Com. 5 juin 2024 n° 22-24.761
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Transmission pour consultation deuxième chambre civile (demande d'avis)
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 386 F-D
Pourvoi n° U 22-24.761
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUIN 2024
La société Nordex France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 22-24.761 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Parc éolien Nordex XVI, société par actions simplifiée unipersonnelle, venant aux droits des sociétés Parc éolien Nordex XII et Parc éolien Nordex XVII,
2°/ à la société Eoliennes vent de Seine, société par actions simplifiée, venant aux droits des sociétés Eoliennes de Roses, Eoliennes Soleil de Seine, Eoliennes de Georges, et Eoliennes Aubes et vent,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Les sociétés Parc éolien Nordex XVI et Eoliennes vent de Seine ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, cinq moyens de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident éventuel invoquent, a l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Nordex France, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Parc éolien Nordex XVI et Eoliennes vent de Seine, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 septembre 2022), par contrats du 21 décembre 2013, la société Nordex France (la société Nordex), filiale du groupe Nordex, concepteur et exploitant de centrales éoliennes, a vendu trente éoliennes aux sociétés Soleil de Seine, Aubes et vent, Georges et Rose, aux droits desquelles vient la société Eoliennes vent de Seine et aux sociétés Parc éolien Nordex XII, Parc éolien Nordex XV et Parc éolien Nordex XVII, aux droits desquelles vient la société Parc éolien Nordex XVI (les sociétés de parc éolien).
2. La société Nordex a livré les éoliennes sur le site prévu pour leur implantation entre le 24 septembre 2014 et le 21 janvier 2015, les a érigées et mises en service au cours de l'année 2015, puis a remis, pour chacune d'elles, le « substancial completion certificate » entre le 4 février 2015 et le 27 août 2015.
3. Par courriel du 1er octobre 2018, la société Nordex a informé les sociétés de parc éolien de la chute, survenue au Royaume-Uni, d'une pale d'éolienne appartenant à la même série que plusieurs des pales qu'elle leur avait livrées, puis leur a indiqué, dans une lettre du 5 octobre suivant, que ce dommage avait pour origine « un délaminage inattendu en pied de pale entre la coque et les inserts de boulons » résultant d'une « déviation du processus de fabrication entraînant une adhérence réduite des entretoises utilisées comme espaceurs entre les inserts du boulon ».
4. A la suite d'un second sinistre survenu le 27 juin 2020 sur un autre parc éolien, la société Nordex a, dans l'attente de l'analyse de ses causes, recommandé aux sociétés de parc éolien la mise à l'arrêt à titre conservatoire de quatre éoliennes et procédé au paramétrage spécifique de quinze autres éoliennes destiné à limiter les efforts sur les pales en fonction des conditions de vent sur le site.
5. Entre-temps, le 3 février 2020, les sociétés de parc éolien ont assigné en référé la société Nordex devant le président d'un tribunal de commerce aux fins, d'une part, de désigner un expert avec la mission de déterminer les vices affectant les pales des éoliennes et le préjudice d'exploitation en étant résulté, d'autre part, d'obtenir une provision à valoir sur les pertes liées à la mise à l'arrêt et au bridage des éoliennes.
6. Le président du tribunal a renvoyé l'affaire devant la juridiction du fond dans les conditions de l'article 873-1 du code de procédure civile.
Examen des moyens
7. En premier lieu, se pose la question de la recevabilité des moyens, contestée en défense, laquelle suppose la réponse à deux questions préalables :
- lorsqu'une cour d'appel, statuant sur l'appel formé contre la décision d'un tribunal ayant statué au fond sur renvoi du juge des référés en application de l'article 873-1 du code de procédure civile, déclare non prescrite l'action, déclare irrecevable une partie des prétentions du demandeur, alloue une provision, ordonne la communication de pièces et désigne un expert afin d'évaluer le préjudice allégué par le demandeur, sans indiquer une date à laquelle l'affaire sera rappelée pour un nouvel examen, sa décision met-elle fin à l'instance dès lors que, une fois que l'expert aura déposé son rapport, le demandeur devra assigner le défendeur et introduire une nouvelle instance pour obtenir la réparation de ce préjudice ?
- en donnant à l'expert mission « de proposer une analyse des préjudices d'exploitation en lien avec les vices cachés » affectant la chose vendue, alors que l'existence de tels vices était contestée en défense, la décision peut-elle être considérée comme ayant implicitement mais nécessairement tranché une partie du principal ?
8. En second lieu, sur le fond, le deuxième moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident éventuel posent la question de l'étendue des pouvoirs de la cour d'appel saisie d'un appel formé contre le jugement rendu par un tribunal saisi sur renvoi du juge des référés en application de l'article 873-1 du code de procédure civile : l'objet du litige est-il figé par les demandes présentées devant le juge des référés ou les parties peuvent-elles présenter d'autres demandes ? La deuxième chambre civile a jugé que le demandeur ne pouvait présenter devant le tribunal des demandes qui excédaient les prétentions soumises au juge des référés (Civ. 2e, 7 déc. 2000, n° 98-16.399). Toutefois, les textes du code de procédure civile ont évolué et les appréciations doctrinales sur cette jurisprudence apparaissent divergentes. Aussi, avant de mettre en oeuvre cette solution dans le présent litige, la chambre commerciale souhaiterait s'assurer de sa persistance sous l'empire des textes actuels.
9. L'examen du dossier conduit donc à un renvoi à la deuxième chambre civile pour avis en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Civ.1 5 juin 2024 n° 24-40.007
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
COUR DE CASSATION
CF
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QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITÉ ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
NON-LIEU A RENVOI
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 421 F-D
Affaire n° H 24-40.007
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
Le tribunal judiciaire de Thionville a transmis à la Cour de cassation, suite au jugement rendu le 19 mars 2024, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 27 mars 2024, dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
M. [H] [D], domicilié [Adresse 1],
D'autre part,
le Conseil national des barreaux (CNB), dont le siège est [Adresse 2],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du Conseil national des barreaux, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Par déclaration au greffe du 22 décembre 2022, M. [D], avocat, a fait opposition à une décision du Conseil national des barreaux (CNB), qui lui été signifiée le 20 décembre 2022, lui faisant obligation de payer une certaine somme au titre des cotisations dues pour les années 2018 à 2021.
2. Par mémoire distinct et motivé du 22 mai 2023, il a présenté une question prioritaire de constitutionnalité.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. Par jugement du 19 mars 2024, le tribunal judiciaire de Thionville a transmis la question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« les dispositions de l'article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 en ce qu'elles contraignent les avocats à régler une cotisation au Conseil national des barreaux et en ce qu'elles permettent au Conseil national des barreaux d'émettre des titres exécutoires en vue d'obtenir le recouvrement desdites cotisations sont-elles conformes au Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 ainsi qu'aux articles 4, 12 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et des principes constitutionnels qui en découlent à savoir notamment la liberté d'association, la liberté d'entreprendre ainsi que les principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de la justice ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. La question porte sur le dernier alinéa de l'article 21-1 de la loi n° du 31 décembre 1971, créé par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 selon lequel à défaut de paiement de la cotisation annuelle due par les avocats inscrits à un tableau dans un délai d'un mois à compter d'une mise en demeure de payer, le CNB rend, à l'encontre des avocats redevables, une décision qui, à défaut d'opposition du débiteur devant la juridiction compétente, produit les effets d'un jugement au sens du 6° de l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution.
Cette disposition est applicable au litige
5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
7. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
8. En effet, en premier lieu, les cotisations dues au CNB, établissement d'utilité publique, en ce qu'elles assurent le fonctionnement de celui-ci, dont les missions de service public sont distinctes de celles des ordres qui recouvrent des cotisations pour leur propre fonctionnement, ne sont pas contraires aux libertés d'association et d'entreprendre.
9. En second lieu, ce n'est qu'en l'absence de paiement dans le délai d'un mois d'une mise en demeure restée infructueuse que le CNB peut prendre une décision de mise en recouvrement qui peut être contestée par la voie d'une opposition devant la juridiction judiciaire territorialement compétente dans le délai de quinze jours à compter de sa notification et qui ne devient exécutoire qu'à l'expiration de ce recours préalable de pleine juridiction dont dispose le débiteur, sans préjudice de la faculté, pour ce dernier, de saisir la juridiction de l'exécution d'éventuelles contestations relatives à l'exécution forcée de la décision du CNB ayant acquis force exécutoire. Ces dispositions ne heurtent donc pas non plus le principe d'indépendance de la justice ou encore celui de la séparation des pouvoirs.
10. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
Crim. 5 juin 2024 n° 24-81.896
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 24-81.896 F-D
N° 00892
RB5 5 JUIN 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
M. [T] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 13 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner aggravées, omission de porter secours, délit de fuite et excès de vitesse, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 27 février 2023, M. [T] [L] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire.
3. Par ordonnance du 23 février 2024, le juge des libertés et de la détention a prolongé sa détention provisoire.
4. M. [L] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 198, 591, 593, D. 591 et D. 592 du code de procédure pénale.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prolongé la détention provisoire de M. [L] après avoir déclaré son mémoire irrecevable, pour avoir été adressé à une autre adresse électronique que celle transmise par la chambre de l'instruction comme éligible à la communication électronique pénale, alors :
1°/ d'une part qu'il a été transmis à l'adresse, [Courriel 1] conformément aux règles établies dans le cadre de la communication électronique entre les avocats et la cour d'appel, en application de la convention signée le 5 février 2021 entre le ministère de la Justice et le Conseil national des barreaux ; 2°/ d'autre part que la cour en le déclarant irrecevable au motif que l'avocat de M. [L] a adressé son mémoire visé par le greffier le 11 mars 2024 à 11 heures 02 par communication électronique à une autre adresse électronique que celle transmise par cette juridiction comme éligible à la communication électronique pénale, a fait preuve d'un formalisme excessif ;
3°/ qu'enfin, l'affirmation que l'adresse employée pour envoyer le mémoire n'est pas celle qui est éligible à la communication électronique est en contradiction avec les pièces de la procédure, desquelles il ressort qu'il s'agit de la bonne adresse.
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
7. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Pour déclarer irrecevable le mémoire déposé par M. [L] et confirmer l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce que l'avocat de la personne mise en examen a adressé son mémoire visé par le greffier le 11 mars 2024 à 11 heures 02 par communication électronique à une autre adresse électronique que celle transmise par cette juridiction comme éligible à la communication électronique pénale.
9. En se déterminant ainsi, alors qu'il résulte des pièces produites au dossier que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que l'adresse électronique à laquelle est parvenu le mémoire de M. [L] est bien celle qui a été transmise au Conseil national des barreaux comme étant éligible à la communication électronique, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
10. La cassation est par conséquent encourue.
Civ.1 5 juin 2024 n° 22-24.355
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 320 F-D
Pourvoi n° C 22-24.355
Aide juridictionnelle totale en demande au profit de M. [Z]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 18 octobre 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
M. [P] [Z], domicilié chez Maître Ruben Garcia, avocat, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 22-24.355 contre l'ordonnance rendue le 30 mars 2022 par premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris, domicilié [Adresse 1],
2°/ au préfet de l'Essonne, domicilié préfecture de l'Essonne, [Adresse 3],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris Cedex 01,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [Z], après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 30 mars 2022), le 27 janvier 2022, M. [P], de nationalité tunisienne, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative, en exécution d'un arrêté pris le 3 septembre 2022 par le préfet de l'Essonne prononçant une obligation de quitter ce territoire. Par ordonnances des 29 janvier et 26 février 2022, le juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention pour vingt-huit puis trente jours.
2. Le 28 mars 2022. le juge des libertés et de la détention a été saisi par le préfet, sur le fondement de l'article L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), d'une requête en troisième prolongation de la mesure de rétention.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [P] fait grief à l'ordonnance de prolonger la rétention pour une durée de quinze jours, alors « que le juge des libertés et de la détention peut, à titre exceptionnel, ordonner une troisième prolongation de la rétention administrative lorsque, dans les quinze derniers jours, l'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement ; qu'en se fondant, pour retenir qu'une troisième prolongation de la rétention administrative était justifiée, sur la seule circonstance que M. [P] avait utilisé des alias et démontré ainsi une volonté de dissimuler son identité, "même si c'est antérieurement à son placement en rétention", et qu'il avait "refus[é] de se soumettre au test PCR qui lui [avait] été proposé le 5 mars 2022", soit plus de vingt-trois jours avant la prolongation demandée, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 742-5 du CESEDA :
4. Selon ce texte, le juge des libertés et de la détention peut, à titre exceptionnel, être saisi d'une demande de troisième prolongation de la rétention, notamment lorsque, dans les quinze derniers jours, l'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement.
5. Pour accueillir la requête du préfet, l'ordonnance retient que l'absence d'exécution de la mesure d'éloignement résulte, d'abord, de l'obstruction réitérée de l'intéressé, ayant utilisé des alias et démontré ainsi une volonté de dissimuler son identité, même si elle était antérieure à son placement en rétention, puis de son refus de se soumettre au test PCR qui lui a été proposé le 5 mars 2022.
6. En se déterminant ainsi, sans constater d'obstruction à l'exécution d'office de la mesure dans les quinze derniers jours, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
Civ.1 5 juin 2024 n° 23-50.021
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
COUR DE CASSATION
CF
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QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITÉ ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
NON-LIEU A RENVOI
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 422 F-D
Pourvoi n° W 23-50.021
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
Par mémoire spécial présenté le 11 mars 2024, M. [F] [J], domicilié [Adresse 3], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° W 23-50.021 qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans une instance l'opposant :
1°/ à l'Agent judiciaire de l'État, domicilié [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [J], de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Agent judiciaire de l'État, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Par jugement du 3 avril 2017, un tribunal correctionnel a condamné M. [N] [J] à une peine d'emprisonnement et une amende et ordonné la confiscation de biens saisis au cours de l'enquête préliminaire, incluant notamment un véhicule dont M. [F] [J] se prétend propriétaire.
2. Estimant que ce véhicule aurait dû lui être restitué, M. [F] [J] a assigné en responsabilité et indemnisation l'Agent judiciaire de l'Etat sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2023 par la cour d'appel de Paris, M. [F] [J] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« L'article 479 du code de procédure pénale est-il contraire au principe du contradictoire, aux droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif, protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'au droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la même Déclaration en tant qu'il ne prévoit pas que le propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'il revendique et sa bonne foi ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. La disposition contestée est applicable au litige dès lors que, pour rejeter la demande formée par M. [F] [J] contre l'Agent judiciaire de l'Etat, la cour d'appel s'est notamment fondée sur le fait qu'il n'avait pas sollicité la restitution du véhicule devant le tribunal correctionnel comme l'article 479 du code de procédure pénale lui en donnait la possibilité.
5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
7. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux. En effet, dès lors que l'article 479 du code de procédure pénale se borne à donner la possibilité à toute personne autre que le prévenu, la partie civile ou la personne civilement responsable qui prétend avoir droit sur des objets placés sous la main de la justice, d'en réclamer la restitution au tribunal saisi de la poursuite, il ne constitue pas le fondement de la confiscation d'un bien, régie notamment par les articles 131-21 et 225-25 du code pénal, et ne saurait donc porter atteinte aux droits invoqués.
8. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
Civ.1 5 juin 2024 n° 23-10.950
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Déchéance
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 313 F-D
Pourvoi n° C 23-10.950
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
La société Athlétic club ajaccien Aca football, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 23-10.950 contre l'arrêt rendu le 2 novembre 2022 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 2), dans le litige l'opposant à la société Conseil football management (CFM), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Athlétic club ajaccien Aca football, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur la déchéance du pourvoi :
Vu l'article 978, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
Attendu que la société Athlétic club ajaccien Aca football s'est pourvue le 23 janvier 2023 contre l'arrêt du 2 novembre 2022 de la cour d'appel de Bastia ;
Attendu que la déclaration de pourvoi n'a pas été suivie, dans le délai prévu par le texte susvisé, du dépôt au greffe de la Cour de cassation et de sa signification au défendeur d'un mémoire contenant les moyens de droit invoqués à l'encontre de la décision attaquée, sans que l'auteur du pourvoi puisse se prévaloir d'une prorogation, d'une suspension ou d'une interruption du délai dont il disposait à cet effet ;
Qu'il s'ensuit que la déchéance est encourue ;
Crim. 5 juin 2024 n° 24-81.892
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 24-81.892 F-D
N° 00891
RB5 5 JUIN 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
Mme [F] [G] [O] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 1er mars 2024, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de meurtre, arrestation, enlèvement et séquestration ou détention arbitraires sans libération avant le septième jour, a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme [F] [H], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire , après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mise en examen du chef d'arrestation, enlèvement et séquestration ou détention d'une personne n'ayant pas été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis son appréhension, Mme [H] a été placée en détention provisoire par ordonnance du 30 novembre 2019, sous mandat de dépôt criminel.
3. Elle a été mise en examen également du chef de meurtre le 27 octobre 2023.
4. Sa détention provisoire a été prolongée de six mois à six reprises et le 20 octobre 2023, à titre exceptionnel en application de l'article 145-2 du code de procédure pénale, d'une durée de quatre mois jusqu'au 29 mars 2024.
5. Le dossier d'information a été communiqué au règlement le 1er février 2024.
6. Le 21 février suivant, le juge des libertés et de la détention a sollicité de la chambre de l'instruction une nouvelle prolongation de la détention provisoire de Mme [H].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné à titre exceptionnel, la prolongation de la détention provisoire de Mme [H] pour une durée de quatre mois à compter du 30 mars 2024 à 0 heure, alors :
« 1°/ que la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au-delà de quatre ans lorsque la personne est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV du code pénal ; qu'à titre exceptionnel, lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité, la chambre de l'instruction peut prolonger pour une durée de quatre mois la durée de la détention ; que lorsque la durée de la détention provisoire excède un an en matière criminelle ou huit mois en matière délictuelle, les décisions ordonnant sa prolongation doivent aussi comporter les indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure ; que pour ordonner à titre exceptionnel, la prolongation de la détention provisoire de Mme [H] pour une durée de quatre mois, la chambre de l'instruction a énoncé que les « investigations doivent être poursuivies », que si « un avis de fin d'informer a été décerné aux parties, le procureur de la République dispose de la possibilité de décerner un réquisitoire supplétif et les parties peuvent présenter des demandes ou des requêtes de sorte que les investigations ne sont pas définitivement terminées et les formalités de clôture sont en cours » et que le « délai d'achèvement de la procédure peut donc être fixé à 4 mois » (arrêt attaqué, p. 17) ; qu'en se bornant ainsi à se référer à la possibilité de nouvelles investigations postérieurement à l'émission de l'avis de fin d'informer et non à la nécessité de futures investigations, sans préciser les circonstances particulières qui, en l'espèce, justifient la poursuite de l'information, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 145-2 et 145-3 du code de procédure pénale ;
2°/ que la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ; que pour ordonner à titre exceptionnel, la prolongation de la détention provisoire de Mme [H], la chambre de l'instruction a énoncé que la « durée de sa détention la provisoire s'explique essentiellement par multiplicité et la complexité des investigations qui ont dû être mises en oeuvre, tant sur le plan technique en raison notamment des éléments mis à jour au fil des investigations diligentées et des déclarations successives et variables de la mise en examen, qu'au plan international, la disparition de [S] [T] s'étant produite sur un sol étranger », qu'ainsi, « trois expertises informatiques ont été ordonnées, des commissions rogatoires internationales à destination du Monténégro et des Etats Unis ont été délivrées, et des demandes d'enquêtes européennes ont été adressées à la principauté d'Andorre et aux autorités espagnoles », que depuis « l'arrêt de la chambre de l'instruction du 20 octobre 2023, les commissions rogatoires, y compris internationales, sont rentrées et la personne mise en examen a été entendue deux fois les 26 et 27 octobre 2023 » de sorte que la « durée de sa détention provisoire n'apparait pas disproportionnée » (arrêt attaqué, p. 19) ; qu'en se bornant ainsi à examiner la durée raisonnable de la procédure au regard des investigations déjà effectuées et non au regard de la gravité des faits et de la complexité des investigations encore nécessaires, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 144-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour prolonger à titre exceptionnel, en application du troisième alinéa de l'article 145-2 du code de procédure pénale, la détention provisoire de Mme [H], l'arrêt attaqué énonce, notamment, que la durée de cette détention provisoire s'explique essentiellement par la multiplicité et la complexité des investigations réalisées, sur le plan technique, en raison notamment des éléments mis au jour au fil des investigations diligentées et des variations de déclarations de la personne mise en examen, et international, la disparition de la victime s'étant produite sur un territoire étranger.
