Crim. 23 novembre 2022 n° 22-80.950 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 22-80.950 F-B
N° 01442
RB5 23 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 23 NOVEMBRE 2022
M. [G] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bastia, en date du 12 janvier 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de menace de mort et infraction à la législation sur les armes, a confirmé la décision de destruction du bien saisi prise par le procureur de la République.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [G] [F], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une procédure d'enquête diligentée du chef de menaces de mort, les enquêteurs ont effectué le 17 mai 2021 une perquisition au domicile de M. [G] [F] au cours de laquelle ils ont procédé à la saisie de trois fusils, armes de catégorie C, dont les investigations ont révélé que le demandeur les détenait sans déclaration.
3. Le 14 juin 2021, le procureur de la République a ordonné la destruction des armes saisies. Cette décision a été notifiée oralement par procès-verbal le lendemain à M. [F] qui en a interjeté appel le 18 juin suivant.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la décision de destruction des scellés 1 à 3 de la procédure 538/2021 après avoir refusé de prononcer la nullité de la saisie des biens placés sous scellés, alors :
« 1°/ que la saisie de fusils de chasse opérée au cours d'une procédure distincte, initialement suivie du chef de menace de mort avec ordre de remplir une condition, est nulle dès lors que la personne gardée à vue a fait l'objet d'une nouvelle procédure en détention illégale d'arme de catégorie C sans que le procureur de la République n'ait été immédiatement informé de la découverte de faits autres que ceux à l'origine de la mesure de garde à vue précédemment ordonnée ; que la personne intéressée n'a pu bénéficier des droits et garanties octroyés par les articles 65, 61-1, 63.3-1, 63-4-3 du code de procédure pénale relativement à ces faits nouveaux, consistant notamment à être avertie de son droit à être assisté d'un avocat et à s'entretenir avec lui, en violation des textes susvisés et du droit de la défense entrainant la nullité de cet acte ainsi que des actes subséquents qui en découlent ;
2°/ qu'en outre, la saisie opérée dans ces conditions requiert l'assentiment de l'intéressé et la rédaction d'un procès-verbal de saisine distinct ; que M. [F] faisait valoir que lors de la découverte des fusils de chasse à son domicile, les enquêteurs n'avaient aucun élément leur permettant de déterminer l'illicéité de la détention de ces armes de chasse qui n'avait pas de rapport avec les faits poursuivis par ailleurs, et qu'ils devaient donc se conformer aux règles de la saisie incidente prévue par les articles 56 et 76 du code de procédure pénale ; qu'en considérant de façon tout à fait hypothétique et dubitative que la saisie s'avérait utile à la manifestation de la vérité, ces armes étant « de façon vraisemblable » liées aux menaces de mort objets de la poursuite pour considérer la saisie justifiée par référence à la procédure initiale sans justifier du lien existant entre la détention de fusils de chasse et les menaces de mort, la Chambre de l'instruction a ainsi méconnu les textes et principes susvisés. »
Réponse de la Cour
6. Est inopérant le moyen qui critique le fondement de la saisie dans le cadre de l'appel contre une mesure de destruction de biens saisis, cette question relevant du contentieux de la saisie proprement dite.
Sur le second moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la décision de destruction des scellés 1 à 3 de la procédure 538/2021, alors :
« 1°/ que la décision du procureur de la République d'ordonner la destruction des biens meubles saisis doit aux termes de l'article 41-5 dernier alinéa du code de procédure pénale être motivée ; que l'arrêt attaqué qui constate l'absence de motivation de la décision au demeurant purement orale du procureur de la République de Bastia autorisant la destruction des scellés, ne permettant pas ainsi à M. [F] d'en connaître les raisons exactes, ni de pouvoir exercer son recours en toute connaissance de cause, devait annuler cette décision irrégulière sans pouvoir y substituer sa propre motivation dans le cadre de la « contestation » de cette décision élevée par M. [F], la Chambre de l'instruction étant saisie d'un recours direct et non par l'effet dévolutif d'un appel d'une décision juridictionnelle ; que la Chambre de l'instruction n'a donc pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 41-5 du code de procédure pénale et a excédé ses pouvoirs ;
3°/ que l'arrêt ne pouvait davantage se borner à affirmer que la conservation des armes saisies n'est plus utile à la manifestation de la vérité, et qu'il s'agit d'objets qualifiés de dangereux par la loi qui les catégorise en fonction de leur « dangerosité », alors même qu'elle constatait que les armes saisies au domicile de M. [F] sont de la catégorie C, laquelle n'est pas soumise à autorisation mais à une simple déclaration ; qu'en ne s'expliquant pas sur ces points, la Chambre de l'instruction a privé sa décision de motifs et violé les articles 41-5 et 593 du code de procédure pé
4°/ que M. [F] non seulement s'opposait à la destruction, mais sollicitait la remise des armes en cause, et soulignait qu'il avait hérité ces fusils de son père, qu'il ne s'en servait pas, mais qu'ils avaient pour lui une valeur sentimentale ; cette demande et cette argumentation impliquaient nécessairement que le juge du fond, avant d'ordonner une destruction privant définitivement l'intéressé de ses droits, examine la décision de destruction au regard du principe de proportionnalité ; le critère légal de dangerosité d'un bien ne pouvant suffire à lui seul à en justifier la destruction sans aucun examen de l'opportunité de préserver les droits du propriétaire sur ce bien ; en se fondant exclusivement sur la dangerosité des fusils, et sur le fait qu'actuellement ils n'étaient pas régulièrement détenus, ce que M. [F] s'engageait à régulariser en les déclarant officiellement, sans réellement se prononcer au regard du principe de proportionnalité, la Chambre de l'instruction a violé le premier protocole additionnel à la Convention européenne, et l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
8. Pour confirmer la décision de destruction des armes saisies au domicile de M. [F] prise par le procureur de la République, l'arrêt attaqué relève qu'en raison de l'effet dévolutif du recours, il convient d'examiner le bien-fondé de la décision contestée et de statuer, au besoin par motifs propres, sur la nécessité de cette mesure en substituant aux motifs éventuellement insuffisants des motifs répondant aux exigences légales.
9. En prononçant ainsi, et dès lors que la contestation prévue au quatrième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale a la nature et les effets de l'appel, la chambre de l'instruction, qui pouvait substituer ses motifs à ceux du procureur de la République, a justifié sa décision.
10. Le grief ne peut être accueilli.
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
11. Pour confirmer la décision de destruction des armes saisies au domicile de M. [F] prise par le procureur de la République, l'arrêt attaqué relève, après avoir rappelé les dispositions du quatrième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale, que le requérant ne conteste pas que la conservation des armes saisies n'est plus utile à la manifestation de la vérité, qu'il s'agit d'objets qualifiés de dangereux par l'article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure qui prévoit un classement des armes en fonction de leur dangerosité par catégories en vue de préserver la sécurité et l'ordre publics, et qu'en l'espèce, il est établi, d'une part, que les armes saisies au domicile de M. [F] relèvent de la catégorie C qui est strictement encadrée, d'autre part, que le requérant ne remplissait pas les conditions prévues pour leur détention et qu'il ne les remplit toujours pas.
12. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
13. En effet, d'une part, dès lors que la manifestation de la vérité ne se réduit pas à la seule caractérisation des infractions mais s'étend aux circonstances de leur commission susceptibles d'avoir une influence sur l'appréciation de la gravité des faits, les motifs relatant les circonstances dans lesquelles les armes ont été saisies au cours d'une perquisition au domicile de M. [F], auquel il n'est pas reproché d'en avoir fait usage, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les conditions de leur détention sont sans incidence sur la gravité des faits.
14. D'autre part, la loi, au travers des dispositions de l'article 132-75, alinéa 1er, du code pénal et de celles de l'article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure, qualifie les armes de dangereuses.
15. Enfin, est inopérant le grief qui, dans le cadre du contentieux relatif à une mesure de destruction d'un bien qualifié par la loi de dangereux ou nuisible, ou dont la détention est illicite, ordonnée sur le fondement de l'article 41-5 du code de procédure pénale, invoque une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
16. Il s'ensuit que le moyen ne peut qu'être écarté.
17. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 22 novembre 2022 n° 22-85.127
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 22-85.127 F-D
N° 01595
ODVS 22 NOVEMBRE 2022
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 NOVEMBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 19 août 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [P] [G] des chefs d'assassinats, destruction par un moyen dangereux, recel, en bande organisée, association de malfaiteurs et infraction à la législation sur les armes, a ordonné sa mise en liberté d'office.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [P] [G], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [P] [G] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire.
3. Par ordonnance du 26 juillet 2022, le juge des libertés et de la détention a rejeté sa demande de mise en liberté.
4. Le 27 juillet 2022, M. [G] a inscrit la mention manuscrite « je fais appel », accompagnée de sa signature, sur la copie de cette ordonnance qui lui a été notifiée par un agent de l'administration pénitentiaire.
5. Le 5 août 2022, le greffe du tribunal judiciaire a établi un document intitulé acte d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 186, 502 et 503 du code de procédure pénale.
7. Il critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la mise en liberté d'office de M. [G], alors :
1°/ que, non signée par un greffier, la mention manuscrite « je fais appel », apposée sur la notification de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, ne permet d'attester ni l'identité du scripteur, ni la date à laquelle elle a été portée sur l'acte de notification ;
2°/ que sont inopérants les motifs tenant au placement de M. [G] à l'isolement ;
3°/ que la volonté de faire appel, même manifestée clairement, ne suffit pas à pallier l'absence de déclaration d'appel respectant les formes imposées par la loi ;
4°/ qu'est indifférent l'établissement par un greffier du tribunal judiciaire de Marseille, le 5 août 2022, d'un acte d'appel, ce greffier n'étant pas tenu d'apprécier la recevabilité d'un recours, mais seulement de l'enregistrer.
Réponse de la Cour
Vu les articles 502 et 503 du code de procédure pénale :
8. Il se déduit de ces textes que l'appelant détenu ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, déroger aux modalités d'ordre public de la déclaration d'appel.
9. Pour ordonner la mise en liberté d'office de M. [G], l'arrêt attaqué énonce qu'à côté du tampon attestant la notification à ce dernier, par un agent de l'administration pénitentiaire, le 27 juillet 2022, de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, est portée la mention manuscrite « je fais appel » suivie de la signature de la personne détenue, et qu'un acte d'appel a été établi par un greffier du tribunal judiciaire le 5 août 2022.
10. Les juges relèvent que l'administration pénitentiaire a été ainsi informée, dès le 27 juillet 2022, de l'intention, clairement manifestée, de M. [G] de former appel et qu'il lui appartenait, ce dernier étant placé à l'isolement et ne pouvant se déplacer librement au greffe, de la formaliser sans délai en remplissant, conformément aux dispositions de l'article 503 du code de procédure pénale, le formulaire idoine.
11. Ils en déduisent que le délai imparti à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel, conformément aux dispositions de l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale, était expiré au jour de l'audience, la date à prendre en compte pour la computation du délai étant celle du 28 juillet 2022, à laquelle l'appel aurait dû être transcrit par le greffier du tribunal judiciaire sur le registre prévu à cet effet.
12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.
13. C'est de manière inopérante que M. [G] a fait état de sa volonté de faire appel, au moyen d'une mention portée sur un document non destiné au greffe pénitentiaire, lequel avait pour seule mission de le transmettre au greffe du juge d'instruction.
14. Il disposait ensuite de l'entier délai de dix jours pour se conformer aux prescriptions de l'article 503 du code de procédure pénale.
15. Par ailleurs, l'acte dressé le 5 août 2022 par le greffier du tribunal judiciaire, qui n'était destinataire d'aucune déclaration d'appel conforme aux prescriptions de l'article 503 du code de procédure pénale, ne répond pas aux exigences de l'article 502 du même code, selon lesquelles la déclaration d'appel doit être signée par le greffier et par l'appelant lui-même, ou par un avocat, ou par un fondé de pouvoir spécial.
16. En conséquence, il ne pouvait être considéré que la chambre de l'instruction statuait tardivement, alors qu'elle n'était saisie d'aucun appel.
17. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Crim. 22 novembre 2022 n° 21-84.575
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 21-84.575 FS-D
N° 01352
ECF 22 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 NOVEMBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Nancy et MM. [Z] [A], [K] [A], [V] [A], [E] [D], Mmes [J] [S], épouse [D], et [N] [D], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 10 juin 2021, qui a relaxé M. [I] [O] et le Service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle du chef d'homicide involontaire et a débouté les parties civiles de leurs demandes.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de MM. [Z] [A], [K] [A], [V] [A], [E] [D], Mmes [J] [S], épouse [D], et [N] [D], les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [I] [O] et du Service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mmes Ingall-Montagnier, Goanvic, MM. Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Lesclous, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 30 avril 2012, M. [I] [O], chef de garde d'un groupement de sapeurs-pompiers, a dirigé sur site, et sous la direction des officiers de garde du groupement et du département du Service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle (SDIS), une opération de reconnaissance sur un site classé Seveso 2, en raison du déclenchement de l'alarme incendie dans un local où étaient entreposés des produits dangereux et inflammables.
3. Deux sapeurs-pompiers, auxquels s'est joint au dernier moment le major [C] [D], ont pénétré dans le bâtiment dans lequel s'était répandue automatiquement une mousse destinée à étouffer tout départ de feu.
4. A l'issue de l'opération, [C] [D] n'est pas ressortie du local où son corps a été ultérieurement retrouvé inanimé. Transportée en urgence à l'hôpital, elle y est décédée des suites d'un arrêt cardio-respiratoire probablement d'origine hypoxique.
5. Au terme de l'information ouverte sur ces faits, M. [O] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir involontairement causé la mort de [C] [D], en attachant le système de liaison personnelle de celle-ci au mousqueton du sac contenant la ligne de vie et non au ceinturon du pompier qui la précédait.
6. Le SDIS a été renvoyé devant le même tribunal du même chef, pour avoir engagé du personnel dans une mission de reconnaissance inutile et selon un protocole différent de celui du guide national de référence sans qu'il en résulte de consignes particulières données au personnel.
7. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables.
8. Les prévenus, le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen proposé par le procureur général concernant le SDIS et le second moyen proposé pour les consorts [A]-[D]
9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen proposé par le procureur général concernant M. [O] et le premier moyen proposé pour les consorts [A]-[D]
Enoncé des moyens
10. Le moyen du procureur général est pris de la violation des articles 121-3, alinéa 3, du code pénal et 593 du code de procédure pénale.
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [O], alors qu'après avoir relevé que ce dernier avait bien commis une erreur d'accrochage de la liaison personnelle de la victime, élément de sécurité absolument vital dans ce type de mission en milieu confiné et sans bonne visibilité, la cour d'appel ne pouvait affirmer, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, qu'il s'agissait d'une faute d'inattention simple.
12. Le moyen proposé pour les consorts [A]-[D] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [O] et a débouté les parties civiles de leurs demandes, alors :
« 1°/ qu'est en relation de causalité directe avec l'accident la faute qui en est le facteur déterminant ; qu'en jugeant que la faute de M. [O], tenant au fait d'avoir « attaché le mousqueton de la liaison personnelle de [C] [D] au mousqueton du sac contenant la ligne-guide portée par [R] [L] et non pas au ceinturon de celui-ci » avait simplement « contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, dans la mesure où il a rendu possible le décrochage de la victime du binôme de tête et sa désorientation », cependant que cette faute, sans laquelle [C] [D] n'aurait pas été séparée du groupe et ne se serait pas perdue dans la mousse, constituait le facteur déterminant de son décès et, partant, sa cause directe, ce dont il résultait que M. [O] devait en répondre pénalement, la cour d'appel a violé les articles 221-6 et 121-3 du code pénal. »
2°/ que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; qu'en jugeant que M. [O] n'aurait commis qu'une faute simple, aux motifs inopérants qu'il avait dû agir dans l'urgence, qu'il « ignorait quelles seraient les conditions précises d'évolution de ses collègues dans cet environnement mousseux qu'il ne connaissait pas et qui s'est avéré dangereux » et qu'« il n'était pas en mesure d'envisager les conséquences de l'accrochage défaillant de la ligne personnelle de la victime au sac contenant la ligne-guide portée par [R] [L] », cependant qu'il résultait de ses propres constatations que M. [O], adjudant-chef, chef d'agrès, pompier professionnel rompu aux interventions d'urgence, ne pouvait ignorer le danger inhérent au non-respect des règles élémentaires de sécurité imposant, lors de la phase de reconnaissance sous ARI, que les équipiers soient reliés entre eux par une liaison personnelle fixée à leur ceinturon, afin qu'ils évoluent ensemble sans être séparés dans un milieu inconnu, hostile et par hypothèse dangereux pour leur vie ou leur intégrité physique, la cour d'appel a violé les articles 221-6 et 121-3 du code pénal. »
Réponse de la Cour
13. Les moyens sont réunis.
Sur le moyen proposé pour les consorts [A]-[D], pris en sa première branche
14. Pour dire que la faute de M. [O] n'a pas causé directement le dommage de sorte que sa responsabilité pénale ne peut être engagée qu'à raison d'une faute délibérée ou d'une faute caractérisée, l'arrêt attaqué énonce que le prévenu ne conteste pas avoir attaché le mousqueton de la liaison personnelle de [C] [D] au mousqueton du sac contenant la ligne guide portée par le pompier qui la précédait, au lieu du ceinturon de celui-ci, expliquant ne pas en avoir eu conscience sur le moment et ne s'en être rendu compte que lorsque lui ont été ultérieurement présentées les photographies prises par le SDIS.
