juin 2018 (Crim., 5 juin 2018, pourvoi n° 17-87.524) précédemment rendus par la Cour de cassation dans la présente procédure dès lors que la prévisibilité de l'interprétation jurisprudentielle doit s'apprécier au moment des faits objet de la prévention.
56. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure pour les motifs qui suivent.
57. D'une part, la Cour de cassation n'a jamais interprété l'infraction comme exigeant, dans toutes les situations, qu'un rapport de travail direct et individualisé entre la personne poursuivie pour harcèlement et sa ou ses victimes soit constaté, et que les agissements qui lui sont imputés soient identifiés salarié par salarié. Elle n'a pas davantage exclu que le harcèlement moral puisse revêtir une dimension collective.
58. D'autre part, si la notion de harcèlement moral institutionnel résultant de la mise en oeuvre d'une politique d'entreprise procède de l'application de l'incrimination à une situation factuelle nouvelle, elle ne constitue qu'une des modalités de harcèlement moral, infraction définie par l'article 222-33-2 du code pénal dans des termes visant à protéger les membres de la communauté de travail de toutes les formes de harcèlement, quel qu'en soit le mode opératoire.
59. Il se déduit de ces éléments, et des travaux préparatoires rappelés aux paragraphes 34 à 39, que l'application de l'incrimination à une situation nouvelle, qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence, n'était pas imprévisible au sens de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, de surcroît pour des professionnels comme les dirigeants du groupe [8], ayant la possibilité de s'entourer des conseils éclairés de juristes.
60. Il s'en infère que c'est sans méconnaître le principe de prévisibilité juridique que les juges du fond ont considéré que le harcèlement moral institutionnel entrait dans les prévisions de l'article 222-33-2 du code pénal et était dès lors susceptible d'être opposé aux prévenus.
61. Les moyens doivent être écartés.
Sur le deuxième moyen proposé pour M. [XG], le premier moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [FS], le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, et le quatrième moyen proposés pour Mme [CL]-[VE], le premier moyen, pris en sa deuxième branche, et le deuxième moyen proposés pour Mme [YM]
Enoncé des moyens
62. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral, alors :
« 1°/ que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que la condamnation du chef de harcèlement moral suppose la caractérisation d'actes positifs accomplis par le prévenu et dirigés contre des salariés déterminés ; qu'en se fondant essentiellement, pour déclarer M. [XG] coupable de harcèlement moral, sur le fait qu'il avait maintenu un objectif de déflation des effectifs (arrêt, p. 135, dernier paragraphe, derniers alinéas ; p. 143, dernier alinéa) et qu'il s'était abstenu de réagir à des propos tenus par des tiers en février et en octobre 2006 (arrêt, p. 133, § 3 ; p. 134, § 1, alinéa 2), et en se déterminant ainsi par des motifs impropres à caractériser des agissements constitutifs de harcèlement sur la période de prévention, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 111-4, 121-1 et 222-33-2 du code pénal ;
2°/ que la condamnation du chef de harcèlement moral suppose la caractérisation d'actes réitérés accomplis par le prévenu et dirigés contre des salariés déterminés ; qu'en se fondant, pour entrer en voie de condamnation, sur les seuls propos « tout va bien, nous avons notre destin en main, à condition de mettre la pression » prêtés à M. [XG] et qui auraient été tenus en comité de direction le 25 février 2008 (arrêt, p. 132, alinéa 6), sans constater qu'ils auraient été réitérés et quand il résulte au surplus de ces constatations qu'ils n'étaient pas adressés à des fonctionnaires ou des salariés de l'entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 111-4, 121-1 et 222-33-2 du code pénal ;
3°/ qu'en retenant, pour entrer en voie de condamnation, que les formes de harcèlement avait été « pour partie décidées au niveau de l'équipe dirigeante de [[8]], sous l'égide du Codirg [comité de direction générale, composé de neuf membres], auquel participai[t] [NL] [XG] [?], et pour partie la conséquence directe de décisions de l'équipe dirigeante » (arrêt, p. 139, dernier paragraphe), sans établir l'existence d'agissements répétés directement imputables à M. [XG] à l'égard de chacun des fonctionnaires et salariés de [8], la cour d'appel a violé l'article 121-1 et 222-33-2 du code pénal et, par fausse application, l'article 222-33-2-2 du même code ;
4°/ qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ; que le harcèlement moral reposant sur des agissements répétés ayant pour objet la dégradation des conditions de travail requiert la caractérisation de l'intention d'obtenir un tel résultat ; qu'en affirmant, en droit, que « l'intention [est] rapportée dès que l'auteur [a] conscience d'une possible dégradation des conditions de travail. Il faut et il suffit que "Le prévenu [ait] réalisé consciemment des actes coupables en pleine connaissance de leurs conséquences possibles" » (arrêt, p. 140, § 3) et en ne se fondant, en fait, que sur « [l]a conscience [par M. [XG]] de l'objet devenu harcelant et des effets créés par le climat anxiogène » (arrêt, p. 144, § 1, alinéa 2), la cour d'appel, qui s'est dispensée de caractériser l'intention du prévenu de dégrader les conditions de travail des personnels de [8], a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-3 et 222-33-2 du code pénal. »
63. Le moyen proposé pour M. [FS] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, condamné à une peine d'un an d'emprisonnement assortie en totalité du sursis simple, ainsi qu'à une peine d'amende de 15 000 euros et à titre de peine complémentaire à la confiscation des scellés, et sur l'action civile, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevées par tous les prévenus appelants, notamment par M. [FS], confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué, condamné M. [FS], solidairement avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans ce tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dommages et intérêts, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles également mentionnées les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et ajoutant au jugement, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans le tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en cause d'appel, alors :
« 2°/ que pour déclarer [ZL] [FS] coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, la cour d'appel a retenu que constituaient des agissements répréhensibles le maintien des objectifs fixés (essentiellement le nombre de départs), à titre impératif, dans des conditions, résultant des décisions prises par l'équipe dirigeante à laquelle appartenait Monsieur [FS] et de la mise en place du plan NExT, à l'origine d'un « climat d'insécurité permanente » et une déstabilisation des personnels, tenant à l'absence de remontées suffisantes, à la pression mise à l'échelon local sur les managers, à une « tentative de verticaliser les fonctions de ressources humaines » aboutissant à éloigner les salariés des ressources humaines et à laisser ceux-ci isolés face à un manager ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans établir ni l'existence d'agissements répétés directement imputables au prévenu à l'égard de chacun des salariés et agents visés dans la prévention, ni caractériser en quoi les agissements établis auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie des victimes se traduisant par une altération de leur santé physique ou mentale, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
64. Le troisième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 2°/ que, en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] ayant défini la politique d'entreprise incriminée, tout en constatant que la dégradation des conditions de travail des personnels résultait des comportements managériaux traduisant, sur le terrain, la mise en oeuvre de cette politique, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation du principe de responsabilité pénale personnelle et des articles 121-1, 222-33-2 du code pénal et 591 du code de procédure pénale. »