10. Les juges relèvent que trois expertises informatiques ont été ordonnées, des commissions rogatoires internationales à destination du Montenegro et des Etats-Unis ont été délivrées, et des demandes d'enquêtes européennes ont été adressées à la principauté d'Andorre et aux autorités espagnoles.
11. Ils constatent que depuis l'arrêt de la chambre de l'instruction en date du 20 octobre 2023, les commissions rogatoires, y compris internationales, sont rentrées et la personne mise en examen a été entendue deux fois, les 26 et 27 octobre 2023.
12. Ils en déduisent que la durée de la détention provisoire n'apparaît pas disproportionnée.
13. Par ailleurs, les juges, considérant que l'avis de fin d'informer délivré par le juge d'instruction permet au procureur de la République de décerner un réquisitoire supplétif et aux parties de présenter des demandes ou des requêtes de sorte que les investigations ne sont pas définitivement terminées et que les formalités de clôture sont en cours, précisent que le délai d'achèvement de la procédure peut être fixé à quatre mois.
14. En l'état de ces énonciations, justifiant du caractère non déraisonnable de la durée de la détention provisoire au regard, notamment, de la complexité des faits et de la nécessité de poursuivre la procédure, et dès lors que la circonstance particulière liée à l'accomplissement des formalités prévues par l'article 175 du code de procédure pénale pour le règlement de la procédure entre dans les prévisions des articles 145-2, alinéa 3, et 145-3, alinéa 1, du même code, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
Crim. 5 juin 2024 n° 24-81.928
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 24-81.928 F-D
N° 00899
5 JUIN 2024
RB5
QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
M. [E] [U], partie civile, a présenté, par mémoire spécial reçu le 25 mars 2024, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 5 mars 2024, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée des chefs de faux public et violation du secret professionnel, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
Sur le rapport de Mme Bloch, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Bloch, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« L'adverbe « notamment », à l'alinéa 2 de l'article 19 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, est-il contraire aux articles 34 de la Constitution et 16 de la Déclaration de 1789, en ce qu'il rend non exhaustive et imprévisible la liste des juridictions dans lesquelles les auditeurs de justice ont le droit d'assister aux délibérés avec voix consultative, énumérée aux alinéas suivants, alors pourtant que l'équité de tout procès en matière pénale (tel, en l'espèce, un procès devant la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel, dont délibéré au cours duquel un auditeur de justice était présent avec voix consultative), et notamment le secret du délibéré et l'indépendance et l'impartialité des juges appelés à statuer qui en découlent, commandent au législateur de définir en amont, de manière précise et exhaustive, qui a le droit d'assister au délibéré dudit procès, avec ou sans voix consultative ? »
2. La disposition contestée, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1090 du 8 août 2016, est applicable à la procédure.
3. Cet article, dans sa forme actuelle, a été introduit par la loi n° 70-642 du 17 juillet 1970. S'agissant d'une disposition organique, elle a été soumise, en application de l'article 61, alinéa 1, de la Constitution, au Conseil constitutionnel qui l'a déclarée conforme à la Constitution dans la décision n° 70-40 DC du 9 juillet 1970. Toutes les autres modifications apportées à cet article ont également été contrôlées par le Conseil constitutionnel et déclarées conformes à la Constitution dans les décisions n° 80-123 DC du 24 octobre 1980, 92-305 DC du 21 février 1992, 2007-551 DC du 1er mars 2007 et 2016-732 DC du 28 juillet 2016.
4. Depuis ces décisions, aucun changement des circonstances, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, n'est intervenu.
5. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Crim. 5 juin 2024 n° 22-81.404
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° N 22-81.404 FS-D
N° 00656
RB5 5 JUIN 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
[Z] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 18 février 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 1er avril 2020, pourvoi n° 19-80.069), dans la procédure suivie contre lui des chefs d'escroquerie, abus de biens sociaux et blanchiment, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat de Mme [W] [N] ès qualités de curatrice de la succession de [Z] [N], les observations de Me Bouthors, avocat de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, M. Pauthe, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il résulte d'un extrait régulier des actes de l'état civil de la commune de [Localité 2] (République d'Autriche) que [Z] [N], qui avait formé son pourvoi le 18 février 2022, est décédé le [Date décès 1] 2023.
2. Aux termes de l'article 6 du code de procédure pénale, l'action publique s'éteint par le décès du prévenu. La Cour de cassation demeure compétente pour statuer sur l'action civile.
3. Par mémoire de reprise d'instance déposé le 8 mars 2024 pour Mme [W] [N], veuve de [Z] [N], celle-ci informe avoir été nommée curatrice de la succession de son mari par deux décisions, définitives et exécutoires, rendues les 29 janvier 2024 et 13 février 2024 par le tribunal de district de Klagenfurt (Autriche) afin de représentation, notamment, dans le présent pourvoi en cassation et de reprise de l'instance ès qualités.
Faits et procédure
4. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
5. [Z] [N] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, notamment, du chef d'escroquerie au préjudice de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPN) pour avoir pratiqué à son égard des taux de courtage qui seraient excessifs.
6. Le tribunal, d'une part, a constaté l'extinction de l'action publique à l'égard de [Z] [N] du fait de l'autorité de la chose jugée découlant du prononcé de sanctions par l'Autorité des marchés financiers, d'autre part, a déclaré recevable la constitution de partie civile de la CRPN, enfin, a débouté cette dernière de ses demandes en raison de l'extinction de l'action publique.
7. Le prévenu et la partie civile ont interjeté appel.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la CRPN recevable en sa constitution de partie civile, a dit que, nonobstant l'autorité de chose jugée et l'extinction de l'action publique, la cour d'appel restait compétente pour se prononcer sur le caractère de fautes civiles des faits objet de la poursuite, susceptibles d'ouvrir droit à réparation du préjudice subi par la CRPN, a dit que [Z] [N] avait commis des fautes civiles constituées des faits d'escroquerie, objets d'extinction de l'action publique, l'a condamné à payer à la CRPN la somme de 8 184 851,77 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2015 et capitalisation des intérêts, et l'a condamné à verser à la CRPN la somme de 40 000 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que les tribunaux répressifs ne sont compétents pour connaître de l'action civile en réparation du dommage né d'une infraction qu'accessoirement à l'action publique ; qu'il en résulte qu'ils ne peuvent se prononcer sur l'action civile qu'autant qu'il a été préalablement statué au fond sur l'action publique ; qu'en l'espèce, le tribunal correctionnel a constaté l'extinction de l'action publique à l'égard de M. [N] du chef d'escroquerie ; que le ministère public n'a pas interjeté appel de ce jugement et que l'action publique dirigée contre M. [N] de ce chef est donc définitivement éteinte, sans qu'il n'ait jamais été statué au fond sur ce point par une juridiction répressive ; qu'en déclarant cependant recevable l'action civile exercée par la CRPN à l'encontre de M. [N] pour l'indemnisation du préjudice causé par les faits visés dans la prévention d'escroquerie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 14 § 1 du Pacte international sur les droits civils et politiques, de l'article préliminaire et des articles 2, 3, 6, 459, 464, 497 et 512 du code de procédure pénale, des articles 132-1 du code pénal, 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du même code, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'extinction de l'action publique, en particulier résultant de l'autorité de chose jugée, ne peut produire des effets similaires à une décision de relaxe ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui a affirmé, sans jamais examiner le caractère fondé ou non de l'extinction de l'action publique, que « la question de l'autorité de chose jugée qui entraîne extinction de l'action publique a trait au fond et a des effets similaires à une relaxe » (arrêt, p. 21 § 9), a privé
3°/ que le droit d'accès au juge, en particulier le juge répressif pour obtenir réparation d'un préjudice allégué, n'est pas absolu ; que le juge naturel d'une action en responsabilité civile est le juge civil, lequel peut, si nécessaire, sursoir à statuer dans l'attente de la décision d'une autorité administrative ou d'une juridiction répressive ; que l'extinction de l'action publique constatée par la juridiction répressive en conséquence du principe « ne bis in idem », qui interdit à cette juridiction de statuer tant sur l'action publique que sur l'action civile, ne peut être assimilée à un jugement de relaxe, lequel est d'une nature différente, pour remédier aux conséquences du choix de la partie civile de ne pas saisir le juge civil de son action en responsabilité civile et de la prescription corrélative ; qu'en jugeant cependant que le droit à réparation de la CRPN était justifié « tant par les principes fondamentaux du droit de la réparation, que par l'impossibilité pour elle de faire valoir ses prétentions devant les autorités administratives ayant eu à se prononcer dans cette affaire », quand les principes régissant le droit à réparation ne postulent pas une indemnisation sans conditions, l'impossibilité d'obtenir réparation devant la juridiction administrative étant une circonstance inopérante et la CRPN ne pouvant s'en prendre qu'à elle-même de ne pas avoir saisi en temps utile le juge civil de son action en responsabilité civile, la cour d'appel a violé les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 14 § 1 du Pacte international sur les droits civils et politiques, l'article préliminaire et les articles 2, 3, 6, 459, 464, 497 et 512 du code de procédure pénale, les articles 132-1 du code pénal, 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du même code, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour déclarer recevable l'appel de la CRPN, partie civile, et condamner [Z] [N] à lui verser la somme de 8 184 851,77 euros à titre de réparation, l'arrêt attaqué énonce que la Cour de cassation saisie par un pourvoi formé par [Z] [N] a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel qui a condamné ce dernier à indemniser la CRPN, jugeant que faute d'avoir préalablement constaté que c'était à tort que le tribunal correctionnel avait déclaré l'action publique éteinte, la juridiction d'appel ne pouvait entrer en voie de condamnation.
12. Les juges précisent que la Cour de cassation a donc renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel pour procéder à ce contrôle, et, le cas échéant, prononcer sur l'octroi des intérêts civils sollicités par la CRPN après avoir vérifié que l'extinction de l'action publique par l'autorité de la chose jugée n'était pas fondée.
13. Ils affirment qu'il convient donc d'examiner si, nonobstant l'absence d'appel du ministère public sur l'action publique, la CRPN tenait des dispositions de l'article 497, 3°, du code de procédure pénale le droit de voir rechercher par la juridiction répressive si les faits poursuivis étaient susceptibles d'engager la responsabilité de leur auteur et d'ouvrir droit à réparation.
14. Ils précisent que la Cour de cassation n'a pas critiqué le raisonnement de la cour d'appel consistant à apprécier les faits dans le cadre de la prévention pour se prononcer sur le mérite des demandes civiles présentées par la CRPN, mais lui a reproché de ne pas s'être au préalable prononcée sur l'extinction de l'action publique du fait de l'autorité de la chose jugée.
15. Les juges ajoutent que la question de l'autorité de la chose jugée, qui entraîne l'extinction de l'action publique, a trait au fond et produit des effets similaires à ceux d'une relaxe.
16. Ils affirment qu'il convient, de la sorte, d'appliquer en l'espèce le même raisonnement que celui adopté relativement à l'action civile exercée, par la victime, à l'encontre du prévenu qui a été relaxé, ces deux situations similaires ne pouvant donner lieu à un traitement différent conduisant à dénier à la victime d'un fait d'ores et déjà déclaré fautif son droit à la réparation intégrale de son préjudice.
17. Les juges concluent qu'il convient d'apprécier l'existence éventuelle d'une faute civile à partir et dans les limites de la prévention d'escroquerie.
18. En se déterminant ainsi, alors qu'une décision constatant l'extinction de l'action publique du fait de l'autorité de la chose jugée n'est pas assimilable à une décision prononçant une relaxe du prévenu et qu'il appartient ainsi à la cour d'appel, saisie de l'appel d'une décision constatant une cause d'extinction de l'action publique, autre qu'une relaxe, d'apprécier le bien fondé de cette décision avant de se prononcer sur l'existence d'une éventuelle faute civile démontrée à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation est limitée aux dispositions relatives à l'action civile de la CRPN.
Crim. 5 juin 2024 n° 22-87.443 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 22-87.443 FS-B
N° 00655
RB5 5 JUIN 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
M. [V] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, en date du 18 novembre 2022, qui, dans la procédure suivie des chefs d'escroquerie, fraude fiscale et blanchiment, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande d'annulation d'une perquisition.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [V] [Y], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Bloch, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs d'escroquerie à la TVA, fraude fiscale et blanchiment, des agents des douanes habilités du service d'enquêtes judiciaires des finances ont mené, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, une perquisition au domicile de M. [V] [Y] et ont saisi un véhicule Porsche lui appartenant.
3. Par ordonnance du 17 mars 2022, le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande d'annulation de la perquisition formée par M. [Y].
4. Ce dernier a relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit l'appel mal fondé et confirmé l'ordonnance du 17 mars 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande d'annulation de perquisition et de restitution du véhicule saisi présentée par la défense, alors :
« 1°/ d'une part que les agents des douanes ne peuvent enquêter que sur les infractions énumérées aux 1° à 7° de l'article 28-1 ; que la méconnaissance de cette règle de compétence d'ordre public vicie l'ensemble des investigations et mesures mises en oeuvre par ces agents ; qu'il résulte de la procédure que les agents des douanes ont procédé à la perquisition du domicile de Monsieur [Y] et à la saisie et au placement sous scellé d'un véhicule Porsche détenu par celui-ci ; qu'aux termes de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé d'annuler cette mesure, cette opération était notamment justifiée par les soupçons d'abus de biens sociaux visant l'exposant ; que ces faits, à les supposer établis, n'entrent pas dans la compétence des agents des douanes, de sorte que la mesure ainsi réalisée était irrégulière ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette mesure et de restituer le véhicule saisi, à affirmer que la mesure litigieuse et l'ordonnance du juge des libertés et de la détention étaient régulières dès lors que ce dernier n'avait « pas motivé son ordonnance seulement sur les faits d'abus de biens sociaux », quand toute irrégularité résultant dans l'exercice par les agents des douanes de pouvoirs de police judiciaires en dehors du cadre légal strict de l'article 28-1 doit faire l'objet d'un constat de nullité par les juges, la chambre de l'instruction a violé les articles 28-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que les agents des douanes ne peuvent enquêter que sur les infractions énumérées aux 1° à 7° de l'article 28-1 ou les faits connexes à ces infractions ; que la méconnaissance de cette règle de compétence d'ordre public vicie l'ensemble des investigations et mesures mises en oeuvre par ces agents ; qu'il résulte de la procédure que les agents des douanes ont procédé à la perquisition du domicile de Monsieur [Y] et à la saisie et au placement sous scellé d'un véhicule Porsche détenu par celui-ci ; qu'aux termes de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé d'annuler cette mesure, cette opération était notamment justifiée par les soupçons d'abus de biens sociaux visant l'exposant ; que ces faits, à les supposer établis, n'entrent pas dans la compétence des agents des douanes, de sorte que la mesure ainsi réalisée était irrégulière ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette mesure et de restituer le véhicule saisi, à affirmer que la procédure était régulière dès lors que les agents des douanes avaient enquêté sur des infractions pour lesquelles ils étaient compétents, sans établir en quoi les faits d'abus de biens sociaux dénoncés étaient connexes avec ces infractions, et en particulier sans relever qu'ils auraient été commis en même temps par plusieurs personnes réunies, qu'ils auraient été commis par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, que leurs auteurs auraient commis les uns pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, qu'ils relèveraient d'un même recel, qu'ils procèderaient d'une unité de conception, seraient déterminés par la même cause, tendraient au même but ou formeraient un tout indivisible, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 28-1, 203, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour écarter le moyen de nullité tiré de l'incompétence des agents des douanes habilités pour procéder à la perquisition contestée, l'arrêt attaqué relève que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé la perquisition sans assentiment vise précisément l'infraction de blanchiment, et que celle-ci figure à l'article 28-1 du code de procédure pénale, qui habilite les agents des douanes à effectuer des enquêtes judiciaires pour les infractions qu'il énumère limitativement.
7. Le juge ajoute que contrairement à ce que soutient le conseil de M. [Y], le juge des libertés et de la détention n'a pas motivé son ordonnance seulement sur les faits d'abus de biens sociaux, mais sur le contexte de fraude fiscale, escroquerie à la TVA et blanchiment de ces délits.
8. Il retient que l'existence d'indices graves ou concordants relative aux infractions de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale résulte de l'inadéquation du train de vie de M. [Y] avec ses revenus déclarés et de l'acquisition de nombreux véhicules haut de gamme dont les conditions de financement demeurent occultes.
9. En l'état de ces énonciations, dont il se déduit que les faits susceptibles de recevoir la qualification d'abus de biens sociaux sont aussi de nature à être poursuivis sous celles de fraude fiscale et de blanchiment, infractions dont les agents des douanes habilités étaient régulièrement saisis, le président de la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
10. Ainsi, le moyen, devenu inopérant en sa seconde branche, doit être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit l'appel mal fondé et confirmé l'ordonnance du 17 mars 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande d'annulation de perquisition et de restitution du véhicule saisi présentée par la défense, alors « que la juridiction appelée à statuer sur l'annulation d'une mesure de perquisition et de restitution d'un bien saisi au cours de celle-ci doit apprécier l'existence d'indices de commission d'une infraction de nature à justifier le maintien de la saisie ; qu'il résulte de la procédure et des propres constatations de la chambre de l'instruction qu'il est simplement reproché à Monsieur [Y] « l'inadéquation de son train de vie avec ses revenus déclarés et l'acquisition de nombreux véhicules haut de gamme dont les conditions de financement demeurent occultes » ; qu'il n'existe en revanche aucun élément objectif en procédure permettant d'établir l'existence d'indices de la participation de l'exposant aux infractions d'escroquerie à la TVA, de fraude fiscale et de blanchiment qui lui sont reprochées ; qu'en refusant néanmoins d'annuler la perquisition litigieuse et d'ordonner la restitution du véhicule saisi, la chambre de l'instruction a violé les articles 802-2, 131-21, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12. Le moyen pose la question de savoir si le recours prévu à l'article 802-2 du code de procédure pénale autorise le demandeur à contester la régularité d'une saisie.