15. Les juges ajoutent que le taux de viscosité anormal de la mousse a rendu la progression des pompiers difficile, les a privés de toute visibilité et a provoqué des défauts d'étanchéité des masques, occasionnant des fuites et une surconsommation en air.
16. La cour d'appel en conclut que l'erreur d'accrochage a seulement contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, dans la mesure où elle a rendu possible le décrochage de la victime du binôme de tête et sa désorientation.
17. En l'état de ces énonciations, d'où il résulte que la faute commise n'a pas été le facteur déterminant du décès de la victime, l'arrêt attaqué n'encourt pas le grief allégué.
Mais sur le moyen proposé par le procureur général et le moyen proposé pour les consorts [A]-[D], pris en sa seconde branche
Vu les articles 121-3, alinéa 4, du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
18. Selon le premier de ces textes, en cas de délit non-intentionnel, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
19. Il résulte du second que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
20. Pour relaxer M. [O], l'arrêt énonce qu'il a été contraint d'agir dans l'urgence, à la demande expresse de ses supérieurs hiérarchiques, alors que le binôme d'attaque s'apprêtait à pénétrer dans les lieux.
21. Les juges ajoutent qu'il n'a pas eu conscience d'exposer [C] [D] à un risque d'une particulière gravité, qu'il ignorait les conditions précises d'évolution de ses collègues dans un environnement mousseux qu'il ne connaissait pas et qui s'est avéré dangereux, qu'il n'a pas agi en connaissance de cause et n'était pas en mesure d'envisager les conséquences de l'erreur d'accrochage de la liaison personnelle de la victime.
22. La cour d'appel en conclut que cette erreur s'analyse en une faute simple, exclusive de toute responsabilité pénale dans le cas d'une causalité indirecte.
23. En se déterminant ainsi, la cour d'appel qui ne pouvait tout à la fois retenir la nécessité d'un accrochage conforme aux règles de sécurité pour affronter un environnement inconnu dans lequel les conditions précises de progression ne pouvaient être anticipées et exclure toute connaissance d'un danger d'une particulière gravité auquel la personne concernée allait être exposée, n'a pas justifié sa décision.
24. La cassation est encourue de ce chef.
Portée et conséquence de la cassation
25. La cassation sera limitée aux dispositions ayant relaxé M. [O] et ayant débouté les parties civiles de leurs demandes à son égard. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 22 novembre 2022 n° 22-80.821
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° D 22-80.821 F-D
N° 01428
SL2 22 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 NOVEMBRE 2022
L'Agent judiciaire de l'Etat, partie intervenante, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 17 janvier 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [U] [M] pour blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a déclaré M. [U] [M] coupable de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois sur la personne de Mme [R] [N], gendarme, et a renvoyé sur les intérêts civils.
3. Le prévenu, le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision.
4. L'Agent judiciaire de l'Etat (AJE) est intervenu à la procédure.
5. La cour d'appel a notamment déclaré M. [M] responsable des conséquences dommageables de l'infraction, a ordonné une expertise et a renvoyé sur les intérêts civils.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente du chiffrage définitif de la créance de l'agent judiciaire de l'Etat et partant d'avoir condamné M. [M] à payer à Mme [R] [N] la somme de 195 096,60 euros en réparation de son préjudice corporel, alors :
«1°/ que si, au moment où il est appelé à se prononcer sur la demande en réparation de la victime ou de ses ayants droit, le juge n'est pas en mesure d'apprécier l'importance des prestations dues par l'Etat, il surseoit à statuer et accorde éventuellement une indemnité provisionnelle ; qu'il en résulte qu'en refusant de faire droit à la demande de sursis à statuer présentée par l'agent judiciaire de l'Etat, alors qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier dans leur intégralité les débours exposés par l'Etat pour son agent, au regard du seul document produit intitulé « préjudice provisoire de l'Etat », la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article 4 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble les articles 29, 31 et 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime ;
2°/ que si, au moment où il est appelé à se prononcer sur la demande en réparation de la victime ou de ses ayants droit, le juge n'est pas en mesure d'apprécier l'importance des prestations dues par l'Etat, il lui appartient d'enjoindre à l'agent judiciaire de l'Etat, présent aux débats, de communiquer le décompte définitif des prestations servies à la victime ; qu'il suit de là qu'en condamnant le tiers responsable à réparer l'entier préjudice corporel résultant de l'accident, faute de pouvoir statuer sur le recours subrogatoire de l'Etat, alors qu'il appartenait au préalable d'enjoindre au tiers payeur de communiquer le décompte définitif de ses débours et, en tant que de besoin, de surseoir à statuer dans cette attente, en application de l'article 4 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, la cour d'appel a, une nouvelle fois, méconnu son office au regard du texte précité, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble les articles 29, 31 et 33 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime ;
3°/ que le juge est tenu de respecter le principe de la contradiction en toutes circonstances ; qu'en l'espèce, l'agent judiciaire de l'Etat s'était borné à demander à la cour d'appel de surseoir à statuer, en application de l'article 4 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, dans l'attente du chiffrage définitif de sa créance, faisant état d'un préjudice provisoire pour ses débours, qu'il détaillait dans ses conclusions, d'un montant de 326 559,36 euros, sans se prononcer sur l'exercice de ses droits de subrogation ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel, après avoir refusé de faire droit à la demande de sursis à statuer présentée par l'agent judiciaire de l'Etat, ne pouvait liquider le préjudice de la victime, sans avoir préalablement réouvert les débats et invité le tiers payeur à conclure sur les modalités d'imputation de sa créance ; que faute de l'avoir fait, la cour d'appel a méconnu son office, en violation du principe de la contradiction et des articles 6 §1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et préliminaire du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en relevant, pour condamner le tiers responsable à indemniser l'entier préjudice subi par la victime, après avoir rejeté la demande de sursis à statuer du tiers payeur, que les écritures déposées pour l'agent judiciaire de l'Etat ne se prononçaient pas sur l'exercice de ses droits de subrogation, lorsque les conclusions d'appel comportaient un tableau détaillant le « préjudice provisoire de l'Etat » du chef de Mme [N], qui précisait, pour chaque chef de préjudice invoqué par l'agent judiciaire de l'Etat, dans sa partie droite, sur quel poste de préjudice il devait s'imputer, la cour d'appel s'est mise en contradiction avec les pièces du dossier et violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en condamnant le tiers responsable à indemniser l'entier préjudice subi par la victime, sans prendre en compte toutes les prestations versées par l'Etat, tiers payeur, telles la pension militaire d'invalidité servie qui s'impute sur les pertes de gains professionnels futurs, l'incidence professionnelle et, en cas de reliquat, sur le déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble les articles 29 et 31 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 modifiée. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 de l'ordonnance n°59-76 du 7 janvier 1959, alors applicable :
7. Selon ce texte, si, au moment où il est appelé à se prononcer sur la demande en réparation de la victime ou de ses ayants droit, le juge n'est pas en mesure d'apprécier l'importance des prestations dues par l'Etat, il sursoit à statuer et accorde éventuellement une indemnité provisionnelle.
8. Pour rejeter la demande de sursis à statuer présentée par l'AJE et statuer sur le préjudice corporel de Mme [N] sans y imputer les débours de l'Etat, l'arrêt attaqué énonce que le rapport d'expertise du préjudice corporel de la victime est déposé depuis le 2 octobre 2020, avec la fixation d'une date de consolidation des blessures au 26 janvier 2018.
9. Les juges ajoutent que dans ces conditions, l'AJE n'est pas fondé, dans une procédure contradictoire à son égard, à demander un sursis à statuer sur les prétentions légitimes de la victime à l'indemnisation de ses préjudices au seul motif du défaut de diligence de l'Etat à établir un état définitif de ses débours.
10. Ils indiquent que le seul document produit, intitulé « préjudice provisoire de l'État », relate des mentions de débours jusqu'à une date du 29 août 2021, postérieure à la consolidation de l'état de la victime, alors que ni les écritures déposées pour l'AJE, ni son conseil à l'audience, ne se prononcent sur l'exercice de ses droits de subrogation.
11. Ils en déduisent qu'il appartiendra à l'AJE d'exercer ses droits de subrogation, qui sont réservés, et qu'il convient en conséquence de statuer sur les demandes d'indemnisation de la victime poste par poste.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel, à qui il appartenait, comme le lui demandait l'AJE, de surseoir à statuer dans l'attente du décompte définitif des prestations versées, dont la juridiction était en droit d'exiger la communication, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
13. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 22 novembre 2022 n° 21-85.953
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 21-85.953 F-D
N° 01425
SL2 22 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 NOVEMBRE 2022
Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, partie intervenante, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre spéciale des mineurs, en date du 28 septembre 2021, qui, dans la procédure suivie contre M. [I] [K] du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Z] [T], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal pour enfants a déclaré M. [I] [K] coupable de blessures involontaires avec incapacité totale supérieure à trois mois sur la personne de M. [Z] [T], l'a condamné solidairement avec ses responsables légaux à verser à la partie civile certaines sommes en réparation du préjudice de cette dernière et a renvoyé l'affaire pour le surplus du préjudice.
3. Le juge des enfants a statué notamment sur les préjudices patrimoniaux temporaire et définitif de la victime.
4. M. [T] et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [I] [K], in solidum avec ses civilement responsables, à payer à M. [T] la somme de 176 140,12 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice patrimonial, déduction faite de la créance récursoire de l'agent judiciaire de l'État établie à 152 794,33 euros, alors :
« 1°/ que la faculté offerte par l'article 32 de la loi n° 85-877 du 5 juillet 1985 aux employeurs, y compris l'État, de poursuivre directement contre le responsable ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à la victime pendant la période d'indisponibilité de celle-ci relève d'une action directe qui tend à l'indemnisation d'un préjudice qui leur est propre ; qu'en intégrant au préjudice patrimonial subi par la victime le montant des charges patronales supportées par son employeur, la cour d'appel a violé la disposition précitée ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;
2°/ qu' après avoir confirmé, d'une part, le jugement entrepris, qui condamné le responsable du dommage, in solidum avec ses civilement responsables, à indemniser l'État de son préjudice tiré du paiement des cotisations patronales pour un montant de 121 380,12 euros, la cour d'appel qui a, d'autre part, condamné une seconde fois le responsable et ses coobligés à indemniser la victime du paiement de ces mêmes cotisations patronales, a ainsi indemnisé deux fois le même préjudice, en violation du principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;
3°/ que les juges sont tenus de statuer dans la limite des conclusions des parties ; que pour établir le préjudice dont M. [I] [K], in solidum avec ses civilement responsables, était tenu d'indemniser M. [T], la cour d'appel a comptabilisé au titre de la perte de gains professionnels futurs la somme de 121 380,12 euros correspondant aux charges patronales payées par l'employeur de la victime en retenant qu'elles devaient être remboursées à la victime, lorsque celle-ci ne formulait aucune prétention à ce titre et réclamait seulement une indemnisation de la perte de gains professionnels futurs consécutive à l'impossibilité de partir en mission Opex, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé ensemble les articles 2 et 3 du code de procédure pénale ;
4°/ que la pension militaire d'invalidité servie à une victime répare les pertes de revenus, l'incidence professionnelle de l'incapacité physique ainsi que le déficit fonctionnel qu'elle a subis, sans constituer en elle-même, ni représenter, pour la victime, un préjudice distinct de ceux qu'elle répare ; qu'en intégrant, pour le calcul du préjudice objectif de la victime, le montant de la pension militaire d'invalidité qui lui avait été servie en plus des préjudices que cette pension vient indemniser et qui étaient déjà comptabilisés, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit. »
Réponse de la Cour
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la partie civile
6. La prise en compte, au titre du préjudice patrimonial de la partie civile, d'une part, des charges patronales afférentes à sa rémunération, d'autre part, de la pension militaire d'invalidité qu'elle a reçue étant susceptible d'avoir une incidence sur l'étendue des obligations du FGAO, celui-ci est recevable à la contester.
7. Le moyen est, en conséquence, recevable.
Sur le fond
Sur le moyen, pris en sa dernière branche
Vu l'article 1240 du code civil :
8. Selon ce texte, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
9. Pour fixer à hauteur de 167 554,33 euros le préjudice patrimonial temporaire de la partie civile, l'arrêt attaqué retient que la somme de 5 853,60 euros, reçue par cette dernière au titre de la pension militaire d'invalidité, doit être ajoutée aux autres postes de préjudice.
10. Les juges ajoutent que cette somme doit être entièrement imputée sur la somme allouée au titre des postes soumis à recours.
11. En statuant ainsi, alors que l'étendue du préjudice résultant des atteintes à la victime, sur lequel les prestations sont imputées poste par poste, doit être fixée et évaluée indépendamment des prestations indemnitaires qui lui ont été versées, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le moyen, pris en sa première branche
Vu l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985 :
13. Selon ce texte, les charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à la victime pendant la période d'indisponibilité de celle-ci ouvrent droit à une action directe de l'employeur contre le responsable des dommages ou son assureur pour en obtenir le remboursement.
14. Pour évaluer le préjudice patrimonial définitif de la partie civile soumis à recours des tiers payeurs, l'arrêt attaqué retient que les charges patronales, pour un montant de 121 380,12 euros, devront être intégralement perçues par cette dernière.
15. Les juges ajoutent que le préjudice de la partie civile au titre de la perte de chance de réaliser des opérations extérieures doit être évalué à 10 000 euros et celui au titre de l'incidence professionnelle de l'accident à 30 000 euros.
16. Ils en déduisent que le préjudice patrimonial définitif de la partie civile s'établit à 161 380,12 euros.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
18. Les charges patronales ne constituent pas un préjudice de la victime, n'étant pas payées par celle-ci et ne pouvant donner lieu à action subrogatoire.
19. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef. Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
21. En effet, il convient, dans les rapports entre le FGAO et la victime, de déduire de l'indemnisation de cette dernière le montant des charges patronales et celui de la pension militaire d'invalidité, qui ne constituent pas des préjudices mais correspondent à des montants imputables sur ces derniers. L'indemnisation du préjudice de M. [T] sera donc fixée, dans ses rapports avec le FGAO, à la somme de 201 700,73 euros, soit 161 700,73 euros au titre de son préjudice patrimonial temporaire et 40 000 euros au titre de son préjudice patrimonial définitif.
Crim. 22 novembre 2022 n° 22-80.015
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 22-80.015 F-D
N° 01427
SL2 22 NOVEMBRE 2022
CAS. PART. PAR VOIE DE RETRANCH. SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 NOVEMBRE 2022
MM. [U] [T], [F] [G], [K] [L], [P] [A] et la société [1], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 4e chambre, en date du 10 décembre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 3 mars 2021, n°19-87.125), dans la procédure suivie contre Mme [M] [J] des chefs de recel et violation du secret professionnel, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [1], MM. [U] [T], [F] [G], [K] [L] et [P] [A], les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [M] [J] épouse [O], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [M] [J], épouse [O], inspectrice du travail, a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour recel d'atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique et violation du secret professionnel, commis au détriment notamment de la société [1] (la société).