65. Le quatrième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] notamment aux motifs que « la faute la plus importante a été de maintenir quoi qu'il en soit les objectifs [de réduction des effectifs], avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt, p. 135, § 7), lorsque la définition d'un objectif de réduction des effectifs, qu'il soit indicatif ou impératif, résulte d'un choix discrétionnaire de gestion qui relève par nature de l'exercice du pouvoir direction, la cour d'appel a violé les articles 222-33-2 du code pénal et 591 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8], en retenant d'un côté que « l'opportunité du chiffre de 22 000 départs était hors [du] champ d'appréciation [de la cour] tant sur l'élément matériel que moral, et qu'elle faisait partie du pouvoir de direction » et qu' « il n'est pas reproché [aux auteurs principaux] le nombre de départs ou d'embauches à réaliser pour améliorer la compétitivité de la société, mais bel et bien la méthode utilisée pour y parvenir » (arrêt, p. 134, § 4) et de l'autre que « la faute la plus importante a été de maintenir quoiqu'il en soit les objectifs, avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt, p. 135, § 7), la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs contradictoires n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la cassation de l'arrêt en ses dispositions relatives à la caractérisation du délit de harcèlement moral sera nécessairement étendue aux dispositions indivisibles de l'arrêt relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [CL]-[VE] du chef de complicité de ce délit. »
66. Le premier moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 2°/ que, d'autre part, en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] ayant défini la politique d'entreprise incriminée, tout en constatant que la dégradation des conditions de travail des personnels résultait des comportements managériaux traduisant, sur le terrain, la mise en oeuvre de cette politique, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation du principe de responsabilité pénale personnelle et des articles 121-1, 222-33-2 du Code pénal et 591 du Code de procédure pénale. »
67. Le deuxième moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 1°/ qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] notamment aux motifs que « la faute la plus importante a été de maintenir quoiqu'il en soit les objectifs [de réduction des effectifs], avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt, p. 135, § 7), lorsque la définition d'un objectif de réduction des effectifs, qu'il soit indicatif ou impératif, résulte d'un choix discrétionnaire de gestion qui relève par nature de l'exercice du pouvoir direction, la cour d'appel a violé les articles 222-33-2 du Code pénal et 591 du Code de procédure pénale ;
2°/ qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8], en retenant d'un côté que « l'opportunité du chiffre de 22 000 départs était hors [du] champ d'appréciation [de la cour] tant sur l'élément matériel que moral, et qu'elle faisait partie du pouvoir de direction » et qu' « il n'est pas reproché [aux auteurs principaux] le nombre de départs ou d'embauches à réaliser pour améliorer la compétitivité de la société, mais bel et bien la méthode utilisée pour y parvenir » (arrêt, p. 134, § 4) et de l'autre que « la faute la plus importante a été de maintenir quoiqu'il en soit les objectifs, avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt, p. 135, § 7), la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs contradictoires n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que, lorsque le délit de harcèlement moral résulte de la commission d'agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail, il est nécessaire de constater la dégradation des conditions de travail de chacune des victimes à l'égard desquelles le prévenu est déclaré coupable ; qu'en déclarant les prévenus coupables de harcèlement moral pour avoir commis des agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail de « tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés » (arrêt, p. 167, § 6), sans caractériser à l'égard de chacun la dégradation effective de leurs conditions de travail, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que, lorsque le délit de harcèlement moral résulte de la commission d'agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail, il est nécessaire de constater que cette dégradation des conditions de travail est intervenue au cours de la période de prévention ; qu'en déclarant les prévenus coupables de harcèlement moral pour avoir commis des agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail de « tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés » (arrêt, p. 167, § 6), sans rechercher si la dégradation de leurs conditions de travail était intervenue au cours de la période de prévention, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision au regard des articles préliminaire, 388, 512 du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
5°/ que, la cassation de l'arrêt en ses dispositions relatives à la caractérisation du délit de harcèlement moral sera nécessairement étendue aux dispositions indivisibles de l'arrêt relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [YM] du chef de complicité de ce délit. »
Réponse de la Cour
68. Les moyens sont réunis.
69. Pour déclarer MM. [XG] et [FS] coupables de harcèlement moral pour la période retenue par le tribunal correctionnel, soit du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, l'arrêt attaqué énonce qu'il convient de rechercher si ces prévenus peuvent se voir reprocher une telle infraction en raison non pas de leurs relations individuelles avec les salariés mais de la politique d'entreprise qu'ils ont conçue et mise en oeuvre.
70. Les juges précisent que si l'opportunité d'une telle politique, qui relève du pouvoir de direction, échappe à leur appréciation, ils doivent examiner la méthode utilisée pour la mettre en oeuvre afin de déterminer si elle excède le pouvoir normal de direction et de contrôle du chef d'entreprise.
71. Examinant l'objet du plan NExT, ils exposent, par motifs propres et adoptés, qu'afin d'assurer une croissance rentable à l'entreprise, ce plan était fondé, notamment, sur une politique de déflation des effectifs qui, alors que tel n'était pas le cas initialement, a eu, à partir d'octobre 2006, pour objet une dégradation des conditions de travail afin de contraindre les salariés à la mobilité ou au départ.
72. Ils constatent que cette politique, qui reposait sur la création d'un climat anxiogène, s'est concrétisée par la mise en oeuvre de trois agissements spécifiques : la pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique, la prise en compte des départs dans la rémunération des membres de l'encadrement et le conditionnement de la hiérarchie intermédiaire à la déflation des effectifs lors des formations dispensées.
73. Ils observent que ces agissements, qui ont excédé très largement le pouvoir normal de direction et de contrôle du chef d'entreprise, se sont poursuivis et répétés au cours des deux années suivantes et qu'ils constituent, par leur nature même, autant d'agissements réitérés dont l'objet voulu était une dégradation des conditions de travail.
74. Ils relèvent que la faute la plus importante a été de passer d'un objectif indicatif à un objectif impératif devant être atteint « coûte que coûte », alors que les salariés, dans leur immense majorité fonctionnaires, ne pouvaient faire l'objet d'un licenciement économique, ce qui a créé un climat anxiogène pour la totalité du personnel, avec la validation du « crash program », destiné à accélérer le mouvement naturel de départs à la retraite, selon une décision arrêtée au plus haut niveau de pilotage de la société.
75. Ils soulignent également qu'en raison de la pression résultant de ces agissements, de façon indivisible avec ces derniers, les managers du niveau territorial local ont à leur tour employé diverses méthodes visées à la prévention pour contraindre leurs collègues à quitter l'entreprise ou à être mobiles, de telles méthodes ayant été soit décidées au niveau de l'équipe dirigeante de [8], sous l'égide du comité de direction générale (CODIRG), dont étaient membres MM. [XG] et [FS], soit la conséquence directe de décisions de l'équipe dirigeante.
76. Ils précisent que la responsabilité pénale personnelle des dirigeants poursuivis repose, d'une part, sur la décision partagée de mener une telle politique de déflation des effectifs à marche forcée fondée sur les agissements harcelants précités, d'autre part, sur une mise en oeuvre coordonnée de cette politique et, enfin, sur un suivi vigilant pendant trois ans.
77. Ils concluent que l'accélération impérative de la déflation des effectifs dans un délai contraint, les modalités utilisées, les « retombées en cascade » et le « ruissellement » sur les salariés de ces méthodes aux conséquences anxiogènes, sans égard pour leur sort, en dépit des alertes syndicales et en particulier de l'exercice par six syndicats d'un droit d'alerte en juillet 2007 pour « mise en danger de la santé des salariés », ont constitué des agissements répétés étrangers au pouvoir de direction et de contrôle.
78. Ils ajoutent que l'annonce de suicides, notamment quatre durant le seul mois de mai 2008, n'a pas empêché la poursuite du plan NExT et du programme ACT jusqu'à la fin de l'année 2008.