13. Aux termes de ce texte, toute personne ayant fait l'objet d'une perquisition ou d'une visite domiciliaire en application des dispositions du présent code et qui n'a pas été poursuivie devant une juridiction d'instruction ou de jugement au plus tôt six mois après l'accomplissement de cet acte peut, dans un délai d'un an à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance de cette mesure, saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande tendant à son annulation.
14. D'une part, alors que la régularité de toute saisie spéciale peut être contestée à l'occasion de l'appel dirigé contre la décision l'ordonnant, celle d'une saisie opérée sur le fondement des articles 56, 76 et 97 du code de procédure pénale ne peut l'être qu'au moyen d'une requête en nullité formée par une partie ou un témoin assisté dans le cadre d'une information judiciaire, ou devant la juridiction de jugement.
15. D'autre part, si tout bien saisi peut faire l'objet d'une demande de restitution, quel que soit le fondement textuel de la saisie prescrite, la régularité de la mesure ne peut, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, être remise en cause à cette occasion (Crim., 2 juillet 1992, pourvoi n° 91-85.065, Bull. crim. 1992, n° 266).
16. Il s'ensuit qu'une saisie diligentée en application des articles 56, 76 et 97 du code de procédure pénale n'offre pas de garanties procédurales d'un niveau équivalent à celles d'une saisie spéciale.
17. Or, la Cour européenne des droits de l'homme juge que le droit à un recours effectif au sens de l'article 6, § 1, sous son volet civil, implique, en matière de visite domiciliaire, que les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement (CEDH, arrêt du 21 février 2008, Ravon et autres c. France, n° 18497/03).
18. Il est donc nécessaire, afin de garantir ce droit conventionnel à un recours effectif, que toute personne ayant fait l'objet, à l'occasion d'une perquisition ou d'une visite domiciliaire, d'une saisie d'un bien dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal, et qui n'a pas été poursuivie devant une juridiction d'instruction ou de jugement dans les six mois après l'accomplissement de cet acte, puisse contester la régularité de la décision de saisie, soit à l'occasion d'un recours formé sur le fondement de l'article 802-2 du code de procédure pénale contre la perquisition ou la visite domiciliaire, soit directement au moyen d'un recours exercé dans les conditions de ce même article.
19. Lorsqu'il statue sur la régularité d'une telle saisie, le juge doit notamment s'assurer de l'existence d'indices de commission de l'infraction justifiant la mesure et du caractère confiscable du bien en application des conditions légales.
20. C'est donc à bon droit qu'en l'espèce le président de la chambre de l'instruction, saisi d'une demande d'annulation de la perquisition du domicile de M. [Y], a statué sur la régularité de la saisie du véhicule, comme l'y invitait le mémoire du demandeur, en précisant le fondement de la saisie et en relevant, par des motifs souverains, l'existence d'indices de commission d'une infraction de nature à justifier la mesure.
21. Ainsi, le moyen doit être écarté.
22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Civ.1 5 juin 2024 n° 23-13.253
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 307 F-D
Pourvois n° Q 23-11.421 F 23-13.253 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
I - M. [X] [H], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 23-11.421 contre un arrêt rendu le 29 novembre 2022 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [P] [Z], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Isère, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
II - L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), a formé le pourvoi n° F 23-13.253 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [H],
2°/ à Mme [P] [Z],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Isère,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur au pourvoi n° Q 23-11.421 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi n° F 23-13.253 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [H], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des Infections nosocomiales, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Q 23-11.421 et F 23-13.253 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à M. [H] et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) du désistement de leurs pourvois en ce qu'ils sont dirigés contre Mme [Z].
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 29 novembre 2022), en 2015, après avoir subi un traitement par Amiodarone, prescrit par Mme [Z], cardiologue, M. [H] a présenté, en 2015, des troubles de la vision en lien avec cette prescription.
4. Les 25 et 26 septembre 2018, à l'issue d'¿une saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation ayant retenu l'existence d'une affection iatrogène non fautive et d'un échec de la procédure de règlement amiable, il a, avec son épouse, Mme [B], et leurs filles, Mmes [N] et [D] [H], assigné en responsabilité et indemnisation Mme [Z] ainsi que l'ONIAM, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
5. Un jugement du 17 décembre 2020 a mis à la charge de l'ONIAM l'indemnisation des préjudices subis par M. [H].
Examen des pourvois
Sur les moyens du pourvoi n° Q 23-11.421 de M. [H]
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi n° F 23-13.253 de l'ONIAM
Enoncé du moyen
7. L'ONIAM fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [H] la somme de 330 473,59 euros, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, au titre du préjudice de perte de gains professionnels futurs, alors « que le préjudice doit être indemnisé, sans perte ni profit pour la victime ; qu'en allouant, au titre de la perte de gains professionnels futurs, une indemnité à hauteur des revenus d'activité pour la période postérieure à la date où la victime aurait fait valoir ses droits à la retraite, sans distinguer ainsi entre le revenu de référence jusqu'à cette date et le revenu de référence postérieur à cette date, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique, ensemble le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. M. [H] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est contraire et qu'il est nouveau et mélangé de fait.
9. Cependant, en demandant que l'indemnisation de la perte de gains professionnels de M. [H] soit fixée jusqu'à la date à laquelle il aurait fait valoir ses droits à la retraite, l'ONIAM avait nécessairement invité le juge à distinguer le revenu de référence avant cette date et après celle-ci.
10. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
11. Pour indemniser à hauteur de 330 473,59 euros la perte de gains professionnels futurs de M. [H], âgé de 58 ans à la date de l'accident et de 63 ans à la date de la liquidation, l'arrêt retient une perte annuelle de salaire, après déduction de la pension d'invalidité, de 12 287,04 euros, et capitalise cette somme sur la base d'un euro de rente viagère pour un homme de 63 ans.
12. En statuant ainsi, sans distinguer les revenus de M. [H] avant la date prévisible de sa retraite et après celle-ci, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.
Civ.1 5 juin 2024 n° 23-12.711
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 317 F-D
Pourvoi n° S 23-12.711
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
1°/ la société Zurich Insurance Public Limited Company, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Chanel parfums beauté, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° S 23-12.711 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Tyco Integrated Fire & Security, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Chubb European Group SE, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits et obligations de la société Ace European Group Limited,
3°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], prise en qualité d'assureur de la société Spinella,
défenderesses à la cassation. Les sociétés Tyco Integrated Fire & Security et Chubb European Group SE ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat des sociétés Zurich Insurance Public Limited Company et Chanel parfums beauté, de la SCP Alain Bénabent, avocat des sociétés Tyco Integrated Fire & Security et Chubb European Group SE, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 novembre 2022), le 14 octobre 2014, la société Chanel parfums beauté (la société Chanel), assurée par la société Zurich Insurance Public Limited Company (la société Zurich), a accepté un devis émis par la société Tyco Integrated Fire & Security France (la société Tyco), assurée par la société Ace European Group Limited, aux droits de laquelle vient la société Chubb European Group Limited SE (la société Chubb), portant sur la révision de l'installation de protection contre les risques d'incendie par aspersion de l'un de ses sites de production dédié à la fabrication et au conditionnement de parfums et de crèmes de soin.
2. Les 18 février et 11 mars 2015, alors que la société Spinella, sous-traitante de la société Tyco et assurée par la société Axa France IARD (la société Axa), intervenait sur cette installation, le système d'extinction automatique de type « déluge » s'est déclenché de façon intempestive et des produits d'extinction se sont répandus dans des cuves de parfum.
3. Le 30 avril 2015, la société Spinella a été placée en liquidation judiciaire.
4. Après le dépôt d'un rapport d'expertise judiciaire destiné à déterminer les causes des sinistres et l'étendue des dommages causés, les sociétés Chanel et Zurich ont assigné les sociétés Tyco, Chubb et Axa afin d'obtenir leur condamnation solidaire à réparer les préjudices subis.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen du pourvoi incident
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. Les sociétés Chanel et Zurich font grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la société Axa au paiement de la somme de 536 539 euros soit 200 000 euros au profit de la société Chanel et 336 539 euros au profit de la société Zurich, alors « que dès lors qu'il est constant qu'un produit incendie avait été aspergé de manière intempestive en mode déluge entraînant la pollution de ses cuveries le principe de précaution d'une part, l'obligation de sécurité de résultat et les principes légaux et éthiques qui pèsent sur la société Chanel d'autre part, l'avaient obligée à exclure de la commercialisation l'intégralité des parfums contenus dans chaque cuverie polluée par le produit incendie aspergé, de sorte que la cour d'appel ne pouvait exclure l'indemnisation intégrale sans vérifier si, comme le faisaient valoir les exposantes, la composition exacte du produit incendie utilisé par la société Tyco Fire Integrated solutions étant inconnue, hormis le polluant principal, le DGEMBE, seule l'identification de celui-ci avait été mise en oeuvre techniquement, ce qui la plaçait dans l'impossibilité de garantir que la formule du parfum n'avait pas été modifiée et l'obligeait, du fait de ce risque, à exclure de la vente tous les jus de la cuverie polluée ; qu'en cet état, la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que seules cuves pour lesquelles il est rapporté la preuve matérielle de la contamination seraient indemnisées sans vérifier ni rechercher si au regard des principes susvisés, de l'inconnue quant aux composants du produit incendie aspergé et des limites techniques d'identification des polluants par le laboratoire, il existait un risque potentiel plausible de pollution qui imposait, de façon proportionnée, de réparer l'intégralité de la perte des produits contenus dans chaque cuverie affectée par le déclenchement intempestif du déluge ; qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard du principe de précaution de l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, du règlement cosmétique du 30 novembre 2009 et des articles L. 5131-1 à L. 5131- 8, L. 5431- 1 à L. 5431- 9 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'article L. 5131-3, alinéa 1er, du code de la santé publique et le règlement CE n°1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques :
7. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
8. Il résulte des dispositions des autres textes que le fabricant de produits cosmétiques est tenu de s'assurer de leur composition et de leur sécurité.
9. Pour limiter l'indemnisation du préjudice de la société Chanel, après avoir constaté que l'additif d'extinction s'était répandu dans des cuves de stockage et que la société Chanel avait retiré de la vente l'intégralité des jus de parfum contenus dans les cuves, l'arrêt retient qu'il revient aux sociétés Zurich et Chanel d'établir que la non-conformité des produits porte sur chacune des cuves retirées de la vente et qu'elles ne peuvent solliciter une indemnisation que pour les cuves dont la contamination est matériellement prouvée.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, dès lors que la composition exacte du produit incendie utilisé par la société Tyco était inconnue, hormis le polluant principal, ayant pu être identifié techniquement, la société Chanel s'était trouvée dans l'impossibilité de garantir que la formule de son parfum n'avait pas été modifiée et avait, en conséquence, été contrainte d'exclure de la vente tous les jus de la cuverie polluée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Crim. 5 juin 2024 n° 23-83.870
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 23-83.870 F-D
N° 00739
MAS2 5 JUIN 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
Le procureur général près la cour d'appel de Cayenne a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 8 juin 2023, qui a relaxé M. [F] [Z] des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et transport de marchandises prohibées, en récidive.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [F] [Z], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 10 janvier 2023, les services des douanes ont procédé au contrôle des bagages de Mme [E] [L], laquelle voyageait avec son conjoint M. [F] [Z] et une amie, Mme [P] [K]. La fouille des bagages a amené la découverte de cocaïne.
3. A la suite de cette procédure, M. [Z] et Mme [L] ont été condamnés par le tribunal correctionnel des chefs susmentionnés.
4. M. [Z] a relevé appel de cette décision et le ministère public a formé un appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation de l'article 385 du code de procédure pénale.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'exception de nullité de la retenue douanière recevable et bien fondée, annulé la procédure et relaxé M. [Z], alors :
1°/ que la cour d'appel n'a pas annulé le contrôle douanier et les constatations ayant permis la découverte des stupéfiants, pas plus que les retenues douanières de Mmes [L] et [K] et les actes en ayant découlé, et que ces actes étaient susceptibles de permettre l'examen de la culpabilité de M. [Z] si l'affaire avait été renvoyée au fond ;
2°/ que la cour d'appel ne pouvait annuler sa saisine dès lors que la retenue douanière n'en était pas le support nécessaire.
Réponse de la Cour
Vu les articles 323-1 du code des douanes, 385 et 802 du code de procédure pénale :
7. Il résulte de ces textes que la nullité d'une mesure de retenue douanière n'entraîne la nullité des actes subséquents qu'à la condition que ceux-ci aient pour support nécessaire la mesure annulée.
8. Pour faire droit aux conclusions du prévenu invoquant la nullité de la procédure et le relaxer, l'arrêt attaqué relève que son placement en retenue douanière est nul, ce qui entraîne la nullité de l'intégralité de la procédure le concernant.
9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
10. En effet, d'une part, la saisine de la juridiction correctionnelle ne pouvait être affectée par l'annulation de la mesure de retenue, qui n'en était pas le support nécessaire.
11. D'autre part, la cour d'appel n'a pas recherché si les constatations des enquêteurs antérieures à cette mesure et les actes de procédure concernant les autres protagonistes ne pouvaient servir de fondement aux poursuites.
12. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 5 juin 2024 n° 24-81.934
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 24-81.934 F-D
N° 00897
RB5 5 JUIN 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
M. [V] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 12 janvier 2024, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de viols et agressions sexuelles, aggravés, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Clément, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [V] [G], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Clément, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [V] [G], détenu dans cette procédure du 15 mai 2017 au 20 octobre 2017, puis remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire, a été condamné par arrêt de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône en date du 24 novembre 2021, dont il a fait appel, à une peine de quinze ans de réclusion criminelle.
3. Sa détention provisoire a été prolongée par décisions du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date des 10 novembre 2022 et 11 mai 2023.
4. Lors de sa comparution devant la cour d'assises d'appel des Alpes-Maritimes, le 22 novembre 2023, il a été fait droit à sa demande de renvoi de l'audience, fondée sur la nécessité de communiquer des scellés manquants, contenant des sous-vêtements.
5. M. [G] a formé une demande de mise en liberté le 5 décembre 2023.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande de remise en liberté, alors « que la durée de la détention provisoire après une condamnation non définitive ne doit pas excéder le délai raisonnable imposé par l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, s'agissant d'un accusé en attente de son jugement par une cour d'assises d'appel, les juges doivent caractériser les diligences particulières mises en oeuvre pour permettre l'examen du dossier par cette cour d'assises et les circonstances insurmontables qui ont empêché d'y parvenir ; que pour écarter le moyen pris de ce qu'excédait un délai raisonnable la détention provisoire de l'accusé qui avait duré depuis la décision de première instance deux ans, un mois et 18 jours à la date où elle statuait, la chambre de l'instruction a relevé qu'une date de comparution devant la cour d'assises d'appel les 14 et 15 mars 2023 n'avait pas été retenue à raison de l'indisponibilité du conseil de l'accusé, qu'il avait été fait droit le 12 mai 2023 à une demande de prolongation exceptionnelle de la détention provisoire et qu'il ne pouvait être reproché à la cour d'assises de n'avoir pas été possession des scellés dont l'absence avait conduit à ce qu'un renvoi soit ordonné lors de la comparution de l'accusé le 22 novembre 2023 ; qu'en se déterminant ainsi, sans mieux caractériser les diligences particulières mises en oeuvre pour permettre l'examen du dossier par la cour d'assises avant le 22 novembre 2023 et le caractère insurmontable des circonstances qui ont empêché le jugement de l'affaire lors de la comparution de l'accusé le 22 novembre 2023 et qui ont conduit à ce que la détention provisoire dure encore 2 ans, 1 mois et 18 jours après la condamnation de première instance, la chambre de l'instruction a violé les articles 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter le moyen pris du délai déraisonnable de la détention provisoire de M. [G], les juges relèvent qu'il lui a été proposé une date d'audience les 14 et 15 mars 2023, qui n'a pas été retenue en raison de l'indisponibilité de ses avocats. Ils ajoutent que par décision du 12 mai 2023, le président de la chambre de l'instruction a fait droit à la demande de prolongation exceptionnelle de la détention provisoire de l'accusé, justifiée par des circonstances à la fois générales, imprévisibles et insurmontables.
8. L'arrêt énonce qu'il ne saurait être reproché à la cour d'assises de n'avoir pas été en possession de l'ensemble des scellés, ces derniers étant conservés au laboratoire SCPPB, aux fins de conservation optimale, et la demande de leur production ayant été faite tardivement, ce qui n'a pas laissé à la cour d'assises la possibilité de les verser en temps utile.
9. Les juges retiennent que des circonstances insurmontables n'ont ainsi pas permis au procès d'appel de se tenir jusqu'à son terme, et que la durée de la détention provisoire de l'accusé n'est pas déraisonnable.
10. Ils en déduisent qu'au regard de la gravité des faits et des investigations minutieuses et complexes qu'ils ont rendu nécessaires, et au regard des implications de l'exercice légitime des voies de recours instituées par la loi à différentes étapes de la procédure, la durée totale de la détention subie par M. [G] ne revêt pas un caractère excessif ni disproportionné.
11. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a caractérisé les diligences particulières ou les circonstances insurmontables de nature à justifier, au regard des exigences conventionnelles, la durée de la détention provisoire de M. [G] entre la décision de première instance et sa comparution devant la juridiction d'appel.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Civ.1 5 juin 2024 n° 23-10.863
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 321 F-D
Pourvoi n° G 23-10.863
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
Mme [T] [X], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 23-10.863 contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2023 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant à M. [N] [G], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de Mme [X], après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 janvier 2023), Mme [X] a mandaté M. de Boissieu, avocat, pour engager une procédure judiciaire en recouvrement de chèques impayés.
2. Par jugement du 18 octobre 2012, sa demande a été rejetée. Assistée d'un autre avocat, elle a relevé appel de ce jugement, qui a été confirmé par arrêt du 18 décembre 2014 ,et fait délivrer une citation directe devant la juridiction pénale qui a été déclarée irrecevable.
3. Les 2 et 10 janvier 2018, elle a assigné en responsabilité et indemnisation successivement devant les tribunaux de grande instance de [Localité 4] et [Localité 3] M. [G] qui a opposé la prescription et sollicité le paiement de dommages et intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en ses première et sixième branches
Enoncé du moyen
5. Mme [X] fait grief à l'arrêt, de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes, et, de la condamner à verser à M. [G] la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors :
« 1°/ qu'en cas de révocation de l'avocat, son mandat prend fin avec la restitution du dossier au client et la reddition des comptes ; qu'en fixant la date de fin du mandat de M. [G], et le point de départ de l'action en responsabilité à son encontre, au jour de l'expédition, par M. [G], à Mme [X], de ce que la cour a considéré être la prise d'acte par celui-ci de la décision de Mme [X] de changer d'avocat, et non au jour de la restitution de son dossier à Mme [X] ou à son nouvel avocat par M. [G] ou au jour de la reddition des comptes de ce dernier, tout en constatant que le dossier de Mme [X] n'avait été transmis à son successeur que le 1er février 2013, la cour d'appel a violé les articles 1993, 2003 et 2225 du code civil ;
6°/ que la cassation de l'arrêt en ce qu'il a jugé prescrite l'action en responsabilité de Mme [X] contre M. [G] entraînera sa cassation par voie de conséquence en ce qu'il a jugé que Mme [X] aurait causé un préjudice moral à ce dernier du fait de cette procédure, conformément à la règle posée à l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 2225 du code civil, l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
7. Le délai de prescription de l'action en responsabilité du client contre son avocat, au titre des fautes commises dans l'exécution de sa mission, court à compter de l'expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l'instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d'assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date (1re Civ., 14 juin 2023, pourvoi n° 22-17.520, publié).