3. Les juges du premier degré l'ont déclarée coupable de ces faits.
4. Mme [O] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté qu'il ne résulte pas des éléments soumis à la cour d'appel statuant sur renvoi après cassation, qu'à l'occasion des faits dont elle a été déclarée définitivement coupable dans la présente instance, Mme [O] s'est rendue l'auteure d'une faute personnelle détachable du service et d'avoir en conséquence, constaté son incompétence pour connaître d'une demande de réparation des préjudices ayant résulté de ces faits, alors :
« 1°/ que la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur la réparation des conséquences dommageables de la faute commise par un agent public et revêtant le caractère d'une faute personnelle, détachable de la fonction ; que constitue une telle faute celle qui révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; que le juge de l'action civile ne peut par ailleurs méconnaître ce qui a été nécessairement et définitivement jugé sur l'action publique ; que pour constater son incompétence pour connaître d'une demande en réparation des préjudices ayant résulté des infractions de recel de correspondances provenant d'un délit et de violation du secret professionnel dont la prévenue a définitivement été déclarée coupable en sa qualité d'inspectrice du travail, la cour d'appel énonce que, bien que Mme [O] ne se soit pas vu reconnaître le statut exonératoire de lanceuse d'alerte et qu'elle ait été déclarée coupable des infractions qui lui étaient reprochées, « il n'est pas établi qu'elle a été animée par une intention de nuire, mais seulement par la volonté de se protéger de manoeuvres dont elle estimait faire l'objet [?], dans la mesure où il est établi qu'elle s'est trouvée dans une situation à tout le moins complexe, en conflit avec sa hiérarchie » ; qu'en se déterminant ainsi après avoir pourtant constaté que l'intéressée avait été définitivement déclarée coupable d'avoir sciemment recelé des correspondances qu'elle savait provenir d'un délit commis de mauvaise foi, et d'avoir délibérément transmis à des organisations syndicales ces documents à caractère secret qu'elle savait avoir été obtenus frauduleusement, dont elle avait eu connaissance en raison de ses fonctions d'inspecteur du travail, en violation du secret professionnel auquel elle était tenue, après que tout fait justificatif tiré tant de l'exercice des droits de la défense que du statut de lanceur d'alerte avait été expressément et définitivement écarté par le juge pénal, ce dont il résultait que la prévenue s'était rendue coupable de manquements volontaires et inexcusables à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'imposaient, et privé sa décision de toute base légale au regard du décret du 16 fructidor an III, de la loi des 16-24 août 1790, des articles 2, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier, à la suite de sa condamnation pénale, la responsabilité d'une inspectrice du travail à raison de ses fautes personnelles détachables de la fonction ; que constituent de telles fautes, le fait, pour une inspectrice du travail, de se livrer personnellement et intentionnellement à la commission des délits de recel de correspondances provenant d'un délit et de violation du secret professionnel afin de satisfaire un intérêt personnel étranger au service ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé les termes de la prévention et la condamnation pénale définitive de Mme [O] des chefs de recel de correspondances provenant d'un délit et de violation du secret professionnel qui lui étaient reprochés au préjudice des parties civiles, la cour d'appel s'est déclarée incompétente pour connaître d'une action en réparation des préjudices ayant résulté de ces faits, après avoir relevé que si elle a « pu en l'espèce, poursuivre un intérêt personnel, mais pas rechercher un gain, s'agissant d'une attitude défensive, et dans la mesure où, dans ce contexte, partie au moins des documents qui lui étaient parvenus et qu'elle a divulgués sans procéder à un tri la concernaient personnellement, il y a lieu de constater que cet agent public ne s'est pas rendue l'auteure d'une faute personnelle détachable du service » ; qu'en prononçant ainsi quand il résultait de ses propres constatations que la prévenue avait délibérément et de sa propre initiative commis les faits délictueux de recel de correspondances et de violation du secret professionnel afin de satisfaire un intérêt personnel, ce dont il résultait que les fautes ainsi commises étaient nécessairement personnelles et détachables de ses fonctions, la cour d'appel s'est abstenue de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu le sens et la portée du principe énoncé au moyen, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles 2, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que si la responsabilité de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics est engagée en raison des fautes commises par leurs agents lorsque ces fautes ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n'est pas exclusive de celle des agents auxquels est reproché un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; que par ailleurs, les constatations qui sont la cause nécessaire de la décision pénale s'imposent au juge civil ; que pour se déclarer incompétente aux fins de statuer sur les réparations civiles des préjudices résultant d'infractions intentionnelles de recel et de violation du secret professionnel commises par une inspectrice du travail dans l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel énonce que la prévenue a été animée par « la volonté de se protéger de manoeuvres dont elle estimait faire l'objet-manoeuvres dont le Conseil national de l'inspection du travail a considéré qu'elles ne relevaient pas de la seule interprétation de l'intéressée », tout en relevant que ce dernier avait toutefois constaté que les pressions prétendument exercées n'avaient été suivies d'aucun effet ; qu'en se déterminant ainsi, quand la seule circonstance que la prévenue ait commis des faits délictueux en se considérant comme étant dans « une attitude défensive », ne pouvait exclure que son comportement relevât d'un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique et ce d'autant que la prévenue avait été déclarée définitivement coupable des infractions reprochées après que les juges avaient écarté tout fait justificatif en affirmant que cette divulgation publique d'informations à caractère secret n'était ni imposée par la loi, ni autorisée au sens de l'article 226-14 du code pénal, ni « légitimée par les nécessités de l'exercice des droits de sa défense », la cour d'appel a fait une inexacte application de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et des principes précités, privant sa décision de toute base légale au regard des articles 2, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans leurs conclusions régulièrement déposées, les parties civiles soutenaient que « le choix de rendre un panel extrêmement large d'organisations syndicales destinataires des documents litigieux, de surcroît, sans sélection préalable des seuls éléments de nature à caractériser l'éventuelle atteinte à son indépendance dans l'exercice de ses fonctions, constitue, en tout état de cause, une mesure non nécessaire et disproportionnée témoignant de l'intention de Mme [O] d'assurer une large diffusion de correspondances privées pourtant couvertes par le secret, en violation des règles déontologiques, et notamment du respect du secret professionnel auquel elle était pourtant tenue » ; qu'elles ajoutaient que « la diffusion de correspondances et de documents sans nul rapport avec la prétendue entrave à l'exercice de ses fonctions dont elle s'estimait victime, traduit parfaitement la volonté manifeste de Mme [O] de nuire aux personnes concernées et de porter atteinte à leur vie privée ainsi qu'à leur image », en rappelant que Mme [O] avait elle-même reconnu lors de son audition devant les services d'enquête qu'une « partie non négligeable des correspondances divulguées ont trait à des considérations étrangères à l'entrave qu'elle entendait dénoncer » ; qu'en se bornant à affirmer qu'il « n'est pas établi qu'elle a été animée par une intention de nuire mais seulement par la volonté de se protéger de manoeuvres dont elle estimait faire l'objet » pour écarter l'existence d'une faute personnelle détachable du service, sans même s'expliquer sur les éléments déterminants précités des conclusions des parties civiles, mettant en évidence que la divulgation aux organisations syndicales des documents confidentiels litigieux d'origine frauduleuse, en violation du secret professionnel, l'avait été délibérément sans précaution ni restriction aucune, alors même que nombre de ces documents étaient sans rapport aucun avec les manoeuvres dont elle s'estimait victime, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et méconnu l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour se déclarer incompétente pour statuer sur les dommages-intérêts des parties civiles, en l'absence de faute personnelle de Mme [O], détachable du service, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est pas établi qu'elle a été animée par une intention de nuire mais qu'elle a agi par volonté de se protéger de manoeuvres dont elle estimait faire l'objet.
7. Les juges ajoutent que l'avis du Conseil national de l'inspection du travail (CNIT), organe chargé de se prononcer sur tout acte d'une autorité administrative de nature à porter directement et personnellement atteinte aux conditions dans lesquelles un membre de l'inspection du travail doit pouvoir exercer sa mission, ne saurait être tenu pour indifférent dans l'appréciation de l'existence éventuelle d'une faute détachable du service.
8. Ils indiquent que selon cet avis, les manoeuvres ne relevaient pas de la seule interprétation de Mme [O] et que l'intervention de son responsable afin d'évoquer son action de contrôle auprès de la société n'a pas répondu aux conditions normales d'un entretien professionnel et a pu donner à cette dernière le sentiment qu'il était porté atteinte à son indépendance ou à sa libre décision dans l'exercice de ses fonctions.
9. Ils retiennent qu'elle s'est trouvée dans une situation complexe, en conflit avec sa hiérarchie alors qu'elle pouvait légitimement en attendre un soutien quand son impartialité professionnelle dans l'exercice de ses fonctions était mise en cause par des responsables de la société.
10. Ils considèrent que, dans ce contexte de mise en cause de son activité professionnelle, la faute ne correspondait pas à la recherche d'un gain et que, si Mme [O] a poursuivi un intérêt personnel, il a consisté à assurer sa défense, dans la mesure où une partie au moins des documents qui lui étaient parvenus et qu'elle a divulgués sans procéder à un tri en les envoyant aux organisations syndicales de son ministère de rattachement, la concernaient personnellement.
11. Ils en déduisent que cet agent public ne s'est pas rendu l'auteur d'une faute personnelle détachable du service.
12. En l'état de ces seules énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation dont elle était saisie, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
13. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les constitutions de partie civile de la société [1], de M. [K] [L], de M. [U] [T], de M. [F] [G], et de M. [P] [A], irrecevables, alors « qu'il résulte des articles 567 et 609 du code de procédure pénale que la juridiction de renvoi n'est saisie que dans la limite de la cassation intervenue et ne saurait statuer au-delà de cette limite sans excéder ses pouvoirs ; qu'en l'espèce, saisie à la suite d'un arrêt de cassation partielle portant sur les seules dispositions de l'arrêt « ayant condamné Mme [O] au paiement de dommages et intérêts aux parties civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues », la cour d'appel de renvoi, a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des exposantes ; qu'en prononçant ainsi, quand la recevabilité de leur constitution de partie civile n'avait pas été remise en cause par la cassation prononcée laquelle se limitait au seul prononcé de dommages et intérêts à leur profit, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine, en violation des articles 567 et 609 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 567 et 609 du code de procédure pénale :
15. Il résulte de ces textes que, lorsqu'un arrêt est annulé par la Cour de cassation, la juridiction de renvoi se trouve saisie de la cause dans l'état où elle se trouvait quand elle a été soumise aux juges dont la décision a été cassée, dans les limites fixées par l'acte de pourvoi et dans celles de la cassation intervenue.
16. Pour déclarer les parties civiles irrecevables en leurs demandes, l'arrêt attaqué énonce que la juridiction est incompétente pour connaître d'une action en réparation des préjudices ayant pu résulter des infractions pénales dont Mme [O] a été reconnue définitivement coupable.
17. En l'étant de ces énonciations, alors qu'elle n'était saisie que des dispositions ayant condamné Mme [O] au paiement de dommages-intérêts aux partie civiles, à l'exclusion de celles relatives à la recevabilité de leurs constitutions, la cour d'appel de renvoi a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
18. La cassation est, par conséquent, encourue.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
20. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration d'incompétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur les demandes de dommages-intérêts présentées par les parties civiles étant devenue définitive par suite du rejet du premier moyen, seul contesté par Mme [O], il y a lieu de faire partiellement droit à la demande de cette dernière.
Crim. 16 novembre 2022 n° 22-80.914
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 22-80.914 F-D
N° 01407
MAS2 16 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 16 NOVEMBRE 2022
M. [U] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 20 janvier 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de meurtre, vol aggravé, en bande organisée, et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 15 avril 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [U] [D], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une information, M. [U] [D] a fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen, diffusé le 9 décembre 2020. Alors qu'il se trouvait en Espagne, il a été remis aux autorités françaises, le 23 décembre 2020, sur décision d'un juge d'instruction espagnol, du 11 décembre 2020.
3. A son arrivée en France, il a été mis en examen, puis placé en détention provisoire.
4. Par ordonnance du 3 décembre 2021, le juge des libertés et de la détention a prolongé sa détention provisoire. M. [D] a relevé appel de cette décision. Saisie de ce recours, la chambre de l'instruction, par arrêt avant dire droit du 21 décembre 2021, a invité les autorités espagnoles à transmettre la décision de remise de M. [D], puis, par arrêt du 3 février 2022, a confirmé l'ordonnance critiquée.
5. Par ailleurs, le 23 juin 2021, M. [D] a présenté une requête en annulation d'actes de la procédure, invoquant, en particulier, l'absence, au dossier, de la décision de remise des autorités espagnoles, ce qui ne permettait pas de s'assurer du respect de la règle de la spécialité. Cette requête a été examinée par la chambre de l'instruction, à l'audience du 9 décembre 2021, et mise en délibéré, la décision ayant été prononcée le 20 janvier 2022.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité de M. [D], alors « que si aucune disposition légale ou conventionnelle n'interdit à la chambre de l'instruction, lors de l'examen d'une requête en nullité, de prononcer au vu de pièces versées au dossier en cours de délibéré, c'est à la condition de rouvrir les débats afin de soumettre celles-ci au débat contradictoire ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [D] se fondait, pour solliciter l'annulation de pièces de la procédure, sur l'absence au dossier de la décision de remise qui aurait été prise à son égard par les autorités espagnoles, cette absence ne permettant pas de vérifier le respect du principe de spécialité auquel il n'avait pas renoncé ; qu'en se fondant, pour rejeter cette requête, sur le versement au dossier de la décision de remise en « exécution (?) de l'arrêt avant-dire droit rendu le 21 décembre 2021 sur la prolongation de détention provisoire », soit en cours de délibéré, sans rouvrir les débats pour soumettre cette pièce au débat contradictoire, la chambre de l'instruction a violé les articles 197, 199, 201, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles préliminaire et 197, alinéa 4, du code de procédure pénale :
7. Il résulte du premier de ces textes que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.
8. Il résulte du second que la chambre de l'instruction renvoie l'audience à une date ultérieure s'il lui apparaît que la connaissance de pièces manquantes est indispensable à l'examen de la requête ou de l'appel qui lui est soumis.
9. Pour rejeter la requête en annulation, l'arrêt attaqué énonce que la décision ayant ordonné la remise de M. [D] a été transmise par les autorités espagnoles, en exécution d'un arrêt avant dire droit prononcé, le 21 décembre 2021, par la chambre de l'instruction, saisie d'un contentieux portant sur la détention provisoire de l'intéressé. Les juges relèvent qu'il résulte de cette décision de remise que le demandeur n'a pas renoncé à la règle de la spécialité, que sa remise a été accordée aux autorités françaises à raison des trois infractions visées par le mandat d'arrêt européen, pour lesquelles il a été mis en examen, les faits et les qualifications de sa mise en examen étant identiques à ceux du mandat.
10. En prenant ainsi en considération, pour rejeter la requête en nullité, un document parvenu pendant que sa décision sur cette requête était en délibéré, sans ordonner la réouverture des débats pour que les parties puissent en discuter contradictoirement le contenu, la chambre de l'instruction a méconnu le principe de la contradiction.
11. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 16 novembre 2022 n° 22-81.541
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 22-81.541 F-D
N° 01412
MAS2 16 NOVEMBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 16 NOVEMBRE 2022
Mme [O] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 9e chambre, en date du 7 février 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 13 janvier 2021, n° 19-86.982), pour fausse déclaration pour l'obtention de prestation ou allocation indue, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [O] [J], et les conclusions de Mme Philippe, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 22 juin 2017, le tribunal correctionnel a déclaré Mme [O] [J] coupable de fausse déclaration pour l'obtention de prestation ou allocation indue, l'a condamnée à trois mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
3. Mme [J] a relevé appel de cette décision et le ministère public a formé appel incident.
4. Par arrêt du 18 octobre 2019, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Lyon a confirmé les dispositions pénales et civiles du jugement.