79. Sur la responsabilité personnelle des prévenus, s'agissant de M. [XG], ils relèvent qu'il a initié le plan de réduction massif des effectifs dans un délai très contraint et que, lors de la présentation dudit plan à l'association [7] ([7]) en octobre 2006, il a revendiqué son implication non seulement dans la fixation des objectifs de déflation mais aussi dans la mise en place des organes de contrôle et des méthodes de gestion nécessaires à sa mise en oeuvre, qui se traduiront sur le terrain par des comportements managériaux ayant pour objet de dégrader les conditions de travail.
80. Ils exposent qu'il a assuré un suivi de cette mise en oeuvre, donnant notamment des instructions de « pressions » qui se sont poursuivies, durant la période de prévention, en dépit des alertes et qui sont dans le prolongement de la demande faite en 2006 à M. [C] de réaliser un « crash program ».
81. Ils constatent que M. [XG] a décidé de maintenir cette politique de réduction d'effectifs et de mobilité interne, en dépit des dégâts humains, alors qu'il avait connaissance de la pyramide des âges et de la disparition du dispositif de congé de fin de carrière des fonctionnaires.
82. S'agissant de M. [FS], les juges relèvent que, au même titre que M. [XG], il a gardé le suivi et le contrôle des opérations tout au long de la période des faits délimitée par les premiers juges, a assuré ainsi une exécution effective de la déflation en veillant à ce que l'objectif soit réparti et décliné pour, et par, chacune des onze directions territoriales et, lors d'une interview en 2017, a reconnu mettre la pression « tout le temps », sans laisser de marge de manoeuvre et a eu connaissance des initiatives prises localement par les managers.
83. Ils en concluent que les faits précités démontrent de la part des deux prévenus une participation active à la commission de l'infraction qui va largement au-delà d'une simple fourniture d'instructions.
84. Enfin, pour caractériser l'élément intentionnel, ils relèvent, en substance, en s'appuyant notamment sur les propos tenus par MM. [XG] et [FS], leur expérience professionnelle antérieure et leur connaissance ancienne et approfondie de l'entreprise [8], qu'ils ont agi en connaissance de cause et avec lucidité, gardant le suivi de la politique de déflation et mesurant ses résultats.
85. Ils retiennent la connaissance par MM. [XG] et [FS] des effets négatifs du maintien de la méthode sur la santé des personnels du groupe et sur leurs conditions de travail, la dégradation de celles-ci étant illustrée de manière importante par différents rapports d'expertise qui ont mis en évidence une montée du stress, des tensions et du mal-être au travail, une dislocation/fragmentation des collectifs de travail en recomposition quasi permanente, des routines organisationnelles à se réapproprier, des états de détresse pour le personnel, des pertes de repères et une défaillance des systèmes de prévention des risques psychosociaux.
86. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a caractérisé à l'encontre de MM. [XG] et [FS] le délit de harcèlement moral, fait principal de la complicité reprochée à Mmes [CL]-[VE] et [YM], pour les motifs qui suivent.
87. En premier lieu, s'agissant de M. [XG], c'est par des motifs dénués d'insuffisance comme de contradiction, relevant de leur pouvoir souverain d'appréciation des faits, que les juges ont estimé que les agissements répétés qu'ils ont énumérés, qui se sont déroulés tout au long de la période de prévention et sont éclairés par des faits antérieurs à celle-ci, étaient constitutifs d'une stratégie délibérée de harcèlement conçue au plus haut niveau de l'entreprise, dont le prévenu a assuré par des actes positifs la mise en oeuvre, par la voie hiérarchique, au prix d'une dégradation assumée des conditions de travail de l'ensemble des agents, de sorte qu'ils ont, à juste titre, conclu que le prévenu s'était rendu coupable de l'élément matériel du délit de harcèlement moral par objet comme par effet.
88. En second lieu, s'agissant de M. [FS], les juges ont exactement déduit que les agissements de l'intéressé, tels qu'ils les ont souverainement appréciés, qui se sont étalés sur plusieurs années, et ont consisté à mettre en oeuvre, par des actes positifs, la politique d'entreprise définie au sein des instances dirigeantes de [8] qu'il a revendiquée et dont il a veillé à la déclinaison dans les entités du groupe relevant de sa direction, étaient également constitutifs de l'élément matériel du harcèlement moral, tant par l'objet de ses agissements que par leur effet.
89. En outre, en retenant que MM. [XG] et [FS] avaient connaissance des effets négatifs du maintien de la méthode adoptée sur la santé des agents du groupe et sur leurs conditions de travail, les juges ont caractérisé sans insuffisance l'élément intentionnel du délit pour chacun des prévenus.
90. Ainsi, les juges ont établi que les décisions prises par les prévenus ainsi que les propos publics qu'ils ont tenus au cours de la période de prévention, qui démontraient une conduite du groupe dépassant les limites admissibles de leur pouvoir de direction et de contrôle respectif, étaient constitutifs d'un harcèlement moral institutionnel.
91. Les moyens ne peuvent qu'être écartés.
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, proposé pour Mme [YM]
Enoncé du moyen
92. Le moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 2°/ que d'autre part, le prévenu ne peut être déclaré coupable de complicité de harcèlement moral, pour avoir mis en oeuvre la politique d'entreprise incriminée dans le service dont il assure la direction, qu'à l'égard des agents placés sous son autorité hiérarchique ; qu'en déclarant la prévenue coupable de complicité de harcèlement moral commis à l'égard de tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés, tout en constatant qu'elle avait servi de relai ayant permis la diffusion de la politique d'entreprise (arrêt, p. 146, § 3), pour sa part uniquement au niveau des Directions territoriales, la cour d'appel a violé les articles 121-7, 222-33-2 du code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en outre, en déclarant la prévenue coupable de complicité de harcèlement moral commis entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2008, au préjudice notamment des salariés relevant des Directions Territoriales, sans constater que la dégradation de leurs conditions de travail est intervenue au cours de la période à laquelle elle assurait la direction de ce service, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 121-7, 222-33-2 du code pénal et de 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'enfin déclarant que la prévenue avait sciemment facilité la consommation du délit de harcèlement moral aux motifs qu'elle n'a pas matérialisé son désaccord envers la politique d'entreprise auprès de son supérieur hiérarchique (arrêt, p. 155, in fine), la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a méconnue les articles 121-7, 222-33-2 du Code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
93. Pour confirmer le jugement et déclarer Mme [YM] coupable de complicité de harcèlement moral, l'arrêt attaqué, qui se réfère à sa motivation précédemment exposée relative à l'élément légal et aux contours de l'infraction reprochée, énonce que les pressions diverses ayant abouti à des mobilités fonctionnelles ou/et géographiques forcées n'ont pu prospérer que par des relais présents dans toutes les structures du groupe.
94. Les juges retiennent qu'à la stratégie ferme définie par le CODIRG s'est ajouté le suivisme des directions et services des ressources humaines dont les procédures et méthodes ont infusé dans toute la politique managériale.
95. Ils relèvent à ce titre le rôle de la prévenue auprès de M. [FS], notamment par sa participation à la convention du 20 octobre 2006 de l'[7] à la [9], où elle a affiché sa priorité de « réussir ACT ».
96. Ils soulignent que l'intéressée a notifié aux directeurs territoriaux et aux cadres supérieurs des objectifs de départs de l'entreprise à réaliser, qui ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail des personnels.
97. Ils notent que Mme [YM] ne peut prétendre que le document trouvé dans l'ordinateur de son assistante, qui assigne à tous les acteurs de la chaîne managériale un nombre minimum de départs dans leurs « objectifs solidarité », constitue uniquement un document de travail sans impact concret, ou un simple cadrage global avec « un ordre de grandeur », alors qu'il a été diffusé, accompagné d'un courriel explicatif du 18 décembre 2006, de sorte que l'assignation à tous les échelons hiérarchiques et notamment aux managers locaux d'objectifs de départs, avec des réunions organisées très fréquemment pour « mettre la pression », a eu des conséquences dévastatrices en termes de harcèlement moral.
