Crim. 8 septembre 2021 n° 21-80.260
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 21-80.260 F-D
N° 00978
GM 8 SEPTEMBRE 2021
CASSATION
M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 SEPTEMBRE 2021
[H] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3ème section, en date du 17 décembre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'agressions sexuelles, a rejeté sa requête en nullité.
Par ordonnance en date du 22 mars 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Barbé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de [H] [T], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2021 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Barbé, conseiller rapporteur, Mme Slove, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. [H] [T] a été mis en examen le 18 avril 2019 pour des faits d'agressions sexuelles. Il a saisi la chambre de l'instruction d'une demande d'annulation de pièces ainsi que de sa mise en examen.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et dit qu'il sera fait ensuite retour du dossier au juge d'instruction saisi pour poursuite de l'information, alors :
« 1°/ que dès le début de la garde à vue, le mineur doit être assisté par un avocat ; que la cour d'appel a constaté qu' [H] [T], mineur, a été placé en garde à vue le 14 février 2019 à 9 heures 25, et n'a effectivement bénéficié de l'assistance d'un avocat que le lendemain, 15 février 2019, à 9 heures 55; que durant ces 24 premières heures, il a été auditionné à deux reprises, une fois le 14 février au matin et une autre fois le même jour, dans l'après-midi ; qu'en é
2°/ que la demande d'assistance d'un avocat peut également être faite par les représentants légaux du mineur, qui doivent être avisés de ce droit lorsqu'ils sont informés de la garde à vue ; que la cour d'appel a constaté que le père d'[H] [T] avait pris acte dès le début de la garde à vue de ce que son fils serait assisté par un avocat commis d'office ; qu'elle a également retenu qu'avisé de la prolongation de la garde à vue, le 15 février à 9 heures 45, le père du mineur avait désigné un avocat pour assister son fils ; qu'en écartant la nullité des auditions d'[H] [T] menées le 14 février, sans constater que son père aurait été immédiatement informé de l'absence d'avocat commis d'office et mis en mesure de désigner lui-même un avocat pour assister son fils, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, 63-3-1 et 63-4-2 du code de procédure pénale, et 591 du même code ;
3°/ que la personne gardée à vue peut demander que l'avocat assiste à ses auditions et confrontations ; que dans ce cas, la première audition, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d'identité, ne peut débuter sans la présence de l'avocat choisi ou commis d'office avant l'expiration d'un délai de deux heures suivant l'avis adressé dans les conditions prévues à l'article 63-3-1 de la demande formulée par la personne gardée à vue d'être assistée par un avocat ; que la notification faite à [H] [T] du droit d'être assisté d'un avocat a été faite à 9 heures 30 et la permanence des avocats n'a été appelée, après cette notification, qu'à 9 heures 40 ; que l'audition du mineur ne pouvait dès lors pas valablement débuter sans l'assistance d'un avocat avant 11 heures 40 ; qu'en jugeant son audition régulière cependant qu'elle avait débuté à 11 heures 30, la cour d'appel a violé l'article 63-4-2 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'une seconde audition d'un mineur ne saurait avoir lieu sans l'assistance d'un avocat ; que l'avocat de permanence doit donc être informé de l'horaire de cette seconde audition ; qu'en jugeant que l'officier de police judiciaire n'aurait pas été tenu d'indiquer à Maître Dakhli, avocat de permanence, l'horaire de la deuxième audition, dès lors que cet avocat n'avait pas répondu qu'il serait disponible l'après-midi, cependant que cette circonstance était indifférente, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, 63-3-1 et 63-4-2 du code de procédure pénale, et 591 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4, IV, de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, dans sa version applicable, issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 :
4. Selon ce texte, dès le début de la garde à vue, le mineur doit être assisté par un avocat dans les conditions prévues aux articles 63-3-1 à 63-4-3 du code de procédure pénale. Il doit être immédiatement informé de ce droit. Lorsque le mineur n'a pas sollicité l'assistance d'un avocat, cette demande peut également être faite par ses représentants légaux, qui sont alors avisés de ce droit lorsqu'ils sont informés de la garde à vue en application du II du même article. Lorsque le mineur ou ses représentants légaux n'ont pas désigné d'avocat, le procureur de la République, le juge chargé de l'instruction ou l'officier de police judiciaire doit, dès le début de la garde à vue, informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu'il en commette un d'office.
5. Cette information vise à garantir l'assistance effective du mineur gardé à vue par un avocat, ainsi que le libre choix de l'avocat qui prodiguera cette assistance. Cette information est prévue dans l'intérêt du mineur placé en garde à vue et son absence entraîne la nullité du placement en garde à vue.
6. Il résulte de l'arrêt attaqué que :
- [H] [T] a été convoqué au commissariat de police, le 14 février 2019, dans le cadre d'une enquête ouverte pour des faits susceptibles d'avoir été commis quand il était mineur,
- il a été placé en garde à vue, le 14 février à 9 heures 25 ; avisé, à 9 heures 30, de son droit à l'assistance d'un avocat, il a répondu qu'il ne souhaitait pas une telle assistance,
- l'officier de police judiciaire a averti par téléphone la permanence du barreau de Meaux, pour demander la présence d'un avocat: le 13 février à 18 heures, recevant, de l'avocat de permanence ce jour-là, l'assurance qu'il préviendrait son confrère de permanence le lendemain ; puis le 14 février, à 8 heures 55 et 9 heures 40, laissant à chaque fois un message sur un répondeur, et, enfin, à 10 heures 15, l'avocat de permanence l'informant alors de son indisponibilité, et l'enquêteur demandant à être rappelé si un autre avocat de permanence pouvait assister [H] [T],
- le 14 février 2019 à 9 heures 58, l'enquêteur a joint par téléphone le père d'[H] [T], l'informant que son fils était placé en garde à vue, et qu'il serait assisté d'un avocat d'office, son père estimant alors qu'il n'était pas nécessaire de choisir un avocat pour l'assister ; il apparaît que le père d'[H] [T] est resté au commissariat, de 9 heures à 17 heures, le même jour,
- le 14 février 2019, [H] [T] a été entendu à deux reprises, une première fois à compter de 11 heures 30, une seconde fois dans l'après-midi, sans l'assistance d'un avocat,
- le 15 février à 9 heures 45, le père d'[H] [T] a été avisé de la prolongation de la garde à vue de son fils, jusqu'au 16 février à 9 heures 25 ; il a alors choisi un avocat à son fils, qui est entré en relation, à 9 heures 55, avec le mineur placé en garde à vue.
7. Pour dire n'y avoir lieu à l'annulation des auditions d'[H] [T], faites au cours de sa garde à vue, le 14 février 2019, et des confrontations subséquentes, la chambre de l'instruction relève que l'officier de police judiciaire a procédé aux diligences visant à obtenir l'assistance du mineur gardé à vue par un avocat, en prenant contact avec la permanence du barreau.
8. L'arrêt ajoute que le mineur et son père n'ont pas été privés de la possibilité de choisir eux-mêmes un avocat, ayant été informés de cette faculté par l'officier de police judiciaire lors de l'avis donné au début de la mesure de garde à vue, mais qu'ils ont décidé de ne pas procéder à ce choix. Les juges retiennent qu'il ne pesait sur l'officier de police judiciaire aucune obligation de notification supplémentaire au père d'[H] [T], en dépit de sa présence dans les locaux du commissariat et de la carence de l'avocat de permanence.
9. En prononçant ainsi, alors que les représentants légaux du mineur n'ont pas été mis en mesure de choisir un avocat pour l'assister lors de ses auditions, sous le régime de la garde à vue, lorsqu'il est apparu qu'il ne pourrait être assisté d'un avocat commis d'office et que le service de permanence du barreau n'a pas été avisé de l'horaire de la seconde audition, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et principes énoncés et rappelés ci-dessus.
10. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 8 septembre 2021 n° 20-85.652
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 20-85.652 F-D
N° 00981
GM 8 SEPTEMBRE 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 SEPTEMBRE 2021
M. [Q] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5ème section, en date du 7 octobre 2020, qui dans la procédure d' extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement serbe, a émis un avis favorable.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Slove, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [Q] [W], et les conclusions de Mme Philippe, avocat général référebdaire, après débats en l'audience publique du 23 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Slove, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 2 octobre 2019, le gouvernement de la République serbe a formé contre M. [W], de nationalité serbe, une demande d'arrestation provisoire, suivie d'une demande d'extradition adressée par la voie diplomatique, aux fins de l'exercice de poursuites pénales pour des faits qualifiés par l'Etat requérant de production et distribution illicites de stupéfiants, commis le 22 septembre 2012 à Belgrade.
3. Le même jour, M. [W] a été présenté devant le procureur général près la cour d'appel de Paris et a été placé sous contrôle judiciaire par le magistrat délégué par le premier président de ladite cour.
4. Devant la chambre de l'instruction, M. [W] a refusé son extradition. Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit être d'avis qu'il y a lieu d'accueillir favorablement la demande d'extradition faite par le gouvernement de la République de Serbie contre M. [W], alors :
« 1°/ que la chambre de l'instruction doit vérifier, selon le cas considéré, si la prescription de l'action publique ou la prescription de l'exécution de la peine n'est pas acquise, d'après la loi de l'État requérant ou la loi française ; que l'arrêt relève que selon les dispositions des articles 7 et 8 du code de procédure pénale français et de l'article 103, 3° du code pénal serbe produit par l'autorité requérante, la prescription de l'action publique n'est acquise ni en droit serbe ni en droit français ; qu'en l'état de ces seules énonciations, alors que le texte serbe cité, relatif à la prescription de l'exécution de la peine, est sans portée sur celle de l'action publique, l'arrêt ne répond pas aux conditions essentielles de son existence légale au regard des articles 593, 696-4, 696-15, 10 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;
2°/ que l'extradition n'est pas accordée lorsque, d'après la loi de l'État requérant ou la loi française, la prescription de l'action publique s'est trouvée acquise antérieurement à la demande d'extradition ; qu'il entre dans les pouvoirs de la chambre de l'instruction de rechercher si des actes accomplis par les autorités judiciaires de l'Etat requérant constituent des actes interruptifs au regard de la loi française ; qu'en se bornant à constater que l'action publique n'était pas acquise en droit français, sans vérifier si, entre le 22 septembre 2012, et la demande d'extradition intervenue en octobre 2019, des actes interruptifs de prescription étaient intervenus, l'arrêt ne répond pas aux conditions essentielles de son existence légale au regard des articles 593, 696-4, 696-15, 10 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa première branche
6. Pour déclarer que la prescription n'est pas acquise au regard du droit serbe, la chambre de l'instruction énonce que selon les dispositions des articles 7 et 8 du code de procédure pénale français et de l'article 103, 3° du code pénal serbe produit par l'autorité requérante, la prescription de l'action publique n'est acquise ni en droit serbe ni en droit français prononce par les motifs repris au moyen.
7. Elle ajoute que l'extradition est demandée dans le cadre de poursuites exercées pour des faits d'infractions à la législation sur les stupéfiants, commis le 22 septembre 2012, en Serbie, passibles, dans ce pays, d'une peine de douze ans d'emprisonnement.
8. En cet état, et dès lors qu'il résulte de l'article 103, 3° du code pénal serbe que le délai de la prescription de l'action publique s'élève, en Serbie, à quinze ans pour cette infraction, le délai de prescription de la peine étant fixé par une disposition distincte, l'article 105 du même code, le grief ne peut être admis.
Sur le moyen pris en sa seconde branche
9. Il résulte de l'arrêt attaqué qu'au regard de la date des faits, la prescription de l'action publique n'était pas acquise au regard du droit français le 9 avril 2015, date à laquelle a été décerné un mandat d'arrêt contre le demandeur. Selon le droit français, un nouveau délai de prescription de trois ans a commencé à courir à cette dernière date. Avant d'expirer, ce délai a été porté à six ans, par la loi du 27 février 2017. Il en résulte qu'à la date du 24 octobre 2019, à laquelle l'extradition de M. [W] a été demandée par les autorités serbes, la prescription de l'action publique n'était pas acquise au regard du droit français.
10. Le moyen, qui n'est fondé en aucune de ses branches, doit donc être écarté.
Sur le second moyen de cassation
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit être d'avis qu'il y a lieu d'accueillir favorablement la demande d'extradition faite par le gouvernement de la République de Serbie contre M. [W], sans statuer sur la demande de M. [W] tendant à voir ordonner un complément d'information, alors:
« 1°/ que l'omission de statuer sur un chef de demande dans le dispositif d'un arrêt ouvre droit à cassation ; que seul le dispositif indique ce qui a été tranché ; qu'en omettant, dans le dispositif de son arrêt, de statuer dans son dispositif sur la demande de M. [W] tendant à la communication, avant avis sur la demande d'extradition dont il fait l'objet, de l'arrêt de la cour d'appel de Novi Sad du 16 octobre 2014, des décisions de renvoi des 12 février 2015 et 23 mars 2015 et du pouvoir remis au tribunal de Pancevo par son avocat [Y] [G], l'arrêt ne répond pas aux conditions essentielles de son existence légale au regard de l'article 13 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, 593, 695-4, 696-15 du code de procédure pénale ;
2°/ que, si les informations communiquées par la partie requérante se révèlent insuffisantes pour permettre à la partie requise de prendre une décision, cette partie peut demander un complément d'information ; qu'en ne recherchant pas, pour rejeter cette demande, si la demande de communication des pièces n'était pas seule de nature à déterminer directement, indépendamment des énonciations de la décision rendue sur la détention provisoire, si M. [W] avait été ou non condamné en Serbie, question dont dépendait le maintien de l'objet de sa demande d'extradition, intervenue aux seules fins de poursuite, l'arrêt ne répond pas aux conditions essentielles de son existence légale au regard de l'article 13 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, 593, 695-4, 696-15 du code de procédure pénale ;
3°/ que si les informations communiquées par la partie requérante se révèlent insuffisantes pour permettre à la partie requise de prendre une décision, cette partie peut demander un complément d'information ; qu'en ne recherchant pas si la demande de communication des pièces n'était pas seule de nature à permettre au juge de déterminer, par un examen direct, au-delà des énonciations de la décision rendue sur la détention provisoire, les raisons pour lesquelles M. [W] n'avait pas pu être jugé durant l'une des trois audiences ayant eu lieu devant les juridictions serbes, et partant, pour se déterminer sur la question de savoir s'il avait cherché ou non à se soustraire à l'exercice de la justice, l'arrêt ne répond pas aux conditions essentielles de son existence légale au regard au regard de l'article 13 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, 593, 695-4, 696-15 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12. Pour rejeter la demande de supplément d'information présentée par M. [W], la chambre de l'instruction indique, dans les motifs de l'arrêt attaqué, que l'extradition de l'intéressé est demandée pour exercer une poursuite pénale et non pour parvenir à l'exécution d'une peine, et qu'il ne lui est pas nécessaire, pour émettre son avis, de disposer de la copie de trois décisions juridictionnelles, rendues en Serbie, ni d'un pouvoir de représentation remis à un avocat, dont la communication est sollicitée. La chambre de l'instruction précise que la décision juridictionnelle qui a décerné mandat d'arrêt à l'encontre de M. [W] figure au dossier et relate, de manière précise, la teneur des décisions dont la communication est demandée, ainsi que les conditions dans lesquelles l'intéressé n'a pas comparu devant les juridictions pénales serbes à l'occasion des poursuites engagées contre lui.
13. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance et procédant de son appréciation souveraine de la nécessité d'ordonner un supplément d'information, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
14. Le moyen ne peut, dès lors, être admis.
Crim. 8 septembre 2021 n° 19-81.850
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 19-81.850 F-D
N° 00977
GM 8 SEPTEMBRE 2021
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 SEPTEMBRE 2021
M. [F] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5ème section, en date du 20 février 2019, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement algérien, a émis un avis partiellement favorable. Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [F] [L], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Les autorités algériennes ont sollicité l'extradition de M. [F] [L], ressortissant algérien, dans trois demandes distinctes.
3. Dans la procédure n° 2017/02764, par note verbale n° 165/2017 du 23 mars 2017, les autorités algériennes ont sollicité son extradition aux fins d'exécution d'une peine de prison à perpétuité, prononcée par défaut le 28 décembre 2016, par la cour de Tlemcen, pour des faits d'importation illégale de drogues et de contrebande de véhicules, commis le 31 mars 2013.
4. Son extradition a été également sollicitée aux fins de poursuites en vertu d'un mandat d'arrêt délivré par le juge d'instruction près le tribunal de Ghazaouet, en date du 7 juillet 2013, pour importation illégale de drogues, faits commis le 20 mars 2013, dans le village de Boudjenance.
5. Dans le cadre de la procédure n° 2017/00758, par note verbale de leur ambassade à [Localité 2], en date du 15 juin 2017, les autorités algériennes ont sollicité l'extradition de M. [L] aux fins de poursuites pénales fondées sur un mandat d'arrêt en date du 21 mai 2015, délivré par le juge d'instruction d'Oran, pour des faits d'importation illicite de stupéfiants en bande organisée, commis du 16 juillet 2014 au 21 mai 2015 en Algérie.
6. Dans la procédure n° 2017/06242, par note verbale de leur ambassade à Paris en date du 12 octobre 2017, les autorités algériennes ont sollicité l'extradition de M. [L] aux fins de l'exécution d'une peine de prison à perpétuité prononcée par défaut, le 6 février 2014, par le tribunal des délits à la cour d'Oran pour des faits d'acquisition de drogue et commercialisation, commis le 13 décembre 2011, à [Localité 1].
7. Elles ont également sollicité cette extradition aux fins d'exécution d'une peine de prison à perpétuité prononcée par défaut, le 7 décembre 2014, par le tribunal des délits à la cour d'Oran pour des faits d'importation illégale de drogue et d'acquisition et commercialisation de drogue par voie illégale dans un groupe criminel organisé, commis le 25 décembre 2012 et courant 2012, à Elkerma et dans un lieu relevant du tribunal d'Oran.
8. Elles ont sollicité son extradition aux fins d'exécution d'une peine de vingt ans d'emprisonnement et 50 millions de dinars algériens d'amende, prononcée par défaut, le 15 mai 2016, par le tribunal criminel d'Oran pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, détention, entreposage et contrebande de stupéfiants en vue de leur trafic illicite par une association criminelle organisée, commis le 8 janvier 2014, au Douar Hadadache, commune de Djebala.
9. La demande porte également sur l'exécution d'une peine d'emprisonnement à perpétuité prononcée, par défaut, le 18 mai 2016, par le tribunal criminel d'Oran, pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, détention, et transport de stupéfiants en vue de leur trafic illicite par une association criminelle organisée, commis le 27 mars 2013, sur le ressort de la cour d'appel d'Oran.
10. Elle concerne encore l'exécution d'une peine de réclusion perpétuelle prononcée, par défaut, le 2 février 2016, par le tribunal criminel d'Oran, pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, acquisition, et transport, stockage illicite de stupéfiants au sein d'une bande organisée, utilisation d'un véhicule avec de faux documents, commis le 16 juillet 2014, à la cité Nedjma et dans le ressort du tribunal criminel de la cour d'Oran.
11. La demande concerne enfin l'exercice de poursuites pénales fondées sur un mandat d'arrêt en date du 5 novembre 2014, délivré par le juge d'instruction de la première chambre près le tribunal de Ghazaouet pour des faits d'importation illégale de stupéfiants et de détention, entreposage, transport et mise en vente de stupéfiants de façon illicite au sein d'une association criminelle organisée, commis le 16 octobre 2014, à Ghazaouet.
12. M [L] a été interpellé à [Localité 3] en application d'une demande d'arrestation provisoire. Il a déclaré s'opposer à son extradition.
13. Par arrêt du 28 février 2018, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, après jonction des procédures, a ordonné un complément d'information .
14. Par arrêt du 20 février 2019, elle a donné un avis défavorable à l'extradition de M. [L] pour l'exécution des peines de prison à perpétuité prononcée, par défaut, les 6 février 2014 et 7 décembre 2014, par le tribunal des délits à la cour d'Oran.
15. Elle a donné un avis favorable pour les autres demandes.
16. M. [L] a formé un pourvoi en cassation.
17. Par arrêt du 8 janvier 2020, la chambre criminelle a cassé partiellement l'arrêt qui lui était déféré et a renvoyé devant la chambre de l'instruction de [Localité 2] autrement composée.
18. La chambre de l'instruction de renvoi a statué par arrêt du 29 juillet 2020.
19. M. [L] a formé un nouveau pourvoi contre cet arrêt (pourvoi n° 20-4.891).
20. Par un arrêt en date du 12 mai 2021 la chambre criminelle, saisie d'une requête en omission de statuer, a annulé l'arrêt qu'elle avait rendu le 8 janvier 2020 et, par voie de conséquence, a annulé celui rendu par la chambre de l'instruction de renvoi le 29 juillet 2020.
21. Elle a renvoyé l'affaire au 23 juin 2021.
Examen des moyens
Sur le premier moyen de cassation
22. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen de cassation
Enoncé du moyen
23. Le moyen est pris de la violation des articles 17, 2° c) de la Convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 696, 696-4, 696-15 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs, en ce que l'arrêt attaqué a émis un avis favorable à la demande d'extradition :
- dans la procédure 2017/02764, sur la base d'un mandat d'arrêt N° 13/0033 délivré par M. [J] [Q], juge d'instruction près le tribunal de Ghazaouet, en date du 11 avril 2013 en application de la loi relative à la prévention de l'usage des stupéfiants et les substances psychotropes (article 10 alinéa 2 de la loi contre le trafic) et trafic de véhicules, suivi par une ordonnance de prise de corps du 8 avril 2014 émise par la chambre d'accusation près la cour de Tlemcen, suite à un arrêt en date du 7 janvier 2014 de ladite cour ; l'intéressé ayant été condamné, par défaut, le 28 décembre 2016, à la prison à perpétuité par la cour de Tlemcen pour des faits d'importation illégale de drogues et de contrebande de véhicules, commis le 31 mars 2013 ;
- dans la procédure 2017/00758, aux fins d'exécution de la peine de réclusion perpétuelle prononcée par défaut le 2 février 2016 par le tribunal criminel d'Oran pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, acquisition et transport, stockage illicite de stupéfiants au sein d'une bande organisée, utilisation d'un véhicule avec de faux documents, commis le 16 juillet 2014 à la cité Nedjma et dans le ressort du tribunal criminel de la cour d'Oran (cinquième demande du dossier 2017/06242) ;
- dans la procédure 2017/06242, aux fins de l'exécution d'une peine ou d'une mesure de privation de liberté de vingt (20) ans d'emprisonnement et 50 millions de dinars algériens prononcée le 15 mai 2016 par le tribunal criminel d'Oran par défaut pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, détention, entreposage et contrebande de stupéfiants en vue de leur trafic illicite par une association criminelle organisée commis le 8 janvier 2014, au Douar Hadadache, commune de Djebala, (mandat d'arrêt délivré le 8 juillet 2014 par M. [D] [S], juge d'instruction de la première chambre d'instruction près le tribunal de Nedroma) ainsi qu'aux fins de l'exécution d'une peine ou d'une mesure de privation de liberté de d'emprisonnement à perpétuité prononcée par défaut le 18 mai 2016 par le tribunal criminel d'Oran par défaut pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, détention, et transport de stupéfiants en vue de leur trafic illicite par une association criminelle organisée commis le 27 mars 2013, sur le ressort de la cour d'appel d'Oran ;
alors « que l'arrêt d'une chambre de l'instruction statuant en matière d'extradition doit répondre, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ; qu'en application de l'article 17, 2°c) de la convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, la demande d'extradition, adressée par voie diplomatique, « doit être accompagnée? d'une copie des dispositions légales applicables ? » ; que M. [L] faisait valoir que « concernant les textes relatifs à l'opposition, la traduction de l'article 322 du code de procédure pénale algérien est mentionnée dans la note du 25 avril 2018. Le texte original n'est pas produit et sa traduction n'est aucunement certifiée. Une brève recherche en ligne sur le code de procédure pénale algérien semble, sous toutes réserves, donner une autre numérotation d'article concernant la procédure d'opposition. Enfin, l'article traduit fait mention d'une réserve, les dispositions de l'article 8bis, et de la procédure de l'article 439 du même code. Ces articles ne sont ni mentionnés ni joints à la note, si bien qu'il est encore impossible de savoir avec précision si M. [L] est en mesure de former opposition à ces jugements » ; qu'en s'en tenant à l'assurance donnée par le procureur général que dans son cas personnel, M. [L] aurait la possibilité de faire opposition aux jugements par défaut dont il a fait l'objet, laquelle n'était pas susceptible de lier les juridictions algériennes tenues par les seuls textes applicables, et en ne s'expliquant pas dès lors sur le caractère incomplet des dispositions produites et l'impossibilité de s'assurer de l'effectivité du recours prétendument ouvert à M. [L], la chambre de l'instruction a privé sa décision, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale. »
Réponse de la Cour
24. Pour dire n'y avoir lieu de demander aux autorités algériennes de produire, en langue arabe avec une traduction certifiée en langue française, le texte de l'article 322 du code de procédure algérien, visant la possibilité de faire opposition à un jugement par défaut, l'arrêt relève que les autorités algériennes ont précisé, par une note du procureur général près la cour d'Oran en date du 25 avril 2018, que les jugements par défaut rendus par le tribunal criminel sont tous susceptibles d'opposition, conformément aux dispositions de l'article 322 du code de procédure pénale, après notification de ceux-ci à l'intéressé lequel dispose alors d'un délai de dix jours pour faire opposition.
25. Les juges retiennent ainsi que ces autorités, par la voie du procureur général d'Oran, ont assuré que M. [L] aurait la possibilité, en cas de remise, de faire, s'il le souhaite, opposition aux jugements par défaut dont il a fait l'objet.
26. En prononçant ainsi, et dès lors que la note du procureur général d'Oran, relative à une question de procédure pénale algérienne, a répondu à la demande de complément d'information et que les autorités algériennes se sont portées garantes du droit de M. [L] de faire opposition aux condamnations prononcées, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
27. Le moyen doit, en conséquence, être écarté.
Mais sur le troisième moyen pris en sa première et sa troisième branches
28. Le moyen est pris de la violation des articles 13, 14 et 17 de la Convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, 696-15 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs, en ce que l'arrêt attaqué a émis un avis favorable à la demande d'extradition :
- dans la procédure 2017/00758, aux fins de poursuites pénales fondées sur un mandat d'arrêt en date du 21 mai 2015 délivré par le tribunal de première instance d'Oran, en la personne de M. [V] [X], juge d'instruction pour des faits d'importation illicite de stupéfiants en bande organisée, commis du 16 juillet 2014 au 21 mai 2015 en Algérie et, consécutivement, aux fins d'exécution de la peine de réclusion perpétuelle prononcée par défaut le 2 février 2016 par le tribunal criminel d'Oran pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, acquisition et transport, stockage illicite de stupéfiants au sein d'une bande organisée, utilisation d'un véhicule avec de faux documents, commis le 16 juillet 2014 à la cité Nedjma et dans le ressort du tribunal criminel de la cour d'Oran (cinquième demande du dossier 2017/06242) :
« 1°/ alors que l'extradition demandée en vue de permettre la poursuite d'infractions pénales ne peut être légalement accordée lorsqu'une condamnation est intervenue à raison de ces infractions, qu'au vu d'une nouvelle demande de l'Etat requérant conforme aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables à la situation résultant de cette condamnation ; que la demande d'extradition du 15 juin 2017 aux fins de poursuites pénales sur la base du mandat d'arrêt délivré le 21 mai 2015 par un juge d'instruction ne pouvait être légalement accordée compte tenu de la condamnation du 2 février 2016 entre temps intervenue qui en modifiait les circonstances de droit, la chambre de l'instruction ne pouvant que faire droit à la demande d'extradition aux fins d'exécution d'une peine après s'être assurée de sa conformité aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables à la situation résultant de cette condamnation ; qu'en faisant droit à la demande d'extradition du 15 juin 2017 aux fins de poursuites pénales et « consécutivement » à celle formée aux fins d'exécution d'une peine sans s'être assurée de sa conformité aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles particulières applicables à la situation résultant de cette condamnation, la chambre de l'instruction a privé sa décision, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale ;
3°/ que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; que l'arrêt ne pouvait sans se contredire, constater dans ses motifs que « le gouvernement algérien a (?) sollicité l'extradition de M. [L] aux fins de poursuites pénales fondées sur un mandat d'arrêt en date du 21 mai 2015 (?) pour des faits d'importation illicite de stupéfiants en bande organisée et mise en circulation d'un véhicule falsifié, commis le 16 juillet 2014 en Algérie » et, dans son dispositif, accorder l'extradition de M. [L] « aux fins de poursuites pénales (?) pour des faits d'importation illicite de stupéfiants en bande organisée, commis du 16 juillet 2014 au 21 mai 2015 » en Algérie ; que cette contradiction le prive, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
29. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
30. L'arrêt a donné un avis favorable à la demande d'extradition aux fins de poursuites pénales fondées sur un mandat d'arrêt en date du 21 mai 2015, délivré par le juge d'instruction d'Oran, pour des faits d'importation illicite de stupéfiants en bande organisée, commis entre le 16 juillet 2014 et le 21 mai 2015.
31. Il a donné un avis favorable à l'exécution de la peine de réclusion perpétuelle prononcée par défaut le 2 février 2016 par le tribunal criminel d'Oran, après avoir constaté que cette condamnation était intervenue en répression des mêmes faits, commis le 16 juillet 2014.
32. En se déterminant ainsi, alors que l'extradition ne pouvait être ordonnée qu'en raison de la peine prononcée, la demande d'extradition relative aux poursuites étant devenue sans objet, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
33. Dès lors, la cassation est encourue de ce chef.
Et sur le quatrième moyen et le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
34. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 14 et 17 de la Convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, 696-15 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs, en ce que l'arrêt attaqué a émis un avis favorable à la demande d'extradition aux fins de l'exécution d'une peine privative de liberté :
- dans la procédure 2017/02764 : sur la base d'un mandat d'arrêt N° 13/0033 délivré par M. [J] [Q], juge d'instruction près le tribunal de Ghazaouet, en date du 11 avril 2013 en application de la loi relative à la prévention de l'usage des stupéfiants et les substances psychotropes (article 10 alinéa 2 de la loi contre le trafic) et trafic de véhicules, suivi par une ordonnance de prise de corps du 8 avril 2014 émise par la chambre d'accusation près la cour de Tlemcen, suite à un arrêt en date du 7 janvier 2014 de ladite cour ; que l'intéressé ayant été condamné, par défaut, le 28 décembre 2016, à la prison à perpétuité par la cour de Tlemcen pour des faits d'importation illégale de drogues et de contrebande de véhicules, commis le 31 mars 2013 ;
- dans la procédure 2017/06242 : aux fins de l'exécution d'une peine ou d'une mesure de privation de liberté de vingt (20) ans d'emprisonnement et 50 millions de dinars algériens prononcée le 15 mai 2016 par le tribunal criminel d'Oran par défaut pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, détention, entreposage et contrebande de stupéfiants en vue de leur trafic illicite par une association criminelle organisée commis le 8 janvier 2014, au Douar Hadadache, commune de Djebala, (mandat d'arrêt délivré le 8 juillet 2014 par M. [D] [S], juge d'instruction de la première chambre d'instruction près le tribunal de Nedroma) et aux fins de l'exécution d'une peine ou d'une mesure de privation de liberté de d'emprisonnement à perpétuité prononcée par défaut le 18 mai 2016 par le tribunal criminel d'Oran par défaut pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, détention, et transport de stupéfiants en vue de leur trafic illicite par une association criminelle organisée commis le 27 mars 2013, sur le ressort de la cour d'appel d'Oran ;
« alors qu'en application de l'article 14 d. de la convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, l'extradition est refusée si la prescription de la peine est acquise d'après la législation de l'Etat requérant ; qu'à cette fin, l'article 17, 2° c) de ladite convention impose que soit adressée par voie diplomatique la copie des dispositions légales applicables ; qu'en donnant un avis favorable à la demande d'extradition aux fins d'exécution d'une peine privative de liberté sans constater que les textes relatifs à la prescription de la peine avaient été produits par l'Etat requérant ni s'assurer de ce que cette prescription n'était pas acquise dans l'Etat requérant, l'article 7 du code de procédure pénale produit par les autorités algériennes n'étant relatif qu'à la prescription de l'action publique, la chambre de l'instruction a privé sa décision, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale. »
35. Le troisième moyen, dans sa deuxième branche, est pris de la violation des articles 13, 14 et 17 de la Convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, 696-15 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs, en ce que l'arrêt attaqué a émis un avis favorable à la demande d'extradition :
- dans la procédure 2017/00758, aux fins de poursuites pénales fondées sur un mandat d'arrêt en date du 21 mai 2015 délivré par le tribunal de première instance d'Oran, en la personne de M. [V] [X], juge d'instruction pour des faits d'importation illicite de stupéfiants en bande organisée, commis du 16 juillet 2014 au 21 mai 2015 en Algérie et, consécutivement, aux fins d'exécution de la peine de réclusion perpétuelle prononcée par défaut le 2 février 2016 par le tribunal criminel d'Oran pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, acquisition et transport, stockage illicite de stupéfiants au sein d'une bande organisée, utilisation d'un véhicule avec de faux documents, commis le 16 juillet 2014 à la cité Nedjma et dans le ressort du tribunal criminel de la cour d'Oran (cinquième demande du dossier 2017/06242) ;
« 2°/ alors qu'en application de l'article 14 d. de la convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, l'extradition est refusée si la prescription de la peine est acquise d'après la législation de l'Etat requérant ; qu'à cette fin, l'article 17, 2° c) de ladite convention impose que soit adressée par voie diplomatique la copie des dispositions légales applicables ; qu'en donnant un avis favorable à la demande d'extradition aux fins d'exécution d'une peine privative de liberté sans constater que les textes relatifs à la prescription de la peine avaient été produits par l'Etat requérant ni s'assurer de ce que cette prescription n'était pas acquise dans l'Etat requérant, l'article 7 du code de procédure pénale produit par les autorités algériennes n'étant relatif qu'à la prescription de l'action publique, la chambre de l'instruction a privé sa décision, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 14 d et 17 2° c) de la Convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, et l'article 593 du code de procédure pénale :
36. Selon les deux premiers de ces textes, l'extradition est refusée lorsque la prescription de l'action ou de la peine est acquise d'après la législation de l'Etat requérant ou de l'Etat requis lors de la réception de la demande par l'Etat requis et la demande doit être accompagnée des conditions légales applicables.