5. Mme [J] a formé un pourvoi en cassation.
6. Par arrêt du 13 janvier 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, en date du 18 octobre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il n'est pas régulier en la forme, alors « qu'en cas de cassation, l'affaire est renvoyée, sauf disposition contraire, devant une autre juridiction de même nature que celle dont émane l'arrêt ou le jugement cassé ou devant la même juridiction composée d'autres magistrats ; que, dans cette dernière hypothèse, aucun des magistrats qui ont concouru à la décision censurée ne peut composer la juridiction de renvoi ; qu'en faisant état de ce que l'arrêt avait été rendu en présence de Madame [C] [Z], présente lors des débats et du délibéré, quand ce même magistrat était déjà membre de la formation de jugement de l'arrêt rendu le 18 octobre 2019 ayant été censuré par la Cour de cassation, l'arrêt de ne fait pas la preuve de sa régularité en méconnaissance des articles L. 131-4 du code de l'organisation judiciaire, 612 et 592 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire et 609 du code de procédure pénale :
8. Il résulte de ces deux textes que lorsque la Cour de cassation, après annulation d'un arrêt rendu en matière correctionnelle, renvoie le procès et les parties devant une juridiction de même ordre et degré que celle qui a rendu la décision annulée, cette dernière est composée d'autres magistrats.
9. Une juridiction devant laquelle une affaire a été renvoyée après cassation est irrégulièrement composée, si elle comprend l'un des magistrats ayant fait partie de la chambre de la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.
10. En l'espèce, il résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, du 18 octobre 2019, que la chambre des appels correctionnels était alors notamment composée de Mme Béatrice Thony, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
11. L'arrêt attaqué, prononcé sur renvoi, indique que Mme Béatrice Thony, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, était présente lors des débats et du délibéré.
12. En cet état, la composition de la juridiction de renvoi n'était pas régulière au regard des textes susvisés.
13. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 15 novembre 2022 n° 22-85.101 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 22-85.101 F-B
N° 01550
SL2 15 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [U] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 27 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Des mémoires ampliatif et personnel ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. [U] [S], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [U] [S] a été mis en examen des chefs précités puis placé en détention provisoire le 29 octobre 2021.
3. Le 7 juillet 2022, il a présenté une demande de mise en liberté à la chambre de l'instruction, en application de l'article 148-4 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le second moyen du mémoire ampliatif et le moyen du mémoire personnel
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen du mémoire ampliatif
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande en mise en liberté de M. [U] [S], alors « que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction saisie d'une demande de mise en liberté doit, dès l'ouverture des débats, être informée de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; qu'en l'espèce, il résulte des mentions de l'arrêt attaqué (page 2) que si l'exposant a été informé de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de garder le silence, cette information ne lui a été donnée que postérieurement au rapport oral de la présidente, aux observations de son conseil et aux réquisitions de l'avocat général ; qu'en cet état, la décision entreprise a méconnu les exigences du procès équitable et violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. La notification du droit de se taire, après l'ouverture des débats, à la personne mise en examen qui comparaît devant la chambre de l'instruction, n'est pas contraire à l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'elle a lieu avant que l'intéressé ne soit entendu sur les faits qui lui sont reprochés, conformément à l'alinéa 4, de l'article 199 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.
7. Tel est le cas en l'espèce.
8. Ainsi, le moyen doit être écarté.
9. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
Crim. 15 novembre 2022 n° 22-85.109
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 22-85.109 F-D
N° 01544
15 NOVEMBRE 2022
SL2
IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [T] [H] a présenté, par mémoire spécial reçu le 24 août 2022, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 12 juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'agression sexuelle incestueuse sur mineur de quinze ans, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« L'article 179, alinéa 4, du code de procédure pénale, issu de la loi L. n° 2016-731 du 3 juin 2016 dans son article 59 en vigueur au 1er août 2016, qui prévoit une suspension de la remise en liberté du requérant mis en examen sans limite de durée et en ne tenant pas compte de la présomption d'innocence, du droit à la vie privée et familiale et des droits de la défense constitutionnellement garantis par les articles 7,8, 9 et 16 de la déclaration des droits de l'homme de 1789 est-elle par le terme litigieux de la loi L. n° 2016-731 du 3 juin 2016 dans son article 59 contraire aux droits de la défense et aux principes de présomption d'innocence et du droit à la vie privée et familiale constitutionnellement garantis par les articles 7,8, 9 et 16 de la déclaration des droits de l'homme de 1789 ? ».
2. Le pourvoi ayant été déclaré sans objet par arrêt de ce jour, la question prioritaire de constitutionnalité doit être déclarée irrecevable, en l'absence d'instance en cours devant la Cour de cassation.
Crim. 15 novembre 2022 n° 22-82.941
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 22-82.941 F-D
N° 01543
15 NOVEMBRE 2022
SL2
NON LIEU À RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [I] [T] a présenté, par mémoire spécial reçu le 26 août 2022, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 12 avril 2022, qui a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [I] [T], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée : « Les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 706-154 du code de procédure pénale ne portent-elles pas une atteinte excessive au droit d'exercer un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, méconnaissant ainsi cette disposition, en ce qu'elles ne prévoient pas que le délai de dix jours dans lequel le titulaire du compte bancaire dont le solde créditeur a fait l'objet d'une saisie peut déférer à la chambre de l'instruction l'ordonnance prescrivant le maintien de la saisie ne commence à courir qu'à compter du jour où cette ordonnance a été effectivement portée à sa connaissance ? ». 2. La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
3. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
4. La question posée ne présente pas un caractère sérieux, pour les motifs qui suivent.
5. En premier lieu, la personne concernée dispose d'un délai de dix jours, qui court à compter de la notification de l'ordonnance prise en application du premier alinéa de l'article 706-154 précité, pour former le recours prévu au second alinéa de ce texte, par déclaration au greffe du tribunal.
6. En deuxième lieu, le recours reste recevable si l'intéressé fait valoir à l'appui de son appel l'existence d'un obstacle de nature à l'avoir mis dans l'impossibilité d'exercer son recours en temps utile, tel que la remise tardive de la lettre recommandée de notification en raison d'une défaillance du système d'acheminement du courrier.
7. Enfin, l'intéressé dispose, par ailleurs, de la possibilité de demander la restitution des fonds saisis sur le fondement des articles 41-4 ou 99 du code de procédure pénale et peut exercer un recours juridictionnel contre la décision de refus éventuellement opposé à sa demande.
8. Il en résulte que les dispositions critiquées ne portent aucune atteinte au droit d'exercer un recours effectif.
Crim. 15 novembre 2022 n° 22-80.641
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 22-80.641 F-D
N° 01391
GM 15 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [Y] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Riom, en date du 21 décembre 2021, qui, dans l'information judiciaire suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment aggravé, infractions à la législation sur les armes, a prononcé sur sa demande en nullité de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 21 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [Y] [M], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Au cours d'une enquête préliminaire du chef de trafic de stupéfiants, une vidéosurveillance sur la voie publique, à proximité d'un lieu de revente, a été installée par les enquêteurs. Cette mesure a permis l'identification de M. [Y] [M].
3. Une information judiciaire des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants a été ouverte le 24 septembre 2020, dans le cadre de laquelle le juge d'instruction a ordonné des mesures d'interceptions téléphoniques et de géolocalisations.
4. M. [M] a été interpellé et mis en examen le 5 mars 2021.
5. Le 6 septembre suivant, il a déposé une requête en nullité de différents actes de la procédure.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens et sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de de l'irrégularité des commissions rogatoires sur lesquelles se sont fondés les services d'enquête pour procéder à la mise en place d'un dispositif de géolocalisation, alors « que la décision par laquelle le magistrat instructeur autorise la mise en place d'un moyen technique de géolocalisation doit être motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires ; qu'en rejetant le moyen de nullité tiré de l'insuffisance de motivation des commissions rogatoires techniques sur lesquelles se sont fondés les services d'enquête pour procéder à la mise en place d'un dispositif de géolocalisation, lorsqu'il ressortait de ses propres constatations que celles-ci se bornaient à autoriser la mise en place d'un dispositif d'interception et d'enregistrement de correspondances téléphoniques, et ne comprenaient strictement aucune mention relative à une mesure de géolocalisation, la chambre de l'instruction a violé les articles 230-32, 230-33, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 230-33, alinéa 5, du code de procédure pénale :
8. Il résulte de ce texte que la décision du juge d'instruction autorisant une mesure de géolocalisation doit être motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que cette opération est nécessaire. L'absence d'une telle motivation, qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée.
9. Pour ne pas faire droit à la nullité des opérations de géolocalisation du véhicule de M. [M] et des deux lignes dont il reconnaît être l'utilisateur, prise de ce que les décisions les autorisant mentionnent que les nécessités de l'information justifient que soit mis en place « un dispositif ayant pour objet sans le consentement des intéressés l'interception, l'enregistrement et la transcription des correspondances émises par la voie d'une ligne », l'arrêt énonce notamment que l'exigence de motivation de celles-ci n'est pas prescrite à peine de nullité et que le mis en examen ne peut justifier d'aucune atteinte à ses droits ni d'aucun grief.
10. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe susénoncé.
11. En effet, dès lors qu'elles articulent une motivation relative à la mise en place d'interceptions téléphoniques et non de mesures de géolocalisation, les décisions attaquées doivent être analysées comme étant dépourvues de toute motivation.
12. La cassation est dès lors encourue de ce chef.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de de l'irrégularité des éléments de preuve obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation, ainsi que des réquisitions adressées, sur la seule autorisation du procureur de la République, aux opérateurs de téléphonie aux fins de communications de ces données, alors « que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52, paragraphe 1, de la Charte, et du principe d'effectivité, s'oppose à une réglementation nationale permettant à titre préventif la conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler les éléments de procédure dont il ressort de ses propres constatation qu'ils résultaient de l'exploitation de données ayant fait l'objet d'une telle conservation, à invoquer des circonstances alternativement inopérantes et erronées en droit, tenant à l'antériorité des investigations par rapport aux arrêts de la CJUE évoqués, à la prétendue possibilité de procéder à une telle conservation aux fins de prévention des menaces à la sécurité publique, de recherche, de détection et de poursuite des infractions pénales en général et de sauvegarde de la sécurité nationale, et à la remise en cause du caractère déterminant des données litigieuses, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision et violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 15 de la directive 2002/58/CE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
14. Par arrêt en date du 12 juillet 2022, la Cour de cassation a énoncé les principes suivants (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).
15. La personne mise en examen n'est recevable à invoquer la violation des exigences en matière de conservation des données de connexion que si elle prétend être titulaire ou utilisatrice de l'une des lignes identifiées ou si elle établit qu'il aurait été porté atteinte à sa vie privée, à l'occasion des investigations litigieuses.
16. L'article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, mis en oeuvre par l'article R. 10-13 dudit code, tel qu'il résultait du décret n° 2012-436 du 30 mars 2012, est contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'il imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion , à l'exception des données relatives à l'identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu'en matière de criminalité grave, de celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d'une connexion.
17. En revanche, la France se trouvant exposée, depuis décembre 1994, à une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible à la sécurité nationale, les textes précités de droit interne étaient conformes au droit de l'Union en ce qu'ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée les données de trafic et de localisation, aux fins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, incriminés aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal.
18. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale, dans leur version antérieure à la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022, lus en combinaison avec le sixième alinéa du paragraphe III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, permettaient aux autorités compétentes, de façon conforme au droit de l'Union, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, d'ordonner la conservation rapide, au sens de l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, des données de connexion , même conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.
19. Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle est saisie d'une contestation sur le recueil des données de connexion, de vérifier que, d'une part, la conservation rapide respecte les limites du strict nécessaire, d'autre part, les faits relèvent de la criminalité grave, au regard de la nature des agissements en cause, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.
20. En l'espèce, pour écarter la nullité des éléments d'enquête résultant de l'exploitation des données de connexion, notamment de l'une des lignes de M. [M], prise de la non-conformité du droit français aux exigences européennes en matière de conservation de celles-ci, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, énonce que le requérant ne rapporte pas la preuve de ce que les données obtenues par les enquêteurs, et dont il sollicite l'annulation, relèvent de données relatives au trafic obtenues au moyen d'une conservation généralisée et indifférenciée et entrent dans les catégories de celles déclarées contraires au droit de l'Union européenne.
21. Les juges ajoutent que le droit européen n'impose pas au juge pénal national d'écarter, de manière systématique, des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus au moyen d'une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation incompatible avec le droit de l'Union.
22. Ils précisent, à cet égard, qu'il faut encore que les personnes ne soient pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d'un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits, conditions qui ne sont manifestement pas réunies en l'espèce.
23. Ils ajoutent qu'il résulte de l'arrêt du Conseil d'Etat du 21 avril 2021 (CE, 21 avril 2011, n° 393099) que l'état des menaces pesant sur la sécurité nationale justifie légalement que soit imposée aux opérateurs la conservation générale et indifférenciée des données et que l'autorité judiciaire est en mesure d'accéder aux données nécessaires à la poursuite et à la recherche des auteurs d'infractions pénales dont la gravité le justifie.
24. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes précités et les principes susénoncés.
25. En effet, il lui appartenait de rechercher, comme précisé au paragraphe 15, pour quelles réquisitions M. [M] avait qualité à invoquer la violation des exigences de l'Union européenne en matière de conservation des données de connexion, puis, en second lieu, de procéder ainsi qu'il est exposé au paragraphe 19.
26. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef.
Crim. 15 novembre 2022 n° 22-85.097 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 22-85.097 F-B
N° 01545
SL2 15 NOVEMBRE 2022
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [M] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 20 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants et d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [M] [V], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés, M. [M] [V] a été placé en détention provisoire le 16 juin 2022.
3. À côté de sa signature, dans la rubrique dédiée à la notification de l'ordonnance, il a apposé la mention manuscrite « je fais appel ».
4. Par courrier du 13 juillet 2022, son avocat a demandé au procureur général la mise en liberté d'office de l'intéressé, au motif qu'il n'avait pas été statué dans les délais prévus par la loi sur l'appel déclaré par ce dernier devant le juge des libertés et de la détention à l'issue du débat contradictoire.
5. Un acte d'appel a été établi le même jour par le greffe du tribunal judiciaire, au vu de ce seul courrier.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que la chambre de l'instruction n'était pas régulièrement saisie, en l'absence d'appel régulièrement formé et a dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le moyen tiré du défaut de délivrance du permis de communiquer, alors « que si la déclaration d'appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée et doit être signée par le greffier et par l'appelant lui-même, la mention « je fais appel » à côté de la signature du mis en examen sur la seule dernière page de l'ordonnance de placement en détention provisoire, dans l'espace consacré aux formalités de notification, suffit à constituer une déclaration d'appel, dès lors qu'elle est suivie de la signature du greffier, même au titre d'une formalité de notification ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [V] a manifesté son intention d'interjeter appel de l'ordonnance du 16 juin 2022 par lequel le juge des libertés et de la détention a ordonné son placement en détention provisoire en inscrivant la mention manuscrite « je fait appel » sur la troisième page de cette ordonnance, à côté de sa signature ; que le greffier du juge des libertés et de la détention a, sur la même page, également apposé sa signature, sans pour autant transcrire la déclaration d'appel au registre du tribunal judiciaire ; qu'en retenant toutefois, pour dire qu'elle n'était pas régulièrement saisie, en l'absence d'appel régulièrement formé, que la signature du greffier du juge des libertés et de la détention ne figurait sur l'ordonnance de placement en détention provisoire qu'au titre de l'accomplissement de la formalité de notification, de sorte que cette signature ne saurait authentifier la déclaration d'appel de Monsieur [V], la Chambre de l'instruction a violé les articles 186, 502, 591 et 593 du Code de procédure pénale. » Réponse de la Cour
Vu l'article 502 du code de procédure pénale :
7. Il résulte de ce texte que la déclaration d'appel est faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée.
8. Pour dire que la juridiction n'était pas saisie d'un appel, l'arrêt attaqué énonce que M. [V] a apposé sur la dernière page de l'ordonnance de placement en détention provisoire, sous la mention de réception d'une copie de l'ordonnance et de l'imprimé de déclaration des droits, la mention manuscrite « je fais appel » suivie de sa signature.