98. Ils relèvent que le fait que la prévenue ait notamment signé plusieurs courriers dans lesquels elle notifiait aux directeurs territoriaux le montant de leur part variable et revendiqué une marge de manoeuvre pour aboutir à des décisions plus favorables témoigne de la réalité de son pouvoir décisionnaire, aux côtés de M. [FS].
99. Les juges en concluent que la prévenue, présentée dans un document intitulé « note d'appréciation sur les N-1 du Comité de direction générale » à l'intention de M. [WA] [UV], successeur de M. [XG], comme une figure emblématique du mode de gestion « à la [ZL] [FS] », a décidé volontairement de faciliter la commission de l'infraction reprochée, en connaissance de cause, en notifiant des objectifs de départ élevés aux directeurs territoriaux, et en prônant des méthodes de management harcelantes, ce, en diverses occasions, y compris lors de formations, de sorte qu'elle s'est rendue complice du délit de harcèlement moral.
100. En se déterminant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve produits au débat, la cour d'appel, qui a exactement relevé les éléments d'aide et d'assistance aux auteurs du harcèlement moral dont s'est rendue coupable l'intéressée, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués.
101. En effet, en premier lieu, il importe peu que Mme [YM] ait été déclarée coupable de complicité de harcèlement moral à l'encontre de l'ensemble des salariés de [8] dès lors que ladite société ainsi que ses dirigeants ont été déclarés coupables pour des agissements ayant pour objet de dégrader les conditions de travail de l'ensemble des membres de cette communauté de travail.
102. En second lieu, il est également indifférent que les effets sur les conditions de travail invoqués soient survenus après qu'elle eut quitté ses fonctions.
103. Le moyen doit être rejeté.
Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [XG] et le sixième moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [CL]-[VE]
Enoncé des moyens
104. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral, alors :
« 2°/ que la cour d'appel a retenu, pour renvoyer M. [XG] des fins de la poursuite du chef de harcèlement à l'égard de Mme [FU] [A], Mme [RO] [KK], [TL] [FZ] et Mme [TW] [EK], que ces salariées et fonctionnaires, présentes dans l'entreprise sur la période de prévention, n'avait pas été victimes d'agissements répétés ayant pour objet la dégradation de leurs conditions de travail ; qu'en retenant au contraire, pour déclarer le même prévenu coupable de harcèlement moral institutionnel, qu'il avait commis des agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de « tous les agents de [8] » (arrêt, p. 136, § 1, alinéa 6 ; p. 167, § 3, pénultième alinéa), la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
105. Le moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que la cour d'appel a retenu, pour renvoyer Mme [CL]-[VE] des fins de la poursuite du chef de harcèlement à l'égard de Mme [FU] [A], Mme [RO] [KK], [TL] [FZ] et Mme [TW] [EK], que ces salariées et fonctionnaires, présentes dans l'entreprise sur la période de prévention, n'avaient pas été victimes d'agissements répétés ayant pour objet la dégradation de leurs conditions de travail ; qu'en retenant au contraire, pour déclarer la même prévenue coupable de complicité de harcèlement moral institutionnel, qu'elle avait commis des agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de « tous les agents de [8] » (arrêt, p. 136, § 1, alinéa 6; p. 167, § 3, pénultième alinéa), la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
106. Les moyens sont réunis.
107. Les griefs, en ce qu'ils invoquent une irrégularité de l'arrêt qui n'est pas de nature à faire grief aux prévenus relaxés du chef de harcèlement moral ou de complicité de ce délit à l'égard de Mmes [TW] [EK], [FU] [A], [RO] [KK] et [TL] [FZ], sont irrecevables.
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [XG], et le sixième moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour Mme [CL]-[VE]
Enoncé des moyens
108. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral, alors :
« 3°/ qu'en confirmant, sur l'action publique, la déclaration de culpabilité prononcée par les premiers juges du chef de harcèlement moral commis à l'encontre de M. [S], tout en retenant, pour infirmer le jugement sur intérêts civils et débouter cette partie civile de ses demandes, que « le début des faits allégués remonte à 2011, soit postérieurement à la période de prévention retenue par le tribunal correctionnel et la cour [...], sans que le lien paraisse suffisant avec les plans NExT et ACT » (arrêt, p. 227, § 1, alinéa 2), ce dont il résultait pourtant que M. [XG] devait être renvoyé des fins de la poursuite, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
109. Le moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 2°/ qu'en confirmant, sur l'action publique, la déclaration de culpabilité prononcée par les premiers juges du chef de harcèlement moral commis à l'encontre de M. [S], tout en retenant, pour infirmer le jugement sur intérêts civils et débouter cette partie civile de ses demandes, que « le début des faits allégués remonte à 2011, soit postérieurement à la période de prévention retenue par le tribunal correctionnel et la cour [...], sans que le lien paraisse suffisant avec les plans NExT et ACT » (arrêt, p. 227, § 1,3), ce dont il résultait pourtant que Mme [CL]-[VE] devait être renvoyée des fins de la poursuite, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
110. Les moyens sont réunis.
111. L'arrêt attaqué a confirmé la déclaration de culpabilité de M. [XG] du chef de harcèlement moral, et celle de Mme [CL]-[VE] du chef de complicité de ce délit, sauf à l'égard de six membres du personnel au nombre desquels ne figure pas M. [ZG] [S].
112. La cour d'appel, en mentionnant dans la partie relative à l'action civile de M. [S] que « le début des faits allégués remonte à 2011 », ne s'est pas référée à la date des faits poursuivis, mais à celle de la manifestation du dommage subi par cette partie civile telle que son avocat l'avait exposée à l'audience.
113. Il en résulte que les griefs pris de la contradiction de motifs manquent en fait.
114. Dès lors, les moyens sont inopérants.
Mais sur le premier moyen proposé pour Mme [GI]
Enoncé du moyen
115. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé partiellement le jugement et a débouté Mme [GI] de ses demandes de dommages et intérêts et de frais irrépétibles, alors « que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en infirmant le jugement entrepris notamment en ce qu'il avait condamné solidairement monsieur [C] et la société [8] devenue [11] SA à payer à madame [GI] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et in solidum les mêmes prévenus à payer à madame [GI] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, lorsque monsieur [C] s'étant désisté de son appel et la société [8] devenue [11] SA n'ayant pas interjeté appel, les dispositions civiles du jugement concernant ces prévenus étaient devenues définitives, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 500-1 et 509 du code de procédure pénale :
116. Il résulte de ces textes que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant et que le désistement d'appel du prévenu, qui peut être rétracté, ne dessaisit le juge du second degré que si sa régularité a été constatée et qu'il en a été donné acte.
117. En l'espèce, il ressort des pièces de procédure que le tribunal correctionnel a déclaré Mme [GI] recevable en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement l'ensemble des prévenus à lui verser les sommes de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 1 500 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
118. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que l'ensemble des prévenus, à l'exception de la société [8], a interjeté appel de cette décision, que M. [C] s'est désisté de son appel le 24 septembre 2021, et que le président de la chambre des appels correctionnels a constaté, par ordonnance du 10 mars 2022, le désistement d'appel de l'intéressé.
119. Enfin, il ressort des mentions du dispositif de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a infirmé partiellement le jugement sur l'action civile et, statuant à nouveau, a débouté Mme [GI], intimée, de ses demandes de dommages et intérêts et au titre des frais irrépétibles.
120. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
121. En effet, les juges ne pouvaient débouter la partie civile de ses demandes au titre de l'action civile sans s'interroger sur l'incidence du désistement d'appel de M. [C] et de l'absence d'appel de la société [8] alors que le jugement ayant condamné solidairement les intéressés à indemniser Mme [GI] était devenu définitif à leur égard.
122. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
123. La cassation de l'arrêt ne concerne que les dispositions civiles relatives à Mme [GI]. Elle aura lieu par voie de retranchement, redonnant plein effet aux dispositions civiles du jugement la concernant.