37. Selon le dernier, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
38. Pour donner un avis favorable aux demandes d'extradition visant la peine de prison à perpétuité, prononcée par défaut le 28 décembre 2016, par la cour de Tlemcen, pour des faits d'importation illégale de drogues et de contrebande de véhicules, commis le 31 mars 2013, celle de réclusion perpétuelle prononcée par défaut le 2 février 2016 par le tribunal criminel d'Oran, celle de vingt ans d'emprisonnement et 50 millions de dinars algériens d'amende prononcée par défaut le 15 mai 2016 par le tribunal criminel d'Oran, pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, détention, entreposage et contrebande de stupéfiants en vue de leur trafic illicite par une association criminelle organisée, commis le 8 janvier 2014, au Douar Hadadache, commune de Djebala, et enfin à celle d'emprisonnement à perpétuité, prononcée par défaut le 18 mai 2016 par le tribunal criminel d'Oran pour des faits d'importation illégale de stupéfiants, détention, et transport de stupéfiants en vue de leur trafic illicite par une association criminelle organisée commis le 27 mars 2013, sur le ressort de la cour d'appel d'Oran, l'arrêt relève que selon les dispositions de l'article 706-31 du code de procédure pénale français et de l'article 7 du code de procédure pénale algérien produit par l'autorité requérante, la prescription n'est acquise ni en droit algérien ni en droit français.
39. En l'état de ces seules énonciations, alors que les textes cités, relatifs à la prescription de l'action publique, sont sans portée sur celle de la peine, l'arrêt ne répond pas aux conditions essentielles de son existence légale.
40. La cassation est encore encourue.
Civ.1 8 septembre 2021 n° 19-24.708
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 8 septembre 2021
Cassation partielle
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 518 F-D
Pourvoi n° Z 19-24.708
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 SEPTEMBRE 2021
M. [J] [L], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Z 19-24.708 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2019 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ au conseil régional des notaires, chambre de discipline, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié en son parquet général, 5 rue Carnot, 78000 Versailles,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Darret-Courgeon, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [L], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Darret-Courgeon, conseiller rapporteur, M. Girardet, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1.Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 octobre 2019), le 7 mars 2017, sur les poursuites disciplinaires exercées par son syndic, la chambre régionale de discipline des notaires de la cour d'appel de Versailles a prononcé à l'égard de M. [L] (le notaire) la peine de la censure devant la chambre, assortie d'une période d'inéligibilité aux chambres, organismes et conseils professionnels d'une durée de six ans pour divers manquements aux règles comptables de la profession.
2. Le notaire a interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le notaire fait grief à l'arrêt de prononcer à son encontre la peine de la censure devant la chambre, assortie d'une inéligibilité aux chambres, organismes et conseils professionnels pour une durée de trois ans, alors « qu'en prononçant une sanction disciplinaire à l'encontre du notaire, sans préciser si le ministère public avait déposé des conclusions écrites tendant à la confirmation de la décision préalablement à l'audience au cours de laquelle il a « conclu subsidiairement à la confirmation de la décision », et si tel avait été le cas, sans constater que le notaire en avait eu communication afin de pouvoir y répondre utilement, la cour d'appel n'a pas mis la cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 15 et 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 16 du code de procédure civile :
4. Il résulte de ces textes que l'exigence d'un procès équitable et le principe de la contradiction imposent qu'en matière disciplinaire, lorsque le procureur général émet un avis, l'arrêt précise si cet avis est oral ou écrit et si, en ce cas, la personne poursuivie en a reçu communication afin de pouvoir y répondre utilement.
5. L'arrêt mentionne que le ministère public a conclu, subsidiairement, à la confirmation de la décision, sans préciser s'il a déposé des conclusions écrites.
6. En procédant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. Le notaire fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'exigence d'un procès équitable impose, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions ; que le conseil régional des notaires, siégeant en chambre de discipline, constitue une telle juridiction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a prononcé une sanction disciplinaire à l'encontre du notaire, a mentionné en qualité d' « intimée » le « conseil régional des notaires – chambre de discipline (...) représenté par M. [T] [E] en vertu d'un pouvoir général, assisté de M. Eric Azoulay (...) avocat plaidant », et a statué au visa des « dernières écritures notifiées le 24 mai 2019 » et développées à l'audience aux termes desquelles « le président du conseil régional des notaires de la cour d'appel de Versailles siégeant en chambre de discipline demande à la cour de : débouter le notaire de toutes ses demandes, fins, et conclusions [et de] confirmer en toutes ses dispositions la décision rendue le 7 mars 2017 (...) » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 16 et 37 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels, ensemble les articles 5-1 de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 16 et 37 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels, 5-1 de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat et 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
8. Il résulte de ces textes, d'une part, que l'exigence d'un procès équitable impose, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions, d'autre part, que le conseil régional des notaires, siégeant en chambre de discipline, constitue une telle juridiction.
9. L'arrêt mentionne, en qualité d'intimée, le « conseil régional des notaires – chambre de discipline ».
10. En procédant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
11. Le notaire fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ que lors des débats devant la cour d'appel statuant en matière disciplinaire, le président de la chambre de discipline présente ses observations, le cas échéant par l'intermédiaire d'un membre de la chambre ; que ces observations, formulées en qualité de sachant, ont un caractère technique et visent à informer le juge sur les spécificités de la profession de notaire et de son exercice ; qu'elles ne sauraient avoir pour objet ni de défendre la régularité et le bien-fondé la décision dont appel rendue par la juridiction disciplinaire qu'il préside, ni de demander la condamnation du professionnel poursuivi ; qu'en statuant pourtant au visa des « dernières écritures notifiées le 24 mai 2019 » développées à l'audience aux termes desquelles « le président du conseil régional des notaires de la cour d'appel de Versailles siégeant en chambre de discipline demande à la cour de : débouter le notaire de toutes ses demandes, fins, et conclusions [et de] confirmer en toutes ses dispositions la décision rendue le 7 mars 2017 (...) » , et défend la régularité procédurale et le bien-fondé de la décision rendue par la chambre de discipline qu'il préside, la cour d'appel a violé les articles 16 et 37 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°/ que, au surplus, lors des débats devant la cour d'appel statuant en matière disciplinaire, le président de la chambre de discipline présente ses observations, le cas échéant par l'intermédiaire d'un membre de la chambre ; que ces observations doivent être présentées personnellement, et non par l'intermédiaire d'un avocat développant oralement les conclusions qu'il a déposées ; qu'en se bornant à viser les écritures du 24 mai 2019 du président du conseil régional des notaires de la cour d'appel de Versailles siégeant en chambre de discipline, assisté de M. Eric Azoulay, avocat, et développées à l'audience, sans qu'il résulte des énonciations de son arrêt que le président de la chambre de discipline, ou un membre délégué, aurait été entendu personnellement en ses observations, la cour d'appel a violé les articles 16 et 37 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, modifié, relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 16, 31 et 37 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels :
12. Il résulte de ces textes, d'une part, que lors des débats devant la cour d'appel statuant en matière disciplinaire, le président de la chambre de discipline présente ses observations, le cas échéant par l'intermédiaire d'un membre de la chambre, lesquelles, formulées, en qualité de sachant, ont un caractère technique et visent à informer le juge sur les spécificités de la profession de notaire et de son exercice, d'autre part, que la chambre de discipline des notaires n'ayant pas la qualité de partie à l'instance, son président ne peut présenter ses observations par l'intermédiaire d'un avocat développant en son nom oralement les conclusions qu'il a déposées.
13. L'arrêt mentionne que la chambre régionale de discipline était représentée par M. [T] [E], assisté de M. Eric Azoulay, avocat plaidant, qui a déposé des conclusions au nom de la chambre, tendant à la confirmation de la décision, et qui a développé oralement ces é
14. En procédant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Crim. 7 septembre 2021 n° 19-87.031 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 19-87.031 FS-B
N° 00865
RB5 7 SEPTEMBRE 2021
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI IRRECEVABILITE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 SEPTEMBRE 2021
Les associations Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights, parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt n° 5 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 24 octobre 2019, qui, dans l'information suivie notamment contre la société Lafarge SA, des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, complicité de crimes contre l'humanité et mise en danger de la vie d'autrui, a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant recevables leurs constitutions de partie civile.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des associations Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights, parties civiles, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Lafarge SA, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [U] [A], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [G] [R], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société Lafarge SA (la société Lafarge), de droit français, dont le siège social se trouve à [Localité 1], a fait construire une cimenterie près de Jalabiya (Syrie), pour un coût de plusieurs centaines de millions d'euros, qui a été mise en service en 2010. Cette cimenterie est détenue et était exploitée par une de ses sous-filiales, dénommée Lafarge Cement Syria (la société LCS), de droit syrien, détenue à plus de 98 % par la société mère.
3. Entre 2012 et 2015, le territoire sur lequel se trouve la cimenterie a fait l'objet de combats et d'occupations par différents groupes armés, dont l'organisation dite Etat islamique (EI).
4. Pendant cette période, les salariés syriens de la société LCS ont poursuivi leur travail, permettant le fonctionnement de l'usine, tandis que l'encadrement de nationalité étrangère a été évacué en Egypte dès 2012, d'où il continuait d'organiser l'activité de la cimenterie. Logés à [Z] par leur employeur, les salariés syriens ont été exposés à différents risques, notamment d'extorsion et d'enlèvement par différents groupes armés, dont l'EI.
5. Concomitamment, la société LCS a versé des sommes d'argent, par l'intermédiaire de diverses personnes, à différentes factions armées qui ont successivement contrôlé la région et étaient en mesure de compromettre l'activité de la cimenterie.
6. Celle-ci a été évacuée en urgence au cours du mois de septembre 2014, peu avant que l'EI ne s'en empare.
7. Le 15 novembre 2016, les associations Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), ainsi que onze employés syriens de la société LCS, ont porté plainte et se sont constitués partie civile auprès du juge d'instruction des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, d'exploitation abusive du travail d'autrui et de mise en danger de la vie d'autrui.
8. Les statuts de l'association Sherpa énoncent qu'elle a pour objet de prévenir et combattre les crimes économiques et que sont entendus comme tels les « atteintes aux droits humains (droits civils, politiques et sociaux ou culturels) à l'environnement et à la santé publique perpétrées par les acteurs économiques ». Ils ajoutent que cette association « entend ainsi apporter son soutien juridique aux populations victimes de crimes économiques » (article 3).
9. Les statuts de l'association ECCHR indiquent qu'elle a pour objet de « promouvoir durablement le droit international humanitaire et les droits humains ainsi que d'aider les personnes ou les groupes de personnes qui ont été affectées par les violations des droits humains ». Ils ajoutent que « cela peut prendre la forme d'un soutien aux victimes ou aux organisations de victimes de violations des droits humains dans le besoin, mais aussi d'une mobilisation de l'opinion publique pour les besoins des victimes, que ce soit dans un cas particulier [ou] dans un cas plus général ». Ils ajoutent que cette association entend offrir un soutien juridique gratuit aux personnes et aux groupes dont les droits humains ont été violés et qui en auraient le besoin (article 2).
10. Le ministère public, le 9 juin 2017, a requis le juge d'instruction d'informer sur les faits notamment de financement d'entreprise terroriste, de soumission de plusieurs personnes à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine et de mise en danger de la vie d'autrui.
11. M. [U] [A], président directeur général de la société Lafarge de 2007 à 2015, mis en examen le 8 décembre 2017, a demandé au juge d'instruction, par requête du 20 mars 2018, de constater l'irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile de ces associations.
12. Ledit juge a déclaré recevables ces constitutions de partie civile par ordonnance du 18 avril 2018, dont appel par M. [A].
Examen des moyens
Sur le premier moyen pris en sa troisième branche et le troisième moyen pris en sa première branche
13. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR sur le fondement de l'article 2 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction pénale ; qu'une infraction peut être de nature à causer à une association un préjudice direct et personnel, au sens de l'article 2 du code de procédure pénale, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission ; qu'en faisant droit à l'argumentation des mis en examen se prévalant de deux arrêts de la chambre criminelle du 11 octobre 2017 (pourvoi n° 16-86.868, publié au bulletin) et du 31 janvier 2018 (pourvoi n° 17-80.659) pour affirmer de façon générale qu'une association doit justifier d'un préjudice direct et personnel qui ne peut résulter de la seule atteinte aux intérêts collectifs que, par ses statuts, elle se propose de défendre sans répondre à l'argumentation du mémoire des associations Sherpa et ECCHR faisant valoir que la solution retenue dans ces deux arrêts, spécifiques à l'articulation entre l'article 2-23 du code de procédure pénale et l'article 2 du même code et à la matière des infractions contre la probité publique, n'a pas vocation à remettre en cause la jurisprudence constante de la chambre criminelle reconnaissant l'existence d'un préjudice personnel et direct d'une association à raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, préjudice dont les associations ont justifié de façon circonstanciée devant elle, et lorsque les victimes d'infractions graves contre les personnes et les associations qui les défendent sont recevables, au stade de l'information, à se constituer partie civile du chef de ces infractions et des infractions financières auxquelles elles sont liées de façon indivisible, la chambre de l'instruction a violé les articles 2, 3 et 85 du code de procédure pénale ;
2°/ que la limitation au droit d'accès à un juge ne se concilie avec l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme que si elle tend à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; que la preuve mise à la charge d'une association de défense de victimes de violations des droits humains d'un préjudice autre que celui résultant de la spécificité du but et de l'objet de sa mission a pour effet de priver cette association de tout droit d'accès à un juge ; qu'en déclarant irrecevables les constitutions de parties civiles des associations Sherpa et ECCHR, qui ont justifié devant la chambre de l'instruction de l'ensemble des moyens qu'elles ont mis en oeuvre pour permettre aux personnes physiques, victimes de violations graves de leurs droits garantis au titre des articles 2, 3, 4, 5 et 9 de la Convention, d'accéder à un juge et de participer à la procédure, au motif qu'elles n'apportaient pas la preuve d'un préjudice distinct de l'atteinte portée aux intérêts collectifs qu'elles ont pour mission de défendre, la chambre de l'instruction a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un juge et a violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 2, 3, 4, 5 et 9 de cette Convention. »
Réponse de la Cour
15. Pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des associations précitées, l'arrêt retient qu'elles n'apportent aucun élément permettant de considérer qu'elles ont pu subir un préjudice présentant un caractère direct et personnel, autre que l'atteinte portée aux intérêts collectifs qu'elles ont pour mission de défendre.
16. En prononçant par ces motifs, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application de l'article 2 du code de procédure pénale.
17. En effet, l'exercice de l'action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par le code de procédure pénale.
18. Une telle solution ne saurait être regardée comme inconciliable avec l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour européenne des droits de l'homme n'admettant pas en soi le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers, et ayant précisé, en conséquence, que la Convention ne garantissait ni le droit à la « vengeance privée », ni l'actio popularis (CEDH, arrêt du 12 février 2004, [I] c. France, n° 47287/99, § 70 ; CEDH, arrêt du 22 septembre 2005, Sigalas c. Grèce, n° 19754/02, § 28).
19. Il en résulte qu'une association ne peut exercer les droits reconnus à la partie civile en vue de la réparation d'un préjudice porté à un intérêt collectif que dans les conditions prévues par les articles 2-1 et suivants du code de procédure pénale.
20. Le moyen ne saurait prospérer.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR sur le fondement de l'article 2-9 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans qui se propose, par ses statuts, d'assister les victimes d'infractions peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du code de procédure pénale lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée ; que la condition de mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée est satisfaite lorsque celle-ci a déposé plainte avec constitution de partie civile du chef de l'infraction concernée ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR sur le fondement de l'article 2-9 du code de procédure pénale, qu'il ne pouvait être considéré que l'action publique visant les faits de financement d'entreprise terroriste avait été mise en mouvement par la partie lésée lorsqu'il ressort des termes clairs de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 15 novembre 2016 par l'association Sherpa, l'association ECCHR, MM. [W] [T], [CP] [W] [B], [N] [V], [E] [O], [J] [W] [C], [K] [M] [X], [L] [H], [Q] [P], [Y] [P] [S], [D] [F] et [L] [YR], en pages 1 à 3 de la plainte et en page 63, que ces onze personnes physiques ont porté plainte du chef de financement d'entreprise terroriste, la chambre de l'instruction a violé l'article 2-9 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du même code ;
2°/ que l'article 2-9 du code de procédure pénale exige pour que l'action civile d'une association soit recevable que l'action publique du chef de l'infraction de terrorisme ait été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée ; que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction pénale ; que la mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée exigée à l'article 2-9 suppose donc que celle-ci ait fait état dans sa plainte avec constitution de partie civile de circonstances permettant au juge d'admettre comme possible l'existence d'un préjudice directement causé par les faits dénoncés, sans que la partie lésée ait à invoquer expressément un préjudice personnel et direct causé par l'infraction de terrorisme ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR sur le fondement de l'article 2-9 du code de procédure pénale, qu'aucune des personnes physiques plaignantes n'avaient invoqué avoir subi un préjudice direct et personnel qui leur aurait été causé par les faits de financement de terrorisme, n'ayant allégué dans leur plainte qu'un préjudice causé par d'autres infractions n'entrant pas dans le champ d'application de l'article 706-16 du code de procédure pénale lorsque, dans leur plainte avec constitution de partie civile, les onze anciens salariés de l'usine de Jalabiya ont fait valoir avoir été victimes d'enlèvements et de séquestrations, d'atteintes graves à leur intégrité psychique, de menaces, de tentatives d'atteintes à leur vie et à leur intégrité physique commis par des groupes armés dont la nature terroriste n'a jamais été contestée et qu'il ressortait ainsi nécessairement de leur plainte, dénonçant les faits d'actes de terrorisme prévus à l'article 421-1 du code pénal dont ils avaient été directement victimes, l'existence de circonstances permettant au juge d'admettre comme possibles l'existence d'un préjudice personnel des anciens salariés en relation directe avec l'infraction de financement de terrorisme, laquelle fournit les moyens de son action à l'entreprise terroriste, la chambre de l'instruction, qui a ajouté une condition non prévue par le texte de l'article 2-9 du code de procédure pénale, a violé celui-ci, ensemble les articles 591 et 593 du même code ;
3°/ que le réquisitoire introductif se référant à la plainte avec constitution de partie civile, pris dans la cadre de l'article 86 du code de procédure pénale, constitue un acte de poursuite mettant en mouvement l'action publique, peu important que les conditions requises pour la recevabilité de la constitution de partie civile ne soient pas réunies sauf nécessité d'une plainte préalable de la victime exigée par la loi ; qu'une association peut se constituer partie civile sur le fondement de l'article 2-9 du code de procédure pénale lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR sur le fondement de l'article 2-9 du code de procédure pénale, que l'action publique visant les faits de financement d'entreprise terroriste n'avait pas été mise en mouvement par le ministère public dès lors que le réquisitoire introductif avait été pris au visa de la plainte avec constitution de partie civile lorsque le réquisitoire introductif du parquet du 9 juin 2017 du chef de financement de terrorisme a mis en mouvement, en lui-même, l'action publique du chef de cette infraction, la chambre de l'instruction a violé les articles 2-9 et 86 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
22. Le premier alinéa de l'article 2-9 du code de procédure pénale dispose que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans qui se propose, par ses statuts, d'assister les victimes d'infractions peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du même code lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée.
23. Pour déclarer la constitution de partie civile des associations en cause irrecevable sur le fondement de ce texte, l'arrêt énonce d'abord que ces dispositions, dans le champ d'application desquelles entre l'infraction de financement d'entreprise terroriste, n'exigent pas que les statuts de l'association visent spécifiquement la défense des victimes d'actes de terrorisme et en déduit que l'association Sherpa peut être considérée comme une association d'aide aux victimes au sens de ce texte.
24. Les juges ajoutent cependant que si l'action publique a été mise en mouvement par une plainte assortie d'une constitution de partie civile déposée non seulement par les associations Sherpa et ECCHR mais aussi par des personnes physiques, il ressort de la plainte qu'aucune de ces personnes physiques n'invoque avoir subi un préjudice direct et personnel qui leur aurait été causé par les faits de financement d'entreprise terroriste, ces plaignants alléguant un préjudice causé par d'autres infractions qui n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 706-16 précité.
25. La chambre de l'instruction conclut qu'il ne peut être considéré que l'action publique visant les faits de financement d'entreprise terroriste a été mise en mouvement par la partie lésée ou le ministère public, le réquisitoire du 9 juin 2017 ayant été pris au visa de la plainte avec constitution de partie civile.
26. C'est à juste titre que la chambre de l'instruction a estimé que l'article 2-9 du code de procédure pénale, en son premier alinéa, n'interdisait pas à l'association Sherpa de se constituer partie civile, ladite association ayant notamment pour objet l'assistance aux victimes, tel étant également le cas de l'association ECCHR.
27. C'est néanmoins par des motifs erronés qu'elle a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de ces associations sur ce fondement.
28. En premier lieu, la chambre de l'instruction ne pouvait pas retenir que l'action publique n'a pas été mise en mouvement par le ministère public, alors que le réquisitoire du 9 juin 2017 a valablement saisi le juge d'instruction des faits de financement d'entreprise terroriste, peu important que la constitution de partie civile des requérantes soit ou non recevable.
29. En effet, l'irrecevabilité de l'action civile portée devant le juge d'instruction conformément aux dispositions de l'article 85 du code de procédure pénale ne saurait atteindre l'action publique, laquelle subsiste toute entière et prend sa source exclusivement dans les réquisitions du ministère public tendant après la communication prescrite par l'article 86 du même code à ce qu'il soit informé par le juge d'instruction. Il n'en irait autrement que si la plainte de la victime était nécessaire pour mettre l'action publique en mouvement.
30. En second lieu, il est indifférent que des personnes lésées se soient constituées sur le fondement de ce texte.
31. En effet, le premier alinéa de l'article 2-9 ne subordonne pas la recevabilité de la constitution de partie civile d'une association à la nécessité d'assister une victime dans l'affaire dans laquelle l'action civile est exercée, mais seulement à l'objet statutaire de l'association, qui doit tendre à l'assistance des victimes d'infractions, et à la date de sa déclaration.
32. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure, les associations Sherpa et ECCHR s'étant, concomitamment aux personnes lésées qu'elles soutiennent, constituées partie civile à titre principal.
33. En effet, il résulte du premier alinéa de l'article 2-9 du code de procédure pénale que la constitution de partie civile d'une association n'est permise qu'après que l'action publique a été mise en mouvement, donc uniquement par voie d'intervention, à titre incident.
34. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
35. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR sur le fondement de l'article 2-22 du code de procédure pénale, alors :
« 2°/ que l'article 2-22 du code de procédure pénale exige seulement de l'association qu'elle justifie avoir reçu l'accord de la victime ; qu'en reprochant aux associations Sherpa et ECCHR de ne pas avoir produit de mandat écrit donné à elles par les personnes physiques s'étant constituées partie civile lorsque la plainte avec constitution de partie civile du 15 novembre 2016 pour des faits de travail forcé et de servitude, dont les deux associations et les onze anciens salariés sont simultanément signataires, matérialise en elle-même l'accord des victimes à voir ces associations exercer les droits reconnus à la partie civile, la chambre de l'instruction a violé l'article 2-22 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; qu'en retenant que si le texte du mandat à Sherpa était reproduit, aucun exemplaire de ces mandats n'était annexé au mémoire ou versé au dossier de l'information, lorsqu'ont été annexés à la plainte avec constitution de partie civile déposée par les associations Sherpa et ECCHR et les onze personnes physiques le 15 novembre 2016 des pouvoirs/mandats en langue anglaise ou arabe donnés à Sherpa par dix d'entre eux et cotés au dossier de l'information en D5 à D15 et lorsque la traduction de ces mandats en français a figuré dans le mémoire des associations devant la chambre de l'instruction en page 15, chaque personne physique donnant expressément mandat « à l'association Sherpa et à ses partenaires en France et à l'étranger » : « - Pour se coordonner avec les avocats afin de porter plainte en mon nom devant les juridictions françaises pour toutes les violations résultant des faits liés à mon travail chez LCS et faire le suivi de la procédure ; - Plus généralement de prendre toutes les initiatives en France et à l'étranger pour défendre mes droits et ceux des employés de LCS ; - Pour me faire part de l'évolution de la procédure ; - Pour obtenir compensation pour tous les dommages que j'ai subis », la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 2-22 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
36. Il résulte du premier alinéa de l'article 2-22 du code de procédure pénale que l'association dont l'objet statutaire comporte la lutte contre l'esclavage, la traite des êtres humains, le proxénétisme ou l'action sociale en faveur des personnes prostituées n'est recevable à exercer les droits reconnus à la partie civile que si, d'une part, l'action publique a été mise en mouvement, et, d'autre part, elle justifie avoir reçu l'accord de la victime ou, si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, celui de son représentant légal.
37. Pour déclarer la constitution de partie civile des deux associations irrecevable sur le fondement de ce texte, l'arrêt énonce que si dans son mémoire, l'association Sherpa affirme avoir reçu l'accord des parties lésées qui lui ont donné mandat pour le soutien et l'accompagnement dans cette procédure, en particulier concernant le suivi judiciaire et la représentation de leurs intérêts dans ladite procédure, et si le texte de ce mandat est reproduit, aucun exemplaire de ces mandats n'est annexé au mémoire, et ils n'ont pas été versés au dossier de l'information.
38. Les juges ajoutent qu'il en est de même pour l'association ECCHR, à supposer qu'il puisse être considéré que de par son objet statutaire de promouvoir durablement le droit international humanitaire et les droits humains ainsi que d'aider les personnes ou les groupes de personnes qui ont été affectés par les violations des droits humains, elle se propose de lutter contre l'esclavage, aucun mandat qui lui aurait été donné par les personnes physiques qui ont porté plainte avec constitution de partie civile ne figurant au dossier de l'information ou n'étant annexé au mémoire.
39. La chambre de l'instruction précise encore que les seuls mandats communiqués au magistrat instructeur sont ceux donnés par ces personnes physiques, parties civiles, à
40. En l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, d'où il se déduit qu'il ne résultait pas des pièces de la procédure que les personnes lésées aient donné leur accord, la chambre de l'instruction a suffisamment justifié sa décision.
41. En effet, il doit résulter de l'accord prévu par l'article 2-22 du code de procédure pénale, qui ne se présume pas, que les personnes lésées acceptent sans équivoque que l'association exerce les droits reconnus à la partie civile en son propre nom.
42. Par ailleurs, comme dans le cas de l'article 2-9 du code de procédure pénale, la constitution de partie civile d'une association sur le fondement de l'article 2-22 n'est permise qu'après que l'action publique a été mise en mouvement, donc uniquement par voie d'intervention, à titre incident.
43. Il en résulte que le moyen ne saurait être accueilli.
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
44. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR sur le fondement de l'article 2-4 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans qui se propose, par ses statuts, de combattre les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre ou de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité ; que les juges du fond doivent examiner les statuts d'une association agissant sur le fondement de l'article 2-4 du code de procédure pénale et rechercher si l'objet statutaire de l'association correspond à la mission visée par cette disposition, la Cour de cassation exerçant un contrôle des appréciations des juges du fond ; que la lutte contre les crimes économiques résultant des atteintes aux droits humains perpétrées par les acteurs économiques que se propose de prévenir et combattre une association comprend nécessairement les crimes contre l'humanité ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l'association Sherpa, qu'il n'apparaissait pas, à la lecture de l'article 3 de ses statuts, que Sherpa se proposait de combattre les crimes contre l'humanité et que l'interprétation stricte de l'article 2-4 du code de procédure pénale ne saurait permettre de déduire de la formule « les atteintes aux droits humains (droits civils, politiques et sociaux ou culturels) à l'environnement et à la santé publique perpétrées par les acteurs économiques » que sont inclus les crimes contre l'humanité dans les crimes économiques que Sherpa se propose de prévenir et de combattre la chambre de l'instruction a violé les articles 2-4 du code de procédure pénale, 212-1 et 121-7 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans qui se propose, par ses statuts, de combattre les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre ou de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité ; que les juges du fond doivent examiner les statuts d'une association agissant sur le fondement de l'article 2-4 du code de procédure pénale et rechercher si l'objet statutaire de l'association correspond à la mission visée par cette disposition, la Cour de cassation exerçant un contrôle des appréciations des juges du fond ; que les crimes contre l'humanité constituent les violations les plus graves du droit international humanitaire et des droits humains ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l'association ECCHR sur le fondement de l'article 2-4 du code de procédure pénale qu'il ne pouvait être davantage déduit de l'article 2 des statuts de l'association ECCHR précisant que « l'objet de l'association European Center for Constitutional and Human Rights est de promouvoir durablement le droit international humanitaire et des droits humains ainsi que d'aider les personnes ou les groupes de personnes qui ont été affectées par les violations des droits humains » que l'association ECCHR se propose de combattre les crimes contre l'humanité lorsque la promotion durable du droit international humanitaire et des droits humains et l'aide aux victimes de violations des droits humains comprennent nécessairement la lutte contre les crimes contre l'humanité, violations les plus graves du droit international humanitaire et des droits humains, la chambre de l'instruction a violé les articles 2-4 du code de procédure pénale, 212-1 et 121-7 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
45. Pour déclarer la constitution de partie civile de l'association Sherpa irrecevable sur le fondement de l'article 2-4 du code de procédure pénale, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu de déduire des statuts de cette association, compte tenu de l'interprétation stricte qui doit être faite de ce texte, texte dérogatoire au droit commun de l'article 2 du code de procédure pénale, que les crimes contre l'humanité sont inclus dans les crimes économiques que ladite association se propose de prévenir et de combattre.
46. En prononçant par ces motifs, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Vu l'article 2-4, premier alinéa, du code de procédure pénale :
47. Aux termes de ce texte, toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans qui se propose, par ses statuts, de combattre les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre ou de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.
48. Pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l'association ECCHR, l'arrêt retient qu'il ne peut être déduit des statuts de cette association qu'elle se propose de combattre les crimes contre l'humanité.
49. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus rappelé.
50. En effet, en premier lieu, l'association ECCHR, ainsi qu'il résulte de ses statuts, s'est donné pour mission de promouvoir le droit international humanitaire, ce qui implique qu'elle entend combattre les crimes de guerre.
51. En second lieu, cette association était par voie de conséquence recevable à se constituer du chef de crimes contre l'humanité, une association pouvant, selon la lettre de l'article 2-4, premier alinéa, du code de procédure pénale, exercer les droits reconnus à la partie civile du chef de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité dès lors qu'elle se donne pour objet de combattre les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité.
52. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquence de la cassation
53. Les moyens proposés pour l'association Sherpa étant rejetés, il en résulte que sa plainte avec constitution de partie civile a été jugée à bon droit irrecevable, en sorte que le pourvoi, en ce qu'il est formé pour elle, l'est également.
54. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Crim. 7 septembre 2021 n° 20-87.278
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 20-87.278 F-D
N° 00944
SM12 7 SEPTEMBRE 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 SEPTEMBRE 2021
MM. [D] et [H] [Q] et la société JBJ Bétail ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges, en date du 10 décembre 2020, qui, dans l'information suivie contre eux notamment des chefs de faux, usage de faux et tromperie, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 15 mars 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société JBJ Bétail, MM. [D] et [H] [Q], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 5 juin 2019, le procureur de la République a requis l'ouverture d'une information judiciaire notamment des chefs susvisés.
3. Les 6 et 7 juin 2019, deux commissions rogatoires ont été délivrées par la juge des enfants du tribunal, mentionnant que celle-ci était désignée en remplacement du juge d'instruction légitimement empêché.