8. Dès lors qu'elle a constaté que Mme [X] avait déchargé M. [G] de sa mission et que celui-ci avait pris acte de sa révocation, convenue antérieurement, dans une lettre qu'il lui avait adressé le 7 janvier 2013, la cour d'appel en a exactement déduit que la prescription avait couru à compter de cette date et non de celle de la restitution du dossier ou de la reddition des comptes et qu'elle était acquise lorsque l'assignation du 11 janvier 2018 avait été délivrée.
9. Le moyen n'est donc pas fondé en sa première branche et est sans portée en sa sixième branche invoquant une cassation par voie de conséquence des dispositions de l'arrêt condamnant Mme [X] au paiement de dommages et intérêts.
Com. 5 juin 2024 n° 23-10.954 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 328 F-B
Pourvoi n° H 23-10.954
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUIN 2024
1°/ La société Speed Rabbit Pizza, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Agora, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° H 23-10.954 contre l'arrêt n° RG 22/08310 rendu le 23 novembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant à la société Domino's Pizza France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Regis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Speed Rabbit Pizza et de la société Agora, de la SCP Spinosi, avocat de la société Domino's Pizza France, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Regis, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com., 30 septembre 2020, pourvoi n° 19-12.145), la société Agora a exploité un point de vente de pizzas à emporter, en qualité de franchisée de la société Speed Rabbit Pizza (la société SRP), tandis que la société DPFC, filiale de la société Domino's Pizza France (la société Domino's Pizza), a exploité de 2002 à 2008 une activité identique, avant d'être dissoute en 2013, à la suite d'une transmission universelle de son patrimoine à la société Domino's Pizza.
2. Reprochant aux sociétés Domino's Pizza et DPFC des actes de concurrence déloyale du fait de l'octroi, par le franchiseur à son franchisé, de délais de paiement excessifs, la société Agora les a assignées en cessation de ces pratiques et paiement de dommages et intérêts. La société SRP est intervenue volontairement à la procédure au soutien des prétentions de la société Agora.
3. A titre reconventionnel, la société Domino's Pizza a demandé le paiement de dommages et intérêts du fait de l'obtention par les sociétés SRP et Agora et de la production, au cours de l'instance, de pièces couvertes par le secret des affaires.
Examen du moyen
Sur le moyen, en ce qu'il reproche à l'arrêt de rejeter pour le surplus les demandes formées par la société Domino's Pizza au titre de la violation du secret des affaires
4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, la recevabilité du moyen est examinée.
5. Les sociétés Agora et SRP sont sans intérêt à critiquer le chef de dispositif rejetant pour le surplus les demandes formées par la société Domino's Pizza au titre de la violation du secret des affaires.
6. Le moyen n'est donc pas recevable.
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, en ce qu'il reproche à l'arrêt de condamner in solidum les sociétés Agora et SRP à payer à la société Domino's Pizza la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi par cette dernière du fait de la violation du secret des affaires
Enoncé du moyen
7. Les sociétés Agora et SRP font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la société Domino's Pizza la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi par cette dernière du fait de la violation de ses secrets d'affaires, alors :
« 1°/ qu'est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ; que la pièce D3, qui, selon l'arrêt, serait protégée au titre du secret des affaires, consiste, ainsi qu'il l'indique, en un guide d'évaluation des points de vente de 2018 de 23 pages communiqué par Domino's Pizza à ses franchisés, qui contient de nombreux conseils à destination de ces derniers pour leur permettre d'améliorer la qualité de leur gestion et ainsi la rentabilité de leur point de vente" ; qu'en affirmant, pour retenir qu'elle bénéficierait d'une telle protection, par une simple reproduction du texte précité, que cette pièce n'est pas généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité, en l'espèce, la fabrication, la vente à emporter et la livraison à domicile de pizzas", énonciation d'ordre général dont il ne ressort pas que, concrètement, ce guide d'évaluation des points de vente ne serait pas aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 151-1 du code de commerce ;
2°/ qu'est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ; que la pièce D3, qui, selon l'arrêt, serait protégée au titre du secret des affaires, consiste, ainsi qu'il l'indique, en un guide d'évaluation des points de vente de 2018 de 23 pages communiqué par Domino's Pizza à ses franchisés, qui contient de nombreux conseils à destination de ces derniers pour leur permettre d'améliorer la qualité de leur gestion et ainsi la rentabilité de leur point de vente" ; qu'en affirmant, pour retenir qu'elle bénéficierait d'une telle protection, par une simple reproduction du texte précité, que cette pièce n'est pas généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité, en l'espèce, la fabrication, la vente à emporter et la livraison à domicile de pizzas", quand ce document est librement accessible sur Internet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 151-1 du code de commerce ;
3°/ qu'est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ; que la pièce D3, qui, selon l'arrêt, serait protégée au titre du secret des affaires, consiste, ainsi qu'il l'indique, en un guide d'évaluation des points de vente de 2018 de 23 pages communiqué par Domino's Pizza à ses franchisés, qui contient de nombreux conseils à destination de ces derniers pour leur permettre d'améliorer la qualité de leur gestion et ainsi la rentabilité de leur point de vente" ; qu'en se bornant à relever que ce document constituait un vecteur de transmission du savoir-faire distinctif et secret de Domino's Pizza", ce dont il ne ressort pas qu'il pourrait revêtir une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 151-1 du code de commerce ;
4°/ que l'obtention d'un secret des affaires est illicite lorsqu'elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu'elle résulte : 1° D'un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d'une appropriation ou d'une copie non autorisée de ces éléments ; 2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant qu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt que l'obtention de la pièce D3 par les sociétés SRP et Agora ait été illicite pour avoir été réalisée sans le consentement de son détenteur légitime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 151-4 du code de commerce ;
5°/ que l'obtention d'un secret des affaires est illicite lorsqu'elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu'elle résulte : 1° D'un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d'une appropriation ou d'une copie non autorisée de ces éléments ; 2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant qu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt que l'obtention de la pièce D3 par les sociétés SRP et Agora ait été illicite pour avoir résulté d'un accès non autorisé à ce document ou à un support le comportant, d'une appropriation ou d'une copie non autorisée de ces éléments, ou encore d'un comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 151-4 et L. 151-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. Ayant relevé, d'une part, que la pièce litigieuse D3 était un guide d'évaluation des points de vente pour l'année 2018, contenant de nombreux conseils pour permettre aux franchisés du réseau Domino's Pizza d'améliorer la qualité de leur gestion et la rentabilité de leur point de vente, d'autre part, que ce guide n'avait été adressé qu'aux membres de ce réseau et qu'il mentionnait, en bas de chacune de ses pages, son caractère strictement confidentiel ainsi que l'interdiction de toute communication en dehors du réseau, l'arrêt retient que ce document est un vecteur de transmission du savoir-faire distinctif du franchiseur et en déduit que les informations qu'il contenait avaient une valeur commerciale effective ou potentielle et n'étaient pas généralement connues ou aisément accessibles pour les personnes familières de ce type d'informations, dans le secteur d'activité de la fabrication et de la vente à emporter de pizzas.
9. En l'état de ces constations et appréciations, dont il résulte, d'une part, que la pièce D3 était protégée par le secret des affaires de la société Domino's Pizza, d'autre part, que les sociétés SRP et Agora savaient ou auraient dû savoir que ce document leur avait été remis sans le consentement de la société Domino's Pizza et en méconnaissance d'une obligation de confidentialité à laquelle étaient tenues les sociétés appartenant au réseau dirigé par ce franchiseur, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la deuxième branche, qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le moyen, pris en sa septième branche, en ce qu'il reproche à l'arrêt de condamner in solidum les sociétés Agora et SRP à payer à la société Domino's Pizza la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi par cette dernière du fait de la violation du secret des affaires
Enoncé du moyen
10. Les sociétés Agora et SRP font le même grief à l'arrêt, alors « que le secret des affaires n'est pas opposable lorsque l'obtention, l'utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l'Union européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national, notamment dans l'exercice des pouvoirs d'enquête, de contrôle, d'autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives ; qu'à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue : [...] 3° Pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national ; qu'en se prononçant de la sorte sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la production de la pièce D3 n'était pas faite pour la protection d'un intérêt légitime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 151-7 et L. 151-8 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 151-8, 3°, du code de commerce et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
11. Selon le premier de ces textes, à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national.
12. Il résulte du second que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments couverts par le secret des affaires, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
13. Pour condamner les sociétés SRP et Agora à des dommages et intérêts pour avoir produit, au cours de l'instance, une pièce protégée par le secret des affaires, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que la production de cette pièce constituerait une exception à la protection du secret des affaires prévues aux articles L. 151-7 et L. 151-8 du code de commerce, notamment qu'elle serait justifiée par la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national.
14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la pièce produite était indispensable pour prouver les faits allégués de concurrence déloyale et si l'atteinte portée par son obtention ou sa production au secret des affaires de la société Domino's Pizza n'était pas strictement proportionnée à l'objectif poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Com. 5 juin 2024 n° 22-11.499
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne et sursis à statuer
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 322 FS-D
Pourvoi n° D 22-11.499
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUIN 2024
1°/ La société Fauré Le Page Maroquinier, société par actions simplifiée,
2°/ la société Fauré Le Page [Localité 3], société par actions simplifiée,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° D 22-11.499 contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige les opposant à la société Goyard ST-Honoré, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Fauré Le Page Maroquinier et Fauré Le Page [Localité 3], de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Goyard ST-Honoré, et l'avis de Mme Texier, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires ; après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Sabotier, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mme Poillot-Peruzzetto, Mme Michel-Amsellem, Mme Trefigny, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mme Comte, Mme Bessaud, Mme Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, Mme Texier, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2021), rendu sur renvoi après cassation (Com., 27 juin 2018, rectifié par arrêt du 10 octobre 2018, pourvoi n° 16-27.856) et les productions, la société Maison Fauré Le Page, qui exerçait l'activité d'achat et de vente d'armes, de munitions et d'accessoires en cuir, exploitée à [Localité 3] depuis 1716 a fait l'objet d'une dissolution ayant entraîné le transfert universel de son patrimoine à son actionnaire unique, la société Saillard le 27 novembre 1992.
2. Le 5 juin 1989, la société Saillard avait déposé la marque française « Fauré Le Page » n° 134782, pour désigner notamment les produits « armes blanches ; armes à feu et leurs parties ; munitions et projectiles ; explosifs ; supports pour le tir ; cartoucheries ; cuir et imitations du cuir ; malles et valises ». Le 29 octobre 2009, la société Saillard a cédé cette marque à une société Fauré Le Page [Localité 3], nouvellement immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 14 octobre précédent.
3. Le 17 juin 2011, la société Fauré Le Page [Localité 3] a déposé les marques françaises « Fauré Le Page [Localité 3] 1717 » n° 3839809 et 3839811 pour désigner, notamment, en classe 18 les produits « cuir et imitations du cuir ; malles et valises ; sacs de voyage ; sacs à main ».
4. Le 26 octobre 2012, la société Goyard ST-Honoré, qui fabrique et commercialise des articles de voyage et de maroquinerie, a assigné la société Fauré Le Page [Localité 3] ainsi que la société Fauré Le Page maroquinier (les sociétés Fauré Le Page), cette dernière en sa qualité d'exploitante des marques « Fauré Le Page [Localité 3] 1717 », afin d'obtenir l'annulation de ces marques en raison de leur caractère trompeur.
5. Par un arrêt du 4 octobre 2016, la cour d'appel de Paris a rejeté cette demande. Cette décision a été cassée et annulée par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 27 juin 2018. Saisie sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Paris a, par l'arrêt attaqué du 23 novembre 2021, prononcé la nullité des marques « Fauré Le Page [Localité 3] 1717 » n° 3839809 et 3839811 en raison de leur caractère trompeur.
6. Cet arrêt retient que les termes « [Localité 3] 1717 » contenus dans les deux marques « Fauré Le Page [Localité 3] 1717 » évoquent les lieu et date de création de l'entreprise et amènent en particulier le public à croire à une continuité d'exploitation depuis 1717, ainsi qu'à une transmission de savoir-faire de l'ancienne Maison Fauré Le Page à la société Fauré Le Page [Localité 3], gage, dans l'esprit du public concerné, de qualité des produits sur lesquels ces marques sont apposées. L'arrêt ajoute que l'ancienne Maison Fauré Le Page, créée en 1716, a cessé son activité d'achat et de vente d'armes, munitions et accessoires en 1992, de sorte que la société Fauré Le Page [Localité 3], créée en 2009, n'a pas continué l'activité de l'ancienne Maison Fauré Le Page. L'arrêt fait enfin ressortir que le consommateur moyen des articles de maroquinerie de luxe, tels ceux commercialisés par les sociétés Fauré Le Page, fait de la mise en oeuvre d'un savoir-faire très ancien un élément déterminant de sa décision d'achat. L'arrêt en déduit que les marques sont de nature à entraîner un risque grave de tromperie du consommateur et doivent être annulées.
7. Les sociétés Fauré Le Page se sont pourvues en cassation contre cet arrêt.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Les sociétés Fauré Le Page font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des marques « Fauré Le Page [Localité 3] 1717 » n° 3839809 et 3839811 en raison de leur caractère trompeur, alors « qu'encourt l'annulation la marque de nature à tromper le public, non sur les qualités de son titulaire, mais sur les caractéristiques des produits ou des services désignés ; qu'en énonçant, pour retenir que les marques "Fauré Le Page 1717" étaient trompeuses, que la société Fauré Le Page [Localité 3], qui n'avait pas acquis l'activité de la maison Fauré Le Page fondée en 1717, ne pouvait se présenter comme son successeur, sans justifier d'une tromperie effective ou d'un risque de tromperie suffisamment grave, non sur les qualités de l'entreprise titulaire des marques litigieuses, mais sur les produits désignés par ces marques, la cour d'appel a violé l'article L. 711-3, c), du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques. »
Réponse de la Cour
9. Ce moyen pose la question de la conformité de l'arrêt de la cour d'appel avec les dispositions de l'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, dont les dispositions figurent désormais à l'article 20, sous b), de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.
10. Par avis du 25 mars 2024, la rapporteure a, sur le fondement de l'article 1015 du code de procédure civile, informé les parties que la chambre commerciale de la Cour de cassation pourrait saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'un renvoi préjudiciel en interprétation de cet article.
Rappel des textes applicables
11. Selon l'article L. 711-3, c), du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable au litige, ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.
12. Ce texte a successivement assuré la transposition des dispositions de l'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 89/104/CEE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, de l'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, puis de l'article 20, sous b), de la directive (UE) 2015/2436, en substance identiques.
13. Interprétant, dans son arrêt du 30 mars 2006, Emanuel (C-259/04), la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, la Cour de justice de l'Union européenne, après avoir rappelé que les cas de refus d'enregistrement visés par l'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 89/104 supposent que l'on puisse retenir l'existence d'une tromperie effective ou d'un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur, a jugé que, quand bien même un consommateur moyen pourrait être influencé dans son acte d'achat en imaginant que la personne physique dont le nom est enregistré en tant que marque a participé à la création du produit revêtu de la marque, cette circonstance ne peut être, à elle seule, de nature à tromper le public sur la nature, la qualité ou la provenance dudit produit (points 47 à 49).
Motifs justifiant le renvoi préjudiciel
14. La cour d'appel de Paris a jugé les marques « Fauré Le Page [Localité 3] 1717 » déceptives.
15. Cette décision retient qu'est trompeuse la communication, par le signe déposé à titre de marque, d'informations fausses sur l'entreprise, dont le consommateur moyen des produits ou services pour lesquels la marque a été enregistrée déduit que ceux-ci jouissent d'une qualité ou d'un prestige particuliers.
16. Une telle interprétation paraît compatible avec le caractère exemplatif de la liste de l'article 3, paragraphe 1, sous g) de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.
17. Un sondage produit aux débats devant la cour d'appel par la société Goyard ST-Honoré démontre également que l'ancienneté de l'entreprise revendiquée par une marque influence la décision d'achat du consommateur desdits produits, en particulier dans le secteur économique de la maroquinerie de luxe, de sorte que l'ancienneté de l'entreprise est une donnée importante pour le consommateur, dont la décision d'achat se trouve ainsi influencée par cette information. La mention de l'ancienneté de l'entreprise constitue par conséquent un facteur de ralliement de la clientèle et, partant, confère un avantage concurrentiel.
18. Or, il résulte des constatations souveraines de l'arrêt qu'en déposant les marques « Fauré Le Page » contenant la date 1717, les sociétés Fauré Le Page se présentent de manière mensongère comme étant les « successeurs » de l'ancienne maison Fauré Le Page.
19. Il est à cet égard rappelé que le précédent arrêt de la Cour de cassation dans cette affaire reprochait précisément à la cour d'appel de Paris de retenir cette qualité de « successeur » sans constater que la société Fauré Le Page [Localité 3] avait continué ou repris les activités de la société Saillard ou qu'elle serait aux droits de cette dernière, ni caractériser en quoi la seule cession de la marque « Fauré Le Page », déposée en 1989, donnait le droit à cette société de se prévaloir auprès du public de l'ancienneté de la Maison Fauré Le Page.
20. La Cour de cassation considère en effet que le caractère déceptif d'une marque ne se limite pas à un message trompeur sur les seules caractéristiques du produit ou du service ou certains d'entre eux, mais peut concerner les caractéristiques de l'entreprise titulaire de la marque elle-même, et en particulier son ancienneté, dès lors que le consommateur est susceptible de déduire de l'information fausse ainsi communiquée par la marque que le produit qui en est revêtu possède certaines qualités ou jouit d'un certain prestige, qualités et prestige pouvant influencer sa décision d'acquérir le produit.
21. Il est également rappelé que, dans son arrêt du 23 avril 2009, Copad (C-59/08), la Cour de justice de l'Union européenne a retenu, s'agissant de l'atteinte à la qualité des produits susceptible d'être reprochée à un licencié par le titulaire de la marque, que la qualité des produits de prestige ne résulte pas uniquement de leurs caractéristiques matérielles mais également de l'allure et de l'image de prestige que leur confère une sensation de luxe (points 24 à 26). On peut dès lors se demander si, à tout le moins dans le domaine des produits de luxe, lorsque la marque ou l'un de ses éléments confère aux produits qu'elle désigne une image de prestige influant sur la décision d'achat du consommateur de ces produits, il n'y a pas lieu à annulation de la marque si cet élément est faux.