Ass. plen. 17 janvier 2025 n° 23-18.823 B

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION LM

ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Audience publique du 17 janvier 2025
Cassation M. SOULARD, premier président Arrêt n° 680 B+R
Pourvoi n° K 23-18.823


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 17 JANVIER 2025

M. [N] [M], domicilié [Adresse 3] (Mexique), a formé le pourvoi n° K 23-18.823 contre l'arrêt rendu le 21 mars 2023 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [W], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Office notarial Geonot (ONG), société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à Mme [U] [V], épouse [X], domiciliée [Adresse 4],
4°/ à Mme [O] [V] épouse [I], domiciliée [Adresse 1],
5°/ à Mme [E] [V], épouse [Y], domiciliée [Adresse 5] (Italie),
défendeurs à la cassation.
M. [N] [M] s'est pourvu en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble en date du 16 juin 2020.
Cet arrêt a été cassé partiellement le 2 mars 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.
La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Lyon qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 21 mars 2023.
Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, le premier président de la Cour de cassation a, par ordonnance du 12 juillet 2024, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière.
Le demandeur au pourvoi invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. [N] [M].
Un mémoire en défense au pourvoi a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [C] [W] et de la société Office notarial Geonot.
Le rapport écrit de Mme Dard, conseiller, et l'avis écrit de M. Poirret, premier avocat général, ont été mis à disposition des parties.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, assisté de Mme Sciore, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, Mme Martinel, présidents, Mme Duval-Arnould, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Dard, conseiller rapporteur, M. Huglo, Mmes de la Lance, Durin-Karsenty, M. Ponsot, doyens de chambre, Mmes Auroy, Proust, conseillers faisant fonction de doyen de chambre, Mmes Piazza, Lapasset, Guillou, Douxami, M. Pety, conseillers, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 21 mars 2023), rendu après cassation (1re Civ., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-21.068, publié), et les productions, [A] [L], de nationalité italienne, est décédée le 28 février 2015 en laissant pour lui succéder quatre enfants, Mmes [U], [O] et [E] [V] et M. [T] [Y], ainsi qu'un petit-fils, M. [N] [M], venant par représentation de sa mère, prédécédée le 22 février 1994, et en l'état d'un testament reçu, en français, le 17 avril 2002, par M. [W], notaire (le notaire), en présence de deux témoins et avec le concours d'une interprète en langue italienne, et instituant ses trois filles légataires de la quotité disponible.
2. M. [M] a assigné ses tantes en nullité du testament.
3. Celles-ci ont appelé en intervention forcée le notaire et la société civile professionnelle [W]-Monin-Villard, aux droits de laquelle vient la société Office notarial Geonot.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [M] fait grief à l'arrêt de dire que le testament reçu le 17 avril 2002 par M. [W] est valide et de rejeter ses demandes, alors « que si un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l'expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l'être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l'aide d'un interprète ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3, § 3, et 4, § 1, de la loi uniforme sur la forme d'un testament international annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973, ainsi que l'article V.1 de cette Convention. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 3, § 3, et 4, § 1, de la loi uniforme sur la forme d'un testament international annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973 (la Convention) et l'article V.1 de celle-ci :
5. Selon le premier de ces textes, le testament international peut être écrit en une langue quelconque, à la main ou par un autre procédé.
6. Aux termes du deuxième, le testateur déclare en présence de deux témoins et d'une personne habilitée à instrumenter à cet effet que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu.
7. Le troisième stipule : « Les conditions requises pour être témoin d'un testament international sont régies par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée. Il en est de même à l'égard des interprètes éventuellement appelés à intervenir ».
8. Ces textes peuvent recevoir deux interprétations différentes quant à la possibilité, en matière de testament international, de pallier la méconnaissance par le testateur de la langue qu'il a choisie pour tester en recourant à un interprète.
9. Une première interprétation tient compte de ce que la loi uniforme, que les États parties ont seule l'obligation d'intégrer à leur droit interne, ne prévoit pas le recours à un interprète.
10. C'est celle qu'a retenue la Cour de cassation dans son arrêt précité du 2 mars 2022, qui a jugé que, si un testament international pouvait être écrit en une langue quelconque, afin de faciliter l'expression de la volonté de son auteur, il ne pouvait l'être, même avec l'aide d'un interprète, en une langue que le testateur ne comprenait pas.
11. Cette position, approuvée par une partie de la doctrine, s'inscrit dans un courant jurisprudentiel, qui, interprétant les règles formelles à l'aune de leur finalité, en l'occurrence favoriser la liberté du disposant et le respect de ses volontés tout en s'assurant de la réalité de ses intentions, subordonne la validité du testament à la faculté pour le testateur d'en vérifier personnellement le contenu (1re Civ., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-21.770, publié ; 1re Civ., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-11.408, publié).
12. Une seconde interprétation tire de l'article V.1 de la Convention la possibilité d'avoir recours à un interprète dans les conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée.
13. Elle garantit la sécurité juridique des testaments reçus en la forme internationale, par une personne habilitée par la loi d'un autre État partie, en présence d'un tel interprète, et assure, dans un contexte de mobilité des personnes et d'internationalisation des patrimoines, une application harmonisée des règles du testament international au sein des États ayant ratifié la Convention.
14. Il convient désormais de retenir cette seconde interprétation et de juger que la loi uniforme permet qu'un testament soit écrit dans une langue non comprise du testateur dès lors que, dans ce cas, celui-ci est assisté par un interprète répondant aux conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée à instrumenter a été désignée.
15. Toutefois, aucune disposition de la Convention ni de la loi uniforme ne fait obligation aux États parties d'introduire dans leur législation des dispositions relatives aux conditions d'intervention d'un interprète.
16. Ainsi, la loi n° 94-337 du 29 avril 1994, qui désigne comme personne habilitée à instrumenter en matière de testament international, sur le territoire de la République française, les notaires, et, à l'égard des Français à l'étranger, les agents diplomatiques et consulaires français, ne contient pas de telles dispositions.
17. Le silence de cette loi doit s'interpréter comme ne permettant pas en lui-même le recours à un interprète.
18. En effet, le testament en la forme internationale a de commun avec le testament en la forme authentique que le notaire ou l'agent diplomatique ou consulaire français, habilité à le recevoir, garantit le respect des formalités prescrites. Or, en l'état des textes applicables à l'époque de l'adoption de cette loi, il était jugé que le testament authentique reçu par le truchement d'un interprète était nul (1re Civ., 18 décembre 1956, Bull. I, n° 469 ; 1re Civ., 15 juin 1961, Bull. n° 317).
19. Si, depuis lors, en modifiant l'article 972, alinéa 4, du code civil, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a assoupli le formalisme du testament authentique pour permettre, lorsque le testateur ne peut s'exprimer en langue française, que la dictée et la lecture du testament puissent être accomplies par un interprète, c'est sous réserve que cet interprète soit choisi par le testateur sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d'appel, de sorte que seul un testament authentique recueilli avec le concours d'un tel expert, postérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte, intervenue le 18 février 2015, pourrait, par équivalence des conditions, être déclaré valide en tant que testament international.
20. Pour valider en tant que testament international le testament du 17 avril 2002, après avoir constaté que [A] [L] l'avait dicté en présence d'une interprète en langue italienne, langue non comprise du notaire et des deux témoins, l'arrêt retient qu'en l'absence, à cette date, de disposition du droit interne prévoyant l'intervention d'un interprète, le défaut d'assermentation de l'interprète ayant assisté [A] [L] n'était pas de nature à affecter la validité du testament et que, si l'acte ne porte pas la mention formelle prévue à l'article 4, § 1, de la loi uniforme, il précise qu'il a été écrit à la machine à traitement de texte par le notaire, tel qu'il lui a été dicté par la testatrice et l'interprète, puis que le notaire l'a lu à celles-ci, lesquelles ont déclaré le bien comprendre et reconnaître qu'il exprime les volontés de la testatrice, le tout en présence simultanée et non interrompue des témoins, ce qui permet de s'assurer que [A] [L] a bien confirmé que le document était son testament et qu'elle en connaissait le contenu.
21. En statuant ainsi, alors qu'à la date du testament litigieux, aucune disposition légale ne permettait, tant en matière de testament international qu'en matière de testament authentique, de recourir à un interprète pour assister un testateur ne comprenant pas la langue du testament, la cour d'appel a violé les textes susvisés.