4. MM. [Q] et la société ont été mis en examen le 20 décembre 2019.
5. Le 16 juin 2020, ils ont déposé une requête en nullité d'actes et de pièces de la procédure.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité des actes pris par Mme [R], irrégulièrement désignée en remplacement du juge d'instruction titulaire, alors :
« 1°/ que lorsque le juge d'instruction est absent, malade ou autrement empêché, l'assemblée générale des magistrats du siège du tribunal judiciaire désigne l'un des juges pour le remplacer ; qu'une ordonnance de roulement du président du tribunal judiciaire, aurait-elle été soumise à l'avis de l'assemblée générale des magistrats ne peut se substituer à une désignation par l'assemblée générale ; qu'en l'espèce, il résulte des éléments de la cause que, par une ordonnance de roulement du 26 novembre 2018, prise sur avis des assemblées générales des magistrats du siège et du parquet des 5 et 7 novembre 2018 et de l'assemblée générale plénière du 26 novembre 2018, le président du tribunal de grande instance de Guéret a désigné Mme [R], juge des enfants, en tant que suppléante, pour les urgences, de M. [W] [V], seul juge d'instruction ; qu'il ne résulte d'aucun des procès-verbaux des assemblées générales ou plénière susvisées qu'il ait été procédé par ces dernières à la désignation du juge d'instruction ou à son remplacement ; qu'en décidant cependant que la désignation de Mme [E] [L], par ordonnance de roulement du président du tribunal, était parfaitement régulière aux motifs inopérants et erronés selon lesquels en approuvant à l'unanimité l'ordonnance de roulement proposée par le président du tribunal pour le 1er semestre 2019 – ordonnance postérieure à l'assemblée générale, et dont le projet n'est pas joint au procès-verbal de celle-ci - notamment en ses dispositions relatives au remplacement du juge d'instruction par Mme [R], juge des enfants, en cas d'urgence - l'assemblée générale du 5 novembre 2019 [2018] avait, par là même, nécessairement désigné celle-ci comme suppléante du juge d'instruction en cas d'urgence, la chambre de l'instruction a violé les articles 50, alinéa 4, du code de procédure pénale et R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire ;
2°/ que, en toute hypothèse, Mme [R] ne pouvait être désignée comme suppléante du juge d'instruction qu'en cas d'urgence ; que les mis en examen avaient dans leur mémoire devant la chambre de l'instruction soutenu qu'aucun cas d'urgence n'avait été caractérisé en l'espèce ; qu'il appartenait à la chambre de l'instruction de s'assurer que Mme [R] était intervenue dans les conditions d'urgence prévues par l'ordonnance du président la désignant et de répondre sur ce point au mémoire des exposants ; qu'en se bornant à affirmer qu'en l'absence d'éléments contrebattant la présomption d'urgence, l'intervention de Mme [R] était régulière, la chambre de l'instruction a violé les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le président du tribunal judiciaire n'est compétent, lorsque le juge d'instruction saisi du dossier est empêché, pour désigner celui des juges du tribunal qui le remplacera que si, d'une part, il n'a pu désigner un juge d'instruction pour le remplacer, si ensuite, un autre juge d'instruction n'a pas été désigné en application des dispositions de l'article 50 susvisé et si, enfin, l'urgence et l'impossibilité de réunir l'assemblée générale des magistrats du tribunal ont été constatées ; qu'il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer de la réunion de ces conditions ce d'autant plus lorsque celles-ci sont contestées ; qu'en l'espèce, dans leur mémoire aux fins de nullité, les consorts [Q] avaient fait valoir que la désignation de Mme [R], par ordonnance du président, était irrégulière dès lors qu'il n'était caractérisé aucune situation d'urgence permettant, exceptionnellement, de suppléer à la désignation du magistrat remplaçant par l'assemblée générale ; qu'en décidant qu'en l'absence d'éléments contrebattant une présomption d'urgence inexistante, la désignation de Mme [R], par ordonnance du président, était régulière et les commissions rogatoires qu'elle avait délivrées l'étaient également, la chambre de l'instruction a violé les articles 50, alinéa 4, 84, alinéa 3, et 593 du code de procédure pénale et renversé la charge de la preuve. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 50, alinéa 4, du code de procédure pénale et R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire :
7. Selon ces textes, si le juge d'instruction est absent, malade ou autrement empêché, l'assemblée générale des magistrats du siège du tribunal désigne l'un des juges de ce tribunal pour le remplacer.
8. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'irrégularité de la désignation de la juge des enfants du tribunal ayant délivré, les 6 et 7 juin 2019, deux commissions rogatoires aux lieu et place du juge d'instruction empêché, la chambre de l'instruction énonce que le président du tribunal a soumis à l'assemblée générale des magistrats du siège qui s'est tenue le 5 novembre 2018 une proposition de tableau de service pour le premier semestre 2019 prévoyant, sur la base d'une proposition d'ordonnance de roulement, pour les urgences, la suppléance du juge d'instruction par la juge des enfants, que l'assemblée générale a approuvé cette proposition à l'unanimité, que le 26 novembre 2018, le président a pris une ordonnance de roulement conforme et qu'ainsi, l'assemblée générale a nécessairement désigné la juge des enfants comme suppléante du juge d'instruction en cas d'urgence.
9. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé.
10. En effet, il ne résulte pas du procès-verbal d'assemblée générale des magistrats du siège du 5 novembre 2018, établi conformément à l'article R. 212-33 du code de l'organisation judiciaire, que celle-ci ait procédé à la désignation du suppléant du juge d'instruction par un vote à cette fin, seul étant mentionné l'avis favorable donné par l'assemblée à la proposition de tableau de service établie sur la base de la proposition d'ordonnance de roulement du président, prévoyant le remplacement en cause en cas d'urgence.
11. En outre, cette proposition de suppléance, limitée aux cas d'urgence, même suivie d'une désignation en bonne et due forme par l'assemblée générale des magistrats du siège, ne permettait pas à celle-ci d'exercer la plénitude du pouvoir qui lui est attribué par l'article 50 du code de procédure pénale de désigner le suppléant du juge d'instruction dans tous les cas où celui-ci est absent, malade ou autrement empêché.
12. La désignation de la juge des enfants pour délivrer les commissions rogatoires ne découlait en conséquence que de l'ordonnance de roulement prise le 26 novembre 2018 par le président du tribunal après avis de l'assemblée générale.
13. Or, le président du tribunal n'a le pouvoir de désigner le suppléant du juge d'instruction que s'il n'a pu désigner un autre juge d'instruction, si un autre juge n'a pas été désigné par l'assemblée générale des magistrats du siège et si l'urgence et l'impossibilité de réunir cette assemblée ont été constatées, et la chambre de l'instruction n'a pas caractérisé la réunion de ces conditions.
14. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 7 septembre 2021 n° 19-87.040
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 19-87.040 FS-D
N° 00867
RB5 7 SEPTEMBRE 2021
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI IRRECEVABILITÉ
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 SEPTEMBRE 2021
Les associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt n° 7 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 24 octobre 2019, qui, dans l'information suivie notamment contre la société Lafarge SA, des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, complicité de crimes contre l'humanité, et mise en danger de la vie d'autrui, a déclaré sans objet l'appel de ladite société d'une ordonnance du juge d'instruction.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, parties civiles, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [U] [Q], les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Lafarge SA, les observations de la SCP Célice, Texidor et Périer, avocat de M. [B] [Y], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société Lafarge SA (la société Lafarge), de droit français, dont le siège social se trouve à [Localité 3], a fait construire une cimenterie près de [Localité 1] (Syrie), pour un coût de plusieurs centaines de millions d'euros, qui a été mise en service en 2010. Cette cimenterie est détenue et était exploitée par une de ses sous-filiales, dénommée Lafarge Cement Syria (la société LCS), de droit syrien, détenue à plus de 98 % par la société mère.
3. Entre 2012 et 2015, le territoire sur lequel se trouve la cimenterie a fait l'objet de combats et d'occupations par différents groupes armés, dont l'organisation dite Etat islamique (EI).
4. Pendant cette période, les salariés syriens de la société LCS ont poursuivi leur travail, permettant le fonctionnement de l'usine, tandis que l'encadrement de nationalité étrangère a été évacué en Egypte dès 2012, d'où il continuait d'organiser l'activité de la cimenterie. Logés à [Localité 2] par leur employeur, les salariés syriens ont été exposés à différents risques, notamment d'extorsion et d'enlèvement par différents groupes armés, dont l'EI.
5. Concomitamment, la société LCS a versé des sommes d'argent, par l'intermédiaire de diverses personnes, à différentes factions armées qui ont successivement contrôlé la région et étaient en mesure de compromettre l'activité de la cimenterie.
6. Celle-ci a été évacuée en urgence au cours du mois de septembre 2014, peu avant que l'EI ne s'en empare.
7. Le 15 novembre 2016, les associations Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), ainsi que onze employés syriens de la société LCS, ont porté plainte et se sont constitués partie civile auprès du juge d'instruction des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, d'exploitation abusive du travail d'autrui et de mise en danger de la vie d'autrui.
8. Le ministère public, le 9 juin 2017, a requis le juge d'instruction d'informer sur les faits notamment de financement d'entreprise terroriste, de soumission de plusieurs personnes à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine et de mise en danger de la vie d'autrui.
9. L'association Life for Paris s'est constituée partie civile le 4 janvier 2018.
10. Sur réquisitions conformes du ministère public du 27 juin 2018, la société Lafarge a été mise en examen le 28 juin 2018 des chefs, notamment, de complicité de crimes contre l'humanité, financement d'entreprise terroriste, mise en danger de la vie d'autrui.
11. Par requête en date du 11 janvier 2019, ladite société a contesté la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile des associations Sherpa, ECCHR et Life for Paris.
12. Par ordonnance du 11 février 2019, le juge d'instruction a rejeté la demande tendant à voir déclarer la plainte incidente de l'association Life for Paris irrecevable et a ordonné un sursis à statuer pour le surplus.
13. La société Lafarge a interjeté appel de cette décision.
14. Les associations Sherpa et ECCHR ont formé un pourvoi (n° 19-87.031) contre l'arrêt n° 5 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 24 octobre 2019, qui a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction du 18 avril 2018 déclarant recevables leurs constitutions de partie civile.
15. L'association Life for Paris a formé un pourvoi (n° 19-87.036) contre l'arrêt n° 4 de la chambre de l'instruction, en date du 24 octobre 2019, qui a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction du 29 janvier 2018 déclarant recevable sa constitution de partie civile.
Examen de la recevabilité du pourvoi en ce qu'il est formé par l'association Sherpa
16. Par un arrêt de ce jour (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.031), la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi en tant que formé par l'association Sherpa, sa constitution de partie civile ayant été à bon droit jugée irrecevable.
17. Il s'ensuit que le pourvoi en tant qu'il est formé par cette association est irrecevable.
Examen du moyen en ce qu'il est présenté pour l'association ECCHR
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré sans objet l'appel de la société Lafarge à l'encontre de l'ordonnance du 11 février 2019 à raison de l'arrêt n° 5 intervenu le même jour, 24 octobre 2019, ayant infirmé l'ordonnance du 18 avril 2018 et déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR, rejeté la demande desdites associations tendant à l'infirmation de cette ordonnance et à voir constater la recevabilité de leurs constitutions de partie civile, alors « que la cassation à intervenir de l'arrêt n° 5 du 24 octobre 2019 ayant déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR, objet du pourvoi n° 19-87.031, entraînera, par voie de conséquence, celle de l'arrêt attaqué qui se trouvera alors dépourvu de toute base légale. »
Réponse de la Cour
19. Pour déclarer l'appel de la société Lafarge sans objet, l'arrêt énonce que par deux arrêts distincts rendus le 24 octobre 2019, la chambre de l'instruction, infirmant les ordonnances du juge d'instruction en date du 18 avril 2018 et du 29 janvier 2018, a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa, ECCHR et Life for Paris.
20. Par un autre arrêt de ce jour (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.036), la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi formé par l'association Life for Paris.
21. Par le premier arrêt susvisé (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.031), la Cour de cassation a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association ECCHR sur le fondement de l'article 2-4 du code de procédure pénale et, en ce qui la concerne, a cassé sans renvoi l'arrêt n° 5 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 24 octobre 2019.
22. Il en résulte que le présent pourvoi est recevable et bien fondé en ce qui concerne cette association.
23. La cassation est par conséquent encourue en ce qui concerne la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association ECCHR.
Portée et conséquence de la cassation
24. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Crim. 7 septembre 2021 n° 20-85.273
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 20-85.273 F-D
N° 00951
CK 7 SEPTEMBRE 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 SEPTEMBRE 2021
Mme [C] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 5 mars 2020, qui a rejeté sa demande d'exclusion du bulletin n°1 de son casier judiciaire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de Mme [C] [L], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [L] a adressé au procureur de la République de Paris une requête en effacement de deux condamnations inscrites au bulletin n°1 de son casier judiciaire, ayant fait l'objet d'une réhabilitation de plein droit.
3. Le procureur de la République de Paris a adressé cette requête au procureur général, en y joignant une extraction de données du bureau d'ordre national informatisé dit « Cassiopée ».
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième et septième branches
4. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
5. Le moyen, en ses première, deuxième, quatrième, cinquième et sixième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté ses demandes d'exclusion du bulletin n°1 de son casier judiciaire des mentions des condamnations prononcées les 5 juillet 2005 et 8 décembre 2009 à son encontre par le tribunal correctionnel de Paris, alors :
« 1°/ que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ; qu'en relevant d'office, sans provoquer les observations de Mme [L] sur ce point, que « si le règlement de la requé
2°/ qu'en tout état de cause, la personne qui, après réhabilitation légale, demande le retrait d'une condamnation du bulletin n°1 de son casier judiciaire doit, sauf le cas de prescription, justifier du paiement de l'amende et des dommages et intérêts ou de la remise qui lui en est faite, la prescription visée, s'agissant des dommages et intérêts, étant la prescription de la créance ; qu'en jugeant que Madame [L] ne démontrerait pas le « règlement des dommages-intérêts dus aux parties civiles à savoir 700 euros à la société CeCLIP et 1 000 Euros à Mme [F], outre les 2 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, justification qui aurait permis de confirmer la volonté de réinsertion dont fait état la requérante », pour des condamnations civiles prononcées le 5 juillet 2005 et le 8 décembre 2009 et par conséquent en tout état de cause prescrites depuis le 19 juin 2018 pour la première et depuis le 8 décembre 2019 pour la seconde, si elles n'avaient pas été payées par Mme [L], la chambre de l'instruction a violé les articles 788 et 798-1 du code de procédure pénale, ensemble les articles 23, devenu l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, et 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ qu'en jugeant que « si la présomption d'innocence, garantie par l'article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, doit bénéficier à Mme [L], s'agissant des trois plaintes déposées contre elle les 11 mai 2017 ainsi que les 9 mars et 6 décembre 2018, respectivement des chefs d'escroquerie, faux et usage de faux pour la première et dénonciation calomnieuse pour les deux autres, il n'en demeure pas moins qu'il est essentiel pour les autorités judiciaires – seules destinataires du bulletin n°1 concerné, en application de l'article 774 du code de procédure pénale, contrairement au bulletin n°2 (néant) accessible aux administrations en application de l'article 776 du même code – de disposer des précédents judiciaires de l'intéressée afin, par une mise en perspective, d'être en capacité d'apprécier, en pleine connaissance de cause, en temps utile, la suite à donner aux dites plaintes et ce, d'autant plus que les infractions concernées relèvent de démarches comportant des points communs ; que le fait, en l'état, que la requérante n'ait pas été convoquée ou n'ait pas fait l'objet d'investigations particulières, comme argué, n'a pas pour conséquence de faire disparaître ces trois plaintes mentionnées sur le résumé « Cassiopée » versé en procédure », sans vérifier si ces trois plaintes, à supposer qu'elles concernent véritablement Mme [L], n'avaient pas été classées sans suite, ce que l'écoulement de plusieurs années après leur dépôt sans que Mme [L] ne soit entendue à leur sujet de même que l'absence de toute investigation laissaient a minima présumer, et en statuant ainsi au seul vu des mentions du fichier « Cassiopée », la chambre de l'instruction a violé les articles 593 du code de procédure pénale et 6, paragraphes 1 et 2, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
5°/ que toute ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit d'une personne au respect de sa vie privée ne peut être admise que si elle est prévue par la loi, est nécessaire et est proportionnée au but poursuivi par la loi qui l'autorise ; que ne répond à aucune de ces conditions, et en premier lieu à celle de légalité, l'acte par lequel le juge verse au dossier des antécédents concernant une partie, contre elle, et dénoncés comme erronés par celle-ci, figurant dans le traitement automatisé de données à caractère personnel « Cassiopée » ; qu'en se fondant, sans aucune justification, sur les antécédents dénoncés comme erronés par Mme [L] tirés de « Cassiopée », la chambre de l'instruction a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 9 du code civil, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
6°/ que les juges n'ont le droit d'accéder directement aux informations et données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé « Cassiopée » que si, et dans la mesure où, un tel accès est nécessaire au traitement des infractions ou des procédures dont ils sont saisis et s'il tend à la défense d'un aspect primordial de l'intérêt public ; qu'en s'abstenant de caractériser en l'espèce en quoi l'accès aux données personnelles de Mme [L] enregistrées dans le traitement automatisé « Cassiopée » et le versement au dossier et la divulgation de ces données, dénoncées comme erronées par Mme [L], tendait à la défense d'un aspect primordial de l'intérêt public et était nécessaire au traitement de la procédure dont elle était saisie, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, et 48-1, R. 15-33-66-4, R. 15-33-66-8 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa première branche
6. La demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que la chambre de l'instruction, qui était tenue de vérifier si l'intéressée avait justifié du paiement de l'amende et des dommages-intérêts, conformément aux dispositions de l'article 788 du code de procédure pénale, ait statué sans avoir provoqué préalablement ses explications sur ce point.
Sur le moyen pris en ses deuxième et quatrième à sixième branches
7. Pour rejeter la requête, l'arrêt attaqué relève que Mme [L] n'a pas justifié notamment du règlement des dommages-intérêts dus aux parties civiles.
8. Les juges ajoutent que le résumé du bureau d'ordre informatisé, dénommé « Cassiopée », versé en procédure, met en évidence l'existence de trois plaintes, déposées contre Mme [L], les 11 mai 2017 ainsi que les 9 mars et 6 décembre 2018, respectivement des chefs d'escroquerie, faux et usage de faux pour la première et dénonciation calomnieuse pour les deux autres.
9. Ils énoncent que le fait qu'en l'état, la requérante n'ait pas été convoquée ou n'ait pas fait l'objet d'investigations particulières, n'a pas pour conséquence de faire disparaître ces trois plaintes.
10. Les juges ajoutent que dans ces circonstances, il est essentiel pour les autorités judiciaires, seules destinataires du bulletin n° 1 du casier judiciaire national, de disposer des précédents judiciaires de l'intéressée afin, par une mise en perspective, d'être en capacité d'apprécier, en pleine connaissance de cause, en temps utile, la suite à donner aux dites plaintes.
11. C'est à tort que la chambre de l'instruction s'est fondée sur le défaut de justification du paiement des dommages-intérêts, dès lors que l'article 788 du code de procédure pénale dispense le condamné d'une telle preuve lorsque la prescription est acquise, et qu'aux termes de l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, les créances de dommages-intérêts résultant des condamnations prononcées les 5 juillet 2005 et 8 décembre 2009 étaient prescrites.
12. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.
13. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt que l'accès aux informations issues du bureau d'ordre national automatisé des procédures judiciaires a été effectué pour les nécessités liées au seul traitement de la procédure dont la chambre de l'instruction était saisie, dans les conditions prévues par les articles 48-1 et R. 15-33-66-8 du code de procédure pénale, leur versement dans la procédure permettant l'exercice du principe du contradictoire.
14. En deuxième lieu, ce n'est que dans l'hypothèse où la juridiction est saisie d'une contestation utile sur l'exactitude des mentions enregistrées dans le systè
15. Tel n'est pas le cas en espèce, la contestation élevée par Mme [L], qui déclarait ignorer l'existence de plaintes déposées à son encontre et évoquait une éventuelle confusion avec des plaintes qu'elle a déposées dans des circonstances distinctes, à savoir les 12, 13 novembre 2018 et le 28 août 2019, étant dépourvue de pertinence.
16. Enfin, la chambre de l'instruction a souverainement apprécié que le maintien des condamnations concernées par la demande sur le bulletin n° 1 du casier judiciaire de la requérante était nécessaire et proportionné, compte tenu de son comportement depuis lors et au regard de la nature et de la gravité de l'ensemble des condamnations.
17. Ainsi, le moyen doit être écarté.
18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 7 septembre 2021 n° 21-80.247
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 21-80.247 F-D
N° 00946
SM12 7 SEPTEMBRE 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 SEPTEMBRE 2021
M. [N] [Q], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 2 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 26 octobre 2020, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'informer sur sa plainte du chef de faux public.
Un mémoire personnel et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par courrier daté du 19 juin 2018, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Evry a avisé M. [Q] que la plainte qu'il avait déposée le 8 décembre 2017 contre deux magistrats de cette même juridiction était classée sans suite, au motif que les avis ou décisions pris dans l'exercice de leurs fonctions par des magistrats ne sont pas susceptibles de poursuites pénales.
2. Le 12 novembre 2018, M. [Q] a porté plainte et s'est constitué partie civile devant le doyen des juges d'instruction du chef « d'obstacle à la manifestation de la vérité », visant le courrier du 19 juin 2018 et son auteur.
3. Par ordonnance en date du 6 juin 2019, rendue sur réquisitions conformes du parquet, le juge d'instruction, au visa des articles 85 et 86 du code de procédure pénale, a refusé d'informer sur cette plainte.
4. M. [Q] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance contestée, par substitution de motifs au visa de l'article 6-1 du code de procédure pénale, alors que ce texte n'était pas applicable dès lors que l'appel visait une ordonnance de refus d'informer qui, précisément, empêchait toute poursuite judiciaire au regard d'une plainte dénonçant une violation de l'article 441-4, alinéa 3, du code pénal, commise par « un magistrat personnellement connu de Mme le doyen des juges d'instruction ».
Réponse de la Cour
6. Pour confirmer l'ordonnance de refus d'informer, l'arrêt attaqué énonce que la plainte avec constitution de partie civile porte sur des faits impliquant, par leur nature, une violation de règles de procédure pénale s'agissant d'un acte de procédure.
7. Les juges relèvent qu'en effet, les faits dénoncés « d'obstacle à la manifestation de la vérité » et l'infraction visée par l'article 441-4, alinéa 3, du code pénal, soit celle de faux en écriture publique ou authentique qui sont reprochés à ce magistrat portent sur un acte de la procédure, en l'espèce une décision de classement sans suite.
8. Ils ajoutent que selon l'article 6-1 du code de procédure pénale lorsqu'un crime ou un délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire impliquerait la violation d'une disposition de procédure pénale, l'action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été constaté par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie.
9. La chambre de l'instruction retient que M. [Q] n'ayant pas fait constater par une décision devenue définitive une violation des règles de procédure pénale lors de l'accomplissement de l'acte de classement sans suite du 19 juin 2018, il y a lieu, dès lors, par substitution de motifs, de confirmer l'ordonnance de refus d'informer du 6 juin 2019.
10. C'est à tort que la chambre de l'instruction, qui n'a pas précisé la règle de procédure pénale dont le crime dénoncé impliquait la violation, a fait application de l'article 6-1 du code de procédure pénale.
11. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure, dès lors que la plainte de M. [Q], qui visait l'avis de classement qui lui avait été adressé le 19 juin 2018, ne contenait aucune allégation d'altération frauduleuse de la vérité, et que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les faits dénoncés ne pouvaient admettre aucune qualification pénale.
12. Ainsi le moyen n'est pas fondé.
13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 7 septembre 2021 n° 21-80.642 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 21-80.642 FS-B
N° 00927
SM12 7 SEPTEMBRE 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 SEPTEMBRE 2021
M. [F] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, en date du 14 janvier 2021, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur la nullité d'actes de la procédure.
Par ordonnance en date du 22 mars 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [F] [T], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 28 novembre 2019, des policiers ont été informés par la responsable d'un hôtel de la possible utilisation d'une chambre pour le conditionnement de produits stupéfiants.
3. A la suite de la mise en place d'un dispositif de surveillance, trois personnes, qui sortaient d'un véhicule pour rejoindre l'hôtel, ont été interpellées le 29 novembre 2019, à 00 heure 45. Une quatrième, M. [T], prenait la fuite.
4. Du cannabis conditionné dans des sachets a été retrouvé lors de la fouille du véhicule.
5. Une perquisition a été réalisée dans la chambre d'hôtel en présence de l'un des occupants interpellés, M. [D] [L], au cours de laquelle du cannabis et de l'argent ont été saisis.
6. Les investigations ont établi que la chambre d'hôtel avait été réservée par M. [T], le 28 novembre 2019, à 2 heures, à la borne d'un autre hôtel.
7. Le 2 décembre 2019, le procureur de la République a ouvert une information judiciaire du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, dans le cadre de laquelle les trois personnes interpellées ont été mises en examen de ce chef.
8. Le 3 juillet 2020, M. [T] a été interpellé puis mis en examen pour ces faits.
9. Le 17 septembre 2020, son conseil a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en nullité de la perquisition précitée, prise de l'absence de signature du procès-verbal de transport et de perquisition par M. [L].
Examen du moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité de M. [T], alors :
« 1°/ que peut contester la régularité d'une perquisition toute personne qui occupait ou avait un titre à occuper le local perquisitionné et qui a été poursuivie sur le fondement des éléments découverts lors de cette perquisition ; que la circonstance qu'une personne ait pris la fuite au moment des opérations de perquisition ne la prive pas de la possibilité de contester la perquisition, dès lors qu'elle avait occupé peu de temps auparavant les locaux, qu'elle avait un titre à les occuper, et que les éléments découverts en perquisition ont fondé sa mise en examen ; qu'en déduisant l'impossibilité pour M. [T] de se prévaloir de la nullité du procès-verbal de perquisition résultant de son absence de signature par M. [L], du fait que M. [T] aurait fui au moment de la perquisition, la chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant en violation des articles 57, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'absence de contestation d'une perquisition par la personne qui y a assisté ne prive pas une autre personne, mise en examen sur le fondement des éléments découverts au cours de cette perquisition, de la possibilité de contester la régularité de ladite perquisition ; qu'en se fondant, pour rejeter la requête de M. [T] tendant à l'annulation des opérations de perquisition du 29 novembre 2019, sur la circonstance que « [L] [D] n'a pas émis de contestation sur le procès-verbal de perquisition », la chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant en violation des articles 57, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'a qualité pour contester la régularité d'une perquisition toute personne mise en examen sur le fondement des éléments découverts lors de cette perquisition ; qu'à ce titre une personne, absente lors d'une perquisition dont les résultats fondent sa mise en examen, peut se prévaloir de l'absence de signature d'un procès-verbal de perquisition par la personne ayant assisté aux opérations, quand bien même cette personne n'aurait pas contesté elle même agi en nullité de la perquisition à raison de son absence de signature du procès verbal ; qu'en se fondant, pour rejeter la requête de M. [T] tendant à l'annulation des opérations de perquisition du 29 novembre 2019, sur la circonstance que « [L] [D] n'a pas émis de contestation sur le procès-verbal de perquisition », la chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant en violation des articles 57, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en niant à M. [T] la possibilité de « se prévaloir d'aucune nullité résultant de l'absence de la signature de M. [L] sur le procès-verbal de perquisition » après avoir constaté que M. [T] était occupant de la chambre d'hôtel, qu'il l'avait réservée à son nom et que la perquisition avait conduit à sa mise en examen, n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations en violation, de nouveau, de l'article 57 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 171 et 802 du code de procédure pénale :
11. Il résulte desdits articles que l'inobservation des formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité doit entraîner la nullité de la procédure, lorsqu'il en est résulté une atteinte aux intérêts de la partie concernée.
12. Il s'ensuit les principes généraux suivants.
13. Hors les cas de nullité d'ordre public, qui touchent à la bonne administration de la justice, la chambre de l'instruction, saisie d'une requête en nullité, doit successivement d'abord rechercher si le requérant a intérêt à demander l'annulation de l'acte, puis, s'il a qualité pour la demander et, enfin, si l'irrégularité alléguée lui a causé un grief.
14. Le requérant a intérêt à agir s'il a un intérêt à obtenir l'annulation de l'acte.
15. Pour déterminer si le requérant a qualité pour agir en nullité, la chambre de l'instruction doit rechercher si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité, dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre.
16. L'existence d'un grief est établie lorsque l'irrégularité elle-même a occasionné un préjudice au requérant, lequel ne peut résulter de la seule mise en cause de celui-ci par l'acte critiqué.
17. Le présent pourvoi pose spécifiquement la question de savoir quel requérant a qualité pour agir en cas de méconnaissance d'une formalité substantielle lors d'une perquisition.
18. La Cour de cassation juge que la méconnaissance des formalités substantielles régissant les perquisitions et les saisies ne peut être invoquée à l'appui d'une demande d'annulation d'actes que par la partie titulaire d'un droit sur le local dans lequel elles ont été effectuées (Crim., 6 février 2018, pourvoi n° 17-84.380, Bull. crim. 2018, n° 30).
19. Cependant, certaines de ces formalités ont pour objet d'authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis au cours de la perquisition.
20. Il en est ainsi de la formalité, qui est en cause en l'espèce, de la signature par l'occupant des lieux ou l'un de ses représentants ou, à défaut, par deux témoins, du procès-verbal de perquisition et de saisie, prévue à l'article 57, alinéa 3, du code de procédure pénale.
21. Or, il se déduit des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 10 mars 2009, Bykov c. Russie, n° 4378/02), et préliminaire du code de procédure pénale que tout requérant doit se voir offrir la possibilité de remettre en question l'authenticité des éléments de preuve et de s'opposer à leur utilisation.
22. Dès lors, la jurisprudence précitée au paragraphe 18, qui réserve au seul titulaire d'un droit sur le local perquisitionné la qualité pour agir en nullité, ne peut être maintenue en cas de violation d'une formalité substantielle dont l'objet est de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations de perquisition ainsi que la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis.
23. Il s'ensuit que toute partie a qualité pour invoquer la méconnaissance de la formalité prise de l'absence de signature du procès-verbal de perquisition et saisie.
24. En l'espèce, pour ne pas faire droit à la nullité des opérations de perquisition et de saisie, prise de l'absence de signature du procès-verbal précité par M. [L], l'arrêt énonce que si M. [T] revendique avoir loué la chambre d'hôtel dans laquelle a eu lieu la perquisition, cette location a été payée avec la carte bancaire de la compagne d'un des co-mis en examen, lui-même présent dans cette chambre.
25. Les juges ajoutent que les quatre hommes se sont rendus dans cette chambre pour y passer une partie de la soirée et non pour y loger, chacun ayant un logement distinct dans la commune.
26. Ils relèvent que lors de la perquisition, aucun des mis en cause n'a revendiqué avoir un droit sur cette chambre d'hôtel et notamment pas M. [T] qui a immédiatement pris la fuite.
27. Ils énoncent qu'il s'ensuit que les enquêteurs pouvaient considérer que chacun des occupants était légitime à s'assurer de la régularité des opérations de perquisition en y assistant.
28. Ils exposent encore que M. [L] est le garant de la régularité de la perquisition et de l'authentification des objets ou indices découverts dès lors qu'il n'a pas émis de contestation sur le procès-verbal de perquisition et a confirmé lors d'une confrontation la présence dans la chambre des objets découverts lors de cette opération.
29. Ils en déduisent que M. [T], ayant fait le choix de fuir, ne peut se prévaloir de la nullité résultant de l'absence de signature de M. [L] sur le procès-verbal.
30. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe susénoncé.
31. En effet, d'une part, M. [T], partie à la procédure, avait qualité pour agir en nullité du procès-verbal de perquisition et de saisie, peu important qu'il ait pris la fuite.
32. D'autre part, la chambre de l'instruction ne pouvait opposer à M. [T], qui contestait la présence des produits stupéfiants et de l'argent saisis dans la chambre perquisitionnée, l'absence de contestation de M. [L] sur la présence dans ladite chambre desdits produits.
33. La cassation est dès lors encourue.
Crim. 7 septembre 2021 n° 19-87.367 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 19-87.367 FS-B N° S 19-87.376 N° C 19-87.662 N° 00868
RB5 7 SEPTEMBRE 2021
CASSATION PARTIELLE REJET NON-ADMISSION IRRECEVABILITE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 SEPTEMBRE 2021
Les associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, MM. [YJ] [G],[RM] [XC] [E], [O] [U], [BQ] [W], [T] [NK] [Z], [JT] [CW] [K], [Y] [GC], [QQ] [M] [RB], [MZ] [UH], [Q] [DH], [BG] [N], [P] [KE], [YJ] [I], Mmes [C] [J], [X] [AG], parties civiles, et la société Lafarge SA ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 8 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 7 novembre 2019, qui, dans l'information suivie notamment contre la société Lafarge SA des chefs, notamment, de complicité de crimes contre l'humanité, financement d'entreprise terroriste et mise en danger de la vie d'autrui, a déclaré irrecevables les mémoires des associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, et a prononcé sur la requête de la société Lafarge SA en annulation de sa mise en examen.
Les associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt n° 5 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 7 novembre 2019, qui, dans l'information suivie, notamment, contre M. [F] [KP] des chefs de financement d'entreprise terroriste et mise en danger de la vie d'autrui, a déclaré irrecevables les mémoires desdites associations et a prononcé sur la requête de M. [KP] en annulation de sa mise en examen et de pièces de la procédure.
M. [B] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 7 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 7 novembre 2019, qui, dans l'information suivie, notamment, contre lui des chefs de financement d'entreprise terroriste, mise en danger de la vie d'autrui et infractions douanières, a déclaré irrecevables les mémoires des associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa et a prononcé sur sa requête en annulation de sa mise en examen et de pièces de la procédure.