9. Les juges observent que l'article 502 du code de procédure pénale prévoit que la déclaration d'appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée et doit être signée par lui.
10. Ils relèvent que l'ordonnance contestée, sur laquelle a été portée la mention ci-dessus, n'a pas été signée par le greffier et que la signature de ce dernier figurant uniquement au titre de l'accomplissement de la formalité de notification à l'avocat, il ne saurait s'en déduire que le greffier a eu connaissance d'une déclaration d'appel dans des conditions conformes aux exigences du texte susvisé.
11. Ils en déduisent que l'appel enregistré par le greffe du tribunal judiciaire le 13 juillet 2022 a été formé irrégulièrement.
12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé, pour les motifs qui suivent.
13. Premièrement, le débat contradictoire à l'issue duquel M. [V] a été placé en détention provisoire s'est tenu en présence du juge saisi, du greffier qui l'assistait et de l'intéressé.
14. Deuxièmement, pour attester de la réception d'une copie de l'ordonnance, M. [V] a apposé sa signature au pied de celle-ci, en présence du greffier, qui y a apposé sa signature.
15. Enfin, en ajoutant, à côté de sa signature, la mention « je fais appel », l'intéressé a manifesté sans équivoque sa volonté de faire appel, devant ce greffier, qui devait, dès lors, en tirer les conséquences en enregistrant cet appel.
16. La cassation est ainsi encourue.
Portée et conséquences de la cassation
17. Dès lors que la chambre de l'instruction ne s'est pas prononcée sur l'appel formé par M. [V] le 16 juin 2022, dans le délai prescrit par l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale, celui-ci doit être mis d'office en liberté ; la cassation aura donc lieu sans renvoi et l'intéressé sera remis en liberté s'il n'est détenu pour autre cause.
18. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des délais prévus par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.
19. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [V] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.
20. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :
- empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que l'intéressé, déjà mis en examen pour des faits de même nature commis récemment, d'une part, a cherché à élaborer une version commune des faits avec M. [T] [A], en sollicitant M. [K] [E], d'autre part, a refusé de laisser les enquêteurs accéder au contenu de ses téléphones portables, alors que toutes les personnes impliquées n'ont pas encore été identifiées ;
- mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement, en ce que l'intéressé était, au moment des faits, placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d'une information portant sur des faits de même nature, après avoir été en détention provisoire pendant quatorze mois, alors que, d'une part, ses déclarations sur ses activités professionnelles n'ont pu être vérifiées, d'autre part, les sommes en jeu (rémunération des comparses et montant des achats) sont sans commune mesure avec les revenus que l'intéressé dit tirer de l'activité professionnelle qu'il revendique, soit 1 400 euros par mois.
21. Afin d'assurer ces objectifs, M. [V] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.
22. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.
Crim. 15 novembre 2022 n° 21-87.295 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 21-87.295 F- B
N° 01392
GM 15 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [B] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 7 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants et infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 21 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [B] [E], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [B] [E] a été mis en examen des chefs susvisés le 12 mars 2021.
3. Le 26 mars 2021, le juge d'instruction a notifié aux parties l'avis de fin d'information prévu à l'article 175 du code de procédure pénale.
4. Le 26 avril suivant, l'avocat de M. [E] a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation d'actes de la procédure.
Examen des moyens
Sur les premier à quatrième, sixième et septième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la perquisition réalisée au domicile de M. [E], alors :
« 1/° que l'urgence qui justifie une perquisition nocturne doit être caractérisée au moment de cette perquisition ; qu'en jugeant valable une perquisition nocturne effectuée sur la base d'une autorisation donnée deux mois plus tôt, laquelle ne pouvait par hypothèse constater l'urgence à perquisitionner au moment des opérations, la Chambre de l'instruction a violé les articles 706-91, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2/° qu'en se fondant, pour caractériser l'urgence à perquisitionner le domicile de M. [E], sur le fait que M. [E] avait fait l'objet de recherches infructueuses et qu'il avait fui avant l'arrivée des enquêteurs, motifs impropres à établir l'urgence d'une perquisition nocturne, la chambre de l'instruction a derechef violé les articles 706-91, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale :
7. Il résulte de ces textes que l'autorisation donnée par le juge d'instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d'habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée (Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174).
8. Il en découle qu'est nulle l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée (Crim., 13 septembre 2022, pourvoi n° 21-87.452, Bull. crim.).
9. Il se déduit de ce qui précède que si le juge d'instruction peut, par une ordonnance motivée conformément aux exigences ci-dessus, autoriser de telles perquisitions en considération de la situation d'urgence inhérente à des interpellations dont la date n'est pas encore fixée et du risque de dépérissement des preuves qui en résultera, encore doit-il, pour garantir l'effectivité de son contrôle, s'assurer de la persistance de cette urgence au regard des éléments de fait et de droit énoncés dans ladite ordonnance, avant que ces perquisitions ne soient réalisées.
10. Lorsque l'ordonnance a été ainsi délivrée antérieurement aux actes qu'elle vise, il appartient aux enquêteurs de recueillir l'avis préalable, serait-il même oral, du juge d'instruction, et de justifier de l'accomplissement de cette formalité en procédure.
11. Pour rejeter la demande d'annulation de la procédure réalisée au domicile de M. [E] le 13 décembre 2021, l'arrêt attaqué énonce que l'ordonnance prévue par l'article 706-91 du code de procédure pénale a été délivrée le 13 septembre, qu'elle est motivée de manière circonstanciée et repose sur une analyse des faits objet des investigations, spécialement le caractère nocturne des agissements des mis en cause.
12. Les juges relèvent que c'est en considération de la situation qui sera générée par les interpellations à venir et du risque de dépérissement des preuves qui en découlera que cette autorisation a été établie.
13. Ils ajoutent que ce texte n'interdit pas que ladite autorisation soit donnée à l'avance, la notion d'urgence étant à apprécier, non pas à ce moment-là, mais au moment, qui n'est pas nécessairement prévisible, où la perquisition autorisée sera opportune pour la manifestation de la vérité.
14. Ils retiennent que cette urgence était caractérisée, d'une part, en raison des recherches en cours afin d'interpeller le mis en cause, d'autre part, en raison de la nécessité de s'assurer de sa personne, la perquisition ayant été effectuée après constat, par les enquêteurs, de la fuite de l'intéressé de son domicile.
15. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
16. En effet, si elle a, à juste titre, relevé que, d'une part, l'ordonnance délivrée par le juge d'instruction était régulière, d'autre part, l'urgence s'apprécie au moment où la perquisition est réalisée, il ne résulte néanmoins pas des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que les enquêteurs aient avisé préalablement le magistrat ni que celui-ci ait donné son accord, de sorte qu'il n'a pas exercé de contrôle effectif sur la mesure.
17. La cassation est de ce fait encourue.
Portée et conséquences de la cassation.
18. La cassation sera limitée aux seules dispositions de l'arrêt relatives à la perquisition réalisée au domicile de M. [E] le 13 décembre 2021, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.
Crim. 15 novembre 2022 n° 21-87.226
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 21-87.226 F-D
N° 01395
GM 15 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2022
Les sociétés [1] et [3], parties civiles, venant aux droits de la société [2], ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-11, en date du 29 octobre 2021, qui, dans la procédure suivie contre M. [I] [D] des chefs de faux et escroquerie, a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat des sociétés [1] et [3], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [I] [D] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de faux et escroquerie au préjudice de la société [2].
3. Par jugement en date du 15 janvier 2018, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits, jugé l'action civile de la société [2] recevable mais l'a déboutée de sa demande en réparation de son préjudice matériel.
4. Le 26 mars 2018, cette société a formé une requête en rectification d'erreur matérielle en exposant que, lors de l'audience, le président du tribunal correctionnel avait oralement condamné le prévenu à lui verser la somme de 41 798,31 euros en réparation de son préjudice matériel.
5. Le 29 mars suivant, le prévenu a fait appel sur les peines et sur l'action civile.
6. Le 18 septembre 2018, le tribunal correctionnel a fait droit à la requête de la partie civile en rectification d'erreur matérielle et dit qu'en conséquence M. [I] [D] était condamné à lui payer la somme précitée.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen est tiré de la violation des articles 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 710, 400, alinéa 4, 485, alinéa 3, 591 et 593 du code de procédure pénale.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris, statuant sur les intérêts civils, a déclaré [1] et [3], venant aux droits de la société [2], irrecevables en leur demande tendant à la réparation de leur préjudice matériel, alors :
« 1°/ qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 710 du code de procédure pénale ne sont applicables qu'aux décisions définitives rendues par une juridiction répressive, ce qui n'était pas le cas à la date du 18 septembre 2018, compte tenu de l'appel interjeté par le prévenu à l'encontre du jugement rendu le 15 janvier 2018, pour écarter le jugement rectificatif (18 septembre 2018) et en déduire l'irrecevabilité de la demande de réparation du préjudice matériel de la société [2] qui n'avait pas interjeté appel du jugement du 15 janvier 2018, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen ;
2°/ que le jugement ou l'arrêt porté sur la minute doit être conforme à celui qui a été prononcé ; qu'en reprochant à la partie civile de n'avoir pas interjeté appel du jugement du 15 janvier 2018, le jugement rectificatif du 18 septembre 2018 étant dépourvu de portée, pour en déduire que la partie civile était irrecevable en se demande de réparation de son préjudice matériel, puisque la situation de l'appelant ne peut être aggravée sur son seul appel, quand il était établi par les mentions du jugement rectificatif (18 septembre 2018) que « les condamnations prononcées à son profit [[2]] à l'audience ne sont pas intégralement reprises dans le jugement : la condamnation à hauteur de 41 798,31 euros portant sur la réparation du préjudice matériel figure sur la côte du dossier lue par le président à l'audience mais est remplacée par le jugement par le rejet de la demande », ce dont il résultait que la demande de la partie civile tendant à la confirmation du jugement ayant condamné le prévenu à l'indemniser de son préjudice matériel était recevable et qu'en décidant le contraire par motifs inopérants, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
3°/ que les voies de nullités n'ayant lieu contre les jugements, le jugement rectificatif ne peut être privé d'effet que par la voie de l'appel, de sorte que commet un excès de pouvoir la cour d'appel qui, n'étant pas saisie d'un appel du jugement rectificatif du 18 septembre 2018 du précédent jugement rendu le 15 janvier 2018, prive cependant d'effet ledit jugement rectificatif, pour le motif tiré de ce que les dispositions de l'article 710 du code de procédure pénale ne sont applicables qu'aux décisions définitives rendues par une juridiction répressive, ce qui n'était pas le cas à la date du 18 septembre 2018 compte tenu de l'appel interjeté par le prévenu [du jugement du 15 janvier 2018]. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 509 du code de procédure pénale :
9. Aux termes de ce texte, l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant.
10. Pour déclarer irrecevable la demande de la partie civile tendant à la condamnation de M. [D] à lui verser la somme de 41 798,31 euros en réparation de son préjudice matériel, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 710 du code de procédure pénale ne sont applicables qu'aux décisions définitives rendues par une juridiction répressive, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
11. Les juges ajoutent que la société [2], n'ayant pas interjeté appel du jugement rendu le 15 janvier 2018 qui l'a déboutée de sa demande au titre de son préjudice matériel, est irrecevable en sa demande de réparation de celui-ci, en application des dispositions de l'article 515 alinéa 2 du code de procédure pénale qui dispose que la cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, aggraver le sort de l'appelant.
12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
13. En effet, en l'absence d'appel, le jugement rectificatif du 18 septembre 2018, qui condamnait le prévenu à verser à la partie civile la somme de 41 798, 31 euros en réparation de son dommage matériel, était pourvu de l'autorité de chose jugée, peu important qu'il ait été rendu en méconnaissance de la loi.
14. Dès lors, la cour d'appel était saisie des dispositions du jugement ainsi rectifié et devait statuer sur la demande de la partie civile au regard des termes de celui-ci.
15. Il s'ensuit que le prévenu ayant été condamné à indemniser la partie civile de son préjudice matériel, elle ne pouvait lui opposer les dispositions de l'article 515, alinéa 2, du code de procédure pénale pour la déclarer irrecevable en sa demande.
16. La cassation est dès lors encourue.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la réparation du préjudice matériel des sociétés demanderesses. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 9 novembre 2022 n° 21-82.348
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 21-82.348 F-D
N° 01376
SL2 9 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [N] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar, en date du 18 mars 2021, qui, dans la procédure suivie contre lui pour instigation à l'assassinat, subornation de témoin et recel a confirmé partiellement la décision du procureur de la République statuant sur sa demande de restitution.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [N] [S], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement définitif du 3 juillet 2019, le tribunal correctionnel a déclaré M. [S] coupable d'instigation à l'assassinat, subornation de témoin et recel, l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de séjour, et a prononcé sur les intérêts civils.
3. Le 14 septembre 2020, le procureur de la République a refusé de faire droit à la demande de restitution formée par M. [S], qui a interjeté appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses trois premières branches
4. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de restitution d'un ordinateur et d'un smartphone présentée par M. [S], alors :
« 4°/ que, portant atteinte au droit de propriété, la confiscation ou le refus de restitution de biens saisis doit être nécessaire et proportionné au but poursuivi ; que, dès lors que le tribunal correctionnel n'avait pas jugé nécessaire de confisquer l'ordinateur et le smartphone saisis, la chambre de l'instruction qui refuse leur restitution au motif qu'il s'agit des instruments de l'infraction, sans avoir précisé en quoi le fait que les objets saisis aient été des instruments de l'infraction justifiait le refus de restitution, aucune sanction ne pouvant plus être prononcée à l'encontre du condamné, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
5°/ qu'à tout le moins, il appartient à la chambre de l'instruction à laquelle est déférée la décision de non-restitution de l'instrument de l'infraction, rendue par le ministère public après que la juridiction de jugement saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, d'apprécier, sans porter atteinte aux droits du propriétaire de bonne foi, s'il y a lieu ou non de restituer le bien au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; que la chambre de l'instruction, qui a refusé de restituer l'ordinateur et le smartphone appartenant à M. [S], au seul motif qu'ils étaient les instruments de l'infraction, sans expliquer en quoi ce refus de restitution était justifié au regard de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle, a violé l'article 41-4 du code de procédure pénale, lu à la lumière de l'article 4 de la directive 2014/42/UE ;
6°/ que toute personne a droit au respect de sa vie privée et de ses correspondances ; que sa limitation doit être nécessaire et justifiée par l'objectif poursuivi ; que, dans le mémoire déposé pour M. [S], il était soutenu que son ordinateur et son téléphone comportaient des éléments de sa vie personnelle et de sa vie professionnelle qui justifiaient leur restitution ; que la chambre de l'instruction, qui n'a pas pris en considération cette articulation essentielle du mémoire, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 41-4 et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 41-4 et 593 du code de procédure pénale :
6. Il se déduit du premier de ces textes que lorsque la requête aux fins de restitution est présentée après que la juridiction de jugement saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, la non-restitution de l'instrument de l'infraction ne saurait présenter un caractère obligatoire, et qu'il appartient dans ce cas à la chambre de l'instruction à laquelle est déférée la décision de non-restitution de l'instrument de l'infraction rendue par le ministère public, d'apprécier, sans porter atteinte aux droits du propriétaire de bonne foi, s'il y a lieu ou non de restituer le bien au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle.
7. Il résulte du second que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Pour refuser la restitution à M. [S] d'un téléphone portable et d'un ordinateur portable lui appartenant, l'arrêt attaqué rappelle qu'il conteste que l'ordinateur et le téléphone portable en cause aient servi à commettre l'infraction d'instigation à l'assassinat, et énonce que l'information judiciaire a établi que, courant juillet 2017 et le 13 août 2017, l'intéressé a proposé à deux individus, dans un premier temps la réalisation d'actes plaçant son épouse en situation délictueuse, par le dépôt de stupéfiants dans son domicile, puis son élimination dans le cadre d'un cambriolage qui aurait mal tourné, ceci moyennant le versement d'une importante somme d'argent, mais que ces derniers ont dénoncé le projet à l'épouse qui a déposé plainte en conséquence.