Civ.3 16 janvier 2025 n° 23-21.174 B

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 16 janvier 2025



Rejet

Mme TEILLER, président


Arrêt n° 18 FS-B
Pourvoi n° R 23-21.174



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JANVIER 2025
La Société immobilière pour le commerce et la réparation automobile (Simcra), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 23-21.174 contre l'ordonnance du juge de l'expropriation du département des Alpes-Maritimes rendue le 24 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Nice, dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet des Alpes-Maritimes, domicilié à la préfecture des Alpes-Maritimes, [Adresse 6],
2°/ à l'établissement public foncier [Localité 9] (EPF [Localité 9]), établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 7],
3°/ à Mme [N] [A], épouse [P],
4°/ à M. [J] [P],
tous deux domiciliés [Adresse 5],
5°/ à [K] [E], ayant été domicilié [Adresse 3],
6°/ à Mme [W] [V], épouse [E], domiciliée [Adresse 3], prise tant en nom personnel qu'en sa qualité d'héritière d'[K] [E],
7°/ à M. [F] [A], domicilié [Adresse 10], pris tant en nom personnel qu'en sa qualité d'héritier de [G] [A],
8°/ à M. [T] [A], domicilié [Adresse 4], pris tant en nom personnel qu'en sa qualité d'héritier de [G] [A],
9°/ à Mme [S] [O], épouse [A], domiciliée [Adresse 4],
10°/ à Mme [Y] [E], épouse [A], domiciliée [Adresse 2], prise tant en nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de [G] [A],
11°/ à [G] [A], ayant été domicilié [Adresse 2],
12°/ à M. [U] [E], domicilié [Adresse 8],
13°/ à M. [R] [E],
14°/ à M. [X] [E],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
tous trois pris en leur qualité d'héritier d'[K] [E],
défendeurs à la cassation.
M. et Mme [P] ont formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Les demandeurs au pourvoi provoqué invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Rat, conseiller référendaire, les observations écrites et les plaidoiries de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Société immobilière pour le commerce et la réparation automobile, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'établissement public foncier [Localité 9], les observations écrites de Me Occhipinti, avocat de M. et Mme [P], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Rat, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. La Société immobilière pour le commerce et la réparation automobile s'est pourvue en cassation contre l'ordonnance du juge de l'expropriation du département des Alpes-Maritimes ayant ordonné le transfert de propriété, au profit de l'établissement public foncier de [Localité 9] (l'EPF [Localité 9]), de parcelles appartenant notamment à M. et Mme [P], aux consorts [E] et [A] et qui lui étaient données à bail à construction.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal et sur le second moyen du pourvoi incident
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le premier moyen du pourvoi incident, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
3. Par son premier moyen, la Société immobilière pour le commerce et la réparation automobile fait grief à l'ordonnance de déclarer expropriées les parcelles à elle données à bail à construction, et d'envoyer l'EPF [Localité 9] en possession, alors « que l'annulation par le juge administratif de l'arrêté de cessibilité prive de base légale l'ordonnance d'expropriation prise sur le fondement de cet arrêté ; que, se fondant sur l'arrêté de cessibilité du préfet des Alpes Maritimes du 22 septembre 2022, le juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Nice a prononcé, au profit de l'EPF [Localité 9], l'expropriation de droits réels immobiliers détenus par la Société immobilière pour le commerce et la réparation ; que cette dernière justifie avoir frappé d'un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Nice l'arrêté de cessibilité du 22 septembre 2022 ; que l'annulation de cet arrêté qui sera prononcée par le juge administratif entraînera l'annulation, par voie de conséquence, de l'ordonnance d'expropriation pour défaut de base légale, en application des articles L. 1, L. 221- 1 et L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »
4. Par leur premier moyen, M. et Mme [P] font grief à l'ordonnance de déclarer expropriées les parcelles leur appartenant et d'envoyer l'EPF [Localité 9] en possession, alors « que l'annulation par le juge administratif de l'arrêté de cessibilité prive de base légale l'ordonnance d'expropriation prise sur le fondement de cet arrêté ; que, se fondant sur l'arrêté de cessibilité du préfet des Alpes Maritimes du 22 septembre 2022, le juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Nice a prononcé, au profit de l'EPF [Localité 9], l'expropriation de droits réels immobiliers détenus par M. et Mme [P] ; que la Société immobilière pour le commerce et la réparation automobile a déposé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Nice contre l'arrêté de cessibilité du 22 septembre 2022 ; que l'annulation de cet arrêté qui sera prononcée par le juge administratif vaudra erga omnes et entraînera l'annulation, par voie de conséquence, de l'ordonnance d'expropriation pour défaut de base légale, en application des articles L. 1, L. 221-1 et L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, sans préjudice de l'article L. 223-1, en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation.
6. Il était jugé que cette faculté ne faisait pas obstacle, pour l'exproprié, à la possibilité de former un pourvoi en cassation avant le prononcé de cette annulation, pour demander la cassation par voie de conséquence de l'annulation à intervenir (3e Civ., 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-17.739, publié), le recours en rétablissement à cette fin étant admis tant que le délai de péremption de l'instance n'était pas acquis (3e Civ., 17 décembre 1996, pourvoi n° 88-70.033 ; 3e Civ., 7 juin 2011, pourvoi n° 99-70.266).
7. Toutefois, en premier lieu, la cassation pour perte de base légale ne dispensait pas l'exproprié de saisir le juge de l'expropriation, seul compétent pour statuer sur toutes les conséquences, notamment indemnitaires, de l'annulation de l'ordonnance d'expropriation.
8. En second lieu, il résulte des articles R. 223-1 à R. 223-8 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, qui régissent le recours ouvert par l'article L. 223-2, que l'exproprié dispose d'un délai de deux mois pour saisir le juge de l'expropriation, ce délai courant à compter de la notification de la décision définitive du juge administratif annulant la déclaration d'utilité publique ou l'arrêté de cessibilité, et, si l'exproprié n'a pas été partie à la procédure devant la juridiction administrative, à compter de la réception de l'information donnée par l'expropriant, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par voie de signification, laquelle doit viser l'article R. 223-1 qui précise la liste des pièces que l'exproprié doit transmettre au greffe du juge qui a prononcé l'expropriation, s'il entend faire constater le manque de base légale de l'ordonnance portant transfert de propriété.
9. Ainsi, l'annulation d'une ordonnance d'expropriation pour perte de fondement légal, selon la procédure prévue aux articles L. 223-2 et R. 223-1 à R. 223-8 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, constitue un recours garantissant pleinement les droits de l'exproprié.
10. En conséquence, il convient désormais de juger que l'annulation à intervenir de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité ne donne pas lieu à ouverture à cassation de l'ordonnance d'expropriation pour perte de fondement légal.
11. Cette nouvelle règle de procédure, qui ne prive pas l'exproprié de son droit d'accès au juge, est d'application immédiate, sauf notification, avant le présent arrêt, d'une décision définitive d'annulation prononcée par la juridiction administrative.
12. Aucune décision définitive annulant l'arrêté de cessibilité du 22 septembre 2022 n'étant intervenue, le moyen est irrecevable.