22. Les sociétés Fauré Le Page soutiennent quant à elles que, pour être considérée comme déceptive, la marque doit être de nature à tromper le consommateur, non sur l'entreprise, mais sur la nature et les caractéristiques des produits ou des services désignés à l'enregistrement.
23. Elles font valoir que c'est ainsi que doit être compris l'arrêt Emanuel.
24. Elles ajoutent que, appliquant les dispositions de l'article 7, paragraphe 1, sous g), du règlement (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque de l'Union européenne, identiques, en substance, à celles de l'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, le Tribunal de l'Union européenne (TUE) juge que l'appréciation du motif absolu de refus tiré du caractère trompeur d'une marque ne peut être portée que par rapport aux produits ou aux services concernés, que la mise en oeuvre de ce motif implique une désignation suffisamment spécifique des caractéristiques potentielles des produits et des services couverts par la marque et que ce n'est que lorsque le consommateur visé est amené à croire que les produits ou les services possèdent certaines caractéristiques, qu'ils ne possèdent pas en réalité, qu'il est trompé par la marque [TUE, arrêts du 29 novembre 2018, Khadi and Village Industries Commission / EUIPO - BNP Best Natural Products (Khadi Ayurveda), T-683/17, point 53 ; du 29 juin 2022, Hijos de Moisés Rodríguez González / EUIPO - Irlande et Ornua (La Irlandesa 1943), T-306/20, points 56 et 57, et du 29 novembre 2023, Myforest Foods / EUIPO (MYBACON), T-107/23, points 29 et 30].
25. Il doit également être relevé que, tirant les conséquences de ces principes à propos d'une marque « Longwy [Localité 3] Maîtres artisans depuis 1798 » déposée par une société créée en 2000 pour désigner, notamment, les « articles de bijouterie-joaillerie ; articles de bijouterie semi-précieux ; articles de bijouterie-joaillerie avec pierres décoratives ; articles de bijouterie-joaillerie en alliage de métaux précieux », une division d'annulation de l'Office européen de la propriété intellectuelle (décision du 27 novembre 2019, n° 19646 C) a rejeté la demande d'annulation de cette marque en énonçant que le fait que le titulaire possède le titre de maître artisan depuis 1798, voire que son entreprise ait été créée en 1798, ne confère aucune caractéristique particulière aux produits et services et par conséquent ne crée aucune attente spécifique de la part du consommateur qui impliquerait l'existence d'une tromperie effective. Cette décision ajoute que la marque peut être perçue comme laudative tout au plus et, dans la mesure où la référence à cette date n'entre pas en contradiction avec la façon dont la liste des produits et services contestée est rédigée, elle est acceptable.
26. Les sociétés Fauré Le Page en déduisent que, ne décrivant aucune caractéristique spécifique des articles de maroquinerie désignés à l'enregistrement, les marques « Fauré Le Page [Localité 3] 1717 », qui tout au plus véhiculent une idée générale de qualité, ne peuvent être regardées comme trompeuses au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2008/95/CE.
27. L'avocate générale est d'avis de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle. Elle expose que la solution retenue par le TUE suscite des interrogations au regard des incidences que peut avoir la référence faite par une marque à l'ancienneté de l'entreprise. Elle évoque ainsi une étude relative à la perception de l'ancienneté de l'entreprise véhiculée par la marque d'où il résulte que, dans certains secteurs, l'ancienneté confère un avantage concurrentiel au fournisseur des produits ou des services et une survaleur à la marque pouvant revendiquer une telle ancienneté, en raison du savoir-faire et de la qualité attendus d'une continuité de l'entreprise par le consommateur des produits ou services concernés.
28. Il ne semble pas que la Cour de justice ait eu l'occasion d'approuver la jurisprudence du Tribunal de l'Union selon laquelle le motif de nullité tenant au caractère trompeur d'une marque implique une désignation suffisamment spécifique des caractéristiques potentielles des produits et des services couverts par la marque et ce n'est que lorsque le consommateur visé est amené à croire que les produits et les services possèdent certaines caractéristiques, qu'ils ne possèdent pas en réalité, qu'il est trompé par la marque.
29. Si son arrêt Emanuel, précité, est susceptible d'être interprété, ainsi que le font les requérantes, en ce sens que n'est pas trompeuse la marque qui induit le consommateur en erreur sur les qualités de l'entreprise qui fabrique les produits revêtus de la marque, il a néanmoins été rendu dans l'hypothèse particulière d'une marque constituée d'un nom de créateur, de sorte que des considérations propres à ce contexte peuvent expliquer la solution retenue.
30. En l'espèce, il résulte des appréciations souveraines des juges du fond que les marques « Fauré Le Page [Localité 3] 1717 » sont perçues comme revendiquant faussement, pour leur titulaire, une ancienneté de plusieurs siècles dans l'activité de maroquinier et que l'information erronée ainsi véhiculée est susceptible d'influencer la décision d'achat des consommateurs des produits qui sont revêtus de l'une de ces marques, dès lors que les consommateurs des articles de maroquinerie de luxe attachent de l'importance à l'histoire et à l'ancienneté de l'entreprise qui les commercialise.
31. La solution du litige dépend donc du point de savoir si ce constat suffit à retenir le caractère trompeur desdites marques, au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.
32. A cet égard, il convient, d'abord, de déterminer si le fait qu'une marque communique une information erronée concernant son titulaire de nature à influencer le consommateur moyen des produits et services couverts par cette marque suffit pour conclure à son caractère trompeur, ou si l'erreur provoquée doit porter sur des caractéristiques desdits produits ou services.
33. Ensuite, à supposer qu'une marque ne soit trompeuse que si elle porte sur des caractéristiques des produits ou services couverts par cette marque, le constat de sa déceptivité suppose-t-il que la marque constitue une désignation suffisamment spécifique des caractéristiques potentielles des produits ou des services couverts par la marque ?
34. Enfin, s'il est répondu à cette question par l'affirmative, il y a lieu de se demander si, notamment dans le domaine des produits de luxe, où l'histoire associée à la marque est un élément important d'attractivité des produits qui en sont revêtus, le fait que la marque attribue à son titulaire une importante ancienneté, et donc un savoir-faire éprouvé, dans la fabrication des produits couverts par la marque, constitue une désignation suffisamment spécifique des caractéristiques potentielles des produits couverts par la marque, que ceux-ci ne posséderaient pas.
Les questions préjudicielles
35. Se posent ainsi les questions suivantes :
1°) L'article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive n° 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que la mention d'une date de fantaisie dans une marque communiquant une information fausse sur l'ancienneté, le sérieux et le savoir-faire du fabricant des produits et, partant, sur une des caractéristiques non matérielles desdits produits, permet de retenir l'existence d'une tromperie effective ou un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur ?
2°) En cas de réponse négative à la première question, cet article doit-il être interprété en ce sens :
a) qu'une marque peut être considérée comme déceptive lorsqu'il existe un risque que le consommateur des produits et services qu'elle désigne croie que le titulaire de cette marque jouit d'une ancienneté séculaire dans la production de ces produits, leur conférant une image de prestige, alors que tel n'est pas le cas ?
b) que, pour que l'on puisse retenir l'existence d'une tromperie effective ou d'un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur, dont dépend le constat du caractère déceptif d'une marque, il faut que la marque constitue une désignation suffisamment spécifique des caractéristiques potentielles des produits et des services pour lesquels elle est enregistrée, de sorte que le consommateur visé soit amené à croire que les produits et les services possèdent certaines caractéristiques, qu'ils ne possèdent pas en réalité ?
Crim. 5 juin 2024 n° 22-86.412
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 22-86.412 F-D
N° 00734
MAS2 5 JUIN 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
Mme [D] [X], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 7e section, en date du 25 octobre 2022, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée des chefs d'usurpation d'identité, faux administratif et usage, corruption passive, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [D] [X], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 6 février 2017, Mme [D] [X], estimant qu'une personne avait argué de la filiation de son propre père pour obtenir à sa place la nationalité française, l'empêchant ainsi d'obtenir la reconnaissance de sa nationalité et d'en faire bénéficier ses enfants, a porté plainte et s'est constituée partie civile des chefs d'usurpation d'identité, faux administratif et usage et corruption passive.
3. Par réquisitoire introductif du 17 mars 2018, une information a été ouverte contre personne non dénommée des chefs d'usurpation d'identité, de faux et usage de faux dans un document administratif commis de manière habituelle.
4. Par ordonnance du 23 juin 2020, le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre. Mme [X] en a relevé appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu, alors :
« 2°/ que le point de départ du délai de prescription des faits dissimulés de corruption est reporté à la date où ceux-ci sont apparus et ont pu être constatés dans les conditions permettant l'exercice de l'action publique ; qu'en se bornant à juger, pour retenir que les faits de corruption active d'agent public dénoncés dans la plainte avec constitution de partie civile de Mme [X] étaient prescrits en 2011, que la prescription de cette infraction était de trois ans au moment des faits (entre 2002 et 2008) et qu'elle est consommée dès la conclusion du pacte de corruption, sans rechercher si Mme [X] avait pu avoir une connaissance effective de ces faits dans les conditions permettant l'exercice de l'action publique dès 2008, cependant que, comme elle le soulignait, l'administration n'avait accepté de lui communiquer qu'en mars 2014 la déclaration de reconnaissance de nationalité (son mémoire, p. 4), dont la falsification qu'elle avait alors découverte, révélait seule la corruption active d'agent public qui l'avait nécessairement permise, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
7. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, l'arrêt attaqué énonce que l'infraction de corruption est un délit dont la prescription était au moment des faits, selon l'ancien article 8 du code de procédure pénale, de trois ans et que le délit de corruption est une infraction instantanée, consommée dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu.
9. Les juges retiennent qu'aucune poursuite ne peut avoir lieu du chef de corruption passive dès lors que la prescription était acquise en 2011 et que la plaignante n'a déposé plainte qu'en 2015.
10. En statuant ainsi, sans répondre au moyen pris de ce que l'administration n'avait accepté de communiquer à Mme [X] la déclaration de reconnaissance de nationalité qu'en mars 2014, de sorte que l'intéressée n'avait pu avoir une connaissance effective de ces faits dans les conditions permettant l'exercice de l'action publique dès 2008, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit son appel mal fondé et a confirmé l'ordonnance de non-lieu, alors « la chambre de l'instruction ne peut relever d'office la prescription de l'action publique sans avoir permis aux parties d'en débattre ; qu'en déclarant, d'office, l'action publique prescrite pour les faits de faux et usage de faux dénoncés dans la plainte avec constitution de partie civile de Mme [X], sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale, ensemble l'article 8 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale :
13. Il résulte de ces textes que la chambre de l'instruction ne peut prononcer d'office la prescription de l'action publique sans avoir permis aux parties d'en débattre.
14. La chambre de l'instruction a, d'office et sans avoir invité les parties à présenter leurs observations, relevé la prescription de l'action publique relative aux faits de faux dans un document administratif commis de manière habituelle et usage dont le juge d'instruction était saisi.
15. En statuant ainsi, ladite chambre a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
16. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au non-lieu des chefs de corruption passive, de faux administratif et usage. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 5 juin 2024 n° 23-82.819
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 23-82.819 F-D
N° 00738
MAS2 5 JUIN 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
Mme [C] [I] et M. [Y] [G] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 7 décembre 2022, qui a condamné la première, pour prises illégales d'intérêts, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende, trois ans d'inéligibilité, le second, pour recel, aux mêmes peines.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [C] [I] et de M. [Y] [G], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [C] [I], maire de sa commune, et M. [Y] [G], son concubin, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, la première pour prises illégales d'intérêts, le second pour recel de ces prises illégales d'intérêts.
3. Les juges du premier degré les ont condamnés de ces chefs, chacun, à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et trois ans d'inéligibilité.
4. Les intéressés ont relevé appel de cette décision et le ministère public appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en ses autres branches, et le troisième moyen
Enoncé des moyens
6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [I] coupable du délit de prise illégale d'intérêts pour avoir pris part à la délibération du conseil municipal portant sur la cession du fonds de commerce de la société [2] et a spécifiquement pris en considération ces faits pour fixer le quantum des sanctions pénales qu'elle prononçait, alors :
« 3°/ que le délit de prise illégale d'intérêt suppose que l'agent public ait pris, reçu ou conservé un intérêt dans une entreprise ou dans une opération dont il a la charge ; qu'en retenant que « Monsieur [G] avait sans doute connaissance avant la délibération du 28 octobre 2016 du projet de vente de fonds et qu'il avait déjà commencé les pourparlers avant cette date » (arrêt, p. 8, § 3) et que « cette concordance entre la délibération du 28 octobre 2016, les pourparlers quasi immédiats, voir antérieurs et la cession actée en janvier 2017 sont autant d'éléments qui démontrent que (?) Madame [I] avait intérêt à cette délibération » (arrêt, p. 8, § 4), lorsque l'intérêt de la prévenue dans la cession du fonds de commerce ne pouvait exister qu'à la condition qu'elle ait eu, au moment de la délibération, connaissance du fait que la cession était susceptible d'être consentie au profit de la société [3], de sorte qu'il appartenait aux juges de déterminer avec certitude la date à laquelle les pourparlers entre la société [2] et la société [3] avaient débuté, la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs hypothétiques sur ce point a privé sa décision de base légale au regard des articles 432-12 Code pénal et 593 du Code de procédure pénale »
7. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable M. [G] du délit de recel de prise illégale d'intérêts, alors « que le délit de recel n'existe qu'autant qu'il existe une infraction principale punissable ; que la cassation à intervenir sur les premier et deuxième moyens de cassation, par lesquels il est reproché à la cour d'appel d'avoir déclaré Mme [I] coupable du délit de prise illégale d'intérêt, doit entraîner, faute d'infraction principale punissable, l'annulation par voie de conséquence du chef du dispositif de l'arrêt ayant déclaré M. [G] coupable de recel de ce délit. »
Réponse de la Cour
8. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
9. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour déclarer Mme [I] coupable de prise illégale d'intérêts pour avoir présidé le conseil municipal de sa commune du 28 octobre 2016 et pris part au vote de la délibération du même jour relative à la vente du fonds de commerce de la société [2], l'arrêt attaqué relève que cette commune a signé le 28 juin 2011 un bail commercial avec cette société afin que soit exercé un commerce de « bar restaurant » sur une parcelle appartenant à la commune.
11. Les juges ajoutent que la délibération du 28 octobre 2016 a approuvé à l'unanimité la vente de ce fonds de commerce. Ils indiquent toutefois que cette délibération était inutile puisqu'il n'appartenait pas à la commune de donner un avis sur cette cession et qu'on ne comprend donc pas la pertinence et l'intérêt de cette délibération, sauf pour acter de façon certaine et définitive la vente du fonds, laquelle sera ultérieurement réalisée au profit de M. [G], compagnon de Mme [I].
12. Ils relèvent encore que, par acte notarié du 30 janvier 2017, le fonds de commerce a été cédé par la société [2] à la société [3], présidée par M. [G], et que ce dernier a indiqué à la barre que les pourparlers relatifs à cette cession avaient duré quatre à cinq mois.
13. Ils indiquent que ces éléments démontrent que M. [G] avait sans doute connaissance avant la délibération du 28 octobre 2016 du projet de vente de fonds et qu'il avait déjà commencé les pourparlers avant cette date.
14. Ils en déduisent que la concordance entre la délibération, les pourparlers quasi immédiats, voire antérieurs, et la cession actée en janvier 2017 sont autant d'éléments qui démontrent qu'en vertu de son pouvoir de surveillance et d'administration, dont elle a fait usage lors de la délibération du 28 octobre 2016, Mme [I] avait un intérêt à cette délibération.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs hypothétiques, dès lors que la cour d'appel ne pouvait se fonder sur ce que M. [G] avait « sans doute » connaissance du projet de cession avant la délibération et que des pourparlers sur la cession avaient peut être débuté antérieurement à celle-ci, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs. Elle entraîne par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il a déclaré M. [G] coupable des faits de recel de la prise illégale d'intérêts commise par Mme [I] en prenant part à la délibération du conseil municipal portant sur la cession du fonds de commerce de la société [2].
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation à intervenir concerne toutes les dispositions à l'exception de celles relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [I] pour les faits de prise illégale d'intérêts commis le 27 novembre 2018 en signant en qualité de maire de sa commune des concessions de plage au profit de la société [3] et de la société [1] et de celles relatives à la déclaration de culpabilité de M. [G] pour recel de cette prise illégale d'intérêts.
Civ.1 5 juin 2024 n° 23-10.512
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 306 F-D
Pourvoi n° B 23-10.512
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
M. [V] [E], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 23-10.512 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2022 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel d'Agen, domicilie en son parquet général, cour d'Appel d'Agen, place Armand Fallières, 47000 Agen,
2°/ à la chambre interdépartementale des notaires du Gers, Lot et Lot-Et-Garonne, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de son président en exercice, M. [M] [U], domicilié en cette qualité audit siège,
3°/ à M. [R] [W], domicilié [Adresse 2], pris en sa qualité de président de la chambre interdépartementale des notaires du Lot, Lot-et-Garonne et Gers en sa formation disciplinaire,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SARL Gury & Maitre, avocat de M. [E], de la SARL Cabinet Briard, avocat de la chambre interdépartementale des notaires du Gers, Lot et Lot-Et-Garonne, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 14 novembre 2022), le 19 mars 2021, des poursuites disciplinaires ont été engagées par le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Auch contre M. [E], notaire, à la suite d'une inspection ayant révélé l'inscription du paiement d'une dette fiscale personnelle sur le compte de charges de l'office.
2. La chambre interdépartementale des notaires du Gers, Lot et Lot-et Garonne (la chambre interdépartementale des notaires) est intervenue volontairement à l'instance, soutenant que la faute disciplinaire était constituée et demandant l'indemnisation de divers dommages.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. M. [E] fait grief à l'arrêt de prononcer à son encontre la sanction disciplinaire de l'avertissement, alors « que seules peuvent être prononcées les peines disciplinaires prévues par les lois et règlements et que la sanction de l'avertissement créée par l'article 16 de l'ordonnance n°2022-544 du 13 avril 2022 n'est pas applicable à une procédure disciplinaire engagée antérieurement au 1er juillet 2022, selon l'article 40 de ladite ordonnance ; qu'en prononçant la sanction de l'avertissement en l'espèce, quand la procédure disciplinaire a été engagée par acte du 19 mars 2021, la cour d'appel a violé les textes susvisés et commis un excès de pouvoir. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La chambre interdépartementale des notaires conteste la recevabilité du moyen qui est, selon elle, nouveau et mélangé de fait.
6. Cependant, le moyen est de pur droit.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 16, I, et 40, alinéas 1 et 3, de l'ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels :
8. Selon le premier de ces textes, sans préjudice des peines qui sont prononcées en application de l'article L. 561-36-3 du code monétaire et financier, les peines disciplinaires qui peuvent être prononcées contre un notaire, personne physique ou morale, sont : 1° l'avertissement ; 2° le blâme ; 3° l'interdiction d'exercer à titre temporaire pendant une durée maximale de dix ans ; 4° la destitution, qui emporte l'interdiction d'exercice à titre définitif ; 5° le retrait de l'honorariat.
9. Selon le second, l'ordonnance entre en vigueur le 1er juillet 2022 et ses dispositions sont applicables aux procédures disciplinaires engagées postérieurement à son entrée en vigueur.