9. Les juges relèvent que l'expertise de l'ensemble du matériel multimédia saisi au domicile de M. [S] ainsi que du téléphone portable qu'il détenait lors de son interpellation a montré que le couple avait des échanges par messagerie assurément tendus dans le cadre d'un divorce très conflictuel.
10. Ils retiennent que l'expertise du téléphone portable de M. [S] a révélé, au travers de nombreuses recherches internet, l'hypothèse faite par celui-ci du décès de son épouse, le 20 juillet 2017, soit quelques heures avant la rencontre avec les hommes qu'il allait ensuite solliciter pour l'exécution de son projet, qu'à partir de cette date et jusqu'au jour de son interpellation, l'intéressé a utilisé régulièrement son téléphone portable pour effectuer des recherches traduisant son souci de maîtriser au mieux la situation et d'adapter sa réaction, contacter l'assureur de son épouse au sujet du capital décès en faisant état du prétexte fallacieux de l'hospitalisation de celle-ci, s'informer sur les techniques d'enquête en diverses hypothèses, poser la question du sort pénal du commanditaire d'un projet criminel abandonné qui voudrait déposer plainte contre l'exécutant le faisant chanter après l'avoir dénoncé, et se renseigner sur la prescription des infractions ainsi que sur le statut du personnel du Conseil de l'Europe dont relevait son épouse.
11. Ils ajoutent que l'exploitation de l'ordinateur portable a révélé des recherches internet sur des thématiques pénales et sur la prison, les premières en tous cas devant être rattachées au fait que l'auteur du projet criminel cherchait à s'informer au mieux sur les conséquences juridiques de celui-ci.
12. Ils en concluent que dans ces conditions, le téléphone portable constituait un véritable outil pour M. [S] dans la conduite du projet criminel qu'il avait élaboré, lui permettant de rechercher les informations dont il estimait avoir besoin pour aviser de sa conduite à venir, que c'est à juste titre que ce téléphone a été qualifié d'instrument ayant servi à commettre l'infraction et que sa restitution a été refusée pour cette raison, et que le raisonnement suivi pour le téléphone portable doit de même être appliqué à l'ordinateur portable qui a été un outil de commission de l'infraction, ce qui justifie sa non restitution.
13. En se déterminant ainsi, sans mieux s'expliquer sur la personnalité de M. [S] et sa situation personnelle, et sans répondre aux conclusions de ce dernier faisant valoir que les objets dont il demandait la restitution contenaient ses travaux universitaires et de nombreuses photos ou vidéos familiales ayant pour lui une importance particulière, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
14. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 9 novembre 2022 n° 22-85.065
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 22-85.065 F-D
N° 01524
GM 9 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [J] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 23 juin 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 1er juin 2022, n° 22-81.847) dans l'information suivie contre lui des chefs notamment de vols et recel, aggravés, association de malfaiteurs, infractions à la législation sur les armes, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [J] [O], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [J] [O], incarcéré en Suisse, a fait l'objet d'un mandat d'arrêt dans le cadre d'une information suivie au tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, relative à des faits de trafics d'armes et de stupéfiants.
3. Il a été remis aux autorités françaises, par les autorités suisses, le 8 octobre 2021.
4. Il a été mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs, recel et vols, aggravés, infraction à la législation sur les armes et placé en détention provisoire le 12 octobre 2021.
5. Par ordonnance du 4 février 2022, le juge des libertés et de la détention a prolongé sa détention provisoire.
6. Par un arrêt du 24 février 2022, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry a confirmé l'ordonnance entreprise.
7. Par un arrêt du 1er juin 2022, la Cour de cassation a cassé l'arrêt attaqué et renvoyé la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 4 février 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention avait ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [O] pour une durée de quatre mois, alors :
« 1°/ que dans le cas où le demandeur fait valoir que ne figure pas en procédure la décision de remise des autorités judiciaires requises, il appartient à la chambre de l'instruction d'en demander le versement au dossier, une telle demande constituant une vérification au sens de l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale, puis de rechercher si la personne mise en examen avait été placée en détention provisoire pour des chefs d'accusation pour lesquels ces autorités avaient ordonné, au moins pour partie, sa remise ; que, s'agissant d'une extradition dite « simplifiée » mise en oeuvre par les autorités helvétiques, la « décision de remise » est constituée par l'établissement, par les autorités judiciaires suisses, d'un procès-verbal constatant le consentement de la personne extradée à sa remise et détaillant les faits pour lesquels ce consentement est donné ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir que ce procès-verbal ne figurait pas en procédure, seule une lettre du 21 septembre 2021, faisant référence à l'existence de cet acte, ayant été versée au dossier ; qu'en retenant toutefois, pour confirmer l'ordonnance du 4 février 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé de la détention provisoire de M. [O] pour une durée de quatre mois, que la lettre du 21 septembre 2021 cotée D. 1262 « constitue bien la décision même d'extradition », quand cette lettre, qui n'est pas adressée à la personne extradée et ne mentionne pas précisément les faits pour lesquelles la remise est accordée, ne saurait se substituer au procès-verbal des autorités judiciaires helvétiques constatant le consentement à la remise et détaillant les faits objets de la procédure d'extradition, lequel acte ne figure pas en procédure, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 696-6, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que dans le cas où le demandeur fait valoir que ne figure pas en procédure la décision de remise des autorités judiciaires requises, il appartient à la chambre de l'instruction d'en demander le versement au dossier, une telle demande constituant une vérification au sens de l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale, puis de rechercher si la personne mise en examen avait été placée en détention provisoire pour des chefs d'accusation pour lesquels ces autorités avaient ordonné, au moins pour partie, sa remise ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir que la lettre du 21 septembre 2021, qui ne mentionne aucun fait précis pour lequel l'extradition aurait été accordée et se contente de se « référer » à la demande d'arrestation formulée par les autorités françaises et aux « faits contenus dans [cette] demande », ne permet pas de contrôler le respect du principe de spécialité ; qu'en retenant toutefois, pour confirmer l'ordonnance du 4 février 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé de la détention provisoire de M. [O] pour une durée de quatre mois, d'une part que la lettre du 21 septembre 2021 se « référait » à la demande d'arrestation française et au mandat d'arrêt européen émis à l'encontre de l'exposant et d'autre part que ce dernier a bien été mis en examen pour les faits visés par ces actes, quand ces motifs sont inopérants à établir le respect du principe de spécialité, lequel suppose une concordance entre les faits objets de la mise en examen et les faits tels qu'ils sont mentionnés dans la décision de remise, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 696-6, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour écarter le moyen tiré de la violation du principe de spécialité, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que le document adressé le 21 septembre 2021 par l'Office fédéral de la justice de Suisse aux autorités françaises rappelle que ledit office est l'autorité helvétique compétente pour statuer sur les demandes d'extradition.
10. Les juges ajoutent que ce courrier vise expressément « la demande d'arrestation en vue d'extradition [...] inscrite dans le Système d'Information Schengen (SIS) par la France » et précise que l'Office fédéral de la justice « accorde par la présente extradition simplifiée de l'intéressé [...] à la France [...] pour les faits contenus dans la demande d'arrestation en vue d'extradition française susmentionnée ».
11. Ils en déduisent, en premier lieu, que ce document constitue bien la décision même d'extradition, et, en second lieu, que l'extradition a été accordée pour les faits objet de la demande qui ont été articulés dans le mandat d'arrêt européen.
12. Ils observent que les faits pour lesquels M. [O] a été mis en examen sont très exactement ceux pour lesquels son extradition a été sollicitée par les autorités françaises et accordée par les autorités suisses, dès lors que ces dernières ont expressément indiqué dans leur décision que l'extradition était accordée pour les faits visés dans la demande.
13. Ils concluent que M. [O] n'a pas été mis en examen en violation du principe de spécialité dont il a dit vouloir conserver le bénéfice et que son placement en détention est intervenu pour des chefs pour lesquels les autorités suisses avaient formellement ordonné son extradition.
14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.
15. En premier lieu, le courrier de l'Office fédéral de la justice du 21 septembre 2021 a été transmis par les autorités compétentes suisses comme justifiant de leur accord sur l'extradition sollicitée.
16. En second lieu, cette décision, qui mentionne que l'extradition est accordée pour les faits contenus dans la demande d'arrestation en vue d'extradition, sans formuler aucune réserve sur l'étendue de ces faits, met la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le principe de spécialité a bien été respecté.
17. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
Crim. 9 novembre 2022 n° 22-85.102
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 22-85.102 F-D
N° 01526
GM 9 NOVEMBRE 2022
IRRECEVABILITE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [K] [Y] a présenté, par mémoire spécial reçu le 24 août 2022, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 4e section, en date du 11 mai 2022, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'agression sexuelle aggravée, a rejeté ses demandes de mise en liberté.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur la conformité des termes « même en cas d'appel formé contre cette ordonnance » figurant à l'article 186-5 du code de procédure pénale combinés avec l'alinéa 4 de l'article 179 du même code, dans leur version issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, aux articles 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et à l'article 1 du préambule de la Constitution de 1946 en ce que ces dispositions ne prévoient ni la mise en liberté immédiate du détenu ni la durée maximum de la détention provisoire tant que celui-ci exerce son droit au recours juridictionnel contre les décisions le maintenant en détention.
2. Le pourvoi ayant été déclaré sans objet par arrêt de ce jour, la question prioritaire de constitutionnalité doit être déclarée irrecevable en l'absence d'instance en cours devant la Cour de cassation.
Crim. 9 novembre 2022 n° 22-82.334
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 22-82.334 F-D
N° 01367
SL2 9 NOVEMBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [R] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 31 mars 2022, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de blanchiment aggravé, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 7 juin 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [R] [X], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une procédure d'information ouverte du chef susvisé, M. [R] [X] a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de pièces de la procédure.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité déposée par M. [X], alors « que tout arrêt doit établir la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu ; qu'en l'espèce, l'arrêt ne mentionne pas le nom des trois magistrats ayant composé la juridiction ; qu'en première page, figure seulement la mention suivante : « tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du Code de procédure pénale » (arrêt, p. 1) ; qu'il est indiqué plus loin qu'a notamment été entendue « Mme CARBONARO, président, en son rapport » (arrêt, p. 2) ; qu'en l'état de ces énonciations, la Cour de cassation n'est pas en mesure de s'assurer de la régularité de la composition de la juridiction, de sorte que l'arrêt attaqué viole les articles 191, 216 et 592 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 191, 216 et 592 du code de procédure pénale :
4. Selon ces textes, tout jugement ou arrêt doit établir la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu.
5. Il résulte des mentions de l'arrêt critiqué que les débats se sont déroulés devant une formation collégiale composée de trois magistrats, dont seul le président est désigné nommément, le nom et la qualité des deux assesseurs n'étant pas mentionnés.
6. En l'état de ces seules énonciations, la Cour de cassation n'est pas en mesure de s'assurer de la régularité de la composition de la juridiction.
7. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 9 novembre 2022 n° 21-85.747 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° N 21-85.747 F-B
N° 01377
SL2 9 NOVEMBRE 2022
REJET CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [M] [O], la société [2] [O] [3], M. [D] [F] et la société [12] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, en date du 16 septembre 2021, qui, pour importations sans déclaration de marchandises prohibées et fausse déclaration en valeur, les a condamnés solidairement à des amendes douanières.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, commun aux demandeurs, un mémoire additionnel, un mémoire en défense et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction régionale des douanes et droits indirects d'[Localité 1], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'importation d'ail extérieure à la Communauté européenne est soumise à un droit de douane sur la valeur et à un droit spécifique additionnel. Ce droit spécifique peut ne pas être dû dès lors que l'importateur a obtenu de l'établissement FranceAgriMer des certificats d'importation l'exonérant du paiement de ce droit pour certaines périodes de temps et certaines quantités, dans le cadre de contingents définis par la Commission européenne. L'importateur bénéficiant de ces certificats d'importation ne peut plus prétendre à l'exonération du droit spécifique additionnel lorsqu'il a importé la quantité d'ail indiquée sur les certificats qui lui ont été attribués. En application de l'article 6, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 341/2007 du 29 mars 2007, instaurant le régime de certificats d'importation et de certificats d'origine pour l'ail, les certificats d'importation étaient, à l'époque des faits, incessibles.
3. Le 26 juin 2010, les services des douanes ont initié un contrôle sur les importations d'ail du Mexique et d'Argentine effectuées entre 2009 et 2011 par la société [6] (société [5]), devenue la société [11], spécialisée dans le commerce d'ail en gros.
4. Par procès-verbal du 9 décembre 2013 ont été notifiées à la société [5] les infractions de fausse déclaration de destinataire réel commises à l'aide de documents inapplicables ayant conduit à éluder 341 628 euros de droits spécifiques, 1 479 euros de droits de douane et 30 821 euros de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), fausse déclaration ou manoeuvre ayant pour but ou pour effet d'obtenir, en tout ou partie, une exonération, un droit réduit ou un avantage quelconque attaché à l'importation et fausse déclaration de valeur.
5. Par procès-verbal du 10 décembre 2013 les mêmes infractions ont été notifiées à la société [2] [O] [3] en qualité d'intéressée à la fraude.
6. Selon l'administration des douanes, la société [5] avait élaboré avec la complicité de la société [2] [O] [3] un montage commercial frauduleux lui permettant de continuer à bénéficier des avantages tarifaires attachés aux certificats, consistant, après avoir épuisé son quota de certificats, à importer de l'ail argentin que la société [10] vendait avant dédouanement à différentes entités du groupe hollandais [2] [O] [3] lequel dédouanait l'ail grâce aux certificats dont il disposait au moment de l'opération, le dédouanement lui permettant d'être exonéré du paiement du droit spécifique.
7. L'administration des douanes leur a également reproché d'avoir déposé en douane au cours de l'année 2010 des déclarations sur lesquelles était faussement indiqué que les marchandises importées étaient destinées à être mises à la consommation dans un autre Etat membre de l'Union européenne, alors qu'elles n'avaient pas quitté le territoire français, ce qui avait permis à la société [5] de bénéficier indûment d'une exonération de taxe sur la valeur ajoutée.
8. Enfin les agents des douanes ont indiqué avoir constaté que le montant facturé figurant sur deux déclarations en douane avait été sous-évalué.
9. À la suite de ces notifications, deux avis de mise en recouvrement reprenant le total des droits des taxes dues ont été émis à l'encontre des sociétés [5] et [2] [O] [7], qui les ont contestés.
10. Par arrêt en date du 11 juin 2020, statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Grenoble a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement.
11. Entre temps, MM. [F] et [O], ainsi que les sociétés [5] et [2] [O] [3] ont été cités, le 4 novembre 2016, devant le tribunal correctionnel pour avoir, d'une part, commis des manoeuvres ayant eu pour effet d'éluder le paiement de 341 628 euros de droits de douane et 8 863 euros de TVA, faits constitutifs d'un délit douanier qualifié d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, d'autre part, sollicité indûment le bénéfice de l'article 262 ter, I, du code général des impôts, et ainsi éludé 25 053 euros de TVA, faits constitutifs d'un délit douanier qualifié d'importation en contrebande de marchandises prohibées, enfin, commis une fausse déclaration de valeur ayant permis d'éluder le paiement de 1 479 euros de droits de douane et 4 205 euros de TVA, contravention connexe.
12. Par jugement en date du 27 juin 2018, le tribunal correctionnel a rejeté les différentes exceptions de nullité soulevées par la défense, a déclaré l'ensemble des prévenus coupable des faits de la prévention et les a condamnés solidairement au paiement de trois amendes douanières d'un montant respectif de 1 500 euros, 645 754 euros et 314 193 euros.