Civ.2 16 janvier 2025 n° 22-21.138 B

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 16 janvier 2025



Cassation

Mme MARTINEL, président


Arrêt n° 57 F-B
Pourvoi n° F 22-21.138

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JANVIER 2025

1°/ M. [Z] [D],
2°/ Mme [H] [F], épouse [D],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° F 22-21.138 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre 8, section 4), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [E] [Y],
2°/ à Mme [X] [Y],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vendryes, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat de M. et Mme [D], de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. et Mme [Y], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Vendryes, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Sara, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 7 juillet 2022), le 18 mai 2013, M. [Y] a pris à bail un immeuble à usage d'habitation appartenant à M. et Mme [D] (les bailleurs).
2. Après résiliation du bail le 4 janvier 2016 et remise des clés le 4 avril 2016, M. et Mme [Y] ont assigné les bailleurs devant un tribunal d'instance en restitution du dépôt de garantie majoré de 10 % à compter du 4 juin 2016.
3. Par jugement du 15 septembre 2020, le juge des contentieux de la protection d'un tribunal judiciaire a condamné les bailleurs à payer à M. et Mme [Y] les sommes de 1 486 euros en restitution du dépôt de garantie et de 4 864 euros au titre de la majoration légale.
4. Les bailleurs ont interjeté appel de ce jugement.
Sur le moyen relevé d'office
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article R. 221-4 du code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction issue du décret n° 2008-522 du 2 juin 2008, l'article 35, dernier alinéa, du code de procédure civile et l'article 22, alinéa 7, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 :
6. En vertu du premier de ces textes, le tribunal d'instance statue en dernier ressort lorsqu' il est appelé à connaître d'une action personnelle ou mobilière portant sur une demande dont le montant est inférieur ou égal à la somme de 4 000 euros ou sur une demande indéterminée qui a pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant est inférieur ou égal à cette somme.
7. Aux termes du deuxième, lorsque les prétentions réunies sont fondées sur les mêmes faits ou sont connexes, la compétence et le taux du ressort sont déterminés par la valeur totale de ces prétentions.
8. Selon le troisième, à défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d'une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard.
9. Pour déclarer irrecevable l'appel des bailleurs, l'arrêt retient que la majoration légale précitée constitue l'accessoire de la restitution du dépôt de garantie et n'a pas à être prise en compte dans la détermination du taux de dernier ressort.
10. En statuant ainsi, alors que la demande relative à la majoration légale constitue une demande accessoire à la demande principale, qui, par sa nature indemnitaire, concourt avec celle-ci à déterminer le taux du ressort, ce dont il se déduisait que le total des demandes excédant le taux de dernier ressort, la voie de l'appel était ouverte, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt qui a déclaré irrecevable l'appel interjeté par les bailleurs entraîne la cassation du chef de dispositif déclarant irrecevable l'appel incident de M. et Mme [Y] qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.




Civ.2 16 janvier 2025 n° 22-15.627 B

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 16 janvier 2025



Cassation partielle

Mme MARTINEL, président


Arrêt n° 52 F-B
Pourvoi n° R 22-15.627



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JANVIER 2025
1°/ le comptable public responsable du pôle du recouvrement spécialisé de l'Essonne, domicilié [Adresse 1],
2°/ le comptable public responsable du service des impôts des particuliers de [Localité 4], domicilié [Adresse 2],
tous deux agissant sous l'autorité du directeur départemental des finances publiques de l'Essonne et du directeur général des finances publiques,
ont formé le pourvoi n° 22-15.627 contre l'arrêt rendu le 17 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [P] [C],
2°/ à Mme [F] [T], épouse [C],
tous deux domiciliés [Adresse 3] (Serbie),
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du comptable public responsable du pôle du recouvrement spécialisé de l'Essonne et du comptable public responsable du service des impôts des particuliers de [Localité 4], tous deux agissant sous l'autorité du directeur départemental des finances publiques de l'Essonne et du directeur général des finances publiques, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [C], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Sara, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars 2022) et les productions, sur des poursuites de saisie immobilière engagées, sur le fondement de plusieurs rôles d'impôts directs, par le responsable du service des impôts des particuliers de [Localité 4] (le SIP) et le comptable public du pôle de recouvrement spécialisé de l'Essonne (le PRS) à l'encontre de M. et Mme [C], un jugement d'orientation a ordonné la vente forcée des biens saisis.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Le SIP et le PRS font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement du 5 mai 2021 en ce qu'il a fixé la créance du SIP à hauteur de 349 750,58 euros et celle du PRS à hauteur de 291 543 euros, d'ordonner la vente forcée de l'immeuble saisi sur une mise à prix de 120 000 euros, de fixer la créance du SIP à l'encontre de Mme [C] à hauteur de 29 654 euros et de déclarer le PRS irrecevable en ses demandes, alors « que le juge judiciaire est incompétent pour statuer sur la prescription des créances fiscales faisant l'objet du commandement de payer valant saisie immobilière dès lors que celles-ci relèvent de la compétence exclusive des juridictions administratives ; qu'en se déclarant néanmoins compétent pour statuer sur la prescription de l'action en recouvrement des créances fiscales au motif que le juge de l'exécution dispose de la compétence pour statuer sur une fin de non recevoir, la cour d'appel de Paris a méconnu le principe de séparation des deux ordres de juridictions résultant de la loi des 16-24 août 1790 et a violé l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, ensemble l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16 et 24 août 1790, les articles L. 199 et L. 281 du livre des procédures fiscales et 49, alinéa 2, du code de procédure civile :
3. Il résulte des trois premiers de ces textes que le juge administratif est seul compétent pour statuer sur la question de la prescription de l'action en recouvrement d'impôts directs.
4. Aux termes du dernier, lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle.
5. Pour infirmer le jugement en ce qu'il a fixé la créance du SIP à hauteur de 349 750,58 euros et celle du PRS à hauteur de 291 543 euros et, statuant à nouveau, fixer la créance du SIP à l'encontre de Mme [C] à hauteur de 29 654 euros et déclarer le PRS irrecevable en ses demandes, l'arrêt retient que, contrairement à ce qu'a estimé le juge de l'exécution, ce dernier a le pouvoir de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription même si, par hypothèse, le créancier détient un titre exécutoire.
6. En statuant ainsi, alors qu'elle n'était pas compétente pour statuer sur la contestation relative à la prescription de l'action en recouvrement des impositions concernées, la cour d'appel, qui aurait dû vérifier si cette question soulevait ou non une difficulté sérieuse justifiant de saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
7. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt infirmant le jugement en ce qu'il a fixé la créance du SIP et celle du PRS et ordonné la vente forcée de l'immeuble saisi, et, statuant à nouveau, fixant la créance du SIP et déclarant le PRS irrecevable en sa demande entraîne la cassation des chefs de dispositif autorisant M. et Mme [C] à vendre à l'amiable le bien saisi et renvoyant les parties devant le juge de l'exécution aux fins de vérifier si l'immeuble a été vendu conformément à l'arrêt qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.