10. Pour sanctionner la faute commise par M. [E], l'arrêt prononce la peine disciplinaire de l'avertissement en application de l'ordonnance susvisée.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle était saisie de poursuites engagées antérieurement à l'entrée en vigueur de cette ordonnance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation de l'arrêt du chef de dispositif relatif à la peine disciplinaire prononcée n'entraîne pas la cassation de la disposition condamnant M. [E] à réparer un préjudice d'atteinte à l'image de sa profession résultant de manquements à ses obligations professionnelles, en l'absence de lien de dépendance nécessaire entre ces dispositions.
Crim. 5 juin 2024 n° 23-80.048
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 23-80.048 F-D
N° 00736
MAS2 5 JUIN 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
M. [T] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 14 décembre 2022, qui, pour banqueroute, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis, l'interdiction définitive de gérer et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. [T] [Y], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la SCP [2], représenté par M. [O] [W], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société [3], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [T] [Y] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour banqueroute par tenue d'une comptabilité fictive, emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, et détournement ou dissimulation d'actif, au préjudice de la société [3].
3. Par jugement du 9 septembre 2021, il a été partiellement relaxé des faits de banqueroute par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, et déclaré coupable du surplus des faits poursuivis.
4. Le prévenu a été condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et 500 000 euros d'amende, et le tribunal a prononcé sur les intérêts civils.
5. Le prévenu puis le ministère public ont interjeté appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen, pris en sa second branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable du délit de banqueroute par tenue d'une comptabilité irrégulière, par moyens ruineux de se procurer des fonds et par détournement d'actif, l'a, en répression, condamné à un emprisonnement délictuel de trente mois assorti du sursis et à une interdiction définitive d'exercer une activité commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise et, sur l'action civile, l'a condamné à payer à la partie civile la somme de 3 035 037 euros en réparation de son préjudice matériel, alors :
« 2°/ que le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs; qu'en déduisant l'élément matériel du délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux de la souscription de découverts bancaires, de billets à ordre et d'un prêt consenti par le prévenu à la société [3], sans constater le caractère ruineux de ces actes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 654-2 du code de commerce et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour déclarer le prévenu coupable de banqueroute par moyen ruineux pour se procurer des fonds, l'arrêt attaqué relève que le prévenu ne saurait se prévaloir de la complaisance des établissements bancaires, dont il convient de relever qu'il les a multipliés, pour se faire consentir en pleine période suspecte et successivement trois billets à ordre et deux découverts bancaires pour abonder une trésorerie exsangue.
9. Les juges précisent que la situation financière de la société [3] en a été considérablement aggravée.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs dont il résulte que les moyens de financement auxquels le prévenu a eu recours présentaient un caractère ruineux au regard de la situation de la société [3], la cour d'appel a justifié sa décision.
11. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable du délit de banqueroute par tenue d'une comptabilité irrégulière, par moyens ruineux de se procurer des fonds et par détournement d'actif, l'a, en répression, condamné à un emprisonnement délictuel de trente mois assorti du sursis et à une interdiction définitive d'exercer une activité commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise et, sur l'action civile, l'a condamné à payer à la partie civile la somme de 3 035 037 euros en réparation de son préjudice matériel, alors « qu'en déduisant l'élément matériel du délit de banqueroute par détournement d'actif de la prise en charge par la société [3] des loyers d'un logement occupé à titre personnel par M. [Y] et des factures afférentes à l'achat de mobilier garnissant ce logement, sans s'expliquer sur le moyen selon lequel l'ensemble desdits frais ont été pris en charge non par la société [3] mais par la société [1], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
13. Pour déclarer le prévenu coupable de banqueroute par détournement d'actif, pour avoir fait louer par la société [3], à des fins personnelles, un appartement situé à Paris, et en faisant financer par la société le mobilier le garnissant, l'arrêt attaqué retient que, si le prévenu minimise volontiers ces faits, force est de constater qu'il a été dans l'incapacité d'apporter une justification tangible à la location de cet appartement, alors même que l'entreprise qu'il dirigeait était établie à Verneuil d'Avre et d'Iton (27), les arguments ayant trait à l'impossibilité supposée pour une personne morale étrangère, la société [1], de prendre à bail cet appartement étant dépourvus de crédibilité.
14. Les juges ajoutent que les honoraires de commercialisation, d'un montant de 12 168 euros, ont été réglés à une agence immobilière de prestige par la société [3] et indûment comptabilisés en dépôt de garantie, que la location a ensuite été gérée par une autre société à laquelle la société [3] a acquitté les frais de rédaction d'acte de 420 euros, le dépôt de garantie de 16 900 euros et les loyers, d'un montant mensuel de 8 450 euros, outre les charges et taxes de septembre 2015 à juin 2016.
15. Ils énoncent encore que la société [3] a aussi financé une partie du mobilier garnissant cet appartement, pour un montant de 32 598,50 euros, certaines factures mentionnant le faux libellé « Agencement bureaux ».
16. Ils précisent enfin que le prévenu reconnaît les faits et est dans l'incapacité d'avancer quelque explication que ce soit s'agissant de l'imputation à la société [3] des frais de meubles meublants et de décoration de l'appartement.
17. En se déterminant ainsi, dès lors que, d'une part, elle a constaté que la société [3] a versé le dépôt de garantie afférent à la location de l'appartement litigieux et financé une partie du mobilier le garnissant, d'autre part, à la supposer établie, la prise en charge des loyers par la société [1] au moyen de son compte courant d'associé est sans emport sur la caractérisation du délit poursuivi, constitué par le seul fait pour le prévenu d'avoir, alors que la société [3] était en état de cessation des paiements, disposé de ses biens à des fins personnelles, la cour d'appel a suffisamment justifié sa décision.
18. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable du délit de banqueroute par tenue d'une comptabilité irrégulière, par moyens ruineux de se procurer des fonds et par détournement d'actif, l'a, en répression, condamné à un emprisonnement délictuel de trente mois assorti du sursis et à une interdiction définitive d'exercer une activité commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise et, sur l'action civile, l'a condamné à payer à la partie civile la somme de 3 035 037 euros en réparation de son préjudice matériel, alors « qu'en retenant la culpabilité du chef du délit de banqueroute par comptabilité fictive, sans répondre à l'articulation essentielle des conclusions d'appel du prévenu selon laquelle, s'agissant de la valorisation des stocks, les faits reprochés portaient, au moins en partie, sur une période antérieure àla prévention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 388 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
20. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
21. Pour déclarer le prévenu coupable de banqueroute par comptabilité fictive, l'arrêt attaqué constate notamment qu'à son arrivée, la directrice financière de la société a procédé à un inventaire du stock dont la valeur totale était estimée à 5 244 000 euros et a constaté un écart dans l'évaluation des stocks de l'ordre de 926 000 euros, le commissaire aux comptes validant le passage de cette somme en pertes exceptionnelles.
22. Les juges en déduisent, par motifs propres et adoptés, que les déclarations du témoin que le prévenu a fait citer devant la cour d'appel sont insusceptibles de remettre en cause les constats de l'enquête, l'ancien commissaire aux comptes de la société ayant expressément indiqué qu'il n'entrait pas dans sa mission de s'assurer d'une valorisation exacte des stocks, de même que, s'agissant d'une entreprise produisant des produits destinés à l'alimentation humaine, spécialement infantile, les explications du prévenu sur les dépréciations liées ou non à une péremption des stocks présentée comme réversible ne laissent pas d'interroger sur les approximations de son approche comptable de la production du site industriel dont il avait la responsabilité.
23. En se déterminant ainsi, sans répondre au moyen pris de ce que les erreurs de stocks avaient été commises en 2012 et avaient donné lieu à une régularisation comptable au plus tard au début du mois d'avril 2013, ainsi que cela ressortait d'un courriel du 12 avril 2013, en sorte que ces faits, à les supposer commis, l'avaient été antérieurement au début de la période de prévention, soit le 28 avril 2013, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
24. La cassation est par conséquent encourue.
Civ.1 5 juin 2024 n° 22-24.462 B
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 311 F-B
Pourvoi n° U 22-24.462
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
M. [L] [Y], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° U 22-24.462 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Actis, mandataire judiciaire, prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Lobster films, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Actis, mandataire judiciaire, prise en la personne de M. [A] [T] [F], en qualité de liquidateur de la société Lobster films, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société Ascagne AJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, prise en la personne de Mme [H] [I], désignée en qualité d'administrateur avec mission d'assistance, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Y], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Actis, ès qualités, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 septembre 2022), la société Lobster films a confié l'écriture et l'enregistrement de la bande sonore d'un documentaire consacré au film inachevé d'[N] [V] intitulé « L'Enfer » à M. [Y] et conclu, en avril 2009, avec celui-ci un contrat de commande et un contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale.
2. Au cours de l'année 2018, à la suite de la transmission par M. [Y] d'une proposition d'achat de droits d'exploitation d'un extrait de cette oeuvre musicale émanant d'une agence de publicité new-yorkaise en vue d'illustrer des films publicitaires pour [D] [C], la société Lobster films a accordé à cette agence une licence d'exploitation.
3. Le 22 février 2019, M. [Y], estimant, d'une part, que cette utilisation de son oeuvre constituait une altération de celle-ci et avait donné lieu à une rémunération insuffisante, d'autre part, que la société Lobster films n'avait pas satisfait à son obligation d'exploitation et de lui rendre des comptes, a assigné celle-ci en résiliation des contrats de commande et de cession et d'édition et paiement d'indemnités.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. M. [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires au titre de sa rémunération d'auteur et d'artiste-interprète de la musique enregistrée pour le film publicitaire d'[D] [C] et au titre de l'atteinte au droit moral d'auteur et d'artiste-interprète, alors :
« 1°/ que l'utilisation d'une oeuvre musicale à des fins d'illustration d'un film publicitaire constitue une adaptation à destination audiovisuelle qui doit faire l'objet d'un accord écrit de l'auteur sur l'adaptation envisagée ; qu'en considérant qu'un simple email, aux termes duquel M. [Y] ne donnait qu'un accord de principe à l'utilisation de sa musique pour "des spots publicitaires pour [C]", valait accord exprès de l'auteur à l'adaptation de sa musique pour la sonorisation des vidéos publicitaires [C], la cour d'appel a violé l'article L. 131-3, alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ qu'il résulte des propres constatations de la cour d'appel que l'article 3 du contrat de commande de musique originale, intitulé "Autorisation d'exploitation", stipule que "le producteur ne pourra en aucun cas utiliser la musique objet du présent accord en association avec des images n'appartenant pas au film, sauf accord écrit du compositeur" ; qu'en retenant qu'un simple email valait "accord écrit" de M. [Y] à l'exploitation et à l'adaptation de son oeuvre pour le film publicitaire de la marque [D] [C], la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel, ayant examiné les dispositions du contrat de commande, a retenu que les parties avaient prévu la possibilité d'exploitations secondaires de la musique, et notamment la sonorisation d'un film publicitaire sous réserve de l'accord écrit du compositeur, que l'exploitation litigieuse de l'oeuvre consistait en une telle opération de sonorisation et que, dans un courriel du 1er juin 2018, M. [Y] avait donné son accord pour cette sonorisation.
7. C'est donc à bon droit qu'elle a écarté l'application les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle et les demandes indemnitaires de M. [Y].
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. M. [Y] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le respect dû à l'oeuvre et à son interprétation en interdit toute altération ou modification quelle qu'en soit l'importance ; que l'inaliénabilité du droit au respect de l'oeuvre, principe d'ordre public, s'oppose à ce que l'auteur ou l'artiste-interprète abandonne au cessionnaire, de façon préalable et générale, l'appréciation exclusive des utilisation, diffusion, adaptation, retrait, adjonction et changement auxquels il plairait à ce dernier de procéder ; que pour débouter M. [Y] de ses demandes au titre de l'atteinte au droit moral d'auteur et d'artiste interprète, l'arrêt, après avoir énoncé que l'exploitation d'une musique de film n'est de nature à porter atteinte au droit moral de l'auteur qu'autant qu'elle risque d'altérer l'oeuvre ou de déconsidérer l'auteur, retient d'une part que la découpe de la musique ne porte pas atteinte à l'intégrité de l'oeuvre de M. [Y] dès lors qu'il a contractuellement autorisé l'utilisation secondaire d'extraits de la musique pour la sonorisation de films publicitaires par essence de courte durée et d'autre part que la suppression de la fin d'une phrase mélodique, l'adjonction d'un "reverb" et d'un bruitage ne constituent pas davantage une dénaturation ou un détournement de l'oeuvre ou de son interprétation, les vidéos incriminées reprenant l'univers sensuel et aquatique de l'oeuvre originale et l'association du nom de M. [Y] à celui de la marque [C], créateur réputé dans le domaine du luxe, étant exempte de toute circonstance dévalorisante pour l'oeuvre, son auteur ou son interprète ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 121-1 et L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
10. C'est, d'abord, à bon droit que la cour d'appel a énoncé que l'exploitation d'une musique de film n'est de nature à porter atteinte au droit moral de l'auteur, y ayant consenti, qu'autant qu'elle risque d'altérer l'oeuvre ou de déconsidérer celui-ci.
11. Après avoir retenu, ensuite, que M. [Y] avait autorisé l'utilisation secondaire d'extraits de la musique pour la sonorisation de films publicitaires, par essence de courte durée, impliquant donc des coupes de l'oeuvre musicale, que la suppression de la fin d'une phrase mélodique, l'adjonction d'un « reverb » et d'un bruitage ne constituaient pas une dénaturation ou un détournement de l'oeuvre ou de son interprétation et que, les vidéos incriminées, reprenant l'univers sensuel et aquatique de l'oeuvre originale et associant [D] [C], créateur réputé dans le domaine du luxe, étaient exemptes de toute circonstance dévalorisante pour l'oeuvre, son auteur ou son interprète, la cour d'appel n'a pu qu'écarter comme non caractérisées les atteintes invoquées au droit de l'auteur au respect de son oeuvre et au droit de l'artiste au respect de son interprétation.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
13. M. [Y] fait grief à l'arrêt de déclarer prescrites ses demandes aux fins de résiliation du contrat de commande de musique originale de « L'enfer de [N] [V] » et du contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale, pour défaut de reddition des comptes, et d'allocation de dommages-intérêts de ce chef et pour défaut d'exploitation, et d'allocation de dommages-intérêts de ce chef, alors « que l'éditeur est tenu, pendant toute la durée d'exécution du contrat, d'une part d'assurer à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale conformément aux usages de la profession et d'autre part de rendre compte à l'auteur au moins une fois l'an ; qu'à supposer même que la prescription interdise la prise en compte de manquements couverts par elle, l'auteur demeure recevable à demander la résolution du contrat d'édition pour des manquements de l'éditeur à ses obligations au cours de la période non couverte par la prescription ; qu'en déclarant prescrites les demandes de résiliation du contrat d'édition et du contrat de commande pour défaut d'exploitation et pour défaut de reddition des comptes aux motifs que M. [Y] avait connaissance des manquements de la société Lobster au sujet de l'exploitation de son oeuvre depuis 2011 et qu'il n'avait émis aucune contestation sur l'absence de reddition des comptes avant son assignation du 22 février 2019, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si ces manquements se sont poursuivis pendant la période non prescrite, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 132-12 et L. 132-13 du code de la propriété intellectuelle :
14. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
15. Cependant, dès lors que l'éditeur est tenu, selon le deuxième, d'assurer à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie ainsi qu'une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession et, selon le troisième, de rendre compte au moins une fois par an, des manquements prolongés de l'éditeur à ses obligations au cours des cinq années précédant l'assignation peuvent justifier une résolution de contrat conclu avec l'auteur.
16. Pour déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de M. [Y] en résiliation des contrats et paiement de dommages et intérêts, l'arrêt retient qu'il n'a formé aucune récrimination à l'encontre de la société Lobster films au sujet des modalités d'exploitation de son oeuvre ni engagé à son encontre aucune action avant l'assignation introductive du 22 février 2019, alors qu'il avait connaissance des manquements allégués de cette société depuis 2011 et qu'il n'a émis aucun grief au titre du défaut de reddition de comptes avant l'assignation, alors que l'article 6 du contrat de commande précise que le compositeur peut demander une fois par an la communication de tous justificatifs.
17. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les manquements imputés à la société Lobster films ne s'étaient pas poursuivis pendant la période non prescrite, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation des chefs de dispositif déclarant prescrites les demandes de M. [Y] aux fins de résiliation du contrat de commande ainsi que de cession et d'édition de la musique originale de « L'enfer de [N] [V] » pour défaut de reddition des comptes et défaut d'exploitation, et d'allocation de dommages-intérêts de ces chefs, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant M. [Y] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
Civ.1 5 juin 2024 n° 23-12.525 B
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 304 FS-B
Pourvoi n° Q 23-12.525
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
Mme [W] [I], domiciliée [Adresse 2] (Belgique), a formé le pourvoi n° Q 23-12.525 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l'opposant à la société Lagardere Media News, société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [I], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Lagardere Media News, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Jessel, M. Mornet, Mme Kerner-Menay, Mme Bacache-Gibeili, conseillers, Mme de Cabarrus, Mme Dumas, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 novembre 2022), Mme [I], soutenant que l'article intitulé « [U] [S] visé par une plainte pour viol », comportant le sous-titre « Une liaison épisodique avec [U] [S] », publié le 19 mai 2018 par le Journal du Dimanche sur son site internet, relatant la plainte pour viol qu'elle avait déposée contre M. [S] et illustré par une photographie les montrant côte à côte, portait atteinte à l'intimité de sa vie privée et à son droit à l'image, a assigné la société Lagardère Media News, éditrice du journal, en suppression de cet article et réparation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
2. Mme [I] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que, devant les juges du fond, Mme [I] avait expressément fait valoir que la publication de l'article litigieux ne pouvait être utilement mise en parallèle avec les mouvements #balancetonporc et #metoo dès lors que le principe même de ces deux mouvements repose sur la dénonciation publique de leurs agresseurs par les victimes quand, au contraire, Mme [I], qui avait saisi la justice d'une plainte pénale, n'avait pas saisi le tribunal médiatique, seul le JDD ayant publié l'information que Mme [I] voulait garder secrète ; qu'en l'espèce, en retenant que « cet article s'inscrit dans le contexte des mouvements #balancetonporc et #metoo (?) » pour en déduire que « de fait, il s'inscrit dans un débat d'intérêt général majeur » et pour écarter, en conséquence, toute atteinte illégitime à la vie privée de Mme [I] sans répondre aux conclusions de celle-ci invoquant une différence essentielle dans la démarche faite par les victimes, à savoir pour les unes, de porter au grand jour les comportements à connotation sexuelle et non consentis dans le cadre de relations professionnelles et, pour l'autre [Mme [I]], la volonté de rester anonyme en ne révélant pas publiquement les faits litigieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
3. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Un défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
4. Pour rejeter les demandes de Mme [I], l'arrêt retient que l'article s'inscrit dans un débat d'intérêt général majeur relatif aux comportements à connotation sexuelle et non consentis intervenant dans le cadre de relations professionnelles, que, loin de chercher à satisfaire la curiosité d'un certain lectorat, il vise à informer le public d'une nouvelle plainte relative à un viol commis dans le milieu du cinéma, impliquant un producteur mondialement connu, sur fond d'un chantage à l'emploi dans la perspective de la carrière, qu'il adopte un ton particulièrement neutre, ayant soin d'employer le conditionnel et se conclut sur les interrogations du milieu du cinéma sur d'éventuelles plaintes susceptibles d'être déposées par d'autres actrices.