Par une ordonnance du 9 décembre 2019, le président de la chambre criminelle a ordonné la jonction sous le n° 19-87.367 des pourvois formés contre l'arrêt n° 8 et a ordonné leur examen par la chambre criminelle.
Par une ordonnance du même jour, le président de la chambre criminelle a ordonné que le pourvoi formé contre l'arrêt n° 5, sous le n° 19-87.376, soit soumis à la chambre criminelle et joint aux pourvois formés sous le n° 19-87.367.
Par une ordonnance du 11 décembre 2019, le président de la chambre criminelle a ordonné que le pourvoi formé contre l'arrêt n° 7, sous le n° 19-87.662, soit joint aux pourvois formés sous le n° 19-87.367 et soit soumis à la chambre criminelle.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, de Mmes [C] [J], [X] [AG], parties civiles, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de MM. [YJ] [G], [RM] [XC] [E], [O] [U], [BQ] [W], [T] [NK] [Z], [JT] [CW] [K], [Y] [GC], [QQ] [M] [RB], [MZ] [UH], [Q] [DH], [BG] [N], [P] [KE], [YJ] [I], parties civiles, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Lafarge SA, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [V] [GN], les observations du Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [B] [R], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [D] [A], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société Lafarge SA (la société Lafarge), de droit français, dont le siège social se trouve à [Localité 2], a fait construire une cimenterie près de Jalabiya (Syrie), pour un coût de plusieurs centaines de millions d'euros, qui a été mise en service en 2010. Cette cimenterie est détenue et était exploitée par une de ses sous-filiales, dénommée Lafarge Cement Syria (la société LCS), de droit syrien, détenue à plus de 98 % par la société mère.
3. Entre 2012 et 2015, le territoire sur lequel se trouve la cimenterie a fait l'objet de combats et d'occupations par différents groupes armés, dont l'organisation dite Etat islamique (EI).
4. Pendant cette période, les salariés syriens de la société LCS ont poursuivi leur travail, permettant le fonctionnement de l'usine, tandis que l'encadrement de nationalité étrangère a été évacué en Egypte dès 2012, d'où il continuait d'organiser l'activité de la cimenterie. Logés à [Localité 1] par leur employeur, les salariés syriens ont été exposés à différents risques, notamment d'extorsion et d'enlèvement par différents groupes armés, dont l'EI.
5. Concomitamment, la société LCS a versé des sommes d'argent, par l'intermédiaire de diverses personnes, à différentes factions armées qui ont successivement contrôlé la région et étaient en mesure de compromettre l'activité de la cimenterie.
6. Celle-ci a été évacuée en urgence au cours du mois de septembre 2014, peu avant que l'EI ne s'en empare.
7. Le 15 novembre 2016, les associations Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), ainsi que onze employés syriens de la société LCS, ont porté plainte et se sont constitués partie civile auprès du juge d'instruction des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, d'exploitation abusive du travail d'autrui et de mise en danger de la vie d'autrui.
8. Le ministère public, le 9 juin 2017, a requis le juge d'instruction d'informer sur les faits notamment de financement d'entreprise terroriste, de soumission de plusieurs personnes à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine et de mise en danger de la vie d'autrui.
9. M. [KP], directeur sûreté du groupe Lafarge de 2008 à 2015, a été mis en examen le 1er décembre 2017 des chefs précités.
10. M. [R], directeur général de la société LCS de juillet 2014 à août 2016, a été mis en examen le même jour, également des chefs précités.
11. La société Lafarge a été mise en examen le 28 juin 2018 des chefs, notamment, de complicité de crimes contre l'humanité, financement d'entreprise terroriste, mise en danger de la vie d'autrui, sur réquisitions conformes du ministère public du 27 juin 2018.
12. Par requête en date du 31 mai 2018, M. [KP] a saisi la chambre de l'instruction pour statuer sur la nullité, notamment, de sa mise en examen.
13. Par requête en date du 1er juin 2018, M. [R] a également saisi la chambre de l'instruction pour statuer sur la nullité d'actes de la procédure ainsi que de sa mise en examen.
14. Mmes [J] et [AG], victimes yézidies de l'EI, se sont constituées partie civile le 30 novembre 2018.
15. Par requête en date du 27 décembre 2018, la société Lafarge a saisi la chambre de l'instruction pour statuer sur la nullité, notamment, de sa mise en examen.
16. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, par trois arrêts du 24 octobre 2019, a, notamment, déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR. Des pourvois ont été formés contre ces décisions.
Examen de la recevabilité des pourvois contre les arrêts de la chambre de l'instruction n° 5 et 8 du 7 novembre 2019, en tant qu'ils sont formés par l'association Sherpa
17. Par un arrêt de ce jour (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.031), la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi en tant que formé par l'association Sherpa, sa constitution de partie civile ayant été à bon droit jugée irrecevable.
18. Il s'ensuit que les pourvois en tant qu'il sont formés par cette association sont irrecevables.
Examen des moyens
Sur les deux moyens proposés pour M. [R] contre l'arrêt de la chambre de l'instruction n° 7 du 7 novembre 2019
Sur le premier moyen, sur le troisième moyen, pris en ses quatrième et septième branches, sur le quatrième moyen, pris en ses première, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, sur le cinquième moyen, sur le sixième moyen, sur le septième moyen proposés pour la société Lafarge contre l'arrêt de la chambre de l'instruction n° 8 du 7 novembre 2019
19. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les deux moyens proposés pour l'association ECCHR contre l'arrêt de la chambre de l'instruction n° 5 du 7 novembre 2019
Enoncé des moyens
20. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable le mémoire déposé par les associations Sherpa et ECCHR, annulé la mise en examen de M. [KP] pour mise en danger de la vie d'autrui et ordonné la cancellation des passages des pièces de la procédure faisant référence à cette mise en examen, alors « que la cassation à intervenir des arrêts n° 2018/05060 et 2019/02572 du 24 octobre 2019, objets des pourvois n° 19-87.031 et n° 19-87.040, qui ont déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles des associations Sherpa et ECCHR entraînera, par voie de conséquence, la cassation du dispositif de l'arrêt attaqué qui a déclaré irrecevables les mémoires des parties civiles et de l'arrêt en son entier faute d'avoir répondu aux articulations essentielles des mémoires des associations parties civiles exposantes. »
21. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé la mise en examen de M. [KP] pour mise en danger de la vie d'autrui et ordonné la cancellation des passages des pièces de la procédure faisant référence à cette mise en examen, alors :
« 1°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'article 80-1 du code de procédure pénale n'exige pas que la participation de l'intéressé à l'infraction soit certaine mais seulement que la possibilité de cette participation soit vraisemblable ; que le respect des obligations particulières de prudence ou de sécurité prévues aux articles L. 4121-3, R. 4121-1 et suivants et R. 4141-13 du code du travail incombe au dirigeant de la personne morale employeur ou à son délégataire en matière de sécurité ; que la délégation de pouvoir peut résulter des circonstances de fait établissant que le délégataire est doté de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; qu'en annulant la mise en examen de M. [KP] aux motifs de sa qualité de directeur de la sûreté, et non de la sécurité, du groupe Lafarge, de l'absence de preuve de l'inclusion dans cette fonction de celles de protection de la santé et de la sécurité des salariés et d'amélioration des conditions de travail au sens du code du travail et du défaut de preuve d'une délégation de pouvoirs écrite ou orale dont il aurait été titulaire, lorsqu'il résulte des constatations, d'une part, de la chambre de l'instruction qu'il existait des indices rendant vraisemblable l'autorité effective de la société Lafarge sur les salariés de l'usine de Jalabiya et sa participation au délit de mise en danger de la vie d'autrui faute de formation des salariés, de plan d'évacuation garantissant la sécurité des salariés lors d'une attaque et de mise à jour du document unique de sécurité en fonction de l'évolution des opérations militaires sur place et d'autre part, de celles de l'arrêt attaqué que M. [KP] occupait, du fait de ses fonctions de directeur de la sûreté du groupe Lafarge après une carrière militaire chez les fusiliers marins, dans les forces spéciales et les commandos, une position stratégique dans l'évaluation des risques susvisés, a joué un rôle essentiel dans la décision du groupe de verser des taxes à l'EI dont l'objet aurait été d'assurer la sécurité des salariés puisqu'il a recruté M. [H] [NV], gestionnaire des risques en Syrie, le supervisait, animait des réunions hebdomadaires sur la situation en Syrie, a rencontré M. [S] [EX], intermédiaire avec l'EI, et a été en contact avec celui-ci au sujet de la fixation d'une taxe pour l'EI dont l'acceptation par la direction du groupe était conditionnée à une discussion préalable avec M. [KP] et, enfin, a donné l'ordre à M. [NV] d'établir un plan d'évacuation de l'usine et a participé à son élaboration, la chambre de l'instruction qui a constaté qu'il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [KP], qui disposait d'un pouvoir décisionnaire concernant la sécurité des salariés de l'usine de Jalabiya, ait participé au délit de mise en danger de la vie d'autrui, a violé les articles 80-1 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'article 80-1 du code de procédure pénale n'exige pas que la participation de l'intéressé à l'infraction soit certaine mais seulement que la possibilité de cette participation soit vraisemblable ; que le respect des obligations particulières de prudence ou de sécurité prévues aux articles L. 4121-3, R. 4121-1 et suivants et R. 4141-13 du code du travail incombe au dirigeant de la personne morale employeur ou à son délégataire en matière de sécurité ; qu'une délégation de pouvoirs peut être orale et résulter de circonstances de fait établissant que le délégataire est doté de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; qu'en retenant qu'il ne résultait d'aucune pièce de la procédure, document ou audition, que M. [KP] aurait été titulaire d'une délégation de pouvoirs orale lorsqu'il résulte, d'une part, de l'arrêt n° 2018/07495, confirmant la mise en examen de la société Lafarge, l'absence de formation adéquate des personnels de l'usine et de plan d'évacuation de l'usine garantissant la sécurité des salariés lors d'une attaque et, d'autre part, des constatations de l'arrêt attaqué et du mémoire de M. [KP] que non seulement, au vu de la situation sur le terrain, il appartenait à M. [KP], en sa qualité de directeur de la sûreté ayant une solide expérience militaire, d'établir ou superviser l'élaboration du plan d'évacuation des salariés de l'usine, la perspective d'une prise de l'usine par les membres de l'EI étant un risque identifié mais que celui-ci avait ordonné à M. [NV] d'établir un tel plan d'évacuation et avait participé personnellement à son élaboration sans que pour autant soit garantie la sécurité des salariés de l'usine, la chambre de l'instruction qui a constaté l'existence d'indices sérieux permettant de penser que M. [KP] avait les compétences, l'autorité et les moyens de faire établir un plan d'évacuation de l'usine et avait participé au délit de mise en danger de la vie d'autrui, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'est complice la personne qui sciemment, par aide ou assistance, a facilité la préparation ou la consommation d'une infraction ; qu'en annulant la mise en examen de M. [KP] du chef de mise en danger de la vie d'autrui sans rechercher, alors qu'elle a confirmé par ailleurs la mise en examen de la société Lafarge et de son PDG pour absence de formation des salariés, de plan d'évacuation garantissant la sécurité des salariés lors d'une attaque en cas d'attaque de l'usine et de mise à jour du document unique de sécurité en fonction de l'évolution des opérations militaires dans la zone de l'usine et a constaté que M. [KP] était chargé d'évaluer les risques pour la sécurité dans la zone de l'usine contrôlée par l'EI et a donné l'ordre à M. [NV] d'établir un plan d'évacuation de l'usine, s'il n'existait pas des indices graves ou concordants de participation de M. [KP], comme complice, à l'infraction de mise en danger de la vie d'autrui, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-6, 121-7 et 223-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
22. Les moyens sont réunis.
23. Par l'arrêt susvisé (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.031), la Cour de cassation a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association ECCHR sur le fondement de l'article 2-4 du code de procédure pénale et, en ce qui la concerne, a cassé sans renvoi l'arrêt n° 5 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 24 octobre 2019.
24. C'est donc à tort que la chambre de l'instruction a déclaré irrecevable le mémoire déposé dans son intérêt.
25. Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure.
26. En effet, en premier lieu, pour annuler la mise en examen de M. [KP] du chef de mise en danger de la vie d'autrui, l'arrêt énonce que l'intéressé n'occupait pas la fonction de directeur de la sécurité mais celle de directeur de la sûreté du groupe Lafarge, laquelle fonction consistait à évaluer les menaces potentielles sur les différentes zones d'activité des sociétés du groupe en fonction des informations recueillies et à proposer des recommandations pour assurer la protection des biens et des personnes.
27. Les juges ajoutent qu'il ne ressort d'aucun élément de la procédure que cette fonction incluait la protection de la santé et de la sécurité des salariés au sens du code du travail ainsi que l'amélioration des conditions de travail, tandis que les obligations prévues par les articles L. 4121-3, R. 4121-1 et suivants du code du travail incombent à l'employeur.
28. La chambre de l'instruction précise enfin qu'il ne résulte d'aucune pièce de la procédure que M. [KP] aurait été titulaire d'une délégation de pouvoirs écrite ou orale aux fins de s'assurer du respect de ces obligations prévues par le code du travail.
29. Il résulte de ces énonciations que la chambre de l'instruction a justifié sa décision quant à l'annulation de ladite mise en examen.
30. En deuxième lieu, la Cour de cassation est en mesure de vérifier que le mémoire des parties civiles ne contenait aucune articulation essentielle à laquelle il n'aurait pas été répondu par l'arrêt attaqué.
31. Enfin, il n'était pas permis aux requérantes de demander la mise en examen de M. [KP] du chef de complicité de mise en danger de la vie d'autrui, un tel acte n'étant pas en soi utile à la manifestation de la vérité (Crim., 15 février 2011, pourvoi n° 10-87.468, Bull. crim. 2011, n° 22).
32. Il s'ensuit que les moyens doivent être rejetés en ce qu'ils sont proposés pour l'association ECCHR.
Sur le premier moyen proposé pour l'association ECCHR contre l'arrêt de la chambre de l'instruction n° 8 du 7 novembre 2019
Enoncé du moyen
33. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les mémoires déposés par les associations Sherpa et ECCHR et prononcé la nullité de la mise en examen de la société Lafarge pour les faits de complicité de crimes contre l'humanité, alors « que la cassation à intervenir des arrêts n° 2018/05060 et 2019/02572 du 24 octobre 2019, objets des pourvois n° 19-87.031 et n° 19-87.040, qui ont déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles des associations Sherpa et ECCHR entraînera, par voie de conséquence, la cassation du dispositif de l'arrêt attaqué qui a déclaré irrecevables les mémoires des parties civiles et de l'arrêt en son entier faute d'avoir répondu aux articulations essentielles des mémoires des associations parties civiles exposantes. »
Réponse de la Cour
34. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que la chambre de l'instruction a déclaré irrecevable le mémoire en tant qu'il a été déposé dans l'intérêt de l'association ECCHR.
35. En conséquence, il y a lieu d'examiner les moyens proposés pour cette association.
Sur le deuxième moyen proposé pour la société Lafarge contre l'arrêt de la chambre de l'instruction n° 8 du 7 novembre 2019
Enoncé du moyen
36. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la mise en examen de la société Lafarge du chef de financement de terrorisme, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article 421-2-2 du code pénal que l'élément matériel du délit de financement d'entreprise terroriste consiste dans « le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin » ; qu'en se bornant à énoncer, pour refuser d'annuler la mise en examen de l'exposante de ce chef, que les paiements effectués au moyen de la trésorerie de la société LCS apparaissent l'avoir été « avec l'accord, voire les instructions de M. [A] », lorsqu'un simple accord ne peut s'analyser en une fourniture de conseils au sens de ce texte, la chambre de l'instruction, qui n'a pas exposé les indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [A] aurait fourni des instructions, mais s'est contenté d'émettre une simple hypothèse, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale et 421-2-2 du code pénal ;
2°/ qu'en se fondant, pour dire n'y avoir lieu à annuler la mise en examen de la société Lafarge du chef de financement de terrorisme, sur le fait que M. [L] aurait eu connaissance de ce que la société LCS avait procédé aux paiements litigieux, lorsque l'article 421-2-2 du code pénal ne réprime pas la connaissance d'actes de financement de terrorisme mais ces actes eux-mêmes, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale et 421-2-2 du code pénal ;
3°/ qu'enfin, la société Lafarge a été mise en examen du chef de financement de terrorisme pour, premièrement, avoir rémunéré des intermédiaires afin d'être approvisionné en matières premières par l'organisation « Etat islamique », deuxièmement, avoir versé des commissions et des taxes à l'organisation « Etat islamique » afin de garantir la circulation des employés et des marchandises de l'usine de Jalabiya (Syrie) et, troisièmement, pour avoir vendu le ciment fabriqué par l'usine de Jalabiya au bénéfice de l'organisation terroriste « Etat islamique » ; qu'en retenant exclusivement, pour refuser d'annuler la mise en examen de la société Lafarge de ce chef, même partiellement, que celle-ci était impliquée dans le paiement de frais de passage à cette organisation terroriste afin de sécuriser l'acheminement des salariés et des marchandises de l'usine de Jalabiya, tout en s'abstenant de répondre aux articulations essentielles du mémoire régulièrement déposée par la société Lafarge, qui soutenaient qu'il était matériellement impossible que sa filiale indirecte Lafarge Cement Syria se soit approvisionnée en matières premières auprès d'un groupe terroriste et qu'elle lui ai vendu du ciment, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale et 421-2-2 du code pénal. »
Réponse de la Cour
37. Pour refuser d'annuler la mise en examen de la société Lafarge du chef de financement d'entreprise terroriste, l'arrêt retient, d'une part, qu'une enquête et un rapport internes, diligentés à la demande du groupe Lafarge-Holcim, ont mis en évidence que des paiements ont été effectués à hauteur de 15 562 261 dollars américains au moyen de la trésorerie de la société LCS, par le truchement d'intermédiaires, dont en particulier M. [S] [EX], homme d'affaires de nationalité syrienne, auprès des groupes armés qui ont successivement pris le contrôle de la région où se déroulait l'activité de la société LCS (Armée Syrienne Libre, Kurdes puis Etat islamique), d'autre part, que la trésorerie de la société LCS a été alimentée à hauteur de 86 000 000 dollars par des fonds en provenance de la société Lafarge Cement Holding, de droit chypriote, elle-même contrôlée par la société Lafarge.
38. Les juges précisent que ces opérations ont fait l'objet d'un enregistrement manuel, et non de l'enregistrement électronique habituel, et qu'un compte dédié a été créé pour les versements en faveur de M. [EX], sous la rubrique « frais de représentation ».
39. Ils ajoutent que les directeurs opérationnels successifs de la société LCS, MM. [GN] puis [R], ont permis, avec l'accord, voire les instructions, de leur superviseur et supérieur hié 40. La chambre de l'instruction retient encore que le caractère terroriste de l'EI ne pouvait être ignoré de la société Lafarge, qui était informée de la situation en Syrie au travers des comptes rendus des réunions hebdomadaires du comité de sûreté pour la Syrie, et précise que lors de celle du 12 septembre 2013, il a été indiqué que « depuis juillet, les flux logistiques et les mouvements de personnels sont perturbés, voire parfois bloqués par les islamistes, AN et ISIS (...), que la présence de ces groupes islamistes constitue pour nous une menace (...), qu'il devient de plus en plus difficile d'opérer sans être amenés à négocier directement ou indirectement avec ces réseaux classés terroristes par les organisations internationales et les Etats-Unis ».
41. Elle rappelle enfin que la résolution 2170/2014 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies vise, parmi les organisations terroristes à l'égard desquelles il proscrit tout soutien financier et tout échange commercial, l'EI, outre le Front Al Nosra.
42. En l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits, et qui font ressortir que la société Lafarge et sa filiale locale ont pu être amenées à négocier, fût-ce indirectement, avec l'EI ou d'autres groupes terroristes en vue de maintenir les flux logistiques, en sorte que la requérante ne saurait reprocher aux juges de ne pas avoir établi positivement l'impossibilité factuelle pour la société LCS de s'être approvisionnée en matières premières auprès de l'EI ou de lui avoir vendu du ciment, la chambre de l'instruction s'est déterminée par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction.
43. En effet, il résulte des dispositions de l'article 421-2-2 du code pénal qu'il suffit pour que les faits soient susceptibles d'être établis que l'auteur du financement sache que les fonds fournis sont destinés à être utilisés par l'entreprise terroriste en vue de commettre un acte terroriste, que cet acte survienne ou non, peu important en outre qu'il n'ait pas l'intention de voir les fonds utilisés à cette fin.
44. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, cinquième, sixième branches, et sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, proposés pour la société Lafarge contre l'arrêt de la chambre de l'instruction n° 8 du 7 novembre 2019
Enoncé des moyens
45. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la mise en examen de la société Lafarge du chef de mise en danger de la vie d'autrui, alors :
« 1°/ que le lien de subordination, nécessaire à l'existence d'un contrat de travail, est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu'en l'espèce, en se bornant à retenir l'existence d'une « autorité effective » de la société Lafarge exercée sur l'usine syrienne, sans en déterminer le contenu et, surtout, sans préciser s'il existait, ou non, entre la société Lafarge et lesdits salariés un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de ses subordonnés, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, R. 4121-1, R. 4121-2, R. 4141-13 du code du travail et 223-1 du code pénal ;
2°/ qu'un salarié travaillant pour le compte d'une filiale, auprès de laquelle il déploie sa force de travail et dont il reçoit les ordres et sollicite les instructions, se trouve placé sous sa subordination, peu important les liens capitalistiques et de groupe existant entre la filiale et sa socié
3°/ qu'en présence d'un contrat de travail apparent, son existence est présumée, sauf à ce que soit rapportée la preuve de son caractère fictif ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer que les salariés de l'usine syrienne avaient été « employés sous le couvert de contrats de droit syrien » passés avec la société LCS pour en conclure que ce serait la société Lafarge qui serait tenue, à leur égard, d'obligations qui incombent à l'employeur, sans faire ressortir, ni le caractère prétendument fictif de ces contrats de droit syrien, ni l'existence d'un faisceau d'indices de nature à établir la présence d'un lien de subordination, caractéristique de l'existence de contrats de travail, entre la société Lafarge et ces mêmes salariés de l'usine syrienne, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, R. 4121-1, R. 4121-2, R. 4141-13 du code du travail et 223-1 du code pénal ;
5°/ que, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; qu'en l'espèce, en refusant d'annuler la mise en examen de la société Lafarge du chef de mise en danger de la vie d'autrui par violation des obligations de sécurité prévues par les articles R. 4121-1, R. 4121-2 et R. 4141-13 du code du travail, lesquelles n'incombent qu'à l'employeur, tandis que les salariés supposément mis en danger n'étaient pas employés par la société Lafarge, mais par sa sous-sous-filiale syrienne, la société LCS, la chambre de l'instruction, qui a méconnu le principe de la responsabilité pénale du fait personnel, a violé les articles 121-1 et 223-1 du code pénal ;
6°/ que l'existence de liens capitalistiques et de groupe entre deux sociétés ne sauraient, en tant que telle, faire naître une responsabilité pénale de la société-mère du fait de sa filiale, en particulier lorsque celle-ci n'est qu'indirectement contrôlée ; qu'en l'espèce, en ne se fondant que sur l'existence de tels liens, marqués par une participation indirecte de la société Lafarge au capital de la société LCS et par l'existence d'un pouvoir de décision fort de la société mère sur la politique de ses filiales, notamment en matière de sécurité des salariés, pour retenir que la société Lafarge pouvait avoir engagé sa responsabilité pénale du fait d'agissements commis par sa filiale, la chambre de l'instruction a méconnu le principe de la responsabilité pénale du fait personnel et a violé les articles 121-1 et 223-1 du code pénal. »
46. Le quatrième moyen critique l'arrêt attaqué du même chef, alors :
« 2°/ qu'en retenant, pour rejeter la demande d'annulation de la mise en examen de la société Lafarge du chef de mise en danger de la vie d'autrui commise au préjudice de plusieurs salariés de sa filiale indirecte, la société LCS, que le personnel de l'usine exploitée par celle-ci n'avait pas reçu de formation adéquate en cas d'attaque et que le document unique de sécurité n'apparaissait pas avoir été mis à jour en fonction de l'évolution des opérations militaires sur la zone où se situait l'usine, cependant que la société LCS, société de droit syrien exerçant son activité en Syrie et liée à ses employés par des contrats de droit syrien, n'était pas soumise aux obligations particulières de sécurité prévues par le droit français, et notamment à celles fixées par les articles R. 4121-1, R. 4121-2 et R. 4141-13 du code du travail, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 223-1 du code pénal et 80-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
47. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 223-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
48. Le premier de ces textes punit le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement.
49. En application du second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence. 50. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ainsi que la mise en examen de la société Lafarge du chef de mise en danger de la vie d'autrui par la violation manifestement délibérée des obligations particulières de l'employeur fixées aux articles R. 4121-1 et R. 4121-2 et R. 4141-13 du code du travail, découlant de l'obligation générale de sécurité imposée à tout employeur à l'égard de ses salariés prévue aux articles L. 4121-1 à L. 4121-3 du code du travail, l'arrêt retient que si le personnel concerné de l'usine exploitée par la société LCS a été employé sous le couvert de contrats de droit syrien, il n'a cependant pas reçu de formation adéquate en cas d'attaque et que son évacuation, lors de la prise du site par les combattants de l'EI le 19 septembre 2014, n'a été rendue possible que par l'utilisation de véhicules de fournisseurs, ceux mis à disposition par l'entreprise s'étant révélés insuffisants en nombre.
51. Les juges ajoutent que la société LCS est une filiale contrôlée indirectement à hauteur de 98,7% par la société Lafarge, tandis que les déclarations de M. [R], directeur opérationnel de la société LCS, laissent penser que les décisions en matière de sécurité des salariés étaient prises au niveau de la direction de la maison mère.
52. La chambre de l'instruction conclut qu'il apparaît ainsi exister des indices graves ou concordants permettant de penser que les salariés de l'usine syrienne se trouvaient sous l'autorité effective de la société Lafarge.
53. C'est à juste titre que les juges ont pu relever les indices graves ou concordants, soit de l'existence d'un lien de subordination des salariés syriens envers la société Lafarge, soit, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre la société Lafarge, maison mère, et la société LCS, sa sous-filiale, et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, d'une immixtion permanente de la maison mère dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière (Soc., 6 juillet 2016, pourvoi n° 15-15.493, notamment, Bull. 2016, V, n° 147 ; Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-13.769, en cours de publication).
54. Cependant, la chambre de l'instruction ne pouvait déduire de ces seules constatations l'applicabilité du code du travail français.
55. Il lui appartenait dans un premier temps de rechercher, au regard notamment du règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), dont ses articles 8 et 9, et le cas échéant des autres textes internationaux, quelles étaient les dispositions applicables à la relation de travail entre la société Lafarge et les salariés syriens.
56. Il lui incombait ensuite de déterminer celles de ces dispositions susceptibles de renfermer une obligation particulière de sécurité ou de prudence, au sens de l'article 223-1 du code pénal, ayant pu être méconnue (Crim., 13 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.718, publié). 57. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le second moyen proposé pour l'association ECCHR ainsi que pour Mmes [C] [J] et [X] [AG] contre l'arrêt de la chambre de l'instruction n° 8 du 7 novembre 2019
Et sur le moyen unique proposé pour MM. [YJ] [G], [RM] [XC] [E], [O] [U], [BQ] [W], [T] [NK] [Z], [JT] [CW] [K], [Y] [GC], [QQ] [M] [RB], [MZ] [UH], [Q] [DH], [YJ] [I], [P] [KE], [BG] [N], contre l'arrêt de la chambre de l'instruction n° 8 du 7 novembre 2019
Enoncé des moyens
58. Le second moyen proposé pour l'association ECCHR, Mmes [J] et [AG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la nullité de la mise en examen de la société Lafarge pour les faits de complicité de crimes contre l'humanité, alors :
« 1°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'article 80-1 du code de procédure pénale n'exige pas que les éléments constitutifs de l'infraction soient établis mais seulement que la possibilité de la participation de l'intéressé à l'infraction soit vraisemblable ; qu'en retenant l'absence de preuve de l'intention coupable de la société Lafarge, pour annuler sa mise en examen du chef de complicité de crimes contre l'humanité, alors qu'elle rappelait que la nécessité de l'existence au moment de la mise en examen d'indices graves ou concordants exigés par l'article 80-1 ne pouvait se confondre avec l'exigence d'avoir rassemblé les preuves des éléments constitutifs de l'infraction reprochée et concernait, à ce stade de la procédure, le seul rassemblement d'indices matériels pouvant laisser présumer que la personne a pu participer aux faits objets de l'information et qu'elle constatait l'existence d'éléments matériels suffisants permettant de penser, d'une part, que l'EI a commis des crimes contre l'humanité dans la zone irako-syrienne et dans celle située à proximité de la cimenterie courant 2013 et 2014 et, d'autre part, que la société Lafarge a financé régulièrement l'EI pendant la même période, ce dont il résultait la réunion d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la société Lafarge comme complice à la commission des crimes contre l'humanité perpétrés par l'EI, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 80-1 du code de procédure pénale et le principe sus-rappelé, ensemble les articles 591 et 593 du même code ;
2°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'intention coupable du complice réside dans le fait d'apporter sciemment une aide ou assistance à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en retenant qu'il ne peut être prétendu que le financement de l'EI par la société Lafarge, en ce qu'il était destiné à permettre la poursuite de l'activité de la cimenterie dans une zone en proie à la guerre civile puis contrôlée par l'EI, manifesterait l'intention de la société Lafarge de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés par cette entité, lorsque le but économique poursuivi par la société Lafarge ne saurait constituer le moindre fait justificatif de la commission de l'infraction de complicité de crimes contre l'humanité et sans rechercher si la société Lafarge, dont la chambre de l'instruction a constaté qu'elle avait financé volontairement de façon répétée sur plusieurs mois en 2013 et 2014 l'organisation criminelle Etat islamique, n'avait pas agi en connaissance de l'intention de cette organisation de commettre des crimes contre l'humanité, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-3, 121-6, 121-7 et 212-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'intention coupable du complice réside dans le fait d'apporter sciemment une aide ou assistance à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en retenant que le financement de l'EI par la société Lafarge ne manifestait pas l'intention de la société Lafarge de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés par l'EI lorsqu'il s'inférait de ses constatations que la société Lafarge était informée de la situation en Syrie au travers des comptes rendus des réunions hebdomadaires du comité de sûreté pour la Syrie qui étaient effectués téléphoniquement et qu'à la période des faits, ont été diffusés plusieurs rapports de la commission d'enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne mandatée par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies établis en juillet 2013, août 2013, février 2014 et août 2014 évoquant « des crimes contre l'humanité » à Raqqah avec une recrudescence de ces actes d'exécutions, enlèvements, emprisonnements et tortures dont la chambre de l'instruction a reconnu qu'ils étaient suffisants à rendre vraisemblable la commission par l'EI de tels crimes, ainsi que des vidéos de propagande de l'EI relatives à des exécutions et décapitations de masse à raison de l'appartenance des victimes civiles à un groupe particulier, de sorte qu'il existe des indices graves ou concordants laissant penser que la société Lafarge a financé de façon répétée sur plusieurs mois en 2013 et 2014 l'organisation criminelle Etat islamique en sachant que cette organisation avait déjà commis des crimes contre l'humanité et avait l'intention d'en commettre, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-3, 121-6, 121-7 et 212-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'intention coupable du complice réside dans le fait d'apporter sciemment une aide ou assistance à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en retenant que le financement de l'EI par la société Lafarge ne manifestait pas l'intention de la société Lafarge de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés par l'EI sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par le mémoire de Mmes [C] [J] et [X] [AG], si, les déclarations officielles et des publications de l'EI lui-même intervenues pendant la période des faits, ne révélaient pas l'existence d'indices graves ou concordants laissant penser que la société Lafarge avait financé de façon répétée sur plusieurs mois en 2013 et 2014 l'organisation criminelle Etat islamique en sachant que cette organisation avait déjà commis des crimes contre l'humanité et avait l'intention d'en commettre, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-3, 121-6, 121-7 et 212-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'intention coupable du complice réside dans le fait d'apporter sciemment une aide ou assistance à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en retenant que le financement de l'EI par la société Lafarge, destiné à permettre la poursuite de l'activité de la cimenterie dans une zone en proie à la guerre civile puis contrôlée par l'EI, ne manifestait pas l'intention de la société Lafarge de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés par cette entité criminelle, sans rechercher, comme elle y était invitée et tenue, s'il ne résultait pas de l'importance des sommes remises au profit de M. [S] [EX] et de fournisseurs liés à l'EI d'un montant de 15 562 261 dollars et de la nécessaire affectation des fonds constituant le budget de l'EI, organisation criminelle, à des attaques criminelles contre des populations constitutives de crimes contre l'humanité, dont la société Lafarge avait connaissance, que la société Lafarge avait financé l'EI en sachant que les fonds remis par elle devaient servir à la commission par l'EI de crimes contre l'humanité, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-3, 121-6, 121-7 et 212-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
6°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'intention coupable du complice réside dans le fait d'apporter sciemment une aide ou assistance à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; que l'élément moral de la complicité ne requiert pas que le complice ait partagé l'intention de l'auteur principal de commettre l'infraction principale ; qu'à supposer que la chambre de l'instruction ait retenu, en relevant que l'intention coupable du complice réside en la volonté de s'associer à la réalisation de l'infraction principale, que le complice doit partager l'intention de l'auteur de commettre l'infraction principale, la chambre de l'instruction a ajouté une condition à la loi et a violé les articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-7 et 121-3 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
7°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'intention coupable du complice réside dans le fait d'apporter sciemment une aide ou assistance à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction, le complice devant prévoir toutes les qualifications et aggravations dont le fait principal est susceptible ; que si les crimes de terrorisme et les crimes contre l'humanité sont distincts, des crimes contre l'humanité peuvent résulter de l'intensification d'actes terroristes d'atteintes à la vie ciblant des populations spécifiques, constitutive d'une attaque généralisée ou systématique ; qu'en retenant que le financement de l'EI par la société Lafarge ne manifestait pas l'intention de la société Lafarge de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés par l'EI lorsqu'elle a retenu que la société Lafarge savait que les fonds apportés étaient destinés à être utilisés à la commission d'actes de terrorisme et qu'elle a qualifié les mêmes faits d'atteintes à la vie figurant sur les vidéos de propagande de l'EI relatifs à des exécutions et de décapitations de masse de populations civiles selon un motif discriminatoire « d'actes de terrorisme » et de « crimes contre l'humanité », de sorte que le complice qui avait connaissance de l'intention de l'auteur de commettre ces faits devait les envisager sous toutes les qualifications y compris celle de crimes contre l'humanité, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-3, 121-6, 121-7, 212-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
8°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l'intention coupable du complice réside dans le fait d'apporter sciemment une aide ou assistance à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en se bornant à retenir que si la poursuite de l'activité de l'usine a manifestement exposé les salariés à un risque pour leur intégrité physique, voire leur vie, il ne peut être soutenu que l'intention de la société Lafarge a été de s'associer aux crimes contre l'humanité susceptibles d'avoir été commis à l'encontre de certains d'entre eux, sans rechercher, comme elle y était invitée par les mémoires des associations Sherpa et ECCHR qui se prévalait d'actes de complicité autres que le financement, si l'ensemble des actes de la société Lafarge, sous l'autorité de laquelle se trouvaient les salariés de l'usine syrienne, ayant consisté à décider de poursuivre malgré l'évacuation de ses expatriés en 2012 l'activité de l'usine, à imposer aux employés de l'usine d'être hébergés à proximité de celle-ci dans une zone contrôlée par l'EI et notamment à [Localité 1], d'avoir à retirer leurs salaires à Alep, ce qui a valu à un salarié d'être enlevé et d'avoir à passer quotidiennement des checkpoints contrôlés par l'EI, à gérer avec négligence les enlèvements d'employés et à donner l'instruction aux employés de rester dans l'usine en dépit de l'absence de tout plan d'évacuation suffisant jusqu'à l'attaque de celle-ci par l'EI le 19 septembre 2014, dont la direction de la société Lafarge avait été informée du caractère imminent, contraignant ainsi les employés à fuir dans l'improvisation et la panique, alors que la société Lafarge était informée de la situation en Syrie et que des rapports internationaux et des vidéos de propagande relayaient les crimes contre l'humanité commis par l'EI en 2013 et 2014 notamment à proximité de l'usine, n'établissaient pas l'existence d'indices graves ou concordants laissant penser que la société Lafarge a sciemment aidé ou assisté l'EI dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de crimes contre l'humanité à l'encontre des employés de l'usine, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-3, 121-6, 121-7 et 212-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
59. L'autre moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la nullité de la mise en examen de la société Lafarge pour les faits de complicité de crimes contre l'humanité et a ordonné la cancellation à la cote D1338/2 de certains passages, alors :
« 1°/ que le juge d'instruction peut mettre en examen une personne dès lors qu'il constate l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; qu'après avoir relevé l'existence d'éléments suffisants permettant de penser que l'EI et d'autres groupes affiliés ont commis des crimes contre l'humanité dans la zone comprenant les provinces de Raqqah et d'Alep à proximité de la cimenterie exploitée par la société Lafarge Cement Syria et l'existence d'éléments permettant de penser que la société Lafarge a pu financer cette entreprise terroriste, dans le but d'assurer la continuité de l'activité de la cimenterie dans cette zone, dont il s'évinçait la réunion d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation des personnes mises en examen, comme complice, à la commission de l'infraction de crimes contre l'humanité dont le juge d'instruction était saisi, la chambre de l'instruction ne pouvait, sans méconnaître l'article 80-1 du code de procédure pénale, retenir, pour prononcer comme elle l'a fait, qu'il ne peut être prétendu que ce financement manifesterait l'intention de la société Lafarge de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés par l'EI ;
2°/ que la répression de la complicité de crimes contre l'humanité n'exige pas que le complice ait eu l'intention de s'associer ou de concourir à de tels crimes ; qu'il suffit que le complice ait, en connaissance de cause, apporté son soutien à l'auteur de ces crimes ; qu'en énonçant le contraire, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-7 et 212-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
60. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 121-7 du code pénal :