13. Les prévenus et le procureur de la République ont interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premiers moyens, pris en leur deuxième branche, proposés pour les demandeurs, le second moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, proposé pour M. [F] et la société [11], le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7] et le moyen additionnel, pris en sa seconde branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7]
14. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les premiers moyens, pris en leurs premières, troisièmes, quatrièmes et cinquièmes branches proposés pour M. [F], la société [11], M. [O] et la société [2] [O] [7],
Enoncé des moyens
15. Le moyen proposé pour M. [F] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, alors :
« 1°/ que si les agents de douanes peuvent consigner dans un procès-verbal de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du code des douanes et recueillir des déclarations, l'article 334 de ce même code ne leur confère pas un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée ; qu'il résulte des propres constatations de la décision attaquée et des pièces de la procédure que M. [F], représentant de la société [11], a fait l'objet d'une audition formelle sur les fraudes supposées et sa connaissance des mécanismes mis en place ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de nullité de ces auditions réalisées en dehors de tout cadre légal, la cour d'appel a méconnu les articles 334 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le principe du contradictoire implique pour les parties le droit d'accès aux informations et la communication de toutes les pièces de la procédure ; qu'ainsi, l'administration des douanes doit communiquer à l'opérateur l'ensemble des éléments fondant sa position afin qu'il puisse utilement y répondre avant qu'elle ne lui délivre un procès-verbal d'infraction ; qu'en relevant, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, pris de la violation du contradictoire, que l'article 67 A du code des douanes applicable au moment des faits n'exigeait pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisé la référence des documents et informations sur lesquelles l'administration s'est fondée, lorsque l'absence de communication de l'intégralité des éléments sur lesquels l'administration se fonde prive le redevable de son droit d'accès aux informations et de la communication de toutes les pièces de la procédure, la cour d'appel a méconnu le droit à un procès équitable tel qu'il est défini par l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'action de l'administration des douanes en répression des délits douaniers se prescrit dans les mêmes délais et dans les mêmes conditions que l'action publique en matière de délits de droit commun ; qu'en rejetant l'exception de prescription de l'action fiscale, lorsque les procès-verbaux de notification du 9 et du 10 décembre 2013, entachés de nullité, n'ont pu ni interrompre ni suspendre la prescription de l'action publique à l'égard de quiconque, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 351 du code des douanes, 8 du code de procédure pénale en sa rédaction applicable à l'époque des faits, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que le juge pénal doit prendre en compte la nullité des actes définitivement prononcée par le juge civil ; que sur renvoi après cassation (Cass. com. 2 octobre 2019, pourvoi n° 18-11.286), par une décision définitive rendue le 11 juin 2020, la cour d'appel de Grenoble, statuant sur la contestation élevée par la société [10] contre l'avis de mise en recouvrement, a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement du 23 décembre 2013 ; qu'en refusant de tenir compte de cette décision et de prononcer la nullité desdits actes, aux motifs inopérants que la décision civile ne peut s'imposer au juge pénal faute d'identité d'objet et de cause, la cour d'appel a méconnu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
16. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, alors :
« 1°/ que si les agents de douanes peuvent consigner dans un procès-verbal de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du code des douanes et recueillir des déclarations, l'article 334 de ce même code ne leur confère pas un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée ; qu'il résulte des propres constatations de la décision attaquée et des pièces de la procédure que M. [F], représentant de la société [11], a fait l'objet d'une audition formelle sur les fraudes supposées et sa connaissance des mécanismes mis en place ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de nullité de ces auditions réalisées en dehors de tout cadre légal, la cour d'appel a méconnu les articles 334 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le principe du contradictoire implique pour les parties le droit d'accès aux informations et la communication de toutes les pièces de la procédure ; qu'ainsi, l'administration des douanes doit communiquer à l'opérateur l'ensemble des éléments fondant sa position afin qu'il puisse utilement y répondre avant qu'elle ne lui délivre un procès-verbal d'infraction ; qu'en relevant, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, pris de la violation du contradictoire, que l'article 67 A du code des douanes applicable au moment des faits n'exigeait pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisé la référence des documents et informations sur lesquelles l'administration s'est fondée, lorsque l'absence de communication de l'intégralité des éléments sur lesquels l'administration se fonde prive le redevable de son droit d'accès aux informations et de la communication de toutes les pièces de la procédure, la cour d'appel a méconnu le droit à un procès équitable tel qu'il est défini par l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'action de l'administration des douanes en répression des délits douaniers se prescrit dans les mêmes délais et dans les mêmes conditions que l'action publique en matière de délits de droit commun ; qu'en rejetant l'exception de prescription de l'action fiscale, lorsque les procès-verbaux de notification du 9 et du 10 décembre 2013, entachés de nullité, n'ont pu ni interrompre ni suspendre la prescription de l'action publique à l'égard de quiconque, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 351 du code des douanes, 8 du code de procédure pénale en sa rédaction applicable à l'époque des faits, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que le juge pénal doit prendre en compte la nullité des actes définitivement prononcée par le juge civil ; que sur renvoi après cassation (Cass. com. 2 octobre 2019, pourvoi n° 18-11.286), par une décision définitive rendue le 11 juin 2020, la cour d'appel de Grenoble, statuant sur la contestation élevée par la société [10] contre l'avis de mise en recouvrement, a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement du 23 décembre 2013 ; qu'en refusant de tenir compte de cette décision et de prononcer la nullité desdits actes, aux motifs inopérants que la décision civile ne peut s'imposer au juge pénal faute d'identité d'objet et de cause, la cour d'appel a méconnu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Les moyens sont réunis.
Sur les premiers moyens, pris en leurs premières branches
18. Pour écarter l'exception tirée de la nullité de l'audition de M. [F] réalisée par les agents des douanes, l'arrêt attaqué énonce que l'article 334 du code des douanes, qui impose aux agents de l'administration des douanes de consigner dans les procès-verbaux de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du même code et d'une manière générale ceux des enquêtes et interrogatoires effectués par eux, prévoit ainsi expressément la possibilité pour les agents des douanes de procéder à des interrogatoires et qu'il est constant que les agents des douanes peuvent procéder à l'occasion des opérations de contrôle à des auditions.
19. Il relève qu'en l'espèce les personnes n'ont pas refusé d'être entendues par les enquêteurs et que dès le commencement du contrôle la société a eu connaissance de sa nature.
20. Les juges ajoutent que les agents des douanes peuvent parfaitement procéder à des interrogatoires en lien avec les enquêtes qu'ils diligentent à l'occasion de leurs missions de contrôle sans qu'il soit porté atteinte au respect des droits de la défense et que ces auditions, effectuées sans contrainte, ne sauraient être confondues avec le placement en garde à vue ou la retenue douanière.
21. Ils constatent que les personnes auditionnées n'ont pas demandé à être assistées par un avocat et qu'au moment des faits l'article 67 F relatif à l'audition libre en matière douanière instaurant des droits n'était pas en vigueur, le seul cadre d'une audition étant l'audition simple prévue par l'article 334 du code des douanes ou l'audition en cas de retenue douanière avec la notification des droits comme en garde à vue en cas d'exercice d'une contrainte.
22. La cour d'appel retient que, par ailleurs, le tribunal a justement rappelé que les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu'à preuve contraire de l'exactitude de la sincérité des aveux et déclarations qu'ils rapportent.
23. C'est à tort que la cour d'appel a rejeté l'exception de nullité.
24. En effet, les dispositions de l'article 65 du code des douanes, qui prévoient au profit des agents des douanes un droit de communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, ainsi que celles de l'article 334 du même code, qui concernent uniquement la forme sous laquelle doivent être consignés les résultats des contrôles et enquêtes réalisés par ces agents, si elles ne leur interdisent pas de recueillir des déclarations spontanées relatives aux éléments communiqués, ne leur confèrent pas un pouvoir général d'audition.
25. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que les juges pour retenir la culpabilité des prévenus se sont fondés sur d'autres éléments, soumis au débat contradictoire, notamment sur les constatations matérielles contenues dans les procès-verbaux.
26. Le grief sera donc écarté.
Sur les premiers moyens, pris en leurs troisièmes branches
27. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, tiré de ce que l'administration des douanes, en violation du principe du contradictoire, n'avait pas communiqué au redevable, préalablement à son établissement, les documents sur lesquels elle a fondé sa décision, l'arrêt attaqué énonce que le principe du contradictoire, applicable au cours de l'enquête aboutissant à l'établissement d'un procès-verbal de notification d'infraction implique que le destinataire d'une décision susceptible de lui faire grief doit être à même avant cette décision de faire connaître utilement son point de vue et bénéficier pour ce faire d'un délai suffisant.
28. Il constate que l'article 67 A du code des douanes, dans sa version applicable au moment des faits, n'exige pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisée la référence des documents et informations sur lesquels l'administration s'est fondée.
29. Les juges relèvent que l'échange préalable contradictoire prévu par ledit article a eu lieu après réception par la société [2] [O] [3] de l'avis de résultat d'enquête auquel elle a répondu en présentant des observations.
30. Ils ajoutent qu'il résulte du procès-verbal du 10 décembre 2013 que le représentant de la société [2] [O] [3], régulièrement convoqué le 5 novembre 2013 afin que lui soient notifiées les infractions douanières retenues à son encontre, ne s'est pas présenté auprès de l'administration.
31. La cour d'appel en conclut que la société [2] [O] [3] a bien été mise en mesure de solliciter auprès de l'administration la communication des documents visés dans l'avis d'enquête et de faire valoir ses moyens de défense dans un délai suffisant préalablement à l'établissement du procès-verbal d'infraction et avant la délivrance de l'avis de mise en recouvrement.
32. C'est à tort que la cour d'appel s'est fondée sur les dispositions de l'article 67 A du code des douanes.
33. En effet, il résulte de l'article 67 D du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de la loi de finances rectificative pour 2009, que ne s'appliquent pas aux décisions conduisant à la notification d'infractions prévues par le code des douanes les dispositions de l'article 67 A de ce code organisant la mise en oeuvre du droit d'être entendu préalablement à toute décision prise en application du code des douanes communautaire et de ses dispositions d'application, lorsqu'elle est défavorable ou lorsqu'elle notifie une dette douanière telle que définie à l'article 4, paragraphe 9, du code des douanes communautaire (Crim., 6 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.724).
34. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses motifs que les prévenus, qui pouvaient solliciter auprès de l'administration des douanes la remise des documents sur lesquels était fondée sa décision, dont la liste leur avait été communiquée, avaient été mis en mesure de faire connaître leur point de vue sur les importations litigieuses dans un délai suffisant et en connaissance de cause.
35. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur les premiers moyens, pris en leurs cinquièmes branches
36. La question posée par les moyens est de savoir si une partie ayant obtenu du juge civil l'annulation de la procédure au cours de laquelle des infractions douanières ont été constatées par l'administration des douanes, peut invoquer l'autorité de la chose jugée de cette décision devant le juge pénal, saisi en vue de la répression de ces infractions.
37. L'action portée devant le juge civil tend à contester la validité de l'avis de mise en recouvrement émis par l'administration des douanes et des droits indirects en application de l'article 345 du code des douanes.
38. L'action portée devant le juge pénal tend à l'appréciation de la culpabilité de la personne poursuivie et à l'application, le cas échéant, des sanctions pénales et douanières prévues par le code des douanes.
39. Ces instances, si elles peuvent concerner les mêmes parties, n'ont ni le même objet, ni la même cause.
40. Cette distinction explique que la régularité de la procédure douanière puisse être appréciée différemment par les juridictions civiles et pénales. Les premières doivent s'assurer que l'administration des douanes a régulièrement établi un avis de mise en recouvrement, qui constitue un titre exécutoire par la loi et autorise en conséquence le recouvrement forcé de la créance sur les biens du débiteur, avant toute intervention judiciaire. Les secondes vérifient la régularité de la notification d'infractions douanières, dont les fondements juridiques et factuels seront discutés contradictoirement au cours de la procédure pénale préalablement à l'application de toute sanction.
41. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la décision du juge civil, saisi de la contestation de l'avis de mise en recouvrement de droits douaniers éludés, constatant une irrégularité de la procédure douanière, ne peut avoir au pénal l'autorité de la chose jugée et ne saurait s'imposer à la juridiction correctionnelle.
42. Le grief n'est donc pas fondé.
Sur les premiers moyens, pris en leurs quatrièmes branches
43. Les griefs, devenus sans objet du fait du rejet des deuxièmes, troisièmes et cinquièmes branches des moyens, doivent être écartés.
Sur le second moyen, pris en ses première deuxième et troisième branches, proposé pour M. [F] et la société [11] et le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]
Enoncé des moyens
44. Le moyen proposé pour M. [F] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :
« 1°/ que l'article 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union, sauf lorsque ces opérations ont été conçues artificiellement, soit que l'importateur titulaire des certificats n'assume aucun risque commercial, soit que la marge bénéficiaire de l'importateur soit insignifiante ou que les prix de la vente par les importateurs à l'acheteur dans l'Union soient inférieurs aux prix du marché ; qu'en se bornant à affirmer, pour juger que les infractions reprochées aux prévenus sont établies, que les agissements poursuivis sont constitutifs de manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 426-4 du code des douanes, sans jamais démontrer l'absence de risque commercial pour l'importateur ou le caractère insignifiant de la marge réalisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 426-4 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu' en se bornant à juger qu'en dépit de la régularité formelle de chaque opération, celles-ci, envisagées dans leur ensemble, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne, sans s'en expliquer davantage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et méconnu de plus fort les articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l'objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée ; qu'en déclarant le prévenu coupable de fausse déclaration en douane ou manoeuvre afin d'obtenir un remboursement, une exonération, une réduction ou un avantage attaché à l'import, infraction prévue par l'article 426 alinéa 1 4° du code des douanes, lorsque cette incrimination a été abrogée par l'article 30 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, entrée en vigueur le 27 décembre 2020, la cour d'appel a violé les articles 112-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
45. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :
« 1°/ que l'article 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union, sauf lorsque ces opérations ont été conçues artificiellement, soit que l'importateur titulaire des certificats n'assume aucun risque commercial, soit que la marge bénéficiaire de l'importateur soit insignifiante ou que les prix de la vente par les importateurs à l'acheteur dans l'Union soient inférieurs aux prix du marché ; qu'en se bornant à affirmer, pour juger que les infractions reprochées aux prévenus sont établies, que les agissements poursuivis sont constitutifs de manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 426-4 du code des douanes, sans jamais démontrer l'absence de risque commercial pour l'importateur ou le caractère insignifiant de la marge réalisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 426-4 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en se bornant à juger qu'en dépit de la régularité formelle de chaque opération, celles-ci, envisagées dans leur ensemble, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne, sans s'en expliquer davantage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et méconnu de plus fort les articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l'objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée ; qu'en déclarant le prévenu coupable de fausse déclaration en douane ou manoeuvre afin d'obtenir un remboursement, une exonération, une réduction ou un avantage attaché à l'import, infraction prévue par l'article 426 alinéa 1, 4°, du code des douanes, lorsque cette incrimination a été abrogée par l'article 30 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, entrée en vigueur le 27 décembre 2020, la cour d'appel a violé les articles 112-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
46. Les moyens sont réunis.
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [F] et la société [11], et le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]
47. Pour écarter le moyen tiré de l'application de la loi pénale plus douce, l'arrêt attaqué énonce que si le règlement (UE) n° 2020/760 du 17 décembre 2019, entré en application le 1er janvier 2021, a abrogé le règlement (CE) n° 341/2007 de la Commission du 29 mars 2007 et de l'article 426, 4°, du code des douanes, le premier précise néanmoins expressément que le second et le règlement d'exécution continuent de s'appliquer aux certificats d'importation et d'exportation qui ont été délivrés sur sa base jusqu'à l'expiration de ces certificats d'importation et d'exportation.
48. Il relève que, de même, si l'article 7 dudit règlement autorise la transmissibilité des certificats d'importation, celle-ci est soumise à des conditions strictes et qu'en tout état de cause la loi pénale en tant que telle n'a pas été abrogée, les articles 414 et 426, 4°, du code des douanes étant toujours en vigueur.
49. La cour d'appel en conclut que le règlement européen du 17 décembre 2019 n'a aucun impact sur la caractérisation des infractions, qu'à l'époque des faits les certificats n'étaient pas transmissibles et que les infractions étaient donc bien constituées.
50. C'est à tort que la cour d'appel a considéré que l'article 426, 4°, du code des douanes était toujours en vigueur.
51. En effet, ce texte a été abrogé par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020.
52. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure.
53. En effet, en premier lieu, il n'est pas contesté que les faits retenus contre les prévenus entrent tant dans les prévisions de l'article 426, 4°, du code des douanes, applicable au moment où ils ont été commis, que dans celles de l'article 414-2 dudit code applicable aujourd'hui, seules les peines plus douces encourues sous l'empire du premier texte pouvant être prononcées.