5. En statuant ainsi, alors que l'identité d'une plaignante, souhaitant rester anonyme, ne peut être révélée que si cette information contribue à nourrir le débat d'intérêt général, la cour d'appel, qui n'a pas répondu aux conclusions de Mme [I], qui soutenait qu'elle n'avait pas souhaité médiatiser l'affaire à la différence des victimes s'inscrivant dans les mouvements #balancetonporc et #metoo mais saisir la justice d'une plainte en conservant l'anonymat, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Crim. 5 juin 2024 n° 22-87.030
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 22-87.030 F-D
N° 00740
MAS2 5 JUIN 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
M. [S] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 14 novembre 2022, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, l'interdiction définitive de gérer et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [S] [N], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques et de la direction départementale des finances publiques de l'Isère, et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 23 mars 2021, M. [S] [N] a été condamné pour fraudes fiscales à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à l'interdiction définitive d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société.
3. Le prévenu, le procureur de la République et l'administration fiscale ont interjeté appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [N], à titre de peine complémentaire, l'interdiction définitive d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société, alors :
« 1°/ qu'en condamnant M. [N], à titre de peine complémentaire, à l'interdiction définitive de diriger, administrer, gérer ou contrôler toute entreprise ou toute société, quand l'article 1750 du code général des impôts, applicable au délit de fraude fiscale pour lequel le prévenu était poursuivi, limite une telle interdiction aux seules « entreprises commerciales ou industrielles » et aux seules « sociétés commerciales », la cour d'appel a appliqué à M. [N] une peine qui n'était pas prévue par la loi et a, ainsi, violé l'article 1113 du code pénal et le principe selon lequel nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
2°/ qu'en condamnant M. [N], par confirmation du dispositif du jugement entrepris, à titre de peine complémentaire, à l'interdiction définitive, non seulement de gérer une société ou une entreprise, mais aussi d'exercer une profession commerciale ou industrielle, quand il résultait de ses propres motifs que le jugement ne devait être confirmé que « sur la peine complémentaire d'interdiction définitive de gérer toute société », la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre le dispositif et les motifs de sa décision en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 111-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
5. Selon le premier de ces textes, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.
6. Il résulte du second que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
7. Après l'avoir déclaré coupable de fraude fiscale, l'arrêt attaqué confirme le jugement qui a condamné le prévenu à titre de peine complémentaire à une interdiction définitive d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société.
8. En prononçant ainsi alors que, d'une part, les motifs de la décision ne mentionnent pas d'interdiction professionnelle, d'autre part, l'article 1750 du code général des impôts, applicable aux délits reprochés, limite l'interdiction de gérer aux entreprises commerciales ou industrielles et aux sociétés commerciales, la cour d'appel, qui s'est contredite et a prononcé une peine qui n'est pas prévue par la loi, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
9. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation sera limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure.
Crim. 5 juin 2024 n° 22-85.326
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 22-85.326 F-D
N° 00735
MAS2 5 JUIN 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
M. [G] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, en date du 29 juin 2022, qui, pour escroquerie, faux et usage, blanchiment, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction de gérer, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [G] [L], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une Caisse régionale du crédit agricole (CRCA) a dénoncé au procureur de la République la commission de faits, qui pourraient être délictueux et dont elle a estimé être victime, après que ses services de contrôle ont découvert, dans une agence, que vingt-deux prêts à des particuliers pour l'achat de biens immobiliers ont été accordés à partir de faux documents.
3. Au terme de ses investigations, la CRCA a mis à jour qu'au moins deux dossiers ont paru provenir de mise en relation par l'intermédiaire d'apporteurs d'affaires ou de courtiers, dont M. [G] [L], et que cinq demandes, présentées dans des conditions comparables, n'ont pas abouti.
4. Le procureur de la République a requis l'ouverture d'une information à l'issue de laquelle M. [L], notamment, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel.
5. Par un jugement du 18 février 2021, il a été relaxé pour faux, et déclaré coupable de faits constitutifs d'usage de faux, de blanchiment et d'escroquerie.
6. Le prévenu et le ministère public ont interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [L] coupable d'escroquerie, de faux, usage de faux et blanchiment dans les termes de la prévention et a en conséquence prononcé sur la peine et les intérêts civils, alors « que le juge répressif doit se prononcer sur tous les faits visés à la prévention par des motifs permettant de connaître précisément ceux qu'il tient pour établis ; qu'en déclarant M. [L] coupable de l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés « dans les termes de la prévention », laquelle visait indistinctement « des prêts », sans identifier les dossiers pour lesquels l'intervention de M. [L] était établie ni prononcer de relaxe partielle pour ceux à l'égard desquels elle relevait qu'il n'était pas intervenu (arrêt, p. 26, al. 6), la cour d'appel, dont le dispositif contredit les motifs, a violé, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
8. Selon ce texte, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. La contradiction entre les motifs et le dispositif d'un arrêt équivaut à un défaut de motifs.
9. Pour déclarer le prévenu coupable des faits constitutifs de faux, d'usage de faux, d'escroquerie et de blanchiment par concours à une opération de placement du produit direct des infractions précédentes, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que si l'enquête a partiellement confirmé les dires du prévenu qui conteste avoir falsifié des documents, puisque six acquéreurs n'ont pas reconnu M. [L] sur photographie puis ont confirmé leurs déclarations lors des confrontations devant le magistrat instructeur, neuf autres acquéreurs l'ont formellement identifié comme étant le courtier auquel ils ont remis les documents nécessaires à la constitution de leurs dossiers de prêt immobilier.
10. Les juges ajoutent que M. [L] a transmis un certain nombre de dossiers, à la falsification desquels il a activement participé, au directeur de l'agence du crédit agricole qui a ainsi pu valider lesdits dossiers et octroyer l'emprunt sollicité et que l'intéressé a agi dans le seul objectif de convaincre l'établissement bancaire d'accorder un crédit immobilier aux personnes qu'il représentait et desquelles il a pu percevoir une rémunération.
11. En statuant par ces motifs dont il ressort que le prévenu ne peut se voir imputer certains des faits reprochés tout en déclarant, dans son dispositif, M. [L] coupable des infractions susvisées dans les termes de la prévention, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Com. 5 juin 2024 n° 23-15.741 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 321 FS-B
Pourvoi n° K 23-15.741
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUIN 2024
La société Century 21 France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 23-15.741 contre l'arrêt rendu le 8 février 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Fortis immo, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Fortis immo transaction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Team France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], dont le nom commercial est Keller Williams France,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Century 21 France, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés Fortis immo, Fortis immo transaction et Team France, et l'avis de Mme Texier, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Michel-Amsellem, Sabotier, Tréfigny, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mmes Comte, Bessaud, M. Regis, conseillers référendaires, Mme Texier, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 février 2023), en 1993, la société Fortis immo, qui exerce dans le domaine des transactions immobilières et de la gestion immobilière, a conclu avec la société Century 21 France (la société Century 21), exploitant un réseau de franchise d'agences immobilières et de cabinets d'administration de biens, un premier contrat de franchise pour une agence située dans le 1er arrondissement de Paris. Elle a ensuite signé avec la même société quatre contrats de franchise pour d'autres agences également situées dans le centre de [Localité 5]. Ces contrats ont été conclus ou renouvelés entre 2014 et 2017.
2. Par lettre du 12 mars 2019, la société Fortis immo a résilié les contrats de franchise. La cessation des relations a pris effet le 31 août 2019.
3. La société Fortis immo a apporté son activité « transaction immobilière » à la société Fortis immo transaction par contrat d'apport partiel d'actif du 9 mai 2019.
4. Les sociétés Fortis immo et Fortis immo transaction ont adhéré au réseau Keller William, exploité en France par la société Team France.
5. Après mise en demeure restée vaine, la société Century 21 a assigné les sociétés Fortis immo, Fortis immo transaction et Team France afin d'obtenir la cessation de leurs relations commerciales et le versement d'une indemnité contractuelle pour violation des clauses de non-réaffiliation insérées aux contrats. Les sociétés Fortis immo, Fortis immo transaction et Team France ont contesté la validité desdites clauses.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société Century 21 fait grief à l'arrêt de dire que les agences immobilières sont des commerces de détail pour l'application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de commerce, de dire que l'article 17 « Non affiliation » tel que rédigé dans chacun des contrats de franchise doit être déclaré nul et réputé non écrit, car contrevenant aux dispositions d'ordre public de l'article L. 341-2 du code de commerce, de rejeter l'intégralité de ses demandes et de la condamner à verser aux sociétés Fortis immo, Fortis immo transaction et Team France la somme de 20 000 euros chacune, alors « qu'une activité de service ne peut être qualifiée de commerce de détail, en l'absence de vente de marchandises à des consommateurs ; qu'en jugeant que les agences immobilières devaient être qualifiées de commerces de détail, et entraient par conséquent dans le champ d'application des dispositions du code de commerce sur les réseaux de distribution commerciale, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. En premier lieu, le moyen, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer nul et réputer non écrit l'article 17 des contrats de franchise des 29 janvier 2014, 8 janvier 2015 et 2 décembre 2015, est inopérant dès lors que les motifs qu'il critique ne sont pas le soutien de ce chef de dispositif.
9. En second lieu, il résulte de l'article L. 341-1 du code de commerce, auquel renvoie l'article L. 341-2, que ces textes ne s'appliquent qu'aux contrats conclus entre une tête de réseau et une personne exploitant « un magasin de commerce de détail » et ayant pour but l'exploitation de ce magasin.
10. Aucune définition de la notion de « commerce de détail » n'est donnée dans ce texte, ni dans les autres textes du code de commerce utilisant cette notion.
11. L'incertitude sur le champ d'application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de commerce, en l'absence de définition légale de la notion de « commerce de détail », a été relevée dans le rapport de la mission d'information commune sur l'évaluation de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
12. Faute de précision dans cette loi ou dans les travaux parlementaires ayant précédé son adoption, il convient d'interpréter la notion de « magasin de commerce de détail » au regard de la finalité du texte.
13. L'article L. 341-2 du code de commerce vise à mettre un terme aux pratiques contractuelles des réseaux de distribution commerciale qui restreignent la liberté d'entreprendre de leurs affiliés, exploitants de commerce de détail, en dissuadant les changements d'enseigne. Son objectif est de faciliter les changements d'enseigne en vue d'augmenter le pouvoir d'achat des consommateurs, de diversifier l'offre, tout en permettant aux commerçants de faire jouer la concurrence entre enseignes, notamment au niveau des services que celles-ci proposent.
14. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général qui ne justifie aucune différence de traitement entre les réseaux, selon qu'ils exercent une activité de vente de marchandises ou une activité de services.
15. Il en résulte que la notion de « commerce de détail » ne peut être entendue au sens de la seule vente de marchandises à des consommateurs et peut couvrir des activités de services auprès de particuliers, telle une activité d'agence immobilière.
16. Le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer nul et réputer non écrit l'article 17 « Non affiliation » du contrat de franchise du 8 mars 2017, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
17. La société Century 21 fait le même grief à l'arrêt, alors « que seule la stipulation d'une clause de non-affiliation qui étend l'interdiction au-delà des critères légaux de licéité doit être réputée non écrite ; qu'en retenant, pour réputer non écrite la clause de non-affiliation dans son ensemble, que son application "à toute personne physique ou morale ayant à un moment quelconque de l'exécution du contrat exercé des fonctions dans ou pour la société franchisée", d'une part, et à "tout ayant cause, à titre universel ou particulier", d'autre part, n'était pas indispensable à la protection du savoir-faire du franchiseur et portait une atteinte excessive au libre exercice de l'activité du franchisé, et que les conditions de l'article L. 341-2, II, étaient cumulatives, tout en constatant que les limitations temporelles et spatiales de l'interdiction étaient conformes aux exigences légales, ce qui ne justifiait que le réputé de non-écrit de l'extension ratione personae de l'interdiction, la cour d'appel a violé l'article L. 341-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
18. En premier lieu, le moyen, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer nul et réputer non écrit l'article 17 des contrats de franchise des 29 janvier 2014, 8 janvier 2015 et 2 décembre 2015, est inopérant dès lors que les motifs qu'il critique ne sont pas le soutien de ce chef de dispositif.
19. En second lieu, il résulte de l'article L. 341-2 du code de commerce que la clause ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1 du même code, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat, est réputée non écrite.
20. Ayant retenu que la clause post-contractuelle de non-réaffiliation figurant à l'article 17 du contrat de franchise du 8 mars 2017, en ce qu'elle imposait l'interdiction d'affiliation « à toute personne physique ou morale ayant à un moment quelconque de l'exécution du contrat exercé des fonctions dans ou pour la société franchisée » et à « tout ayant cause, à titre universel ou particulier », n'était pas indispensable à la protection du savoir-faire du franchiseur et qu'elle portait une atteinte excessive au libre exercice de l'activité du franchisé, la cour d'appel en a exactement déduit que la clause devait être réputée non écrite en son entier.
21. Le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer nul et réputer non écrit l'article 17 « Non affiliation » du contrat de franchise du 8 mars 2017, n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
22. La société Century 21 fait grief à l'arrêt de dire que l'article 17 « Non affiliation » tel que rédigé dans chacun des contrats de franchise conclus avec la société Fortis immo doit être déclaré nul et réputé non écrit, car contrevenant aux dispositions d'ordre public de l'article L. 341-2 du code de commerce, de rejeter l'intégralité de ses demandes, et de la condamner à verser aux sociétés Fortis immo, Fortis immo transaction et Team France la somme de 20 000 euros chacune, alors :
« 1°/ que la clause de non-concurrence a pour objet de limiter l'exercice par le franchisé d'une activité similaire ou analogue à celle du réseau qu'il quitte, tandis que la clause de non-affiliation se borne à restreindre sa liberté d'affiliation à un autre réseau ; qu'en appréciant la validité de la clause de non-affiliation au regard des critères de validité des clauses de non-concurrence, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le domaine d'activité des agences immobilières n'était pas de nature à exclure toute assimilation entre clause de non-concurrence et clause de non-affiliation, l'activité pouvant parfaitement être exercée à titre indépendant, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision, et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
2°/ que seule la stipulation d'une clause de non-affiliation qui étend l'interdiction au-delà des critères de licéité doit être annulée, le juge pouvant restreindre son application en en limitant l'effet dans le temps, l'espace ou ses autres modalités ; qu'en retenant, pour déclarer nulle et réputer non écrite la clause de non-affiliation dans son ensemble, qu' "il n'est pas permis au juge, lorsque les termes d'une disposition contractuelle sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu'elles renferment", quand le juge doit au contraire maintenir la clause de non-affiliation, dans la mesure de sa licéité, et peut par conséquent en réduire la portée, la cour d'appel a violé 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »
Réponse de la Cour
23. En premier lieu, le moyen, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer nul et réputer non écrit l'article 17 du contrat de franchise du 8 mars 2017, est inopérant dès lors que les motifs qu'il critique ne sont pas le soutien de ce chef de dispositif.
24. En second lieu, l'arrêt énonce que la clause de non-réaffiliation, en ce qu'elle porte atteinte au principe de la liberté du commerce, doit être justifiée par la protection des intérêts légitimes de son créancier quant à la protection du savoir-faire transmis et à la faculté de concéder à un autre franchisé la zone d'influence concernée, ne pas porter une atteinte excessive à la liberté de son débiteur, c'est-à-dire être limitée quant à l'activité, l'espace et le lieu qu'elle vise, et, au terme de la mise en balance de l'intérêt légitime du créancier et de l'atteinte portée au libre exercice de l'activité professionnelle du débiteur, être proportionnée.
25. L'arrêt retient, d'abord, que la clause figurant à l'article 17 des contrats de franchise des 29 janvier 2014, 8 janvier 2015 et 2 décembre 2015, par son étendue géographique, qui porte sur le(s) département(s) dans le(s)quel(s) le franchisé a son agence et ses succursales éventuelles, est disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes du franchiseur et porte une restriction excessive à la liberté d'exercice de la profession d'agent immobilier, et qu'une interdiction d'exercer une activité identique dans un périmètre beaucoup plus restreint s'avère suffisante pour éviter tout risque de concurrence avec les agences en franchise. Il ajoute que le tissu des agences est particulièrement dense à [Localité 5] et que le franchiseur ne démontre pas en quoi son savoir-faire nécessite une protection à l'échelle du département.
26. L'arrêt retient, ensuite, que n'est pas non plus proportionnée à la protection du franchiseur l'interdiction d'affiliation à un réseau concurrent imposée « à toute personne physique ou morale ayant à un moment quelconque de l'exécution du contrat exercé des fonctions dans ou pour la société franchisée », cette prohibition ayant, par son libellé, vocation à concerner tout salarié, tout sous-traitant et tout prestataire ayant collaboré avec le franchisé, quelles que soient la nature et la durée de cette collaboration, laquelle a pu cesser bien avant la fin du contrat de franchise, la clause imposant de surcroît au franchisé de se porter fort du respect de cette obligation.
27. L'arrêt retient, enfin, qu'est disproportionnée l'interdiction faite à « tout ayant cause, à titre universel ou particulier » des sociétés Fortis immo ou Fortis immo transaction, y compris donc l'acquéreur du fonds de commerce, d'exercer une activité d'agent immobilier avec le support d'un autre réseau, d'autant qu'environ 50 % des agences immobilières en France sont exploitées en réseau, ce qui réduit de facto de façon considérable le nombre des successeurs susceptibles d'être intéressés par l'achat du fonds.
28. L'arrêt en déduit que la clause de non-réaffiliation figurant à l'article 17 des contrats de franchise conclus en 2014 et 2015 porte, dans ses paragraphes 2, 3 et 4, une atteinte à la liberté du franchisé, outrepassant la protection des intérêts légitimes du franchiseur.
29. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée par la première branche et retenu que l'atteinte portée à la liberté du franchisé était en l'espèce excessive au regard des intérêts à protéger, a exactement déduit que la clause figurant à l'article 17 des contrats de franchise des 29 janvier 2014, 8 janvier 2015 et 2 décembre 2015 devait être annulée en son entier, sans que la société Century 21 puisse en solliciter la modification par voie judiciaire.
30. Le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer nul et réputer non écrit l'article 17 « Non affiliation » des contrats de franchise des 29 janvier 2014, 8 janvier 2015 et 2 décembre 2015, n'est donc pas fondé.
Civ.1 5 juin 2024 n° 22-23.567
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 308 F-D
Pourvoi n° W 22-23.567
Aide juridictionnelle totale en demande au profit de M. [G]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 18 octobre 2023.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
M. [O] [G], domicilié chez Maître [P] [B], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 22-23.567 contre l'ordonnance rendue le 19 avril 2022 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, 8 boulevard du Palais, 75001 Paris,
2°/ au préfet de police, domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [G], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du préfet de police, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 19 avril 2022) et les pièces de la procédure, le 17 mars 2022, M. [G], de nationalité ivoirienne, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative, en exécution d'une obligation de quitter le territoire français. Par ordonnance du 20 mars 2022, le juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention pour vingt-huit jours.