61. Aux termes du premier alinéa de ce texte, est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.
62. La question se pose de savoir si la complicité doit être définie différemment du droit commun lorsqu'est en cause le crime contre l'humanité.
63. Il résulte de l'article 212-1 du code pénal que constituent un crime contre l'humanité, lorsqu'ils sont commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique, notamment, l'atteinte volontaire à la vie, la réduction en esclavage, le transfert forcé de population, la torture, le viol, la prostitution forcée, la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs notamment d'ordre religieux.
64. Le crime contre l'humanité est le plus grave des crimes car au-delà de l'attaque contre l'individu, qu'il transcende, c'est l'humanité qu'il vise et qu'il nie.
65. Sa caractérisation, qui doit porter sur chacun de ses éléments constitutifs, implique en conséquence, notamment, la démonstration de l'existence, en la personne de son auteur, du plan concerté défini par le texte précité, un tel crime ne se réduisant pas aux crimes de droit commun qu'il suppose.
66. En revanche, l'article 121-7 du code pénal n'exige ni que le complice de crime contre l'humanité appartienne à l'organisation, le cas échéant, coupable de ce crime, ni qu'il adhère à la conception ou à l'exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique, ni encore qu'il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l'humanité.
67. Il suffit qu'il ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l'humanité et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation.
68. Cette analyse s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation portant sur l'application de l'article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg (Crim., 23 janvier 1997, pourvoi n° 96-84.822, Bull. crim., 1997, n° 32).
69. Ne portant que sur la notion de complicité, elle n'a pas pour conséquence de banaliser le crime contre l'humanité lui-même, dont la caractérisation reste subordonnée aux conditions strictes rappelées aux paragraphes 63 et 65.
70. Une interprétation différente des articles 121-7 et 212-1 du code pénal, pris ensemble, qui poserait la condition que le complice de crime contre l'humanité adhère à la conception ou à l'exécution d'un plan concerté, aurait pour conséquence de laisser de nombreux actes de complicité impunis, alors que c'est la multiplication de tels actes qui permet le crime contre l'humanité. 71. Dès lors que l'article 121-7 du code pénal ne distingue ni selon la nature de l'infraction principale, ni selon la qualité du complice, cette analyse a vocation à s'appliquer aux personnes morales comme aux personnes physiques.
72. Pour annuler la mise en examen de la société Lafarge du chef de complicité de crimes contre l'humanité, l'arrêt énonce en premier lieu que des éléments suffisants permettent de penser que l'EI et d'autres groupes affiliés ont commis des crimes contre l'humanité dans la zone comprenant les provinces de Raqqah et d'Alep à proximité desquelles se trouvait la cimenterie exploitée par la société LCS.
73. Les juges mentionnent à titre d'exemples de faits imputables à l'EI, notamment, l'exécution d'un garçon de 15 ans accusé de blasphème, des enlèvements et prises d'otages, des meurtres et des exécutions sans procédure, des actes de maltraitance et de torture, l'exécution de quatre cents jeunes hommes à Taqba, à quatre-vingts kilomètres au sud de l'usine, le 2 septembre 2014, la décapitation des jeunes de la tribu des Chaaitat le 30 août 2014 pour leur refus de prêter allégeance, des arrestations de kurdes à [Localité 1].
74. Ils ajoutent que l'objectif de l'EI, comme des autres groupes qui lui sont associés, était d'imposer la « charia » sur le territoire contrôlé, et qu'il est vraisemblable que ces actes ont procédé d'un plan concerté en vue de contraindre les populations concernées à respecter les principes religieux propagés par cette entité.
75. Ils précisent encore que la recrudescence de ces actes observée sur la période du 15 juillet 2013 au 20 janvier 2014 dans le secteur de Raqqah permet de considérer qu'ils présentent le caractère d'une attaque généralisée et systématique de la population civile.
76. La chambre de l'instruction relève que la société Lafarge était informée de la situation en Syrie au travers des comptes rendus des réunions hebdomadaires du comité de sûreté pour la Syrie, qui étaient effectués téléphoniquement, et précise que lors de celle du 12 septembre 2013, il a été indiqué que « depuis juillet, les flux logistiques et les mouvements de personnels sont perturbés, voire parfois bloqués, par les islamistes, AN et ISIS », « la présence de ces groupes islamistes constitue pour nous la menace principale à prendre en compte. Il devient de plus en plus difficile d'opérer sans être amenés à négocier directement ou indirectement avec ces réseaux classés terroristes par les organisations internationales et les États-Unis ».
77. Elle ajoute que la résolution 2170/2014 du Conseil de sécurité de l'ONU vise, parmi les organisations terroristes à l'égard desquelles il proscrit tout soutien financier et tout échange commercial, l'EI, outre le Front Al Nosra.
78. La chambre de l'instruction relève ensuite que des paiements ont été effectués à hauteur de 15 562 261 dollars au profit de M. [EX] et de fournisseurs liés à l'EI au moyen de la trésorerie de la société LCS, elle-même alimentée à hauteur de 86 000 000 dollars en provenance de la société Lafarge Cement Holding, filiale contrôlée par le groupe Lafarge.
79. Elle conclut que le financement de l'EI par la société Lafarge était destiné à permettre la poursuite de l'activité de la cimenterie dans une zone en proie à la guerre civile puis contrôlée par l'EI, et qu'il ne peut être prétendu, quand bien même, dans ce contexte, la poursuite de l'activité de l'usine a manifestement exposé les salariés à un risque pour leur intégrité physique, voire leur vie, que ledit financement manifesterait l'intention de la société Lafarge de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés par cette entité.
80. En statuant ainsi, alors qu'il se déduisait de ses constatations, d'abord, que la société Lafarge a financé, via des filiales, les activités de l'EI à hauteur de plusieurs millions de dollars, ensuite, qu'elle avait une connaissance précise des agissements de cette organisation, susceptibles d'être constitutifs de crimes contre l'humanité, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
81. En effet, en premier lieu, le versement en connaissance de cause d'une somme de plusieurs millions de dollars à une organisation dont l'objet n'est que criminel suffit à caractériser la complicité par aide et assistance.
82. Il n'importe, en second lieu, que le complice agisse en vue de la poursuite d'une activité commerciale, circonstance ressortissant au mobile et non à l'élément intentionnel. 83. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.
Crim. 23 juin 2021 n° 20-84.752
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 20-84.752 F-D
N° 00824
ECF 23 JUIN 2021
ANNULATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 23 JUIN 2021
M. [M] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises du Val-de-Marne, en date du 5 juin 2020, qui, pour meurtres aggravés et vols, l'a condamné à trente ans de réclusion criminelle, à une interdiction définitive du territoire français et a prononcé une mesure de confiscation ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Sudre, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [M] [S], les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat des défendeurs et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2021 où étaient présents M.Soulard, président, Mme Sudre, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Dans une information ouverte contre personne non dénommée, en janvier 2001, pour assassinats et vols contre deux personnes, M. [S], ressortissant ukrainien, entendu sur commission rogatoire internationale les 11 et 12 octobre 2002, a reconnu sa participation aux faits.
3. Le 14 octobre 2002 un mandat d'arrêt international a été décerné contre lui, dans l'attente des résultats de la dénonciation faite par la justice française, le 15 novembre 2002. aux autorités ukrainiennes, qui avaient conditionné son maintien en détention à la délivrance de cet acte.
4. L'information s'est poursuivie en France concernant M. [S] tandis que la procédure a été disjointe à l'égard de deux autres personnes mises en examen et condamnées définitivement.
5. Le 30 juillet 2013, les autorités ukrainiennes ont informé la France de la décision rendue le 1er novembre 2012 clôturant par un non-lieu la procédure pénale ouverte en Ukraine et n'ont pas répondu à la commission rogatoire qui leur a été adressée le 2 octobre 2012, relative à la situation pénale de celui-ci.
6. Le 23 octobre 2014, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris a ordonné la mise en accusation et le renvoi devant la cour d'assises de Paris de M. [S], des chefs de meurtres avec préméditation et vols.
7. Par arrêt de défaut du 2 juin 2015, la cour d'assises de Paris a condamné M. [S] à trente ans de réclusion criminelle avec maintien des effets du mandat d'arrêt délivré le 14 octobre 2002, lequel a été mis à exécution en Russie du 16 octobre 2017 au 6 juin 2018.
8. Par arrêt du 29 mai 2019, la cour d'assises de Paris, statuant sur l'opposition formée par M. [S], a condamné celui-ci à trente ans de réclusion criminelle pour meurtre avec préméditation et vol de l'une des victimes et complicité de meurtre avec préméditation et vol de l'autre victime et à une interdiction définitive du territoire français. Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.
9. Le 3 juin 2019, M. [S] a relevé appel de ces deux décisions et le ministère public a formé appel incident le 6 juin 2019.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné l'accusé des chefs d'assassinats et de vols après avoir déclaré irrecevables ses demandes tendant à l'annulation de l'ordonnance de mise en accusation du 23 octobre 2014 et de certains actes de la procédure, alors « que les dispositions combinées des articles 181, alinéa 4, et 305-1 du code de procédure pénale, qui prévoient que l'ordonnance de renvoi devenue définitive couvre les vices de la procédure, sans prévoir d'exceptions à ce principe de purge des nullités, notamment dans le cas où la personne poursuivie n'a pas été régulièrement mise en examen, n'a pas pu exercer les droits attachés à la qualité de partie à la procédure, et ne s'est pas vue notifier la décision de renvoi , lorsque ces exceptions au principe de purge des nullités sont pourtant expressément prévues en matière correctionnelle à l'article 385 du code de procédure pénale, méconnaissent les droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément, d'une part, la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution et, d'autre part, les droits de la défense, le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d'égalité des justiciables, garantis par les articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que consécutivement à la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 181, alinéa 4, et 305-1 du code de procédure pénale, et la décision 2021-900 QPC du 23 avril 2021 du Conseil constitutionnel :
11. Selon le premier de ces textes, lorsqu'elle est devenue définitive, l'ordonnance de mise en accusation couvre, s'il en existe, les vices de la procédure.
12. Selon le second, l'exception tirée d'une nullité autre que celles purgées par l'arrêt de renvoi devenu définitif et entachant la procédure qui précède l'ouverture des débats doit, à peine de forclusion, être soulevée dès que le jury de jugement est définitivement constitué. Cet incident contentieux est réglé conformément aux dispositions de l'article 316 du code de procédure pénale.
13. Par sa décision susvisée du 23 avril 2021, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [S], à l'occasion de son pourvoi, transmise par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 181, alinéa 4, du code de procédure pénale, et les mots : « autre que celles purgées par l'arrêt de renvoi devenu définitif », figurant à l'article 305-1 du même code.
14. Le Conseil constitutionnel a fondé cette inconstitutionnalité sur la circonstance que ces dispositions ne prévoient aucune exception au mécanisme de la purge des nullités en cas de défaut d'information de la personne poursuivie ne lui ayant pas permis de contester utilement les irrégularités de procédure, si cette défaillance ne procède pas d'une manoeuvre de sa part ou de sa négligence.
15. Il a reporté au 31 décembre 2021 l'abrogation de ces dispositions, mais a décidé que la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir, lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un accusé qui se trouve dans la situation précitée
16. Il ressort du procès-verbal des débats qu'à l'ouverture de ceux-ci les avocats de M. [S] ont saisi la cour de conclusions de nullités de l'ordonnance de mise en accusation, subsidiairement de plusieurs pièces de la procédure d'instruction.
17. Pour écarter les demandes de nullités présentées, la cour, statuant sans la participation du jury, s'est fondée sur les articles 181, alinéa 4, et 305-1 du code de procédure pénale, déclarés inconstitutionnels, dans les conditions et limites sus énoncées.
18. En prononçant ainsi, sans vérifier que le demandeur avait été en mesure de contester utilement la régularité de la procédure, ou que l'impossibilité de le faire procédait d'une manoeuvre de sa part ou de sa négligence, la cour n'a pas donné de fondement à sa décision, au regard de la décision précitée du Conseil constitutionnel.
19. L'annulation est dès lors encourue.
Portée et conséquences de l'annulation
20. L'annulation de l'arrêt incident prononcé par la cour, statuant sur les demandes d'annulation de pièces de la procédure présentées par l'accusé, conduira à l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêt pénal, et celle de l'arrêt civil.
21. Le renvoi de la procédure interviendra devant une autre cour d'assises.
22. Si l'accusé présente une demande d'annulation de pièces de la procédure, il appartiendra à la cour, sans la participation des jurés, de statuer sur celle-ci, et, si elle l'estime nécessaire, de renvoyer l'affaire devant la chambre de l'instruction.
Civ.1 23 juin 2021 n° 19-22.678 B
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 23 juin 2021
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 460 FS-B
Pourvoi n° T 19-22.678
Aide juridictionnelle totale en demande au profit de M. [X]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 2 juillet 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 JUIN 2021
M. [R] [X], domicilié chez M. [M] [A], avocat, [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 19-22.678 contre l'ordonnance rendue le 19 janvier 2019 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],
2°/ au préfet de police, domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. [X], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, M. Hascher, Mme Antoine, M. Vigneau, Mmes Bozzi, Poinseaux, Guihal, M. Fulchiron, Mme Dard, conseillers, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris,19 janvier 2019) et les pièces de la procédure, le 15 janvier 2019, à l'expiration d'une mesure de garde à vue décidée pour infractions à la législation sur les stupéfiants, M. [X], de nationalité tunisienne, en situation irrégulière sur le territoire français, a été placé en rétention administrative, en exécution d'une obligation de quitter le territoire français.
2. Le 16 janvier, le juge des libertés et de la détention a été saisi par le préfet d'une demande de prolongation de la rétention sur le fondement de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Examen du moyen
Il est statué sur ce moyen après avis de la chambre criminelle, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Enoncé du moyen
3. M. [X] fait grief à l'ordonnance de rejeter les exceptions de nullité et de décider de la prolongation de sa rétention administrative pour une durée maximale de vingt-huit jours, alors :
« 1°/ que si au cours de la garde à vue ouverte contre une personne, l'officier de police judiciaire notifie, pour les nécessités de l'enquête, une garde à vue supplétive à l'encontre de la même personne, du chef d'une autre infraction, il doit aviser le procureur de la République de cette extension et l'informer des motifs et de la qualification des nouveaux faits notifiés à celle-ci, tout retard dans la mise en oeuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, faisant nécessairement grief aux intérêts de ladite personne ; qu'en énonçant, pour ordonner la prolongation de sa rétention administrative, après avoir observé qu'aucun élément établissait que le procureur de la République avait été avisé de la garde à vue supplétive dont M. [X] a fait l'objet, que ce dernier ne prouvait pas que cette illégalité ait eu pour effet de porter atteinte à ses droits dès lors que la garde à vue supplétive n'avait eu aucune conséquence sur la durée de la garde à vue initialement notifiée et au regard des pleins pouvoirs du procureur de la République d'appréciation de l'opportunité des poursuites et de la qualification des faits, le premier président qui s'est ainsi fondé sur des circonstances inopérantes a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 63 et 65 du code de procédure pénale et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2°/ qu'en tout état de cause, en énonçant, pour ordonner la prolongation de sa rétention administrative, après avoir observé qu'aucun élément établissait que le procureur de la République avait été avisé de la garde à vue supplétive dont M. [X] a fait l'objet, que ce dernier ne prouvait pas que cette illégalité ait eu pour effet de porter atteinte à ses droits au regard des pleins pouvoirs du procureur de la République d'appréciation de l'opportunité des poursuites et de la qualification des faits, le premier président n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations dont il résultait que le procureur de la République n'avait pas été mis en mesure d'exercer sur la seconde infraction le contrôle que lui confère la loi, dans l'intérêt même de la personne en cause, quant à la qualification des faits et au maintien de la garde à vue, violant ainsi les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 63 et 65 du code de procédure pénale et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée de la mesure de placement en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
5. Lorsqu'en application de l'article 65 du code de procédure pénale, une personne gardée à vue est entendue pour des faits autres que ceux ayant motivé son placement sous ce régime, l'officier de police judiciaire doit, afin de permettre un contrô
6. Si l'absence d'une telle information fait nécessairement grief aux intérêts de la personne gardée à vue, au sens de l'article 802 du code de procédure pénale, et entraîne la nullité des procès-verbaux de son audition sur les nouveaux faits, ainsi que, le cas échéant, celle des actes subséquents qui trouvent dans ceux-ci leur support nécessaire et exclusif, elle n'entraîne pas la nullité de la garde à vue en son ensemble.
7. Après avoir constaté qu'il résultait du procès-verbal du 13 janvier 2019 que M. [X] avait fait l'objet d'une garde à vue dite supplétive pour des faits qualifiés de recel de vol et qu'aucune mention de ce procès-verbal ni aucune autre pièce de la procédure n'établissait que le procureur de la République en avait été avisé, le premier président, qui a souverainement estimé que l'intéressé ne rapportait pas la preuve d'une atteinte à ses droits au sens de l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, en a exactement déduit que le moyen tiré de cette irrégularité ne pouvait emporter la mainlevée de la mesure de rétention.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Crim. 23 juin 2021 n° 21-82.038
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 21-82.038 F-D
N° 00890
MAS2 23 JUIN 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 23 JUIN 2021
M. [A] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 2 mars 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'assassinat et arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraires en bande organisée, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 11 juin 2020, M. [A] [Y] a été mis en examen des chefs susvisés, et placé en détention provisoire.
3. Le 29 janvier 2021, il a présenté une demande de mise en liberté, rejetée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du 8 février 2021.
4. Par déclaration au greffe du centre pénitentiaire [Localité 1] en date du 17 février 2021, M. [Y] a interjeté appel de cette ordonnance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 137, 137-3, 143-1, 144, 144-1, 198, 591 et 593 du code de procédure pénale, 5, § 4, et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de mise en liberté formée par M. [Y] sans répondre à une articulation essentielle de son mémoire, tirée du dépassement du délai raisonnable de sa détention provisoire qu'il invoquait dans le courrier joint à sa déclaration d'appel, alors que la chambre de l'instruction aurait dû non seulement viser ce mémoire, mais également répondre aux articulations essentielles qui y figuraient, faute de quoi elle n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle de la motivation.
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
7. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. M. [Y] a joint à sa déclaration d'appel du 17 février 2021 un courrier indiquant notamment que sa détention provisoire excédait une durée raisonnable.
9. Son avocat a déposé le 1er mars 2021 à 16 heures 38 au greffe de la chambre de l'instruction un mémoire contestant le maintien de son client en détention provisoire au regard des seuls critères de l'article 144 du code de procédure pénale.
10. Par l'arrêt attaqué, la chambre de l'instruction, après avoir visé le seul mémoire déposé par l'avocat de M. [Y], a confirmé l'ordonnance rejetant sa demande de mise en liberté, motifs pris des critères énumérés à l'article 144 du code de procédure pénale.
11. En se déterminant ainsi, sans viser le courrier dans lequel le détenu explicite son appel, et en ne répondant pas à l'argumentation juridique qui y est contenue, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé.
12. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 23 juin 2021 n° 21-81.881
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 21-81.881 F-D
N° 00888
MAS2 23 JUIN 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 23 JUIN 2021
M. [U] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 29 janvier 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'importation et exportation de stupéfiants, infractions à la législation sur les stupéfiants, en récidive, infractions à la législation sur les armes, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [U] [X], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 11 décembre 2020 à 0 heures 57, le service des garde-côtes a procédé à l'interception d'un navire qui était positionné tous feux éteints, dans les eaux territoriales françaises, à l'est de la commune du Vauclin (Martinique).
3. Ce navire était occupé par deux personnes, en l'espèce son propriétaire M. [U] [X] et un ressortissant vénézuélien disant se nommer M. [L] [N] qui avait, posé sur ses jambes, un pistolet-mitrailleur chargé et garni, prêt à tirer.
4. À bord du navire, les douaniers ont découvert notamment vingt-et-un ballots d'un poids de 751 kilogrammes contenant une vingtaine de paquets d'une poudre blanche réagissant positivement au test de détection de la cocaïne.
5. Le 14 décembre 2020, M. [X] a été mis en examen des chefs d'importation et exportation de stupéfiants en bande organisée, acquisition, détention, transport, offre ou cession de stupéfiants, blanchiment de trafic de stupéfiants, port et transport d'armes, éléments d'armes ou munitions de catégorie A ou B par plusieurs personnes, importation en contrebande de marchandises prohibées dangereuses pour la santé, détention et transport en contrebande de marchandises prohibées dangereuses pour la santé, association de malfaiteurs en vue de commettre les crimes et délits précités, certains de ces faits ayant été commis en état de récidive.
6. Le même jour, il a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention de Fort-de-France.
Examen des moyens
Sur le second moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant ordonné le placement en détention provisoire de M. [U] [X] alors :
« 1°/ qu'indépendamment de l'obligation faite aux états de protéger l'intégrité physique des détenus par l'administration des soins médicaux requis, la souffrance due à une maladie, si elle est ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités sont responsables, caractérise un traitement inhumain ou dégradant, relevant de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que lorsque l'incompatibilité de l'état de santé, et nécessairement du handicap en résultant, avec la détention a été reconnue, les juges ne peuvent se contenter de se référer à une nouvelle expertise qui s'avère incomplète, en ne s'expliquant pas sur l'évolution de l'état de la personne justifiant des conclusions opposées à celles des expertises antérieures ; qu'ils doivent s'expliquer sur les motifs de rejet d'une demande de contre-expertise ; que, pour contester son placement en détention provisoire, le détenu a invoqué l'incompatibilité de son état de santé avec la détention constatée par deux expertises, l'une ayant abouti à la suspension de l'exécution d'une précédente condamnation prononcée à son encontre et l'autre ayant abouti à une décision de libération conditionnelle, rappelant qu'à la suite d'un grave accident, l'intéressé a été amputé et que son handicap imposait l'assistance d'autres détenus pour les actes d'hygiène et pour se rendre aux toilettes ; que, saisie de l'appel contre l'ordonnance de placement en détention provisoire, la chambre de l'instruction a ordonné une nouvelle expertise, afin d'évaluer la comptabilité de la détention avec l'état de santé du détenu ; qu'après avoir relevé que l'expert constatait que le détenu recevait un traitement médicamenteux pour de l'hypertension et un ulcère et n'avait pas besoin de pansement infirmier, la chambre de l'instruction a estimé que l'expert avait conclu à la compatibilité de l'état de santé du détenu avec la détention et a confirmé le placement en détention provisoire ; qu'en l'état de tels motifs établissant que l'expert ne s'est pas prononcé sur la compatibilité du handicap, outre le traitement médicamenteux, du détenu avec la détention, ni ne prétendait justifier des conclusions, diamétralement opposées à celles des précédentes expertises, par une évolution de l'état du détenu, le mémoire déposé pour le détenu relevant que « l'expertise du docteur [G] réalisée après seulement cinq minutes d'entretien avec M. [X] et sans avoir jamais pris connaissance de son dossier médical, ni de son dossier d'handicapé, est nulle car elle ne répond pas aux questions de la cour et auxquelles il a été répondu par les deux expertises précédentes, notamment au regard de la nécessité de l'aide d'une tierce personne dans les besoins de la vie courante comme la toilette, de la difficulté d'avoir des béquilles en détention, de l'impossibilité de les utiliser durablement sans aggraver les blessures au coude et de la nécessité d'avoir un fauteuil, ce qui est interdit en détention à [Localité 1] », la chambre de l'instruction qui ne s'est pas prononcée sur la demande de contre-expertise qui était sollicitée par le détenu, a méconnu l'article 147-1 du code de procédure pénale et l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ qu'en n'expliquant pas en quoi les conclusions de la dernière expertise qui aurait estimé la détention compatible avec l'état de santé du détenu, dont les conclusions étaient discutées en ce qu'elles n'envisageaient pas l'effet de la détention à longue échéance sur l'état de santé du détenu et ses conditions de détention, devaient être privilégiées par rapport à celle des deux expertises antérieures, notamment au regard de l'évolution de l'état de santé du détenu, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 147-1 du code de procédure pénale et l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que pour estimer la détention compatible avec l'état de santé du détenu, la chambre de l'instruction a jugé que celui-ci « bénéfice de toute l'attention nécessaire et les services de soins sanitaires intervenant au quotidien auprès de lui seront à même de prendre toute mesure utile y compris dans le cadre éventuel d'une hospitalisation si cela s'avérait nécessaire » ; qu'elle a par ailleurs relevé que le détenu était régulièrement suivi par l'unité médicale (au 22 janvier, quinze rendez-vous depuis le 14 décembre 2020), et par le SMPR ; qu'en l'état de tels motifs, en constatant que le détenu avait besoin de soins quotidiens, sans avoir relevé que ces soins lui étaient effectivement apportés, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 147-1 du code de procédure pénale et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ qu'en relevant que le détenu avait été placé en détention dans une cellule située en rez-de-chaussée qu'il occupait seul, ce qui lui permettait de bénéficier des promenades quotidiennes, quand il avait été rappelé dans l'un des mémoires déposés pour le détenu que ce dernier avait besoin d'une assistance quotidienne pour aller aux toilettes notamment, la chambre de l'instruction qui ne s'est pas prononcée sur ce point, participant de l'incompatibilité de ces conditions de détention avec son état de santé, constituant en lui-même un traitement indigne, la chambre de l'instruction a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 147-1 du code de procédure pénale et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
5°/ que dans le mémoire déposé pour le détenu, il était rappelé que l'établissement carcéral était connu pour être infesté de nuisibles, situation incompatible avec l'état de santé du détenu ; que la chambre de l'instruction, qui ne s'est pas prononcée sur la compatibilité de l'état de santé du demandeur avec l'état de l'établissement, a encore privé son arrêt de base légale au regard des articles 147-1 du code de procédure pénale et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
9. Pour dire la détention compatible avec l'état de santé de M. [X], et qu'aucune atteinte n'est portée à sa dignité, l'arrêt attaqué retient tout d'abord que les rapports d'expertises médicales diligentées dans le cadre d'un aménagement de peine, versés à la procédure, en date du 6 juin 2018 et du 29 septembre 2020, relevaient que M. [X], amputé d'une jambe, souffrait d'une fistulation chronique du moignon d'amputation nécessitant en permanence des soins infirmiers et une surveillance médicale ; qu'il relevait d'une aide humaine, M. [X] étant dans l'incapacité de réaliser seul les actes de la vie quotidienne et qu'un suivi médical permanent était jugé nécessaire du fait de ces pathologies, irréalisable en détention.
10. Les juges énoncent ensuite qu'il résulte du rapport critiqué, en date du 18 janvier 2021, que le médecin expert, commis dans la présente procédure en application des dispositions de l'article 147-1 du code de procédure pénale, a expressément et préalablement pris connaissance de ces deux rapports et qu'il a également examiné M. [X] ; qu'après avoir relevé que celui-ci bénéficiait actuellement d'un traitement médicamenteux anti-hypertenseur et anti-ulcéreux qui sont à sa disposition dans la structure carcérale, il a expressément fait le constat que ce dernier ne nécessitait par ailleurs aucun soin de pansement infirmier.
11. La cour conclut que l'expert a répondu complètement aux questions posées en évaluant en conséquence de son examen que l'état de santé de M. [X] était actuellement compatible avec la détention et que son pronostic vital n'était pas engagé.
12. Les juges ajoutent, s'agissant des conditions de détention, qu'il résulte des éléments transmis par le centre pénitentiaire de [Localité 1] que, durant la période de quatorzaine imposée à toute personne arrivante, M. [X] a bénéficié des prises en charge des différentes unités (Unité sanitaire, SMPR, SPIP, encadrement de secteur), qu'il a ensuite été affecté dans une unité en rez-de-chaussée afin de faciliter ses déplacements ; qu'il est seul en cellule et est régulièrement suivi par l'unité médicale et par le SMPR, qu'il se montre actif avec une présence quotidienne sur les promenades et qu'en l'état de ces éléments, ses conditions de détention ne méconnaissent pas les dispositions conventionnelles et légales et notamment à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de son appréciation souveraine, la chambre de l'instruction, qui a implicitement mais nécessairement rejeté la demande de contre-expertise présentée, a justifié sa décision.