Civ.2 16 janvier 2025 n° 22-20.775 B

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 16 janvier 2025



Cassation

Mme MARTINEL, président


Arrêt n° 47 F-B
Pourvoi n° M 22-20.775



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JANVIER 2025

La société Beluga, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 22-20.775 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2), dans le litige l'opposant à M. [I] [L], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Waguette, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de la société Beluga, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Waguette, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Sara, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 juin 2022), la société Beluga (la société) a relevé appel d'un jugement du conseil de prud'hommes de Marseille du 30 mars 2021 ayant statué sur le litige l'opposant à M. [L].
2. Par une ordonnance du 21 juin 2021, le conseiller de la mise en état a fait injonction à chacune des parties d'assister à une séance d'information sur la médiation.
3. Par une ordonnance du 13 décembre 2021, le conseiller de la mise en état, qui a constaté que la société avait remis ses conclusions après l'expiration du délai imparti par l'article 908 du code de procédure civile, a prononcé la caducité de la déclaration d'appel.
4. La société a déféré cette ordonnance à la cour d'appel.
Sur le moyen relevé d'office
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 910-2 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 :
6. Selon ce texte, les délais impartis pour conclure et former appel incident, mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, sont interrompus par la décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l'article 127-1 du même code ou qui ordonne une médiation.
7. L'article 6 du décret n° 2022-245 prévoit notamment que l'article 1er, qui a modifié l'article 910-2, entre en vigueur le lendemain de la publication dudit décret, et que cette disposition est applicable aux instances en cours.
8. L'instance devant une cour d'appel, introduite par une déclaration d'appel prenant fin avec l'arrêt que rend cette juridiction, soit en l'espèce l'arrêt du 24 juin 2022, le décret du 25 février 2022 est applicable au présent litige. La cour d'appel est tenue, au besoin d'office, de faire application de ce nouveau texte.
9. Pour confirmer la décision ayant prononcé la caducité de la déclaration d'appel de la société, l'arrêt constate que par son ordonnance du 21 juin 2021 le conseiller de la mise en état avait enjoint aux parties d'assister à une séance d'information sur la médiation et offert la possibilité au médiateur de commencer immédiatement ses opérations en cas d'accord des parties sur une médiation et retient que la décision qui conviait les parties à une simple information ne pouvait interrompre le délai pour conclure à défaut d'accord des parties sur une médiation, pas plus qu'elle ne pouvait le suspendre en l'absence de dispositions légales en ce sens.
10. En statuant ainsi, alors que l'ordonnance enjoignant aux parties d'assister à une séance d'information sur la médiation interrompt le délai pour conclure en application de l'article 910-2 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, applicable au litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé.




Civ.2 16 janvier 2025 n° 22-19.719 B

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD


COUR DE CASSATION ______________________

Audience publique du 16 janvier 2025



Cassation

Mme MARTINEL, président


Arrêt n° 46 F-B
Pourvoi n° P 22-19.719





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JANVIER 2025

La Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Bourgogne Franche-Comté, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3], a formé le pourvoi n° P 22-19.719 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2022 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [P], domicilié [Adresse 6], [Localité 4],
2°/ à M. [Y] [P], domicilié [Adresse 1], [Localité 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Waguette, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Bourgogne Franche-Comté, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de MM. [S] et [Y] [P], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Waguette, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Sara, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 2 juin 2022) rendu en référé, MM. [S] et [Y] [P] (les consorts [P]) se sont portés acquéreurs de parcelles qui ont finalement été cédées à la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de Bourgogne Franche-Comté après l'exercice de son droit de préemption.
2. Par acte du 1er février 2021, les consorts [P] ont assigné la SAFER de Bourgogne Franche-Comté devant un tribunal judiciaire à fin de contester la décision de préemption.
3. Par acte du 10 mai 2021, la SAFER de Bourgogne Franche-Comté a saisi le juge des référés d'un tribunal judiciaire d'une demande, sur le fondement des articles 834 et 835 du code de procédure civile, à fin de voir ordonner sous astreinte la libération des parcelles occupées par les consorts [P].
4. Par une ordonnance, dont la SAFER de Bourgogne Franche-Comté a relevé appel, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. La SAFER de Bourgogne Franche-Comté fait grief à l'arrêt de déclarer le juge des référés incompétent, alors « que le juge de la mise en état ne dispose d'une compétence exclusive qu'au regard de l'objet du litige dont est saisi au fond le tribunal ; qu'en retenant que le juge des référés était incompétent en raison de la désignation d'un juge de la mise en état dans le cadre de l'instance au fond engagée par MM. [P] aux fins de contestation de l'exercice par la Safer Bourgogne Franche-Comté de son droit de préemption sur les parcelles qui appartenaient à [I] [L], quand la demande de la Safer, tendant à l'expulsion de MM. [P] qui exploitaient lesdites parcelles sans droit ni titre, n'avait pas le même objet que celle dont était saisi au fond le tribunal, la cour d'appel a violé l'article 789 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 789 du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent à l'exclusion d'une autre formation du tribunal pour ordonner toutes mesures provisoires, mêmes conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires.
7. La désignation du juge de la mise en état dans une instance, en application de ce texte, ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés à fin de statuer sur un litige lorsque l'objet de ce litige est différent de celui dont est saisi la juridiction du fond.
8. Pour déclarer le juge des référés incompétent pour connaître de la demande tendant à l'expulsion des consorts [P], l'arrêt relève que ceux-ci ont assigné la SAFER en annulation des préemptions exercées et qu'un juge de la mise en état a été désigné le 25 février 2021 dans le cadre de cette instance puis retient que le juge des référés ne saurait, dès lors, être compétent, le juge de la mise en état étant seul compétent jusqu'à l'ordonnance de clôture.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle était saisie en référé d'une demande d'expulsion des occupants de la parcelle préemptée par la SAFER, litige dont l'objet était différent de celui dont était saisi la juridiction du fond, la cour d'appel a violé les textes susvisés.




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