2. Le 17 avril 2022, le juge des libertés et de la détention a été saisi par le préfet de police de [Localité 3], sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), d'une requête en deuxième prolongation de la mesure de rétention.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [G] fait grief à l'ordonnance de déclarer recevable la requête du préfet, alors « que le juge des libertés et de la détention doit s'assurer, lors de l'examen de chaque demande de prolongation d'une mesure de rétention d'un étranger, que, depuis sa précédente présentation, celui-ci a été placé en mesure de faire valoir ses droits, le juge réalise ce contrôle d'après les mentions du registre prévu à l'article L. 744-2 du CESEDA, toute requête en prolongation de la rétention administrative d'un étranger devant, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée d'une copie actualisée de ce registre à laquelle il ne peut être suppléé par sa communication à l'audience ; que la non-production de cette pièce avec la requête en prolongation constitue une fin de non-recevoir qui doit être accueillie sans que celui qui l'invoque ait à justifier d'un grief ; qu'en l'espèce, la décision du juge des libertés et de la détention du 20 mars 2022 avait prorogé le maintien en détention de Monsieur [G] jusqu'au 17 avril 2002 ce qui obligeait l'administration à notifier à nouveau ses droits à l'exposant après le 20 mars 2022 ; que dès lors la cour d'appel, qui pour déclarer recevable la requête du préfet de police du 17 avril 2022, a retenu que cette requête contenait une copie du registre en date du 18 mars 2022 à 19 h 50, d'ailleurs non signée du chef de poste et du retenu, a manqué à son office et a violé les articles L 743-9, L 744-2 et R 743-2 du CESEDA. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 743-9, L. 744-2 et R. 743-2 du CESEDA :
4. Il résulte du premier de ces textes que le juge des libertés et de la détention s'assure, lors de l'examen de chaque demande de prolongation d'une mesure de rétention d'un étranger, que, depuis sa précédente présentation, celui-ci a été placé en mesure de faire valoir ses droits, notamment d'après les mentions du registre de rétention prévu au deuxième.
5. Selon le troisième de ces textes, toute requête en prolongation de la rétention administrative d'un étranger doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée d'une copie de ce registre.
6. Il s'en déduit que le registre doit être actualisé et que la non-production d'une copie actualisée, permettant un contrôle de l'effectivité de l'exercice des droits reconnus à l'étranger au cours de la mesure de rétention, constitue une fin de non-recevoir pouvant être accueillie sans que celui qui l'invoque ait à justifier d'un grief.
7. Pour déclarer recevable la requête et ordonner la prolongation de la rétention administrative de M. [G], l'ordonnance retient que la requête est accompagnée d'une copie du registre datant du 18 mars 2022.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la copie produite n'avait pas été actualisée depuis la première prolongation du 20 mars 2022, le premier président a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
Civ.1 5 juin 2024 n° 22-24.198
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 319 F-D
Pourvoi n° H 22-24.198
Aide juridictionnelle totale en demande au profit de M. [B]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 18 octobre 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
M. [J] [B], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 22-24.198 contre l'ordonnance rendue le 2 février 2022 par le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet de la Réunion, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [B], après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1.Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Saint-Denis de la Réunion, 2 février 2022), le 26 janvier 2022, M. [B], de nationalité sri lankaise, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative, en exécution d'un arrêté pris par le représentant de l'Etat à la Réunion et prononçant une obligation de quitter ce territoire.
2. Le 27 janvier 2022, le juge des libertés et de la détention a été saisi par M. [B] d'une requête en contestation de la décision le plaçant en rétention administrative en application de l'article L. 741-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et par le représentant de l'Etat d'une demande de prolongation de cette mesure en application de l'article L. 742-1 du même code.
3. Par ordonnance du 28 janvier 2022, le juge des libertés et de la détention a rejeté la requête de M. [B] et prolongé la rétention administrative pour une durée de vingt-huit jours.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [B] fait grief à l'ordonnance de déclarer irrecevable son appel, alors « que le délai de vingt-quatre heures, dans lequel doit être formé l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant sur la contestation par l'étranger de la décision de placement en rétention administrative et sur la demande de l'autorité administrative tendant à la prolongation de la rétention administrative et dont le point de départ est, pour l'étranger, la notification de l'ordonnance entreprise lorsque l'étranger n'assiste pas à l'audience devant le juge des libertés et de la détention, est calculé et prorogé conformément aux dispositions des articles 640 et 642 du code de procédure civile ; qu'aux termes de l'article 642 du code de procédure civile, le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ; qu'en énonçant, par conséquent, que l'appel interjeté par M. [J] [B] à l'encontre de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion en date du 28 janvier 2022 était manifestement irrecevable pour avoir été formé le 31 janvier 2022, soit tardivement, plus de vingt-quatre heures après la notification de l'ordonnance entreprise intervenue le 28 janvier 2022, quand le 29 janvier 2022 était un samedi et quand il en résultait que le délai d'appel avait été prorogé au 31 janvier 2022 et que l'appel interjeté, le 31 janvier 2022, par M. [J] [B] à l'encontre de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion en date du 28 janvier 2022 n'était pas tardif et était, en conséquence, recevable, la juridiction du premier président de la cour d'appel a violé les dispositions de l'article R. 743-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 642 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 742-10, alinéa 1er, du CESEDA et 642, alinéa 2, du code de procédure civile :
5. Selon le premier de ces textes, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel, dans les vingt-quatre heures de son prononcé, par l'étranger, le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. Lorsque l'étranger n'assiste pas à l'audience, le délai court pour ce dernier à compter de la notification qui lui est faite. Le délai ainsi prévu est calculé et prorogé conformément aux articles 640 et 642 du code de procédure civile.
6. Selon le second, le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant.
7. Pour déclarer l'appel de M. [B] irrecevable, après avoir constaté que l'ordonnance du 28 janvier 2022 avait été notifiée à M. [B] le même jour et qu'il avait relevé appel le 31 janvier suivant, l'ordonnance retient que cet appel, formé plus de 24 heures après la notification de l'ordonnance, est tardif.
8. En statuant ainsi, alors que l'ordonnance ayant été rendue le vendredi 28 janvier 2022, le délai d'appel, qui expirait le samedi, était prorogé jusqu'au lundi 31 janvier suivant, le premier président a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
Crim. 5 juin 2024 n° 24-81.906
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 24-81.906 F-D
N° 00894
RB5 5 JUIN 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 JUIN 2024
M. [N] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 31 janvier 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraires, extorsion, en bande organisée, et association de malfaiteurs, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Bloch, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [N] [D], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Bloch, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [N] [D] a été mis en examen des chefs susmentionnés et placé en détention provisoire le 1er octobre 2022.
3. Le 22 janvier 2024, il a présenté à la chambre de l'instruction une demande de mise en liberté sur le fondement de l'article 148-4 du code de procédure pénale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen d'annulation de M. [D] tiré du caractère déraisonnable de la durée de sa détention provisoire et a rejeté sa demande de mise en liberté, alors :
« 1°/ que la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ; que pour écarter le moyen tiré de la durée déraisonnable de la détention provisoire de M. [D] qui n'a pas été entendu au fond par le magistrat instructeur depuis son placement en détention 15 mois plus tôt, l'arrêt, après avoir relevé que la gravité des faits de l'espèce générait « des investigations particulièrement complexes » (p. 23, §2), énonce que « dans ce contexte, l'interrogatoire de [M. [D]] ne sera utile à la manifestation de la vérité que s'il peut être réalisé de manière à permettre la confrontation de l'intéressé aux éléments issus de l'enquête, et notamment à l'exploitation des téléphones, aux déclarations de tous les autres protagonistes » (p. 23, §3) ; qu'en justifiant ainsi de façon inopérante l'absence d'interrogatoire de M. [D] par l'inutilité de la mesure pour la manifestation de la vérité, sans caractériser par ailleurs aucun élément concret de la procédure de nature à justifier ce délai de comparution et à motiver la durée de la détention provisoire, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 144-1, 148-4 du code de procédure pénale et 5 §3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, et a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en ne précisant pas davantage en quoi l'exploitation des téléphonies déjà réalisée et les déclarations des différents protagonistes déjà recueillies, dont l'arrêt déduit d'ailleurs expressément des « indices graves ou concordants à l'encontre de [N] [D] rendant vraisemblable sa participation aux faits » (arrêt, p. 22, §6-7), seraient insuffisantes pour permettre en l'état un interrogatoire utile du mis en examen, la chambre de l'instruction a de nouveau privé sa décision de toute base légale au regard des textes sus-énoncés ;
3°/ qu'en tout état de cause, l'arrêt constate que M. [D] a finalement été convoqué pour un premier interrogatoire au fond le « 13 décembre 2023 » mais que cet interrogatoire n'a pas eu lieu « pour une raison non précisée au dossier » (p. 23, §4) ; qu'ainsi en l'absence de motif expliquant le délai de comparution de M. [D] pour un premier interrogatoire au fond par le juge d'instruction, la durée de 15 mois de la détention provisoire, privée de justification, est nécessairement déraisonnable ; qu'en rejetant la demande de mise en liberté la chambre de l'instruction a violé les articles visés au moyen. »
Réponse de la Cour
5. Pour rejeter la demande de mise en liberté de M. [D] et justifier qu'il n'a pas été interrogé sur le fond depuis sa mise en examen intervenue le 1er octobre 2022, l'arrêt attaqué énonce que la gravité des faits génère des investigations particulièrement complexes compte tenu de leur déroulement et de leur étendue géographique, en Belgique et au Maroc, du caractère structuré de l'organisation criminelle qui en est à l'origine, du nombre important de personnes mises en examen et des difficultés d'identification des commanditaires.
6. Les juges ajoutent que sont nécessaires des investigations à l'étranger, de multiples auditions et des expertises techniques notamment en matière de téléphonie, dont les délais sont allongés car certaines personnes mises en examen, dont M. [D], ont refusé de communiquer leur code de déverrouillage.
7. Ils retiennent que dans ce contexte, l'interrogatoire de M. [D] ne sera utile à la manifestation de la vérité que s'il peut permettre sa confrontation aux éléments issus de l'enquête.
8. Ils en déduisent qu'au regard de la nature, de la complexité des faits et des investigations, aucune violation du délai raisonnable ne résulte de l'absence d'interrogatoire de l'intéressé depuis sa mise en examen.
9. Ils constatent en outre que l'information judiciaire se poursuit activement et que des actes, rappelés dans l'exposé des faits et de la procédure, sont accomplis régulièrement par le juge d'instruction.
10. Ils ajoutent que l'interrogatoire de M. [D], qui avait été annoncé pour le 13 décembre 2023 mais n'a pas eu lieu, entre dans les prévisions du juge d'instruction et devrait intervenir prochainement.
11. Ils relèvent à cet égard que l'interrogatoire d'une autre personne mise en examen, le 19 décembre 2023, a permis de recueillir des informations sur l'identité du possible commanditaire, lesquelles ont donné lieu à des premières vérifications mettant au jour des liens entre celui-ci et M. [D].
12. Ils en concluent que l'examen du dossier d'information ne révèle aucune discontinuité dans les actes accomplis par le magistrat instructeur et les enquêteurs.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de son appréciation souveraine, dont il ressort que l'affaire est instruite avec diligence, compte tenu de sa complexité, et que la pertinence de l'interrogatoire de M. [D] est liée aux résultats des investigations menées par ailleurs, comprenant l'audition des autres mis en cause, la chambre de l'instruction a suffisamment justifié du délai raisonnable de la procédure.
14. Ainsi, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
Civ.1 5 juin 2024 n° 23-12.854
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 5 juin 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 315 F-D
Pourvoi n° X 23-12.854
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2024
1°/ Mme [Y] [L], domiciliée [Adresse 6],
2°/ Mme [B] [I], épouse [Z], domiciliée [Adresse 4],
3°/ Mme [C] [W], domiciliée [Adresse 14],
4°/ Mme [O] [A], domiciliée [Adresse 12],
5°/ Mme [G] [P], domiciliée [Adresse 11],
6°/ Mme [DH] [H], domiciliée [Adresse 15],
7°/ Mme [D] [GI], épouse [M], domiciliée [Adresse 13],
8°/ Mme [AL] [K], domiciliée [Adresse 16],
9°/ Mme [X] [T], épouse [E], domiciliée [Adresse 1],
10°/ Mme [V] [KY], domiciliée [Adresse 3],
11°/ Mme [ZL] [UW], domiciliée [Adresse 2],
12°/ Mme [R] [YJ], épouse [FG], domiciliée [Adresse 5],
13°/ Mme [N] [MA], domiciliée [Adresse 17],
14°/ Mme [F] [TU], domiciliée [Adresse 9],
15°/ Mme [NC] [JE], domiciliée [Adresse 18],
16°/ Mme [U] [J], épouse [KG], domiciliée [Adresse 10],
17°/ Mme [S] [IC], domiciliée [Adresse 7],
ont formé le pourvoi n° X 23-12.854 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 10), dans le litige les opposant :
1°/ à la société TÜV Rheinland LGA Products Gmbh, société de droit allemand, venant aux droits de la société TÜV Rheinland Product Safety Gmbh, dont le siège est [Adresse 19] (Allemagne),
2°/ à la société TÜV Rheinland France, dont le siège est [Adresse 8],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mmes [L], [I], [W], [A], [P], [H], [GI], [K], [T], [KY], [UW], [YJ], [MA], [TU], [JE], [J], [IC], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés TÜV Rheinland LGA Products Gmbh et TÜV Rheinland France, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers pré
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2021) rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 10 octobre 2018, pourvois n° 16-19.430, n° 17-14.401, n° 15-26.093, n° 15-28.891, n° 15-28.531, n° 15-26.115 et n° 15-26.388), la société Poly implant prothèse (la société PIP), qui fabriquait et commercialisait des implants mammaires, a demandé à la société TÜV Rheinland Product Safety GmbH, devenue la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH (la société TRLP), de procéder à l'évaluation du système de qualité mis en place pour la conception, la fabrication et le contrôle final, ainsi qu'à l'examen du dossier de conception de ces dispositifs médicaux, en sa qualité d'organisme notifié par les Etats membres à la Commission européenne et aux autres Etats membres, au sens de la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux.
2. Une première inspection de certification a été réalisée auprès de la société PIP, suivie d'audits visant à renouveler la première certification. Ainsi, le 22 octobre 1997, la société TRLP a rendu une décision d'approbation du système de qualité de la société PIP, qu'elle a renouvelée les 17 octobre 2002, 15 mars 2004 et 13 décembre 2007. Le 25 février 2004, à la suite de la nouvelle classification des implants mammaires en classe III de la directive 93/42, la société PIP a soumis la conception du dispositif médical dénommé « implants mammaires pré-remplis de gel de silicone à haute cohésivité (IMGHC) » à la société TRLP, qui a délivré, le 15 mars 2004, un certificat d'examen CE valable jusqu'au 14 mars 2009 et, le 27 mai 2009, saisie d'une nouvelle demande de la société PIP, un second certificat.
3. Ces audits ont été réalisés par ou avec les auditeurs de la société TÜV Rheinland France (la société TRF), également membre du groupe TÜV en application d'un contrat cadre conclu le 30 avril 1999 avec la société TRLP.
4. A la suite d'une inspection, les 16 et 17 mars 2010, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a constaté que de nombreux implants avaient été fabriqués à partir d'un gel de silicone différent du gel de marque Nusil qui figurait dans le dossier de marquage CE de conformité aux dispositions de la directive. En raison du risque de rupture précoce des implants fabriqués par la société PIP et du caractère inflammatoire du gel utilisé, le ministère de la santé français et différentes autorités sanitaires étrangères ont recommandé aux femmes concernées de faire procéder, à titre préventif, à leur explantation.
5. Le 30 mars 2010, la société PIP a été placée en liquidation judiciaire et, par arrêt du 2 mai 2016, ses dirigeants ont été déclarés coupables des délits de tromperie aggravée et d'escroquerie et condamnés, l'enquête pénale ayant établi que la société PIP avait utilisé ce gel à compter du mois d'octobre 2002.
6. La société Allianz, assureur de la société PIP, a assigné celle-ci en annulation des contrats d'assurance par elle souscrits. Les sociétés GF Electromedics Srl, EMI Importaçao E Distribuiçao Ltda et J & D Medicals, distributeurs d'implants mammaires, sont intervenues volontairement à l'instance pour soutenir que l'assureur devait sa garantie et ont assigné en intervention forcée les sociétés TRLP et TRF en responsabilité et indemnisation.
7. D'autres distributeurs et de nombreuses personnes physiques, porteuses d'implants de la société PIP, de nationalité française ou étrangère, sont intervenus volontairement à l'instance aux mêmes fins.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. Les requérantes font grief à l'arrêt de rejeter leur demandes, alors « que l'organisme notifié doit mettre en oeuvre des mesures additionnelles pour vérifier le bon fonctionnement du système de qualité dès lors que des éléments sont susceptibles de l'alerter sur la sécurité du produit certifié ; qu'il en résulte que la responsabilité de l'organisme peut être engagée dès la découverte des premiers indices de non-conformité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les premiers indices de non-conformité sont apparus dès 1997 ; qu'en retenant pourtant que seules les patientes implantées entre le 1er septembre 2006 et le 6 avril 2010 peuvent prétendre qu'une exécution diligente de l'organisme notifié et de son sous-contractant leur aurait permis de se soustraire à l'implantation d'une ou de prothèses mammaires IMGHC produites par la société PIP la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 5 de la Directive 93/42/CEE relative aux dispositifs médicaux, interprété à la lumière de l'objectif de protection élevée des patients, des utilisateurs et des tiers expressément formulé par la Directive » Réponse de la Cour
Vu le point 5.1 de l'annexe II des articles R. 665-1 à R. 665-47 du code de la santé publique et l'article R. 5211-40 du même code, transposant en droit interne le point 5.1 de l'annexe II de la directive 93/42, successivement applicables en la cause, et l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
9. Il résulte de l'arrêt rendu le 16 février 2017 par la CJUE, (Schmitt, C-219/15) que, en présence d'indices laissant supposer qu'un dispositif médical ne serait pas conforme aux exigences qui découlent de la directive 93/42, un organisme notifié est tenu de procéder au contrôle des dispositifs médicaux ou des documents du fabricant qui recensent les achats de matières premières ou à des visites inopinées.
10. Pour rejeter les demandes formées contre les sociétés TRLP et TRF, l'arrêt retient que celles-ci ne pouvaient être tenues de recourir à des visites inopinées des locaux de la société PIP qui auraient permis de découvrir la fraude, qu'à partir du 1er septembre 2006.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, antérieurement au 1er septembre 2006, les volumes de gel Nusil achetés et non dissimulés dans la comptabilité à laquelle les auditeurs avaient eu accès, étaient insuffisants à la production des prothèses et même nuls en 2004 et que ces volumes constituaient un indice suggérant une non-conformité aux exigences de la directive 93/42 transposée, de nature à justifier une visite inopinée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
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