14. Le moyen doit en conséquence être rejeté.
15. Par ailleurs l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
Crim. 22 juin 2021 n° 20-84.513
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 20-84.513 F-D
N° 00793
SM12 22 JUIN 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 JUIN 2021
Quatre agents des douanes s'identifiant seulement par leurs matricules, respectivement 47225, 57816, 44202 et 56226, parties civiles, ont chacun formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, en date du 8 juillet 2020, qui, dans la procédure suivie contre MM. [K] [T] [C] et [R] [N] des chefs de menaces de mort aggravées, violences aggravées, rébellion et conduite d'un véhicule en état d'ivresse manifeste, a déclaré irrecevables leurs constitutions de partie civile.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des agents des douanes matricules 57816, 56226, 44202 et 47225, et les conclusions de M Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 9 juin 2019, une altercation entre automobilistes est survenue, impliquant MM. [N] et [T], d'une part, et M. [G], d'autre part. Parvenu à hauteur d'un croisement, M. [G] a sollicité l'intervention d'agents des douanes qui se rendaient sur les lieux d'un contrôle.
3. Par jugement en date du 12 juin 2019, le tribunal correctionnel a déclaré MM. [N] et [T] coupables des chefs susvisés, les a condamnés et a notamment déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des agents des douanes de la brigade de Frouzins, matricules 57816, 56226, 44202 et 47225.
4. Ces agents ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des agents des douanes de la brigade de surveillance intérieure de Frouzins ayant pour matricules les numéros 44202, 47225, 56226 et 57816, alors :
« 1°/ qu'en déclarant irrecevables les constitutions de partie civile anonymisées des quatre agents douaniers aux motifs qu'il n'aurait pas été justifié en procédure des autorisations d'anonymisation exigées par les textes, qu'aucune pièce de la procédure ne donnait accès aux noms et prénoms des personnes identifiées par un numéro d'immatriculation et que les conclusions des parties civiles ne comportaient pas plus ces éléments d'identification, quand les noms et prénoms des agents douaniers contenus dans les autorisations d'anonymisation ne doivent pas être versées aux débats, afin d'empêcher les prévenus de connaître leur identité, sachant que le procureur de la République et le juge ont accès à leur identité grâce à une interface de levée d'anonymat dénommée « IDPV », la cour d'appel a violé les articles 55 bis du code des douanes et 15-4 du code de procédure pénale, les articles 1er, 3 et 4 de l'arrêté du 30 mars 2018 portant création d'un traitement de données à caractère personnel dénommé « IDPV » et les articles 2.3 et 3.1 de la circulaire n° 2017-00117 du 3 avril 2018 présentant les dispositions légales et réglementaires permettant aux agents des services d'enquête de s'identifier sous un numéro ;
2°/ qu'en déclarant irrecevables les constitutions de partie civile anonymisées des quatre agents douaniers aux motifs qu'il n'aurait pas été justifié en procédure des autorisations d'anonymisation exigées par les textes, qu'aucune pièce de la procédure ne donnait accès aux noms et prénoms des personnes identifiées par un numéro d'immatriculation et que les conclusions des parties civiles ne comportaient pas plus ces éléments d'identification, quand il appartenait aux magistrats de rechercher, comme ils pouvaient le faire, l'identité des quatre agents douaniers en utilisant l'interface de levée d'anonymat dénommée « IDPV » par des actes d'instruction dont ils reconnaissaient eux-même l'utilité, la cour d'appel a violé les articles 591 et 593 du code de procédure pénale, ainsi que les articles 55 bis du code des douanes et 15-4 du code de procédure pénale, les articles 1er, 3 et 4 de l'arrêté du 30 mars 2018 portant création d'un traitement de données à caractère personnel dénommé « IDPV » et les articles 2.3 et 3.1 de la circulaire n° 2017-00117 du 3 avril 2018 présentant les dispositions légales et réglementaires permettant aux agents des services d'enquête de s'identifier sous un numéro ;
3°/ qu'en déclarant irrecevables les constitutions de partie civile anonymisées des quatre agents douaniers au motif qu'il n'aurait pas été justifié en procédure d'une quelconque information du procureur de la République territorialement compétent de cette anonymisation, quand le ministère public avait conclu, à titre principal, à la recevabilité des constitutions de partie civile au motif qu'aucune des parties n'avait sollicité par requête écrite et motivée la communication des nom et prénom des agents des douanes bénéficiaires d'une autorisation d'anonymisation, et subsidiairement à la communication de ces autorisations, ce qui impliquait qu'elles existaient et lui avaient été communiquées, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en déclarant irrecevables les constitutions de partie civile anonymisées des quatre agents douaniers aux motifs qu'il n'aurait pas été justifié d'un risque spécifique caractérisant la mise en danger de la vie ou de l'intégrité physique de ces agents ou de leurs proches, l'infraction ayant été commise dans un contexte ponctuel d'alcoolisation et les prévenus, qui n'avaient jamais été condamnés, n'étant pas des délinquants d'habitude, quand une telle condition n'était pas requise pour l'anonymisation d'agents douaniers se constituant partie civile dans des procédures qui, comme en l'espèce, portaient sur des infractions de menace de mort et de violences aggravées qui étaient punies de plus de trois ans d'emprisonnement pour lesquelles il suffisait que la révélation de l'identité des agents douaniers soit susceptible de mettre en danger leur vie ou leur intégrité physique ou celles de leurs proches, compte tenu des conditions d'exercice de leur mission ou de la nature des faits qu'il sont habituellement amenés à constater, la cour d'appel a violé les articles 55 bis du code des douanes et 15-4 du code de procédure pénale ;
5°/ qu'en déclarant irrecevables les constitutions de partie civile anonymisées des quatre agents douaniers aux motifs qu'il n'aurait pas été justifié d'un risque spécifique caractérisant la mise en danger de la vie ou de l'intégrité physique de ces agents ou de leurs proches, l'infraction ayant été commise dans un contexte ponctuel d'alcoolisation et les prévenus, qui n'avaient jamais été condamnés, n'étant pas des délinquants d'habitude, quand elle a elle-même relevé que les agents douaniers avaient été physiquement agressés de manière très violente par les prévenus et que ceux-ci avaient proféré des menaces de mort à leur encontre, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 55 bis du code des douanes et 15-4 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour confirmer le jugement contesté et déclarer irrecevables les constitutions de partie civile d'agents des douanes désignés sous leurs matricules, l'arrêt attaqué énonce que ces derniers ont été entendus sous couvert d'anonymat sur la seule demande de leur chef de service, sans qu'il soit justifié en procédure du degré d'habilitation de cette personne, ni des autorisations d'anonymisation exigées par les textes susvisés, ni d'une quelconque information du procureur de la République territorialement compétent, ni enfin d'un risque spécifique caractérisant la mise en danger de la vie ou de l'intégrité physique de l'agent ou de celle de ses proches.
7. Les juges constatent que cette dernière condition n'est manifestement pas caractérisée, l'infraction ayant été commise dans un contexte ponctuel d'alcoolisation et les prévenus, qui n'avaient jamais été condamnés, n'étant pas des délinquants d'habitude.
8. La cour d'appel relève que les autorisations, qui doivent être préalables à tout acte réalisé sous couvert d'anonymisation, n'ont pas été produites devant le tribunal avant la constitution de partie civile, alors qu'aucune pièce de la procédure ne donne accès aux noms et prénoms des personnes identifiées par un numéro d'immatriculation, renseignements qui ne figurent pas non plus dans les conclusions devant la cour d'appel alors que cette irrégularité ne peut être couverte en cause d'appel.
9. C'est à tort que la cour d'appel, qui tirait de l'article 15-4, III, alinéa 1er, du code de procédure pénale le pouvoir de vérifier les noms et prénoms des agents des douanes concernés, retient que l'irrégularité ne peut être couverte devant elle, d'autant que le ministère public, qui concluait à la recevabilité des parties civiles, était favorable à la production des autorisations en question si une partie déposait une requête en ce sens.
10. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure, pour les raisons suivantes.
11. De première part, l'identification des parties procède de l'exigence du respect du contradictoire, dont le juge répressif est garant, même lorsqu'il statue sur intérêts civils.
12. De deuxième part, s'il n'est pas exigé d'un agent, identifié en procédure par un numéro administratif, de justifier, à peine d'irrecevabilité de sa constitution de partie civile, de la procédure ayant conduit à l'admettre au bénéfice de cette protection, il appartient au juge pénal, lorsqu'il est saisi d'une contestation portant sur la régularité de cette procédure, de vérifier si les conditions de sa mise en oeuvre étaient réunies.
13. Enfin, l'octroi, à un agent, par l'autorité hiérarchique dont il relève, de la protection de l'anonymat dans les actes de procédure auxquels il contribue, revêt un caractère exceptionnel et obéit à des conditions limitativement énumérées par l'article 15-4 du code de procédure pénale, qui, en l'état des constatations des juges du fond, faisaient défaut au présent cas.
14. Ainsi, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 22 juin 2021 n° 20-83.302
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 20-83.302 F-D
N° 00785
CG10 22 JUIN 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 JUIN 2021
M. [H] [E], Mme [Z] [T], Mme [S] [K], M. [G] [X] [K], Mme [F] [J], M. [D] [B], Mme [B] [U], Mme [J] [O], Mme [O] [O], M. [L] [M], Mme [T] [S], Mme [C] [V], M. [W] [Q], M. [U] [I], Mme [M] [R], Mme [E] [P], Alternatifs fédération du Rhône, Attac Rhône, Covra C/OG. Lemee, la Férération conseils parents élèves du Rhône, la Fédération syndicale unitaire, la Gauche alter Lyon, Gauche unitaire, la Ligue des droits de l'homme, le MRAP, le NPA 69-Nouveau parti anticapitaliste section Rhône, le parti communiste Français, le parti de Gauche, le Planning familial 69, le Syndicat des avocats de France, SOS Racisme Rhône, l'UD CGT Rhône, l'UD nationale des étudiants de France, l'UN nationale lycéenne, l'UN syndicale solidaire Rhône, parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 5 mars 2020, qui, dans l'information suivieš, sur leur plainte, des chefs d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, non empêchement d'une privation illégale de liberté et entrave à l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [H] [E] et des autres demandeurs, parties civiles, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan avocat de M. [A] [Y], et les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [N] [A], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, M. Croizier, avocat général, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 21 octobre 2010, une manifestation autorisée tendant à protester contre le projet de réforme des retraites a été prévue au départ de la [Localité 1] à [Localité 2] à partir de 14 heures dans un contexte général de violences apparu depuis le 14 octobre précédent. Compte tenu, en premier lieu, du rassemblement, à partir de 9 heures 30, d'environ trois cent cinquante personnes, dont certaines avaient le visage masqué, en deuxième lieu, des dégradations effectuées vers 11 heures dans la périphérie par des individus cagoulés au préjudice de véhicules et de commerces, et enfin, de l'intervention d'une vingtaine d'interpellations, il a été décidé de déplacer le point de départ de la manifestation et de fermer la [Localité 1] par un procédé d'encerclement destiné à éviter l'infiltration de « casseurs », mesure qui a pris effet vers 13 heures 30 et s'est poursuivie jusqu'à la fin de la manifestation vers 16 heures 45, avec quelques assouplissements ayant permis à une centaine de personnes de quitter les lieux vers 15 heures 30.
3. Le 29 juillet 2011, une plainte avec constitution de partie civile a été déposée au nom de trente-cinq personnes et associations, ayant abouti à l'ouverture d'une information judiciaire contre personne non dénommée, des chefs d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de autorité publique et refus du bénéfice d'un droit par dépositaire de l'autorité publique à raison de l'origine, de l'ethnie ou de la nationalité.
4. Au cours de l'instruction, MM. [A] [Y], préfet de région, et [N] [A], directeur départemental de la sécurité publique du Rhône, ont été placés sous le statut de témoin assisté.
5. Le 2 février 2017, est intervenue une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction, suivie d'un arrêt du 25 octobre 2018 de la chambre de l'instruction confirmant le non-lieu du chef de refus discriminatoire d'accorder un droit, mais ordonnant un supplément d'information aux fins de mise en examen de MM. [Y] et [A] des chefs d'atteinte à la liberté, d'abstention volontaire de mettre fin à cette atteinte et d'entrave à la liberté d'expression et de manifestation.
6. Au terme de leurs auditions, ceux-ci n'ont pas été mis en examen.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu entreprise, alors « qu'en édictant les dispositions de l'article 1er de la loi 95-73 du 21 janvier 1995, modifiées par la loi 2003-239 du 18 mars 2003 - lesquelles confèrent à l'Etat le devoir d'assurer le maintien de l'ordre public - le législateur a, d'une part, méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit, en l'occurrence, la liberté individuelle, la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et de communication, ainsi que le droit d'expression collectives des idées et des opinions, en ce qu'il s'est abstenu de prévoir des garanties légales suffisantes et adéquates concernant le recours par les forces de l'ordre au procédé de nasse, ou d'encagement, par lequel les forces de l'ordre privent un groupe de personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d'une manifestation ou à proximité immédiate de celle-ci, au moyen d'un encerclement, et, d'autre part, porté une atteinte injustifiée et disproportionnée à l'ensemble de ces mêmes droits et libertés que la Constitution garantit ; que consécutivement à la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale. »
Réponse de la Cour
8. Le Conseil constitutionnel ayant déclaré les dispositions contestées conformes à la Constitution, dans sa décision du 12 mars 2021 (n° 2020-889-QPC), le moyen est devenu sans objet.
Sur les deuxième et troisième moyens
Enoncé des moyens
9. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu entreprise pour les faits d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l'autorité publique et de non-empêchement d'une privation illégale de liberté alors :
1°/ que, l'article 432-4 du code pénal réprime toute atteinte arbitraire à la liberté individuelle portée par une personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice de ses fonctions ; que le recours à une mesure de maintien de l'ordre qui ne fait l'objet d'aucun encadrement légal constitue nécessairement un acte arbitraire ; qu'en confirmant l'ordonnance de non-lieu prononcée à l'encontre de M. [A] et M. [Y], lorsqu'elle constatait que le 21 octobre 2010, à compter de 13h23, et pendant plus de six heures, près de sept cents personnes ont été retenues sur la [Localité 1], suite au recours par les forces de l'ordre au procédé de nasse, ou kettling, à l'initiative des mis en causes, ledit procédé manifestement attentatoire à la liberté d'aller et venir étant pourtant dépourvu de tout fondement juridique, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 432-4, 432-5 du code pénal, 184, 204, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en outre, doit nécessairement être considérée comme arbitraire, au sens de l'article 432-4 du code pénal, toute mesure contraire aux stipulations de la convention européenne des droits de l'homme ; que ce n'est que « sous réserve qu'elle soit le résultat inévitable de circonstances échappant au contrôle des autorités, qu'elle soit nécessaire pour prévenir un risque réel d'atteintes graves aux personnes ou aux biens et qu'elle soit limité au minimum requis à cette fin » que la mesure de kettling ne constitue pas une privation de liberté au sens de l'article 5 de la Convention européenne (CEDH, Grande chambre, 15 mars 2012, Affaire A. et a. c/ Royaume Uni, Req. n° 39692/09, § 59) ; qu'en confirmant l'ordonnance de non-lieu prononcée à l'encontre de M. [A] et M. [Y], lorsqu'elle constatait expressément, d'une part, qu'il n'existait pas de circonstances extérieures échappant au contrôle des autorités, lorsque ces derniers ont initié le recours au procédé de nasse, ou kettling, les forces de l'ordre revendiquant au contraire ne jamais avoir perdu le contrôle de la situation et, d'autre part, que ces dernières n'ont jamais tenté de limiter la portée du dispositif au minimum nécessaire, la levée du dispositif n'ayant jamais été seulement envisagée avant la fin de la manifestation autorisée, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, 432-4, 432-5 du code pénal, 184, 204, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en tout état de cause, doit nécessairement être considérée comme arbitraire, au sens de l'article 432-4 du code pénal, toute mesure contraire aux stipulations de la convention européenne des droits de l'homme ; que viole l'article 2 du protocole n° 4 à la Convention européenne toute mesure restreignant la liberté de circulation qui n'est pas prévue par la loi ; qu'en confirmant l'ordonnance de non-lieu prononcée à l'encontre de M. [A] et M. [Y], lorsqu'elle constatait que le 21 octobre 2010, à compter de 13 heures 23, et pendant plus de six heures, près de sept cents personnes ont été retenues sur la [Localité 1], suite au recours par les forces de l'ordre au procédé de nasse, ou kettling, à l'initiative des mis en causes, ledit procédé manifestement attentatoire à la liberté de circulation étant pourtant dépourvu de tout fondement juridique, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 2 du protocole n° 4 à la Convention européenne, 432-4, 432-5 du code pénal, 184, 204, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
10. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu entreprise pour les faits d'entrave à l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation, alors « que constitue le délit d'entrave à la liberté d'expression et de manifestation, prévu à l'article 431-1 du code pénal, l'action concertée ayant pour finalité d'empêcher, à l'aide de menaces, l'exercice de ces libertés ; qu'en confirmant l'ordonnance de non-lieu prononcée à l'encontre de M. [A] et M. [Y], lorsqu'elle constatait qu'en décidant de recourir sur la [Localité 1], le 21 octobre 2010, au procédé de nasse, ou kettling, lequel est dépourvu de tout fondement juridique, et en maintenant ce dispositif jusqu'à la fin de la manifestation autorisée ce jour, les mis en cause ont empêché un grand nombre d'individus d'exercer leur droit d'expression et de manifestation, ces derniers étant dans l'impossibilité de quitter le cordon policier et de rejoindre le cortège de ladite manifestation, sauf à s'exposer à une interpellation certaine et à une sanction pénale, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-4 et 431-1 du code pénal, 184, 204, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
12. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce notamment que la mesure d'encerclement de la [Localité 1] a eu pour objet d'éviter des violences graves contre les personnes et les biens que les autorités étaient fondées à redouter, que de nombreuses personnes ont pu quitter le périmètre dans le courant de l'après-midi en application des consignes de discernement qui ont été données, et que la levée du dispositif de «nasse» est intervenue dès la fin de la manifestation et a été accompagnée de contrôles d'identité ordonnés par l'autorité judiciaire.
13. Les juges en déduisent que la mesure, mise en place par la force mais sans violence, dans le cadre de circonstances exceptionnelles, était nécessaire et non disproportionnée, tant dans son principe que dans sa mise en oeuvre.
14. Ils concluent que les atteintes ainsi portées aux droits et libertés fondamentaux invoqués ne caractérisent aucune infraction.
15. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction, qui a caractérisé l'existence de risques graves d'atteinte à l'ordre public mettant en cause la sécurité des personnes et des biens et a démontré le caractère nécessaire, adéquat et proportionné de la mesure d'encerclement prise au regard des circonstances exceptionnelles auxquelles les forces de l'ordre devaient faire face, a justifié sa décision.
16. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
17. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 22 juin 2021 n° 20-84.125
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° D 20-84.125 F-D
N° 00792
SM12 22 JUIN 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 JUIN 2021
La société Bolloré, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 1er juillet 2020, qui, dans la procédure suivie contre M. [T] [E] et Mme [B] [H] du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Bolloré, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [T] [E], et Mme [B] [H] et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société Bolloré a porté plainte et s'est constituée partie civile à l'encontre de M. [E], journaliste, et Mme [H], représentante de la société d'éditions Calmann-Levy, pour des propos publiés dans un ouvrage intitulé «informer n'est pas un délit».
3. Tous deux ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel qui les a relaxés et a condamné la société Bolloré à leur verser des sommes au titre de l'article 472 du code de procédure pénale.
4. Appel a été interjeté par la seule partie civile.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que Mme [H] et M. [E] n'ont commis aucune faute civile, débouté la société Bolloré de toutes ses demandes et condamné la société Bolloré à payer respectivement à Mme [H] et M. [E] les sommes de 1 000 et de 9 000 euros au titre de l'article 472 du code de procédure pénale, alors « que, est diffamatoire toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de celui à qui le fait est imputé ; qu'en retenant que le paragraphe figurant en page 114 et relevant du passage n°2 ne comportait aucune imputation diffamatoire, motif pris de ce que la pression exercée sur Mme [W] consistait en l'exercice d'une voie de droit, quand ce paragraphe imputait encore à la société Bolloré des faits constitutifs d'atteintes graves portées tant aux personnes qu'à l'environnement, tels que « la destruction massive de forêts », « la confiscation des terres », « l'expulsion des villageois et des populations pygmées », « la pollution des cours d'eau », les juges du fond ont violé l'article 29 de loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ensemble l'article 1382 ancien [1240 nouveau] du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 29, alinéa 1, et 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
6. Selon le premier de ces textes, constitue une diffamation toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé.
7. Il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le point de savoir si, dans les propos retenus dans la prévention, se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique, tels qu'ils sont définis par ce texte.
8. Selon le second, la citation directe délivrée à la requête de la partie lésée du chef d'une infraction prévue par cette loi ne fixe irrévocablement les termes de la poursuite qu'en ce qu'elle précise les propos incriminés, les qualifie et indique le texte applicable de ladite loi.
9. Il s'en déduit que les juges ne sont pas tenus par l'interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l'acte initial de poursuite et qu'il leur appartient de rechercher, en relevant toutes les circonstances intrinsèques ou extrinsèques auxdits propos que comporte l'écrit qui les renferme, si ceux-ci contiennent l'imputation ou l'allégation d'un autre fait contraire à l'honneur ou la considération de la partie civile que celui suggéré dans la citation.
10. Pour écarter le caractère diffamatoire des propos selon lesquels « la pression s'exerce aussi sur certains témoins que j'ai décidé de faire citer à la barre. [S] [W], photographe, s'est rendue (avec la journaliste camerounaise [H] [D]) à peu près à la même époque dans les mêmes plantations de palmiers à l'huile que moi. Ses images témoignent de la destruction massive des forêts, de la confiscation des terres, de l'expulsion des villageois et des populations pygmées, de la pollution des cours d'eau, du recours généralisé à la sous-traitance et du manque de protection dont pâtissent les ouvriers dans les palmeraies », l'arrêt attaqué retient qu'il en résulte que la pression exercée sur Mme [W] a été l'exercice d'une voie de droit prévue par la loi, ce qui ne peut donc être pénalement ou moralement répréhensible.
11. En se déterminant ainsi, alors qu'en imputant à la société Bolloré d'avoir, au Cameroun, participé à la destruction massive des forêts et à la pollution des cours d'eau, confisqué des terres, expulsé des villageois et des populations pygmées en les remplaçant par des plantations de palmiers à huile, les propos poursuivis étaient de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de l'intéressé, peu important que ces faits diffamatoires n'aient pas été analysés dans la citation, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
12. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 22 juin 2021 n° 21-81.022
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 21-81.022 F-D
N° 00783
SM12 22 JUIN 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 JUIN 2021
Le procureur général près la cour d'appel de Besançon a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 20 janvier 2021, qui, dans l'information suivie contre M. [K] [Z] [T] et M. [F] [H] [K], notamment des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur une demande d'annulation d'actes de la procédure.
Par ordonnance en date du 1er mars 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 4 octobre 2020, MM. [Z] [T] et [K] ont été présentés à un juge substituant l'un des trois juges d'instruction du tribunal judiciaire de Besançon, qui les a mis en examen notamment des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants.
3. Leurs avocats ont présenté une requête en nullité des procès-verbaux d'interrogatoire de première comparution et des actes subséquents en se fondant notamment sur l'irrégularité de la désignation de ce magistrat
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen est pris de la violation des articles 50, 83 et 591 du code de procédure pénale.
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé les interrogatoires de première comparution de MM. [Z] [T] et [K] du 4 octobre 2020, et les actes subséquents, alors que Mme Cazeneuve, juge aux affaires familiales au tribunal judiciaire de Besançon, a agi en remplacement des juges d'instruction légitimement empêchés, dans le cadre et dans le respect de l'ordonnance du président du tribunal judiciaire du 16 juillet 2020 « fixant le tableau de roulement des permanences des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Besançon pour la période du 5 septembre 2020 au 20 décembre 2020 », qui l'a notamment désignée les samedi et dimanche 3 et 4 octobre 2020, et ce, conformément au procès-verbal de l'assemblée générale des magistrats du siège du 25 novembre 2019.
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
6. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
7. Pour prononcer la nullité des procès-verbaux de première comparution de MM. [Z] [T] et [K], ainsi que des actes subséquents relatifs à leur placement en détention, l'arrêt attaqué énonce que Mme Cazeneuve, qui est intervenue en qualité de juge d'instruction le dimanche 4 octobre 2020, occupe les fonctions de juge aux affaires familiales au tribunal judiciaire de Besançon, dans lequel trois juges d'instruction sont en poste.
8. Les juges relèvent que l'ordonnance de roulement établie par la présidente de la juridiction le 16 juillet 2020 ne vise que l'article 83 du code de procédure pénale.
9. Ils ajoutent que ni cette pièce, ni le procès-verbal du 25 novembre 2019 de l'assemblée générale des magistrats du siège de la juridiction, ni les procès-verbaux de première comparution ne mentionnent que son intervention est due à un empêchement des magistrats instructeurs titulaires.
10. En se déterminant ainsi, alors qu'elle constatait que Mme Cazeneuve, d'une part, a été régulièrement désignée par l'assemblée générale pour remplacer les juges d'instruction en application de l'article 50 du code précité, d'autre part, était intervenue un dimanche, ce qui constitue une cause d'empêchement légitime des juges d'instruction, malgré toute référence à celle-ci dans les procès-verbaux litigieux, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Civ.3 17 juin 2021 n° 17-17.222
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 17 juin 2021
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 529 F-D
Pourvoi n° W 17-17.222
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 JUIN 2021
M. [H] [I], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 17-17.222 contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2016 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige l'opposant au syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2], dont le siège est [Adresse 3], représenté par son syndic la société Nexity Lamy, dont le siège est [Adresse 4], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de M. [I], de Me Le Prado, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2], après débats en l'audience publique du 18 mai 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2016), le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] (le syndicat) a assigné M. [I], propriétaire de lot, en paiement de charges.
Examen des moyens
Sur la demande d'annulation pour perte de fondement juridique
2. M. [I] demande l'annulation de l'arrêt pour perte de fondement juridique au motif qu'un jugement du 16 janvier 2018 passé en force de chose jugée a prononcé la nullité de la résolution n° 5 de l'assemblée générale du 26 mars 2015.
3. Cependant, l'annulation d'un arrêt pour perte de fondement juridique ne peut être fondée sur la nullité d'une résolution d'assemblée générale de copropriétaires prononcée par une décision judiciaire passée en force de chose jugée.
Sur les premier, deuxième, troisième moyens, sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, et sur le cinquième moyen, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche
Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
5. Selon ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.
6. M. [I] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une somme à titre de dommages-intérêts, alors « que, à supposer que la cour d'appel ait entendu condamner M. [I] au versement de la somme de 1 000 euros au titre du retard pris dans le paiement des charges de copropriété, lorsque l'obligation consiste dans le paiement d'une somme d'argent, le créancier ne peut obtenir des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires que si le débiteur en retard lui a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [I] à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel s'est bornée à relever que le syndicat des copropriétaires invoquait la faute de M. [I] qui a omis de s'acquitter à leur échéance des appels de charges et des appels de fonds pour travaux dont il est redevable et le caractère préjudiciable de cette attitude pour le syndicat et que « le refus de l'appelant de s'acquitter des sommes dues était délibéré et abusif » ; qu'en statuant ainsi sans caractériser la mauvaise foi de M. [I], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1153 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
7. Pour condamner M. [I] à payer des dommages-intérêts, l'arrêt retient que le refus de l'appelant de s'acquitter des sommes dues est délibéré et abusif.
8. En statuant ainsi, sans caractériser la mauvaise foi du débiteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
Civ.2 17 juin 2021 n° 20-12.450
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 17 juin 2021
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 630 F-D
Pourvoi n° W 20-12.450
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 JUIN 2021
Mme [E] [Z], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-12.450 contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2019 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [Z], de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 14 octobre 2019), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 8 juin 2017, pourvoi n° 16-20.616), Mme [Z], blessée dans un accident de la circulation survenu à l'étranger, a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) afin d'obtenir réparation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les premier, troisième, quatrième et cinquième moyens, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, le quatrième moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches et sur le cinquième moyen, qui sont irrecevables, ainsi que sur les troisième moyen, quatrième moyen, pris en sa quatrième branche et cinquième moyen, pris en sa première branche, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de fixer la part du préjudice patrimonial lui revenant, en capital à la somme de 2 021 427,50 euros et sous forme de rentes viagères indexées sur l'indice des prix, de 4 590 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs à compter de la décision, et de 32 960 euros au titre de la tierce personne à compter du 1er janvier 2018 et suspendue en cas d'hospitalisation à compter du quarante-sixième jour et de la débouter de ses autres demandes contraires ou complémentaires alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, pour fixer le poste de préjudice lié aux dépenses de santé futures, la cour d'appel a énoncé que les parties s'accordaient devant les premiers juges et devant elle pour retenir un montant mensuel de dépenses de santé futures de 191,29 euros ; qu'en statuant ainsi, quand les parties s'accordaient uniquement sur le montant mensuel des frais pharmaceutiques à hauteur de 191,29 euros mais s'opposaient sur l'indemnisation au titre des dépenses de santé futures de frais de podologie exposés par la victime, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
5. L'arrêt énonce, au titre du poste des dépenses de santé futures, que la CIVI a relevé que les parties s'accordaient pour retenir un montant mensuel moyen de 191,29 euros, ce qui n'est pas contesté en cause d'appel, puis évalue les dépenses de santé échues et à échoir à partir de ce montant mensuel moyen.
6. En statuant ainsi, alors qu'en plus des frais médicaux et pharmaceutiques restés à charge, de ce montant sur lequel les parties s'accordaient, Mme [Z] avait sollicité, dans le dispositif de ses dernières conclusions, au titre des frais médicaux futurs, le paiement de la somme de 21 541,50 euros correspondant à des frais de podologie, auquel le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) s'opposait, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
7. Mme [Z] fait le même grief à l'arrêt alors « qu'en vertu du principe de la réparation intégrale, les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; qu'en l'espèce, après avoir fixé à dix-neuf heures le nombre d'heures d'assistance à tierce personne dont la victime a besoin par jour, y compris les heures de soins infirmiers, la cour d'appel a énoncé que les heures de soins infirmiers étaient prises en charge par l'organisme social « au moins jusqu'en juillet 2010 » de sorte que sur les dix-neuf heures dues, trois heures de soins infirmiers étaient prises en charge par la caisse et seize heures devaient être indemnisées par le fonds pour la période passée et pour la période à venir ; qu'en statuant ainsi, sans constater que les heures de soins infirmiers étaient effectivement prises en charge par l'organisme social postérieurement au mois de juillet 2010, ce que la victime contestait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale. »
Réponse de la Cour :
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
8. S'agissant du préjudice lié au besoin d'assistance par une tierce personne, l'arrêt énonce que si le rapport d'expertise a estimé à treize heures par jour le besoin d'assistance de Mme [Z], hors les trois heures de soins infirmiers, il convient, cependant, de fixer à dix-neuf heures le nombre d'heures d'assistance dont elle a besoin, par jour, compte tenu de son degré de handicap et des risques non négligeables auxquels elle est confrontée, sans distinguer entre les heures passives ou actives, la prise en charge de la victime comprenant, tout à la fois, l'intervention active, la surveillance et la télésurveillance, ainsi que les heures de soins infirmiers.
9. L'arrêt constate, s'agissant des soins infirmiers à domicile d'une durée de trois heures, dont l'expert a reconnu la nécessité, que le relevé de la caisse primaire montre que cette dernière en a assumé la charge au moins jusqu'en juillet 2010, et ajoute qu'ils sont répartis sur la journée.
10. L'arrêt rappelle que l'aide apportée à Mme [Z] par sa mère, infirmière à la retraite, ne peut avoir d'incidence sur l'indemnisation due au titre de la tierce personne et retient, enfin, que sur les dix-neuf heures dues, trois heures sont prises en charge par la caisse et seize heures doivent être indemnisées par le FGTI pour la période passée mais aussi pour la période à venir.
11. En se déterminant ainsi, et en indemnisant le besoin en aide humaine de Mme [Z], évalué à dix-neuf heures par jour, à hauteur de seize heures par jour seulement, alors qu'il ne ressortait pas de ses constatations que la prise en charge des trois heures de soins infirmiers quotidiens, par l'organisme social, acquise « au moins jusqu'en juillet 2010 », avait été maintenue après cette date, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Crim. 16 juin 2021 n° 20-82.941 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 20-82.941 F-P
N° 00766
CK 16 JUIN 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 16 JUIN 2021
M. [D] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-12, en date du 9 mars 2020, qui pour faux, escroquerie, tentative d'escroquerie et blanchiment, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis, a ordonné des mesures de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. [D] [F], les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat des sociétés Foncière lyonnaise et MTB, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société OPCI IREEF-French Real Estate, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la ville de Paris, et les conclusions de M. Salomon, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 19 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, M. Salomon, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société Foncière lyonnaise a porté plainte à l'encontre de M. [D] [F] des chefs de tentative d'escroquerie, d'extorsion et de chantage.
3. Le procureur de la République a ouvert une enquête préliminaire dont il est ressorti une large pratique organisée par M. [F], dans le cadre de laquelle auraient eu lieu ses démarches envers la société Foncière lyonnaise alors qu'il disait entendre lutter contre des fraudes commises par des sociétés immobilières consistant pour celles-ci à minorer, lors des déclarations, les surfaces soumises à la redevance pour création de bureaux ce qui portait atteinte aux finances locales.
4. La pratique paraissant ainsi mise en oeuvre par M. [F] s'appuierait sur l'association Apure dont il était le président et qu'il avait créée afin de disposer d'un inté
5. Le tribunal, par un jugement du 4 juillet 2018, a déclaré le prévenu coupable, notamment du chef de faux, et a condamné, sur les intérêts civils, M. [F] à indemniser la société Foncière lyonnaise, M. [Z] [U], la société MTB, et la société IREEF Haussmann Paris Propco aux droits de laquelle vient désormais la société OPCI IREEF-French Real Estate.
6. Il a interjeté appel de ce jugement ainsi que le ministère public.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et sixième branches, et sur les deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [F] coupable du chef de faux par altération frauduleuse de la vérité dans un écrit commis courant 2015 à 2017 à Paris en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, alors :
« 3°/ que pour que l'écrit puisse être qualifié de faux, encore faut-il qu'il ait pour objet ou qu'il puisse avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; qu'en l'espèce, pour qualifier de faux les procès-verbaux d'assemblée générale ou de réunion du conseil d'administration de l'association Apure, la cour d'appel a retenu qu'ils avaient eu pour effet de donner une apparence de fonctionnement de l'association conforme aux dispositions légales et statutaires ; qu'en statuant ainsi quand la loi n'exige pas que les réunions de l'assemblée générale ou du conseil d'administration d'une association fassent l'objet d'un procès-verbal et que les statuts de l'association n'imposaient pas davantage de procès-verbaux pour les réunions du conseil d'administration, la cour d'appel a violé les articles 1 et 2 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association et 441-1 du code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale ;
4°/ que pour que l'écrit puisse être qualifié de faux, encore faut-il qu'il ait pour objet ou qu'il puisse avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; qu'en l'espèce, pour qualifier de faux les procès-verbaux de réunion du conseil d'administration de l'association Apure, la cour d'appel a retenu qu'ils portaient mention d'une prétendue autorisation à ester en justice donnée à son président M. [F] ; qu'en statuant ainsi quand l'autorisation d'ester en justice était conférée à M. [F] par l'article 18 des statuts de l'association Apure, de sorte que les procès-verbaux n'avaient pas en eux-mêmes créé un droit ou un fait ayant des conséquences juridiques, la cour d'appel a violé l'article 441-1 du code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale ;
5°/ que pour que puisse être retenue la qualification de faux encore faut-il que l'altération frauduleuse de la vérité ait causé un préjudice à autrui ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'un préjudice, la cour d'appel a relevé que la falsification de procès-verbaux d'assemblée générale et de réunions du conseil d'administration d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 mettait en cause la validité des décisions apparemment prises et permettait de contester la régularité et les pouvoirs des organes de la personne morale ; qu'en statuant ainsi quand la régularité et les pouvoirs du président d'une association, définis par les statuts, ne sont pas conditionnés à la rédaction de procès-verbaux facultatifs, la cour d'appel a violé les articles 1 et 2 de la loi du 1er juillet 1901 et 441-1 du code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer M. [F] coupable du délit de faux, l'arrêt attaqué énonce que les procès-verbaux de tenue d'assemblée générale et de réunion du conseil d'administration de l'association Apure, datés des 20 mars, 17 juillet, 9 octobre, 11 décembre 2016, 26 mars et 29 octobre 2017, ne correspondent pas à la réalité factuelle et contiennent une altération de la vérité comme cela ressort des déclarations des prétendus membres de l'association selon lesquelles ils n'ont jamais participé à une quelconque réunion du conseil d'administration associatif, voire même, pour certains, ont ignoré en être membre ; il ressort également des écritures du prévenu devant la cour qu'il reconnaît n'avoir pas respecté le formalisme habituel lorsqu'il s'est agi de réunir des assemblées générales ou des conseils d'administration alors que les procès verbaux attestent le contraire ; il est ainsi constaté que l'association Apure n'a pas fonctionné selon les exigences légales ni statutaires.
10. Les juges considèrent qu'un procès-verbal de réunion d'un organe délibérant d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 constitue un écrit, donnant à l'association Apure l'apparence trompeuse d'un fonctionnement conforme aux dispositions légales et statutaires, et ayant pour objet l'établissement de la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.
11. La cour ajoute que les procès-verbaux de conseil d'administration argués de faux portent mention d'une autorisation à ester en justice donnée à son président, M. [F], et ont été joints aux requêtes introductives d'instance déposées au greffe du tribunal administratif de Paris et parfois annexés aux protocoles de transaction comme cela ressort du procès verbal de réunion du conseil d'administration daté du 18 octobre 2017.
12. Les juges relèvent, enfin, que le préjudice ou la possibilité d'un préjudice est nécessairement attaché à la falsification de tels procès-verbaux de réunion d'assemblée générale et du conseil d'administration d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 qui met en cause la validité des décisions apparemment prises et permet de contester la régularité et les pouvoirs des organes de la personne morale.
13. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
14. En effet, en premier lieu, il importe peu que l'arrêt ait retenu que les documents falsifiés ont donné à l'association l'apparence d'un fonctionnement conforme aux dispositions la régissant dès lors qu'un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée, ayant un objet ou pouvant avoir un effet probatoire, peut constituer un faux même s'il n'est pas exigé par la loi ou n'est pas nécessaire d'après les statuts de l'association.
15. En deuxième lieu, le délit de faux n'implique pas que le document falsifié crée le droit qu'il atteste.
16. En troisième lieu, le préjudice causé par la falsification d'un écrit peut résulter de la nature même de la pièce falsifiée ; tel est le cas de l'altération de procès-verbaux d'assemblée générale ou de réunion d'une association, qui est de nature à permettre de contester la régularité ou les pouvoirs d'un de ses organes.
17. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Soc. 16 juin 2021 n° 19-20.582
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 16 juin 2021
Rejet
M. SCHAMBER, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 781 F-D
Pourvoi n° Q 19-20.582
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 JUIN 2021
1°/ La société Motivay, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Fama, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ la société Jempila, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ la société Sylver, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° Q 19-20.582 contre l'arrêt rendu le 31 mai 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans le litige les opposant à M. [F] [M], domicilié [Adresse 5], défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés Motivay, Fama, Jempila et Sylver, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 5 mai 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 31 mai 2019), M. [M] a été engagé le 1er janvier 2006 par la société Motivay, exploitant un restaurant Mc Donald's, en qualité d'assistant stagiaire puis de directeur adjoint et enfin, à compter du 1er janvier 2010, de directeur junior.
2. Il a été engagé le 27 janvier 2010 par la société Fama, exploitant également un restaurant Mc Donald's, en qualité de directeur junior puis en qualité de directeur de restaurant, selon avenant du 1er août 2011 le soumettant au régime du forfait en jours.
3. Selon conventions du 1er septembre 2011 et du 1er mars 2012, la société Fama a mis le salarié à la disposition de la société Motivay.
4. Le 13 juin 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la nullité de la convention de forfait en jours et la condamnation in solidum des sociétés Fama et Motivay au paiement de diverses sommes à titre d'heures supplémentaires, d'indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts à raison d'un prêt illicite de main d'oeuvre.
5. Le 20 août 2013, il a démissionné.
6. Les sociétés Jempila et Sylver, parties à une transaction sur la rupture du contrat de travail conclue par le salarié, sont intervenues volontairement à l'instance prud'homale.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. Les sociétés Fama, Motivay, Sylver et Jempila font grief à l'arrêt de dire que la convention de forfait annuel en jours conclue le 1er août 2011 était nulle et privée d'effet et de condamner la société Fama à payer au salarié un rappel d'heures supplémentaires, alors :
« 1°/ qu'au regard de l'évolution de la législation en matière de forfait jour, il convient de retenir que si toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif, il n'est pas nécessaire que ce dernier prévoie lui-même des mesures assurant la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; que ces mesures, si elles sont nécessaires, car de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié, et, donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé, elles peuvent être définies et mises en oeuvre unilatéralement par l'employeur ; qu'en retenant en l'espèce que le forfait en jours était nul dès lors qu'il était conclu en application de la convention collective de la restauration rapide qui ne contenait pas de dispositions permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié, la cour d'appel a violé, dans leurs versions applicables au litige, les articles L. 3121-39 et L. 3121-45 du code du travail ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ni rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que pour démontrer que le salarié avait bénéficié d'un entretien annuel au cours duquel avait été évoquée sa charge de travail, les sociétés se prévalaient de l'entretien concernant l'évaluation de la performance du salarié pour l'année 2012 pour soutenir qu'avait été évoquée lors de cet entretien la charge de travail de l'intéressé ; qu'en retenant qu'il n'était pas établi par les suivis mensuels de présence et de kilomètres parcourus qu'un tel entretien avait eu lieu, sans examiner cette pièce, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que les sociétés faisaient valoir que le décompte de ses heures établi par le salarié comptabilisant sur une même journée le service du midi et le service du soir était contredit par les relevés mensuels de présence produits par l'employeur desquels il ressortait que le salarié assurait exclusivement le service du midi ; qu'en affirmant que les décomptes du salarié n'étaient pas contredits par les tableaux de suivi mensuel de présence et kilomètres parcourus avec véhicule de fonction, sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
10. Il résulte des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
11. Il résulte de l'article L. 3121-43 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
12. La cour d'appel a retenu que selon l'article 33.5.2. de la convention collective nationale de la restauration rapide du 18 mars 1988, dans sa rédaction issue de l'avenant n° 37 du 26 juin 2004, d'une part, la durée du travail des cadres jouissant d'une grande indépendance dans l'organisation et l'exercice de leur mission est incontrôlable et ne peut valablement se décompter que par journées de travail, d'autre part, l'accomplissement de leur mission par ces cadres doit s'inscrire dans une maîtrise des temps pour laquelle l'entreprise et le cadre concerné ont un rôle à jouer par un effort conjoint d'organisation.
13. Elle en a exactement déduit que ces dispositions, qui ne permettent pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié soumis au forfait en jours et qu'en conséquence la convention de forfait était nulle.
14. La cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a, après analyse des pièces produites par le salarié et la société Fama, évalué souverainement l'importance des heures supplémentaires et fixé les créances salariales s'y rapportant.
15. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche comme s'attaquant à un motif surabondant, n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
16. Les sociétés Fama, Motivay, Sylver et Jempila font grief à l'arrêt de condamner in solidum les sociétés Motivay et Fama à payer une indemnité pour travail dissimulé, alors :
« 1°/ que pour retenir que la société Motivay était coupable de travail dissimulé, la cour d'appel s'est fondée sur le fait qu'elle n'avait accompli aucune de ses obligations déclaratives à l'égard du salarié placé sous son autorité dans le cadre de sa mise à disposition illicite ; que dès lors la cassation à intervenir du chef de dispositif condamnant les sociétés Fama et Motivay pour prêt de main d'oeuvre illicite entraînera la cassation de ce chef de dispositif en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°/ que le délit de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié requiert un élément intentionnel ; qu'en retenant que la société Motivay n'avait accompli aucune de ses obligations déclaratives à l'égard du salarié placé sous son autorité dans le cadre de sa mise à disposition illicite, sans caractériser l'intention de la société Motivay d'échapper à ses obligations déclaratives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 8221-5 du code du travail ;
3°/ que pour retenir que la société Fama était coupable de travail dissimulé, la cour d'appel a relevé qu'elle n'avait pas mentionné sur les bulletins de salaire les heures supplémentaires récurrentes, constantes et nombreuses compte tenu de l'application volontaire d'un forfait nul et privé d'effet dont elle connaissait les imperfections juridiques importantes et manifestes mises en évidence notamment par un audit de mars 2012 ; que dès lors la cassation à intervenir des chefs de dispositif ayant refusé d'écarter des débats la pièce numéro 32 fournie par le salarié constituée de l'audit de mars 2012, ayant dit que la convention de forfait annuel en jours conclue le 1er août 2011 est nulle et privée d'effet et ayant condamné la société Fama à payer au salarié un rappel de salaire correspondant à des heures supplémentaires, entraînera par voie de conséquence la cassation de ce chef de dispositif en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
17. Le rejet des trois premiers moyens prive de portée les première et troisième branches qui invoquent une cassation par voie de conséquence.
18. La cour d'appel a retenu que les deux conventions de mise à disposition conclues par la société Motivay étaient constitutives d'une opération de prêt illicite de main d'oeuvre. Elle a relevé que le salarié avait été placé sous l'autorité de cette société durant quinze mois sans que celle-ci n'accomplisse aucune de ses obligations relatives à la déclaration d'un emploi salarié. Elle a, par là-même, caractérisé l'élément intentionnel du travail dissimulé.
19. Le moyen n'est donc pas fondé.
Crim. 16 juin 2021 n° 20-83.526
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 20-83.526 F-D
N° 00767
SM12 16 JUIN 2021
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 16 JUIN 2021
M. [K] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 12 juin 2020, qui pour abus de biens sociaux et escroquerie, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis probatoire et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. [K] [C], les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [H] [U], partie civile, et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [C] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, notamment du chef d'abus de biens sociaux, en raison de l'imputation sur les comptes de la société Mode Promotion des dépenses engagées pour l'acquisition, à titre personnel, d'un terrain à bâtir situé à Marrakech, à concurrence de 60 094,48 euros pour l'opération immobilière, de 2 672,90 euros au titre de frais de déplacement, et en utilisant le compte courant d'associé comme un compte bancaire personnel.
3. Les juges du premier degré ont déclaré M. [C] coupable du délit reproché.
4. Le prévenu et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les troisième et quatrième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [C] coupable des délits d'abus de biens sociaux et d'escroquerie, alors « que le prévenu peut déposer des conclusions rédigées par un avocat honoraire ; qu'en refusant de recevoir les conclusions déposées à l'audience par le prévenu au motif qu'elles avaient été rédigées par un avocat devenu honoraire à la date d'audience, la cour d'appel a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 459 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. En l'état, il ne ressort d'aucune mention de l'arrêt attaqué ni des notes d'audience que le demandeur s'est vu empêché de déposer des conclusions à l'audience.
8. Dès lors le moyen doit être écarté.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [C] coupable du délit d'abus de biens sociaux, alors « que l'associé titulaire d'un compte courant d'associé, restant le seul propriétaire des fonds remis à titre précaire à la société et pouvant se les faire restituer à tout moment, n'use pas des biens de la société au détriment de cette dernière lorsqu'il utilise à son bénéfice personnel une somme de la société correspondant à sa créance sur cette dernière ; qu'en jugeant M. [C] coupable du chef d'abus de biens sociaux pour avoir acquis un bien immobilier en son nom propre à Marrakech, en ayant eu recours à son compte courant d'associé au sein de la société Mode Promotion, parce qu'il était interdit bancaire et n'avait pas de fonds propres, la cour d'appel qui n'a ainsi pas caractérisé l'usage des biens de la société au détriment de cette dernière a violé l'article L. 241-3 4° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
10.Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour déclarer M. [C] coupable d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de l'instruction et des débats tant en première instance qu'en appel, que le prévenu, alors qu'il était gérant de la société Mode promotion, a fait un virement, le 30 juin 2005 de 60 000 euros, du compte de la société pour l'achat d'un terrain à Marrakech acquis en son nom propre ainsi que des frais de voyage pour la somme de 2 672, 90 euros.
12. Les juges ajoutent qu'étant interdit bancaire, il a fait cet achat avec le compte de la société, tout en sachant qu'elle n'avait pas les disponibilités pour cette opération puisque son bilan indiquait une perte d'exploitation de 500 euros.
13. La cour d'appel retient, également, qu'il a déclaré à l'audience avoir revendu ce terrain deux ans plus tard alors qu'il en était toujours propriétaire, ne pas se souvenir du prix, ne pas avoir versé ce prix à la société et ne pas contester ce délit.
14. En l'état de ces énonciations qui ne permettent pas de déterminer si les fonds, utilisés à titre personnel, ont été prélevés sur un compte de la société ou sur un compte courant d'associé du prévenu et, le cas échéant, si les prélèvements réalisés ont rendu ce compte d'associé débiteur, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
15. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation sera limitée à la culpabilité de M. [C] du chef d'abus de biens sociaux et aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité pour escroquerie n'encourt pas la critique.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
17. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel.
18. La déclaration de culpabilité de M. [C] du chef d'escroquerie est devenue définitive par suite de la non-admission des troisième et quatrième moyens, or Mme [U] s'est exclusivement constituée partie civile, à l'encontre de M. [C], de ce chef et n'a nullement prétendu avoir été victime du délit d'abus de biens sociaux. Dès lors, sa demande est recevable.
Crim. 16 juin 2021 n° 20-80.911
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 20-80.911 F-D
N° 00769
SM12 16 JUIN 2021
CAS. PART. PAR VOIE DE RETRANCH. SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 16 JUIN 2021
M. [E] [T], Mme [P] [T], la société Negocit, M. [A] [S] et la société Stockage service 42 ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 19 novembre 2019, qui, pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, les a condamnés à une amende et des pénalités fiscales et au paiement des droits fraudés.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires en demande et en défense et des observations ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [E] [T], Mme [P] [T] et la société Negocit, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Stockage service 42 et M. [A] [S], et les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières du renseignement et des enquêtes douanières, et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Entre septembre 2014 et décembre 2014, les agents de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ont mené des opérations de surveillances physiques des entrepôts de la société Negocit, co-gérée par M. [E] [T] et sa fille, Mme [P] [T], ainsi que de la société ACC LOG, devenue la société Stockage service 42, gérée par M. [A] [S]. Les vérifications informatiques qui ont suivi les ont conduits à ouvrir des procédures fiscales pour violation de la réglementation sur la suspension des droits d'accise à l'encontre de ces deux sociétés.
3. Les deux sociétés et leurs gérants, auxquels il a été reproché d'avoir procédé dans l'application Gamma à la réception et à l'apurement de documents d'accompagnement électroniques (DAE), ainsi qu'à des expéditions, sans que les marchandises correspondantes soient présentes dans les entrepôts, ont été cités par l'administration des douanes devant le tribunal correctionnel des chefs d'expédition ou réception par un entrepositaire agréé de produit ou bien relevant des contributions indirectes sans document d'accompagnement ou marque fiscale conforme, omission ou inexactitude dans sa comptabilité matières par un entrepositaire agréé et paiement non conforme d'impôt ou taxe.
4. Le 16 mai 2017, les juges du premier degré ont déclaré l'ensemble des prévenus coupables et les ont condamnés, la société ACC LOG à trois amendes douanières de 750 euros, M. [S] à trois amendes douanières de 750 euros ainsi qu'à une pénalité fiscale de 193 600 euros, la société Negocit au paiement de trois amendes douanières de 500 euros, M. [T] à trois amendes douanières de 750 euros ainsi qu'à une pénalité fiscale de 732 000 euros et Mme [T] à trois amendes douanières de 500 euros et à une pénalité fiscale de 366 000 euros.
5. M. et Mme [T], M. [S], la société Stockage service 42, le procureur de la République et l'administration des douanes et des droits indirects ont formé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens proposés pour M. et Mme [T] et la société Negocit
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé pour M. et Mme [T] et la société Negocit
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables d'expédition ou réception par un entrepositaire agréé de produits ou biens relevant des contributions indirectes sans document d'accompagnement, d'omission ou inexactitude dans sa comptabilité matières par un entrepositaire agréé et de paiement non conforme d'impôt ou taxe, en l'espèce des accises sur l'alcool et boissons ou produits alcooliques, de les avoir condamnés en conséquence à trois amendes douanières chacun, à des pénalités fiscales ainsi qu'au paiement solidaire des impôts fraudés, alors :
« 1°/ que la cour d'appel constate, par adoption des motifs des premiers juges sur la peine, que « les destinataires finaux, qui ont éludé les droits d'accises britanniques sont ceux qui ont réalisé le plus gros bénéfice » ; qu'en se bornant, pour caractériser les faits poursuivis, à constater l'existence d'inexactitudes comptables consistant dans l'apurement et l'émission de documents administratifs électroniques concernant des marchandises n'ayant jamais transité par les entrepôts de la société Negocit, mais dont il n'est pas contesté que les destinataires finaux, situés à l'étranger, ont intégralement accusé réception, sans rechercher en quoi de telles manoeuvres auraient eu pour effet de permettre à l'entrepositaire agréé situé en France d'éluder le paiement des droits d'accise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 302 D, 302 G et 302 M du code général des impôts ;
2°/ qu'en se bornant à affirmer que « le fait que le destinataire réel ait apuré les DAE ne saurait dédouaner les prévenus de leurs responsabilités puisque ces DAE étaient fictives » pour répondre au moyen soulevé par les prévenus pris de ce que le dépositaire agréé était déchargé de sa responsabilité dès lors qu'il avait été accusé réception des marchandises par le destinataire final situé à l'étranger, sans expliquer en quoi, malgré l'apurement des documents administratifs électroniques à l'étranger, des droits d'accises dus par la société Negocit en France auraient été éludés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »
Réponse de la Cour
8. Pour déclarer les prévenus coupables d'expédition ou réception par un entrepositaire agréé de produits ou biens relevant des contributions indirectes sans document d'accompagnement, d'omission ou inexactitude dans sa comptabilité matières par un entrepositaire agréé et de paiement non conforme d'impôt ou taxe, et les condamner au paiement d'amendes douanières, de pénalités fiscales et des droits fraudés, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les principes régissant la circulation des boissons alcoolisées au sein de l'Union européenne, énonce notamment que l'enquête menée par les agents de l'administration des douanes, qui ont procédé à des opérations de surveillance des entrepôts de la société Negocit, puis à des inventaires des marchandises présentes sur les sites et à l'examen comparatif des apurements dans le logiciel Gamma et des factures de clients et fournisseurs, a mis en évidence des irrégularités consistant en des apurements fictifs de marchandises non présentes ou n'ayant jamais transité dans les entrepôts, des utilisations répétées des mêmes numéros d'immatriculation de camions pour masquer ces apurements fictifs et des utilisations de numéros d'immatriculation correspondant à des véhicules légers. Il relève qu'il s'ensuit que les comptabilités matières tenues présentaient des inexactitudes.
9. Les juges ajoutent que l'enquête montre que les prévenus étaient au courant du système mis en place dont ils ont bénéficié financièrement et que le fait que le destinataire réel ait apuré les DAE ne saurait dédouaner les prévenus de leurs responsabilités puisque ces DAE étaient fictifs.
10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.
11. En effet, d'une part, l'article 1791 du code général des impôts punit des peines qu'il édicte toutes les infractions aux lois et règlements régissant les contributions indirectes, sans que la caractérisation du délit nécessite d'établir l'existence de droits éludés sur le territoire national.
12. D'autre part, l'entrepositaire agréé qui expédie des marchandises en suspension des droits ne saurait être déchargé de sa responsabilité, en application de l'article 302 P du code général des impôts, par l'apurement du régime suspensif par le destinataire déclaré, lorsque le DAE n'a pas été émis régulièrement.
13. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le premier moyen proposé pour M. [S] et la société Stockage service 42
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité de la procédure de redressement pour violation des principes du contradictoire et du respect des droits de la défense, soulevées par M. [S] et la société Stockage service 42, alors « que le principe du contradictoire et les droits de la défense doivent être respectés par l'administration des douanes au cours de l'enquête aboutissant à l'établissement d'un procès-verbal de notification d'infractions ; qu'en affirmant que les principes du contradictoire et du respect des droits de la défense avaient bien été respectés en l'espèce quand il était établi d'une part, que le montant des pénalités fiscales n'avait pas été porté à la connaissance du contribuable lors du débat contradictoire avant la notification d'infractions, et d'autre part, que la société ACC Log et M. [S], qui n'ont été assistés d'un conseil que postérieurement à la notification d'infractions, n'avaient pas eu communication des actes de la procédure concernant les autres prévenus, ni des pièces saisies lors des visites domiciliaires concernant ces derniers pourtant utiles à leur défense lors du débat contradictoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 80 M du livre des procédures fiscales, des articles préliminaire et 593 du code de procédure pénale, ensemble les principes du contradictoire et du respect des droits de la défense. »
Réponse de la Cour
15. L'article L. 80 M du livre des procédures fiscales impose un échange contradictoire entre l'administration et le contribuable au cours de la procédure aboutissant à l'établissement d'un procès-verbal de notification d'infraction à la législation sur les contributions indirectes.
16. Selon ce texte, cet échange, qui peut être oral ou écrit, implique que l'administration informe le contribuable, avant l'établissement de ce procès-verbal, des motifs et du montant de la taxation encourue et l'invite à faire connaître ses observations.
17. Si ces dispositions ne prévoient pas que la personne intéressée peut bénéficier de l'assistance d'un avocat, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à cette assistance.
18. En l'espèce, pour écarter les exceptions de nullité de la procédure de redressement pour violation du principe du contradictoire et des droits de la défense invoquées par M. [S] et la société Stockage service 42, l'arrêt attaqué relève que le procès-verbal de notification d'infraction notifié à la société le 9 juin 2015 mentionne les différentes constatations de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, la législation applicable, sur le fond, la procédure et les pénalités encourues, les infractions relevées dans leur totalité ainsi que le montant des droits fraudés, leur calcul faisant l'objet d'annexes constituées de tableaux qui reprennent par type d'alcool les irrégularités constatées. Il retient, par motifs adoptés, que ces tableaux étaient joints au courrier précédant la notification, reçu par M. [S] le 7 mai 2015.
19. S'agissant du défaut de communication de pièces concernant les autres prévenus, les juges ajoutent qu'aucune disposition n'impose à l'administration fiscale une obligation de communication immédiate des pièces d'une procédure de contrôle fiscal toujours en cours et que l'ensemble de ces éléments a été adressé à M. [S] lors de l'envoi de l'avis de résultat d'enquête afin de le mettre en état de pouvoir utilement formuler ses observations sur ses manquements personnels. De surcroît, la procédure soumise à la juridiction répressive sur citation directe de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières comprend l'intégralité des pièces de la procédure fiscale. Les principes du contradictoire et du respect des droits de la défense ont bien été respectés.
20. En l'état de ces énonciations, qui permettent de s'assurer que M. [S] et la société Stockage service 42, avant l'établissement du procès-verbal d'infraction, ont été informés par l'administration des motifs et du montant des taxations par eux personnellement encourues et qu'ils ont été mis en mesure de présenter leurs observations, la cour d'appel a justifié sa décision.
21. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais, sur le second moyen proposé pour M. [S] et la société Stockage service 42
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement en toutes ses dispositions en y ajoutant que M. [S] serait solidairement tenu, avec la société redevable de l'impôt, au paiement des impôts fraudés sur la période visée à la prévention, ainsi qu'à celui des majorations et pénalités y afférentes, dans la limite de la somme de 4 747 725 euros, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article 509 du code de procédure pénale, l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'il résulte des propres termes de l'arrêt attaqué que le 23 mai 2017, la DNRED a interjeté appel principal sur l'amende douanière et la pénalité fiscale du jugement par déclaration au greffe du tribunal correctionnel de Saint-Omer, sans pour autant viser les dispositions du jugement relatives au paiement des droits fraudés ; qu'en faisant droit à la demande de l'administration tendant à la condamnation solidaire de M. [S] au paiement des droits fraudés, quand les dispositions du jugement relatives à la condamnation aux droits fraudés, n'étaient pas visées par l'acte d'appel, et qu'en raison de leur caractère de réparation civile, elles ne pouvaient être assimilées, ni à l'amende douanière, ni à la pénalité fiscale, seules visées dans l'acte d'appel, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine et le texte susvisé ;
2°/ que l'article 1745 du code général des impôts ne prévoit la possibilité pour l'administration qui engage une procédure pénale pour fraude fiscale, de demander la condamnation du dirigeant à la solidarité au paiement des impôts fraudés avec le redevable légal, que pour ceux « qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée, en application des articles 1741, 1742 ou 1743 » du même code ; que ces dispositions sont donc inapplicables aux infractions à la législation sur les contributions indirectes prononcées en application de l'article 1791 du code général des impôts ; qu'en affirmant néanmoins que M. [S] et ses coprévenus personnes physiques, seront solidairement tenus avec les sociétés redevables de l'impôt, au paiement des impôts fraudés, « en application de l'article 1745 du code général des impôts », la cour d'appel a méconnu l'article 1745 du code général des impôts et privé sa décision de toute base légale au regard des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que il résulte des dispositions de l'article 1799 A du code général des impôts relatives aux contributions indirectes que les condamnations pécuniaires contre plusieurs personnes pour un même fait de fraude sont solidaires ; qu'en se bornant à ajouter aux condamnations du jugement la condamnation solidaire de M. [S] avec la société redevable de l'impôt, au paiement des impôts fraudés, quand le tribunal correctionnel, avait pourtant écarté toute condamnation de la société ACC Log au titre du paiement des impôts fraudés en raison du titre exécutoire dont disposait déjà l'administration à cet égard, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte précité, qui n'autorise la solidarité qu'à l'égard des condamnations effectivement prononcées par le juge pénal ;
4°/ que même à supposer que les juges d'appel aient pu légalement prononcer la condamnation solidaire de M. [S] au paiement des droits d'accises fraudés, encore fallait-il qu'ils s'assurent que le montant de ces droits avait été recherché et déterminé avec certitude et exactitude par l'administration comme ils y étaient invités par les exposants dans leurs conclusions d'appel régulièrement déposées ; qu'en se bornant à affirmer qu'il n'existe aucun élément permettant de combattre l'évaluation faite par les douanes quant au montant des droits fraudés, sans s'expliquer, ni sur l'absence de preuve du lieu de mise à la consommation des alcools, que ce soit lors de l'enquête, comme lors de mesures de coopération entre Etats membres, ni sur l'absence de vérification des connexions des ordinateurs de MM. [S] et [F] au système Gamma seule de nature à déterminer l'auteur réel des apurements et émissions de DAE et la responsabilité fiscale et pénale en résultant pour la société ACC Log, ni sur l'incompétence de l'administration française à recouvrer conformément aux dispositions de la directive 2008/118 du 16 décembre 2008, selon que les opérations étaient en provenance ou à destination d'un pays de l'Union européenne, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1804 B du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ qu'il résulte de l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme qu'une ingérence dans le droit de propriété n'est justifiée qu'à condition qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but légitime poursuivi et la situation de l'intéressé ; que les condamnations pécuniaires imposées à un prévenu suite à sa condamnation du chef d'infractions à la législation sur les contributions indirectes rompt nécessairement ce juste équilibre lorsqu'elles font supporter à la personne condamnée une charge excessive et disproportionnée ; qu'en condamnant solidairement M. [S], à payer, outre les trois amendes de 750 euros, et la pénalité fiscale fixée à 193 600 euros, une somme de 4 747 725 euros au titre des impôts fraudés, quand le montant de ces condamnations constituait nécessairement une charge excessive et intolérable, portant fondamentalement atteinte à sa situation financière, la cour d'appel a causé une atteinte disproportionnée au droit de ce dernier au respect de sa propriété, en violation de l'article 1 du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 509 du code de procédure pénale :
23. Aux termes de ce texte, l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant.
24. Il résulte de l'arrêt attaqué que sur appel de l'administration des douanes et des droits indirects, les juges du second degré, ajoutant au jugement, ont condamné M. [S], solidairement avec la société redevable de l'impôt, au paiement des taxes fraudées.
25. En se déterminant ainsi, alors qu'il résulte de l'acte d'appel que l'administration des douanes et des droits indirects a restreint son appel aux dispositions du jugement relatives aux amendes et aux pénalités fiscales, la cour d'appel, qui n'était pas saisie de l'action civile en paiement des droits éludés, a méconnu le texte susvisé.
26. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
27. La cassation sera limitée aux dispositions ayant dit que M. [S] sera tenu solidairement avec la société redevable de l'impôt, au paiement des impôts fraudés sur la période visée par la prévention ainsi qu'à celui des majorations et pénalités y afférentes et limité la solidarité le concernant à 4 747 725 euros.
28. Elle aura lieu par voie de retranchement et sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Crim. 15 juin 2021 n° 21-82.085
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 21-82.085 F-D
N° 00906
CG10 15 JUIN 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 JUIN 2021
Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 1re section, en date du 22 février 2021, qui a prononcé sur une requête en rectification d'erreur matérielle. Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Ingall-Montagnier, conseiller, et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 15 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ingall-Montagnier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Sur requête du procureur de la République, le président de la chambre de l'instruction a, par ordonnance, prolongé à titre exceptionnel pour une durée de six mois, sur le fondement de l'article 380-3-1 du code de procédure pénale, la détention provisoire de M. [G] [W], accusé appelant d'un arrêt de cour d'assises.
3 .Le procureur général de [Localité 1] a saisi le président de la chambre de l'instruction d'une requête en rectification d'erreur matérielle de cette ordonnance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a été rendue, par le président de la chambre de l'instruction en violation des articles 591, 593 et 710, alinéa 4, du code de procédure pénale, alors que lorsqu'il est saisi d'une requête en rectification d'erreur matérielle le président de la chambre de l'instruction doit statuer comme juge unique par arrêt signé par le greffier et non par ordonnance en vertu d'un pouvoir propre.
Réponse de la Cour
5. La procédure prévue par les articles 710 et 711 du code de procédure pénale n'est pas applicable à la rectification d'une erreur matérielle affectant une ordonnance rendue en application de l'article 380-3-1 du même code par le président de la chambre de l'instruction, qui peut prendre une ordonnance rectificative.
6. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
7. Par ailleurs l'ordonnance est régulière en la forme.
Crim. 15 juin 2021 n° 20-86.362
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 20-86.362 F-D
N° 00741
MAS2 15 JUIN 2021
IRRECEVABILITE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 JUIN 2021
M. [Y] [E] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 28 septembre 2020, qui a déclaré non-admis son appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire et des mémoires complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Ingall-Montagnier, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Y] [E], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ingall-Montagnier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [E] a été placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention du 11 septembre 2020.
3. Il a relevé appel de cette ordonnance.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du mémoire ampliatif et le moyen unique du mémoire additionnel
Enoncé des moyens
4. Le moyen unique du mémoire ampliatif critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a dit non admis l'appel de M. [E], alors :
« 1°/ que si, en vertu de l'article 186 du code de procédure pénale, le président de la chambre de l'instruction peut constater l'irrecevabilité de l'appel formé par le mis en examen à l'encontre d'une ordonnance de placement en détention provisoire, comme tardif, il ne peut apprécier cette recevabilité lorsqu'il apparaît qu'il existe un doute sur les conditions dans lesquelles cette déclaration d'appel a été effectuée et sur l'impossibilité pour le mis en examen de faire appel dans le délai de dix jours suivant la notification de l'ordonnance ; que l'appréciation de telles circonstances impliquant un débat contradictoire, il en résulte que seule la chambre de l'instruction peut se prononcer sur la recevabilité de l'appel ; qu'en l'espèce, le président de la chambre de l'instruction a dit l'appel non admis pour avoir été formé le 23 septembre 2020, plus de dix jours après la notification de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 11 septembre 2020 ; que dès lors qu'il résulte des pièces du dossier que la déclaration d'appel auprès du greffe pénitentiaire comporte des mentions incompatibles avec la déclaration d'appel, que cette déclaration d'appel était accompagnée d'un courrier du mis en examen prétendant avoir sollicité en vain, par un précédent courrier, d'être présenté au greffe pénitentiaire pour procéder à cette déclaration d'appel, le vendredi précédant sa réception par ce service, ce qui correspondait au 18 septembre 2020, date à laquelle son appel aurait été recevable et qu'enfin, la télécopie réceptionnée ne comportait pas l'une des pages expédiée par le greffe pénitentiaire, ce qui établissait un doute sur l'existence de circonstances insurmontables ayant empêché le mis en examen d'interjeter appel dans le délai de dix jours sur lequel seule la chambre de l'instruction pouvait statuer, le président de ladite chambre a excédé ses pouvoirs en violation de l'article 186 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en l'état d'un tel doute, impliquant qu'un débat contradictoire se tienne afin de déterminer si le mis en examen a été privé de la possibilité de faire appel dans le délai de dix jours, débat qui ne pouvait se tenir que devant la chambre de l'instruction, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs en violation des articles 5, § 4, et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ qu'en ne recherchant pas si, au vu du courrier du mis en examen annexé à la déclaration d'appel, ensemble les pièces transmises par le greffe pénitentiaire, établissant que celui-ci entendait lui communiquer les éléments permettant de constater l'existence de circonstances insurmontables ayant empêché le mis en examen d'interjeter appel dans le délai de dix jours, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs en violation de l'article 186 du code de procédure pénale. »
5. Le moyen unique du mémoire additionnel critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a dit non admis l'appel de M. [E] alors :
« 1°/ que M. [E] a été placé en détention provisoire par ordonnance en date du 11 septembre 2020, qui lui a été communiquée le même jour ; qu'il disposait par conséquent d'un délai d'appel jusqu'au 21 septembre suivant jusqu'à minuit ; qu'il résulte des pièces du dossier, communiquées le 31 mars 2021, que M. [E] a adressé au greffe pénitentiaire un courrier daté du 21 septembre 2020, reçu le 22 septembre suivant, par lequel il l'interrogeait sur le fait qu'il n'avait pas été répondu à sa demande faite le vendredi précédent, soit le 18 septembre 2020, de faire appel ; que, par courrier du 22 septembre 2020, reçu le 23 septembre suivant, M. [E] demandait à nouveau à être reçu pour interjeter appel, rappelant qu'il avait déjà procédé à cette demande par courrier du 18 septembre ; qu'interrogé par le parquet général de la Cour de cassation, le greffe pénitentiaire a indiqué ne pas disposer du courrier du 18 septembre, précisant ne pas mettre en doute les affirmations de M. [E] ; qu'il résulte de l'ensemble de ces pièces que le détenu a informé l'administration pénitentiaire qu'il souhaitait interjeter appel le 18 septembre et à tout le moins, le 21 septembre 2020, et que ce n'est que du fait des lenteurs de ladite administration pénitentiaire qui n'aurait pas communiqué un courrier du 18 septembre au greffe pénitentiaire, n'aurait communiqué le courrier du 21 septembre 2020 que le 22 septembre 2020 au greffe pénitentiaire, le greffe pénitentiaire n'ayant reçu le détenu que le lendemain, après communication d'un troisième courrier daté du 22 septembre 2020, que M. [E] n'a pu interjeter appel dans le délai légal ; que, dès lors, le président de la chambre de l'instruction qui aurait dû constater l'impossibilité d'interjeter appel le 21 septembre 2020 a excédé ses pouvoirs, en violation de l'article 186 du code de procédure pénale et de l'article 5, § 4, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que dès lors qu'il résultait des pièces communiquées à la chambre de l'instruction qu'il existait un doute sur le fait que le détenu avait été empêché de procéder à une déclaration d'appel dans le délai de dix jours, les pièces du dossier ne permettant pas de déterminer si le président de la chambre de l'instruction a interrogé le greffe pénitentiaire sur le courrier du 18 septembre 2020 visé dans le courrier du 22 septembre 2020 reçu le lendemain qui lui avait été communiqué, en déclarant l'appel irrecevable, sans permettre aucun débat contradictoire sur la recevabilité de l'appel devant la chambre de l'instruction, compte tenu du fait que le détenu ne disposait d'aucun moyen de se constituer la preuve de la remise du courrier du 18 septembre 2020, ne pouvant qu'écrire à nouveau pour le rappeler, le président de ladite chambre a encore excédé ses pouvoirs, en violation de l'article 186 du code de procédure pénale et de l'article 5, § 4, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que l'atteinte aux droits de la défense, tant par la déclaration d'irrecevabilité, que par la communication tardive des pièces nécessaires à l'instruction du pourvoi, et l'absence d'examen de l'appel dans les délais légaux en étant résulté, la mise en liberté de M. [E] s'impose. »
Réponse de la Cour
6. Les moyens sont réunis.
7. Pour déclarer l'appel irrecevable, le président de la chambre de l'instruction, après avoir constaté que l'ordonnance a été régulièrement notifiée à l'appelant le 11 septembre 2020 et que l'appel a été interjeté par M. [E] au greffe de la maison d'arrêt le 23 septembre 2020, retranscrit et enregistré le 23 septembre 2020 au greffe du tribunal judiciaire, énonce qu'il l'a été hors du délai de dix jours prévu à l'article 186, alinéa 4, du code de procédure pénale.
8. En statuant ainsi, le président de la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen et n'a pas entaché sa décision d'excès de pouvoir.
9. En effet, si par lettre ayant date certaine au 23 septembre 2020 selon tampon du greffe pénitentiaire mais datée par M. [E] du 22 septembre celui-ci indique avoir écrit au dit greffe le vendredi précédent, 18 septembre 2020, pour pouvoir faire appel et attendre toujours une réponse, il ressort des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que les éléments transmis avec la déclaration d'appel étaient complets et n'étaient pas de nature à faire naître un doute sur l'impossibilité pour le détenu de faire appel dans le délai imparti et que contrairement aux allégations de M. [E] le greffe pénitentiaire n'a pas été destinataire d'une lettre de sa part en date du 18 septembre 2020.
10. D'où il suit que les moyens, inopérant en la dernière branche du moyen additionnel, doivent être écartés.
11. Il s'ensuit que le pourvoi n'est pas recevable.
Crim. 15 juin 2021 n° 20-83.192
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 20-83.192 F-D
N° 00750
MAS2 15 JUIN 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 JUIN 2021
La société Otis a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 13 mai 2020, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 60 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Méano, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Otis, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des défendeurs, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Méano, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le [Date décès 1] 2015, [W] [D], âgé de 7 ans, est décédé accidentellement dans un ascenseur immobilisé entre deux étages, sa trottinette s'étant coincée dans un espacement des portes de la cabine.
3. La société Otis, chargée de l'entretien de l'ascenseur, et l'EPIC Mantes en Yvelines Habitat (l'EPIC), bailleur social de la résidence, ont été poursuivis du chef d'homicide involontaire par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement.
4. Les juges du premier degré ont condamné la société Otis, relaxé l'EPIC et prononcé sur les intérêts civils.
5. La société Otis et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
6. L'EPIC a été placé en liquidation judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a disjoint l'examen de l'affaire concernant l'EPIC Mantes en Yvelines Habitat, rejeté la demande de renvoi de la société Otis et déclaré la société Otis coupable d'homicide involontaire par personne morale et statué sur la peine et sur les intérêts civils, alors « que le prévenu ou son avocat doivent avoir la parole en dernier ; que cette règle s'applique à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a rejeté, sans la joindre au fond, la demande de renvoi présentée par la société Otis sans que son avocat ou son représentant légal présent à l'audience aient eu la parole en dernier sur cet incident ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 513, alinéa 4, du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 513 du code de procédure pénale :
8. Aux termes de ce texte, le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers ; cette règle s'applique à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond.
9. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué qu'à l'audience du 11 mars 2020, au cours des débats, il a été décidé de renvoyer l'affaire en ce qui concerne l'EPIC et il a été statué sur la demande de renvoi formée par la société Otis et à laquelle le ministère public s'est opposé, pour la rejeter, sans que cette société ni son avocat n'aient eu la parole en dernier.
10. En prononçant ainsi, alors que l'incident n'avait pas été joint au fond, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Crim. 9 juin 2021 n° 20-80.962
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° R 20-80.962 F-D
N° 00721
SM12 9 JUIN 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 9 JUIN 2021
M. [X] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 4 décembre 2019, qui a prononcé sur sa requête en confusion de peines.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [X] [Z], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 22 mai 2019, M. [Z] a présenté une requête en vue d'obtenir la confusion de trois peines prononcées contre lui.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en confusion de peines déposée par M. [Z], alors « que la formalité du rapport est substantielle et son manquement sanctionné par la cassation ; qu'il ne résulte ni des mentions de l'arrêt attaqué, ni des notes d'audience que cette formalité a, en l'espèce été respectée, de sorte qu'ont été violés les articles 513, 711, 712-1 et suivants du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 513 du code de procédure pénale :
4. Selon ce texte, l'appel est jugé sur le rapport oral d'un conseiller ; cette formalité est nécessaire à l'information de la juridiction saisie.
5. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué et des notes d'audience que, après que l'un des conseillers a constaté l'identité de M. [Z], le président d'audience a interrogé ce dernier, qui a présenté ses moyens de défense, puis qu'ont été entendus dans les formes prescrites par l'article 711 du code de procédure pénale, le ministère public en ses réquisitions, et M. [Z], qui a eu la parole en dernier.
6. En statuant sur cette requête, sans qu'un rapport oral ait au préalable été effectué à l'audience par un conseiller, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé.
7. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 9 juin 2021 n° 20-81.575
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 20-81.575 F-D
N° 00720
SM12 9 JUIN 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 9 JUIN 2021
M. [F] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 17 octobre 2019, qui, pour participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement et cinq ans d'interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation et a ordonné une mesure de confiscation.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Barbé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [F] [P], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Barbé, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 21 août 2019, à [Localité 1], où se tenait une conférence internationale, les gendarmes ont procédé, sur réquisitions du procureur de la République, à un contrôle d'identité, sur l'autoroute. Ils ont ainsi contrôlé un véhicule occupé par trois personnes, de nationalité allemande, dont M. [P]. Il est apparu que celui-ci faisait l'objet d'une fiche de recherches délivrée par les autorités allemandes pour risques de troubles graves pouvant survenir à l'occasion de cette réunion diplomatique. Des gants, des jambières, des cagoules, des bombes lacrymogènes et un talkie-walkie ont été découverts dans la voiture, ainsi que des gants de boxe.
3. M. [P] a été placé en retenue administrative, puis en garde à vue. Il a été traduit devant le tribunal correctionnel de Bayonne, selon la procédure de la comparution immédiate, pour avoir participé à un groupement formé en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes, et de port [Établissement 1] sans motif légitime. Il a soulevé la nullité de la procédure devant le tribunal correctionnel.
4. Par jugement du 23 août 2019, après avoir annulé partiellement la procédure, le tribunal correctionnel a relaxé l'intéressé pour le délit d'infraction à la législation sur les armes, l'a déclaré coupable pour le surplus, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation et a décerné mandat de dépôt à son encontre.
5. Le prévenu a relevé appel de cette décision et le ministère public a formé appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées par M. [P] afférentes au placement en retenue et à la mesure de retenue, alors :
« 1°/ que les autorités de police ne peuvent régulièrement procéder au contrôle du droit au séjour d'un étranger et à son placement en retenue pour vérification du droit au séjour à l'issue d'un contrôle d'identité lorsque cet étranger est totalement inconnu des fichiers de recherche ; que M. [P] de nationalité allemande en déplacement en France, avait présenté une carte d'identité valide lors du contrôle routier du véhicule dans lequel il circulait et était totalement inconnu des fichiers de recherche de sorte que la décision de le placer en retenue pour vérification du droit au séjour, au prétexte de l'existence d'une prétendue fiche de recherche à l'étranger le concernant, était irrégulière et, qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 611-1, L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que les autorités de police ne peuvent régulièrement procéder au contrôle du droit au séjour d'un étranger et à son placement en retenue pour vérification du droit au séjour à l'issue d'un contrôle d'identité lorsque cet étranger est totalement inconnu des fichiers de recherche ; que l'allégation de l'existence de fiches en diffusion concernant M. [P] et le résultat des recherches effectuées, ne saurait justifier la prétendue régularité du placement de M. [P] en rétention, dès lors que celui-ci ne faisait l'objet d'aucune fiche de recherche et était inconnu des fichiers allemands ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-1, L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que sauf circonstances insurmontables, la personne placée en retenue pour vérification de droit de séjour doit se voir notifier ses droits dans le plus bref délai ; qu'en l'espèce M. [P], qui a été interpellé à l'occasion d'un contrôle routier à 17 heures 15, ne s'est vu notifier ses droits à raison de son placement en retenue pour vérification qu'à 19 heures 20, soit de façon extrêmement tardive ; qu'un délai qui excède deux heures est déraisonnable ; qu'en jugeant régulière la procédure de placement en retenue de M. [P], la cour d'appel a violé les articles L. 611-1, L. 611-1-1du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que, sauf circonstances insurmontables, la personne placée en retenue pour vérification de droit de séjour doit se voir notifier ses droits dans le plus bref délai ; que la durée de la retenue se compute dès le début de l'opération de vérification d'identité ; que le contrôle de l'identité de M. [P] a eu lieu dès 17 heures 15, cependant que ses droits lui ont été notifiés à 19 heures 20 soit plus de deux heures après, ce qui rendait nécessairement cette notification tardive ; qu'en jugeant que la notification des droits faite à l'exposant à 19 heures 20 ne pouvait être considérée comme tardive pour la raison qu'il fallait prendre en compte et donc déduire le temps de visite du véhicule et de fouille des bagages et le délai de route du lieu d'interpellation jusqu'au siège de l'unité de gendarmerie, la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-1, L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que, à peine de nullité de la procédure, lorsqu'un étranger fait l'objet d'une procédure de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français, et que cet étranger ne parle pas le français, mais qu'il sait lire, il doit aussitôt être informé de cette mesure et de ses droits au moyen de formulaires écrits, ou par l'intermédiaire d'un interprète ; qu'en l'espèce, M. [P] de nationalité allemande et ne comprenant pas le français s'était vu notifier son placement en retenue sans qu'il lui ait été délivré un formulaire à cette fin, ni qu'il ait été fait appel à un interprète ; que le seul fait qu'un gendarme présent sur les lieux au moment de l'interpellation, dont rien ne permettait de constater qu'il avait la qualité d'interprète assermenté, lui ait indiqué qu'il allait être placé sous cette mesure, ne saurait suffire à assurer la régularité du placement en retenue ; qu'en jugeant du contraire la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-1, L. 611-1-1, L. 111-7 et L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter l'exception de nullité du placement en retenue de M. [P], sur le fondement des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la cour d'appel énonce qu'il parlait allemand, circulait à bord d'un véhicule immatriculé en Allemagne, et, bien que présentant des documents d'identité allemands, faisait l'objet d'une fiche de recherches, diffusée par la police allemande, indiquant un risque de participation à des actions violentes pouvant être en relation avec la réunion de la conférence internationale se tenant à Biarritz, ce qui justifiait une mesure de retenue administrative pour vérifier son droit de séjourner en France et de circuler sur le territoire national.
8. Elle en déduit que ces circonstances justifient le placement en retenue administrative de M. [P], conformément aux textes précités, afin de vérifier l'actualité de la diffusion faite le concernant, par les autorités allemandes. Elle ajoute que, le contrôle du véhicule et de ses occupants ayant débuté à 17 heures 15, M. [P] a ensuite été conduit dans un local de gendarmerie, afin que sa situation soit vérifiée, la durée du contrôle du véhicule, de la fouille des bagages et le temps de trajet entre le lieu du contrôle et la gendarmerie justifiant que la notification ne soit intervenue qu'à 19 heures 20.
9. En prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a caractérisé les circonstances insurmontables à l'origine du délai pris pour procéder à la notification de ses droits au demandeur, à l'occasion de son placement en retenue, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués.
10. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées par M. [P] afférentes au placement en garde à vue et à la mesure de garde à vue, à l'absence de confidentialité pendant l'entretien du prévenu avec son avocat et dit n'y avoir lieu à annuler les auditions effectuées pendant la prolongation de la garde à vue, alors :
« 1°/ que toute personne doit se voir notifier immédiatement son placement en garde à vue ainsi que les droits attachés à cette mesure ; que tout retard dans la mise en oeuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; que M. [P] s'est vu notifier son placement en garde à vue ainsi que les droits attachés à cette mesure plus de cinq heures après son interpellation, et donc de façon tardive ; qu'en refusant de faire droit à la demande d'annulation de la garde à vue, considérant que cette notification n'était pas tardive par des motifs insuffisants et insusceptibles de caractériser une circonstance insurmontable, pourtant seule de nature à justifier un retard dans cette notification, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 63, 63-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne doit se voir notifier immédiatement son placement en garde à vue ainsi que les droits attachés à cette mesure ; que tout retard dans la mise en oeuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; qu'aux termes de l'article L. 611-1-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile la durée de la retenue s'impute sur la durée de la garde à vue, et est donc comprise dans la durée maximale de la garde à vue, cette dernière mesure est considérée comme ayant commencée à courir dès l'interpellation du suspect ; qu'en l'espèce, la garde à vue de M. [P] a débuté à 17 heures 15 lors de son interpellation de sorte qu'en se voyant notifier son placement en garde à vue ainsi que les droits attachés à cette mesures plus de cinq heures après son interpellation, M. [P] s'est donc vu notifier tardivement cette mesure ; qu'en jugeant que dès lors que la durée de la retenue a été imputée sur celle de la garde à vue, la notification du placement en garde à vue ne pouvait être considérée comme tardive, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 63, 63-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que tout personne doit, dès le début de sa garde à vue, se voir notifier son placement sous cette mesure ainsi que les droits y afférents ; que tant l'autorisation de prolongation de la garde à vue pour un nouveau délai de 24 heures délivré par le procureur de la République du tribunal de grande instance de Bayonne que le procès-verbal en date du 22 août 2019 dressé à 14 heures 30 par un officier de police judiciaire, ayant pour objet de recueillir les observations de M. [P], mentionnaient expressément que la mesure de garde à vue avait débuté le 21 août 2019 à 17 heures 15 ce dont il résultait que la notification à M. [P] à 22 heures 20 de cette mesure ainsi que des droits qui y étaient attachés, soit plus de 5 heures après son commencement, était nécessairement tardive ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 63, 63-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'officier de police judiciaire, qui est amené, pour les nécessités de l'enquête, à placer une personne en garde à vue, a le devoir d'en informer le procureur de la République dès le début de la mesure ; que tout retard dans l'information donnée à ce magistrat, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée et doit entrainer la nullité de la garde à vue et de la procédure subséquente ; que M. [P] a été interpellé à 17 heures 15 et été placé en garde à vue à 22 heures 15, cependant que le procureur de la République n'a été informé de cette mesure qu'à 23 heures 22, soit de façon bien tardive ; qu'en refusant d'annuler la mesure de placement en garde à vue aux motifs que c'était le procureur de la République lui-même, par l'intermédiaire du magistrat de permanence, qui avait ordonné aux policiers dès 22 heures 10 de mettre fin à la mesure de retenue et de placer M. [P] en garde à vue, lorsque cette seule circonstance ne permettait pas au parquet de s'assurer que le placement en garde à vue avait bien eu lieu, ni du moment auquel il était intervenu et que seul un avis de mise en garde à vue fait au parquet permettait d'être certain de la réalisation concrète de cette mesure et de sa date, la cour d'appel qui a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 63, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe du respect des droits de la défense ;
5°/ que dès le début de la garde à vue doivent être portés à la connaissance du procureur de la République les motifs du placement en garde à vue ainsi que la qualification des faits notifiés au gardé à vue ; qu'en relevant que le procureur de la République avait été informé seulement à 23 heures 22 du placement en garde à vue de M. [P] mais que le procureur de la République avait ordonné lui-même la mesure de placement dès 22 heures 10 si bien que l'avis de mise en garde à vue fait au parquet à 23 heures 22 était purement formelle et que son horaire ne faisait pas grief à M. [P], cependant qu'il n'était toutefois pas indiqué que les motifs du placement et la qualification des faits aient été portés à la connaissance du magistrat, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 63, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe du respect des droits de la défense ;
6°/ que l'avocat doit s'entretenir avec le gardé à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien et qu'à l'issue de cet entretien, d'une durée maximale de 30 minutes, il peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure ; qu'il résultait des observations écrites présentées par l'avocat de M. [P] à l'issue de son entretien avec son client lors de la prolongation de sa garde à vue confirmée par celles des avocats des deux autres gardés à vue, jointes à la procédure, que le local où avait eu lieu l'entretien du gardé à vue avec son avocat était fermé par une porte séparée du sol par un jour de 10 cm, que cette porte était vitrée, qu'une personne en uniforme de police nationale était postée et le fixait derrière la porte vitrée et que par conséquent, ces conditions ne permettaient pas une insonorisation de la pièce et excluait toute confidentialité de l'entretien ; qu'il s'inférait de cette description, confirmée par celle faite par les deux autres avocats des gardés à vue, que la mesure de garde à vue n'avait pas été réalisée dans des conditions garantissant la confidentialité de l'entretien du gardé à vue avec son avocat ; qu'en rejetant la nullité soulevée, la cour d'appel a donc méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 63-4, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
7°/ que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que lors de l'entretien du gardé à vue avec son avocat le principe de la confidentialité de cet entretien doit être respecté ; qu'il résultait des observations écrites présentées par l'avocat de M. [P] à l'issue de son entretien avec son client lors de la prolongation de sa garde à vue - confirmées par celles des avocats des deux autres gardés à vue, jointes à la procédure - que le local où avait eu lieu l'entretien du gardé à vue avec son avocat était fermé par une porte séparée du sol par un jour de 10 cm, que cette porte était vitrée, qu'une personne en uniforme de police nationale était postée et le fixait derrière la porte vitrée de sorte que ces conditions ne permettaient pas une insonorisation de la pièce et excluaient toute confidentialité de l'entretien ; qu'en affirmant cependant qu'il résultait notamment des descriptions faites par les conseils des gardés à vue dans leurs notes manuscrites déposées à l'issue des entretiens avec les gardés à vue que le local où s'était déroulé les entretiens était fermé par une porte pleine et massive et que la porte était entrebâillée de 10 centimètres dans un but de sécurité des personnes, pour exclure le moyen pris de l'absence de confidentialité de l'entretien que M. [P] avait eu avec son conseil, la cour d'appel a violé les articles les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 63-4, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12. Pour écarter l'exception de nullité de la garde à vue, l'arrêt attaqué énonce que, alors que M. [P] se trouvait retenu à la gendarmerie, sur le fondement des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le procureur de la République, informé à 22 heures 10 des résultats des vérifications faites par les gendarmes sur la situation de l'intéressé, a prescrit son placement en garde à vue, à 22 heures 15. La cour d'appel indique que, si la durée de la retenue administrative a été déduite de celle de la garde à vue, c'est à l'heure du placement en garde à vue qu'il convient de se placer pour apprécier l'éventuelle tardiveté de la notification des droit en découlant, et non à 17 heures 15, heure à laquelle le véhicule dans lequel se trouvait le prévenu a été contrôlé. Les juges ajoutent que la notification des droits découlant de la garde à vue, faite à M. [P] douze minutes après cette décision de placement en garde à vue, n'est pas tardive. Ils relèvent encore que le délai écoulé entre le début de cette mesure et l'avis qui en a été donné, à 23 heures 22, au procureur de la République, n'a pas porté atteinte aux droits du prévenu, le procureur de la République connaissant, dès ses débuts, l'existence et les motifs d'une mesure qu'il avait décidée.
13. L'arrêt retient, par ailleurs, par des motifs exempts de contradiction, qu'il résulte des pièces de procédure, en particulier des observations remises aux enquêteurs par les avocats des prévenus, lors de leur intervention en garde à vue, des procès-verbaux de police et des photographies qui y sont jointes que les entretiens entre le demandeur et son avocat ont pu se dérouler dans des conditions qui en ont garanti la confidentialité.
14. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, la cour d'appel, qui a constaté que le Procureur de la République était informé d'un placement en garde à vue, intervenu sur ses directives, a justifié sa décision.
15. Ainsi, le moyen, irrecevable comme nouveau en sa cinquième branche, doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] coupable du délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens commis le 21 août 2019 à Biarritz, alors :
« 1°/ que le délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens suppose pour être constitué que soit démontrée la participation du prévenu à une bande ayant des visées violentes ; qu'en l'espèce, le seul fait que M. [P] et ses deux amis voyageaient ensemble afin de se rendre dans un camping [Établissement 2] pour y passer des vacances communes entre copains ne pouvait être considéré comme constitutif du moindre élément matériel de l'infraction susvisées ; qu'en déduisant de l'appartenant de M. [P] à cette bande de copains, et plus précisément du fait de voyager dans un même véhicule en vue de la même destination, l'existence de faits matériels constitutifs de l'infraction précitée, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens suppose pour être constitué que soit démontrée la participation du prévenu à une bande ayant des visées violentes ; que le seul fait pour un bande d'amis de posséder des vêtements noirs et des protections aux fins de se livrer à la pratique sportive du « Kick Boxing » ne caractérise pas à lui seul leur appartenance au mouvement des « Black Blocks » ; qu'en se bornant à relever la présence dans le véhicule et les bagages des prévenus de vêtements de couleur noire ainsi que de diverses protections pour la pratique de sport pour en déduire l'appartenance de ces derniers à la mouvance Black Blocks, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens suppose pour être constitué que soit démontrée l'appartenance à un groupement ayant en vue la réalisation d'actions violentes ; qu'en considérant comme suspecte la présence dans le véhicule de clés à molette et d'un marteau brise vitre outils, pour les qualifier d'armes par destination et les considérer comme constitutifs de faits matériels de l'infraction, cependant que les premières permettant des réparations d'urgence et le la désincarcération en cas de difficultés, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que le délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens suppose pour être constitué que soit démontrée l'appartenance à un groupement ayant en vue la réalisation d'actions violentes ; que dès lors qu'il n'était pas établi que les bombes lacrymogènes appartenaient à M. [P], il ne pouvait lui être reproché la présence de ces objets dans le véhicule qui le transportait, pour en déduire sa prétendue appartenance à un groupement violent ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que le délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens suppose pour être constitué que soit démontrée l'appartenance à un groupement ayant en vue la réalisation d'actions violentes ; que les fouilles réalisées dans le véhicule et les bagages des prévenus avait seulement permis de constater la présence d'autocollants d'extrême gauche et d'un livre sur la stratégie de violence internationale ; qu'en énonçant que figuraient dans le véhicule divers documents « expliquant comment réaliser des actions violentes » pour en déduire l'existence de faits matériels de l'infraction susvisée, la cour d'appel a violé les articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
6°/ que la caractérisation de la participation à un groupement violent par l'adhésion intellectuelle à un projet d'infraction diffusé sur internet nécessite la démonstration d'un échange de SMS ou de messages électroniques sur un blog ou des réseaux sociaux entre le prévenu et les individus appelant à la violence sur le net ; qu'à défaut de lien entre les messages et le prévenu, l'acte matériel de violence n'est pas caractérisé chez ce dernier ; qu'en l'espèce, en déduisant de l'existence sur le net de diffusions et d'appels à des actions violentes pour le week-end du 24 au 26 août, le fait que la présence de M. [P] et de ses deux amis à Biarritz le 21 août s'inscrivait dans le cadre de ces violences, sans avoir pour autant établi le moindre lien entre ces messages et M. [P], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
7°/ que le délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens nécessite pour être constitué que soit établie la volonté du prévenu de participer au groupement afin de réaliser des actes de violences ; qu'en se bornant à affirmer la réunion de faits matériels de l'infraction sans constater la volonté de M. [P] d'appartenir à ce groupe en vue de réaliser des actes de violence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Pour déclarer M. [P] coupable du délit de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens, l'arrêt retient que le voyage dans le même véhicule, la destination commune, la possession de documents expliquant comment réaliser des actions violentes, celle de vêtements couvrants et particulièrement de cagoules couvrant le visage, celle encore d'objets susceptibles de devenir des armes par destination, telles les clés à molette, et susceptibles de réaliser des dégradations, tels le brise-vitre, celle enfin de nombreuses protections corporelles, constituent les faits matériels caractérisant la participation volontaire à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens.
18. Les juges relèvent que les deux autres personnes qui accompagnaient M. [P] dans ce voyage apparaissent, au regard du casier judiciaire européen comme ayant été condamnées par une juridiction allemande, le premier en 2017, le second en 2019, pour des faits de coups et blessures graves avec agression, ou de rébellion, à l'encontre de représentants de la force publique.
19. Ils ajoutent que la présence de M. [P] et de ces deux autres personnes aux abords de Biarritz le 23 août 2019 s'inscrit en conséquence dans le cadre des diffusions et appels observés sur internet par les services de police et retranscrits dans le procès-verbal dit "de contexte", invitant non pas à de simples manifestations mais à des actions violentes visant "à en finir avec ce monde destructeur" ou encore à "saboter la machine répressive et économique partout où les gens le pouvaient" et à descendre "dès le vendredi soir et même avant si possible pour éviter les contrôles routiers sur la route pour le week-end du 24 au 26".
20. Ils en déduisent que l'élément moral est caractérisé et que les éléments constitutifs de l'infraction reprochée à M. [P] sont réunis.
21. En l'état de ces motifs relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision.
22. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [P] à un emprisonnement délictuel ferme de deux mois et a prononcé contre celui-ci, à titre de peine de complémentaire, l'interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation pendant cinq ans, alors :
« 1°/ que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité et la situation personnelle de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction ; qu'en prononçant à l'encontre de M. [P] une peine de deux mois d'emprisonnement ferme, cependant qu'elle relevait qu'il n'avait aucun antécédent judiciaire, sans s'expliquer autrement sur sa situation personnelle, et plus précisément sur sa situation matérielle, familiale et sociale, pas davantage que sur le caractère inadéquat de toute autre sanction, la cour d'appel a méconnu les articles 132-1, 132-19 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que la juridiction ne saurait prononcer une peine d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation sans motiver spécialement cette interdiction par la recherche de la proportionnalité d'une telle peine à la gravité de l'infraction ainsi que de la personnalité du prévenu et de sa situation personnelle ; qu'en se bornant à confirmer le jugement sur les sanctions et en omettant de motiver sa décision sur cette interdiction, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1 du code pénal et 485, ,591 et 593 du code procédure pénale. »
Réponse de la Cour
24. Pour condamner M. [P] à deux mois d'emprisonnement, à cinq d'interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation, l'arrêt retient que la gravité de l'infraction et la personnalité de ce dernier, qui n'était certes pas déjà condamné mais qui se trouvait avec deux autres prévenus déjà condamnés pour des violences à l'encontre des représentants de l'ordre, rendent le prononcé d'une peine d'emprisonnement nécessaire et toute autre sanction manifestement inadéquate, tout aménagement de la peine s'avérant par ailleurs inopportun dans ce contexte et matériellement impossible pour un prévenu domicilié en Allemagne.
25. En prononçant ainsi, par des motifs qui satisfont aux exigences des articles 130-1, 132-1 et 132-19 du code pénal, la cour d'appel a justifié sa décision.
26. Ainsi, le moyen doit être écarté.
27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
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