54. En second lieu, il résulte des articles 112-1 du code pénal et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 7 août 2018 (Clergeau e.a., n° C-115/17), que le principe de l'application immédiate de la loi pénale plus douce ne trouve pas à s'appliquer en cas d'abrogation des dispositions communautaires méconnues par les prévenus, lorsque les poursuites ont été engagées à raison d'un comportement qui reste incriminé et que les sanctions encourues n'ont pas été modifiées dans un sens moins sévère.
55. Les griefs ne sont donc pas fondés.
Sur le second moyen proposé pour M. [F] et la société [11] et le deuxième moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3], pris en leurs premières et deuxièmes branches
56. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 341/2007 de la Commission, du 29 mars 2007, portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires et instaurant un régime de certificats d'importation et de certificats d'origine pour l'ail et certains autres produits agricoles importés des pays tiers, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union européenne auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel au sens de l'article 4, paragraphe 2, de ce règlement, mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union.
57. La Cour précise que toutefois, de telles opérations sont constitutives d'un abus de droit lorsqu'elles ont été conçues artificiellement dans le but essentiel de bénéficier du tarif préférentiel.
58. La Cour conclut qu'il appartient au juge national de vérifier l'existence d'une pratique abusive, en prenant en compte les faits et les circonstances de l'espèce, y compris les opérations commerciales précédant et suivant l'importation en cause (CJUE, arrêt du13 mars 2014, SICES e.a, C-155/13).
59. L'existence d'un abus de droit implique la réunion d'un élément objectif et d'un élément subjectif.
60. Ainsi, en premier lieu, il doit ressortir d'un ensemble de circonstances objectives que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l'Union, l'objectif poursuivi par cette réglementation n'a pas été atteint.
61. En second lieu, il doit être établi que le but essentiel des opérations en cause est l'obtention d'un avantage indu.
62. En l'espèce, pour déclarer les prévenus coupables du délit de fausses déclarations ayant pour effet d'obtenir en tout ou partie un remboursement, une exonération, un droit réduit ou un avantage, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il n'est pas contestable qu'au terme de l'enquête, le fait pour la société [5], qui avait épuisé son quota de certificats, d'avoir commandé de l'ail à son fournisseur argentin, de l'avoir revendu sous douane à [2] [O] [3] puis, de l'avoir acheté après dédouanement, lui a permis de ne pas payer le droit spécifique, même si prises individuellement, les opérations d'achat, d'importation et de revente sont juridiquement valides et que la discussion porte donc sur le point de savoir si ces opérations peuvent trouver une autre justification que celle de permettre à la société [5] d'importer de l'ail en exonération de droits spécifiques ou si celle-ci, avec la complicité de la société [2] [O] [3], a élaboré un montage commercial lui permettant de continuer à bénéficier des avantages tarifaires attachés aux certificats.
63. Il retient que lors de deux périodes situées entre le 7 janvier 2010 et le 1er mars 2010 et entre le 8 février 2011 et le 10 mars 2011, correspondant au moment où la société [5] avait épuisé ses certificats d'importation, cette dernière a procédé aux opérations suivantes : elle a continué à importer de l'ail argentin qu'elle a vendu avant dédouanement à différentes entités du groupe hollandais [2] [O] [3], alors que cette dernière société bénéficiait de certificats lui permettant d'être exonérée au moment du dédouanement du paiement de droits spécifiques ; immédiatement après dédouanement la société [5] a racheté exactement la quantité d'ail qu'elle avait préalablement vendue à un prix augmenté d'une marge de l'ordre de 5 à 7 %, puis, une fois dédouanée, la marchandise arrivée à [Localité 9] et stockée à [Localité 4], a été directement transportée à [Localité 8] dans les locaux de la société [5].
64. L'arrêt relève que la société [5] a toujours avancé deux arguments pour justifier économiquement ses opérations d'achat et de revente, à savoir d'une part que l'opération d'importation d'ail originaire d'Argentine et sa revente à la société [5] ont permis à la société [2] [O] [3] de bénéficier d'une marge de 5 à 7 % pour les années 2010 et 2011 entre la valeur d'achat et la valeur de revente, d'autre part que la société [2] [O] [3], qui disposait de certificats d'importation, avait tout intérêt à importer les quantités d'ailleurs reprises sur ces documents pour éviter de s'exposer à la sanction prévue par le règlement relatif aux contingents tarifaires de l'ail importé d'Argentine.
65. Il relève également que le détail des opérations d'achat et de revente réalisées permet de recenser trente-cinq opérations qui seraient d'après M. [F] de simples opérations spéculatives, ce dernier soutenant qu'il vend sa marchandise car il n'en a pas besoin et la rachète en fonction du marché, mais que ce n'est pas la société [2] [O] [3] qui est à l'origine de l'importation d'ail mais bien la société [5], qui achète l'ail en Argentine à son fournisseur et achemine ensuite la marchandise vers l'Union européenne, [2] [O] [3] ne procédant en fait qu'au dédouanement.
66. Les juges exposent que si la société [2] [O] [3] a certes un intérêt économique à procéder à la revente à [5] puisqu'elle en tire un bénéfice, il peut être remarqué également que cette dernière a perdu au total au moins en deux mois plus de 100 000 euros lors de ces opérations d'achat et de revente, que vingt-quatre des trente-cinq opérations d'achat/revente se déroulent dans la même journée ou sur deux jours, que les autres opérations se déroulent également dans un délai très court et que cette manière de procéder tend effectivement à démontrer que la société [5] est assurée de disposer d'une marchandise comme bon lui semble, qu'elle a pourtant vendue à [2] [O] [3] et dont elle n'est en conséquence plus le propriétaire.
67. Ils soulignent que l'argument de la simple logique spéculative invoqué par la défense cède au vu du constat des pertes de plus de 100 000 euros enregistrées par la société [5] sur la période considérée et engendrées par les transactions opérées avec [2] [O] [3], alors que le mécanisme suivi décrit, qui n'intervient que lorsque la société [5] ne dispose plus de ses propres certificats et qui représente environ 30 % de ses importations d'ail, lui permet d'éviter d'avoir à payer sur les quantités considérées 341 628 euros de droits spécifiques et que déduction faite du bénéfice réalisé par [2] [O] [3], soit 106 046 euros, la société [5] a pu bénéficier d'un gain net de 235 582 euros.
68. Ils en déduisent que la société [5] peut être donc considérée comme l'importateur effectif ayant bénéficié du tarif préférentiel auquel elle ne pouvait normalement pas prétendre.
69. Les juges ajoutent que les prévenus invoquent vainement la position de la Cour de justice de l'Union européenne qui leur permettrait selon eux désormais de procéder aux opérations considérées par les douanes comme litigieuses, l'application de la réglementation de l'Union ne pouvant être étendue jusqu'à couvrir des pratiques abusives d'opérateurs, c'est-à-dire des opérations réalisées non pas dans le cadre de transactions commerciales normales, mais seulement dans le but de tirer abusivement avantage du droit de l'Union.
70. Ils énoncent à ce titre qu'il ressort des éléments qui précèdent et en dépit de la régularité formelle de chaque opération, que celles-ci, envisagées dans leur ensemble, sur deux campagnes successives, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne.
71. Ils indiquent qu'il a pu être observé que la société [5] a procédé ainsi uniquement avec la société [2] [O] [3] et n'avait pas d'autres fournisseurs dans ce domaine spécifique et que les opérations ont ainsi permis à la société [5], acheteur dans l'Union, qui est également un importateur ayant épuisé ses propres certificats, de se fournir en ail importé à tarif préférentiel et d'étendre son influence sur le marché au-delà de la part du contingent tarifaire qui lui était attribuée.
72. Ils relèvent également que l'enquête a démontré que la marchandise provenant d'Argentine et vendue par la société [5] à [2] [O] [3], qui était rachetée le jour même de son dédouanement par [5], ne quittait jamais le territoire français après stockage et était directement acheminée dans les entrepôts de la société [5] sans jamais passer par les Pays-Bas, faisant de la société [5] le destinataire réel de la marchandise et qu'en outre, la société [5] assurait la totalité du transport et de la logistique, contactait d'ailleurs le commissionnaire en douane en vue du dédouanement pourtant réalisé au nom de [2] [O] [3] et in fine remboursait les droits de douane acquittés.
73. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments l'existence d'un abus de droit, a justifié sa décision.
74. En effet, en premier lieu, s'agissant de l'élément objectif de l'abus de droit et en ce qui concerne la finalité du règlement n° 341/2007, il ressort des considérants 13 et 14 de ce règlement, lus en combinaison avec les considérants 9 et 10 de ce même règlement, qu'il y a lieu, dans la gestion des contingents tarifaires, de sauvegarder la concurrence entre les véritables importateurs de sorte qu'aucun importateur individuel ne soit capable de contrôler le marché.
75. Or, les opérations litigieuses ne permettent pas d'atteindre cet objectif, dès lors qu'elles peuvent conduire l'acheteur dans l'Union, qui est également un importateur traditionnel ayant épuisé ses propres certificats « A » et n'étant par suite plus en mesure d'importer de l'ail au tarif préférentiel, de se fournir en ail importé à tarif préférentiel et d'étendre son influence sur le marché au-delà de la part du contingent tarifaire qui lui a été attribuée.
76. En second lieu, s'agissant de l'élément subjectif de l'abus de droit, il résulte des motifs de l'arrêt, que si les opérations litigieuses n'ont pas été dénuées de tout avantage pour la société [2] [O] [3], elles ont été conçues artificiellement dans le but essentiel de bénéficier du tarif préférentiel, l'importateur titulaire des certificats « A » n'ayant assumé aucun risque commercial.
77. Les griefs doivent en conséquence être écartés.
Mais sur le moyen additionnel, pris en sa première branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]
Enoncé du moyen
78. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :
« 1°/ que l'article 399, § 1, du code des douanes punit « ceux qui ont participé comme intéressés d'une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d'importation ou d'exportation sans déclaration » ; qu'en retenant, pour déclarer la société [2] [O] [3] coupable de l'infraction de fausse déclaration en valeur prévue à l'article 412 du code des douanes, de nature contraventionnelle, que sa responsabilité est engagée en qualité d'intéressé à la fraude de l'infraction douanière relevée (arrêt attaqué p. 18), la cour d'appel a méconnu les articles 399, § 1 et 412 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 399 du code des douanes :
79. Il résulte de ce texte que l'intéressement à la fraude n'est punissable que si cette fraude à un caractère délictuel.
80. Pour déclarer M. [O] et la société [2] [O] [3] coupables du chef de fausse déclaration en valeur, contravention prévue et réprimée par l'article 412 du code des douanes, l'arrêt attaqué, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de l'infraction, retient que leur responsabilité est engagée en qualité d'intéressés à la fraude.
81. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
82. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
83. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [O] et de la société [2] [O] [3] du chef de la contravention de fausse déclaration en valeur et à l'amende douanière de 1 500 euros prononcée en répression à leur encontre. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 8 novembre 2022 n° 22-85.094
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 22-85.094 F-D
N° 01506
8 NOVEMBRE 2022
MAS2
IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 NOVEMBRE 2022
M. [U] [N] a présenté, par mémoire spécial reçu le 12 août 2022, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 25 juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'agression sexuelle aggravée, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 dans son article 59 encadrant le maintien en détention du prévenu détenu en instaurant dans l'article 179 alinéa 4 du code de procédure pénale une impossibilité de mise en liberté immédiate d'office tant que le prévenu use de ses droits de la défense aux recours juridictionnels d'appel et de pourvoi en cassation, et par conséquent un délai illimité à l'incarcération sans mise en liberté d'office, alors que celle-ci est dite provisoire, est-il un texte de loi contraire aux valeurs de respect des droits de la défense, à une information effective d'une durée limitée de la détention dite provisoire du prévenu détenu qui s'oppose à l'inexistence d'une durée limitée de l'incarcération du prévenu sans mise en liberté d'office, ainsi qu'aux principes du contradictoire et de présomption d'innocence quant à la dangerosité et de la culpabilité du prévenu constitutionnellement garantis par les valeurs des articles 7, 8, 9 et 16 de la déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 ? ».
2. Le pourvoi ayant été déclaré sans objet par arrêt de ce jour, la question prioritaire de constitutionnalité doit être déclarée irrecevable, en l'absence d'instance en cours devant la Cour de cassation.
Crim. 8 novembre 2022 n° 22-85.125
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 22-85.125 F-D
N° 01502
MAS2 8 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 NOVEMBRE 2022
M. [R] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, en date du 18 août 2022, qui, dans l'information suivie contre lui notamment des chefs de tentative d'extorsion en bande organisée et infractions à la législation sur les stupéfiants, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [R] [G], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [R] [G] a été mis en examen des chefs sus-visés et placé en détention provisoire le 25 février 2022.
3. Il a formé une demande de mise en liberté, qui a été rejetée par ordonnance du juge des libertés et de la détention.
4. M. [G] a relevé appel de cette décision et a demandé sa comparution personnelle devant la chambre de l'instruction.
5. L'intéressé a été avisé que sa comparution à l'audience du 17 août 2022 aurait lieu par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication audiovisuelle.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance ayant rejeté la demande de mise en liberté de M. [G], alors :
« 2°/ que l'article 706-71 du code de procédure prévoit qu'en cas d'audience au cours de laquelle il doit être statué sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la détention provisoire, la personne détenue peut, lorsqu'elle est informée de la date de l'audience et du fait que le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle est envisagé, refuser l'utilisation de ce moyen, sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion ; qu'il en est de même lorsqu'il doit être statué sur l'appel portant sur une décision de refus de mise en liberté ou sur la saisine directe de la chambre de l'instruction en application du dernier alinéa de l'article 148 ou de l'article 148-4 par une personne détenue en matière criminelle depuis plus de six mois dont la détention n'a pas déjà fait l'objet d'une décision de prolongation et n'ayant pas personnellement comparu, sans recourir à un moyen de communication audiovisuelle, devant la chambre de l'instruction depuis au moins six mois ; qu'en l'espèce, en rejetant l'incident contentieux tiré de la nullité de la comparution du mis en examen par un moyen de télécommunication audiovisuelle, au motif que l'appel interjeté par [G] [R] ne correspond ni à une décision de placement ou de prolongation de la détention ni à une demande fondée sur le fondement du dernier alinéa de l'article 148 ou de l'article 149-4 (sic), mais à une ordonnance de refus de mise en liberté du juge des libertés et de la détention d'Avignon en date du 1er août 2022 et que dans ces conditions les dispositions susvisés ne s'appliquent pas au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-71, 591 à 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en refusant une comparution physique, alors que [G] [R], mis en examen dans une information criminelle, n'avait pas personnellement comparu, sans recourir à un moyen de communication audiovisuelle, devant la chambre de l'instruction depuis 5 mois et 23 jours, la chambre de l'instruction a violé les articles 5, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ qu'en vertu des articles 706-71 et 706-71-1 du code de procédure, lorsque la personne concernée refuse le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle, elle doit faire connaître son refus au moment où elle est informée de la date de l'audience et du fait que le recours à ce moyen est envisagé ; que cependant, s'il ne lui est pas expressément indiqué dans l'avis d'audience qu'elle peut refuser le recours à ce moyen, elle doit pouvoir s'opposer à ce procédé jusqu'à l'audience ; qu'en l'espèce, comme l'a elle-même relevé la chambre de l'instruction, il n'avait pas été demandé à [G] [R] s'il acceptait le principe d'une visioconférence, mais il lui avait été notifié une convocation faisant mention de l'utilisation de ce moyen ; que dès lors, en maintenant le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle, malgré le refus exprimé lors de l'audience par la personne concernée et son avocat, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-71 et 706-71-1, 591 à 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 5, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
5°/ que [G] [R] avait refusé de signer la convocation à l'audience prévoyant le recours à la télécommunication audiovisuelle ; que cela exprimait suffisamment son refus de comparaître par ce moyen alors qu'il avait indiqué dans sa déclaration d'appel vouloir comparaître personnellement ; qu'ainsi, pour maintenir l'utilisation de ce moyen, la chambre de l'instruction était tenue de justifier que son transport paraissait devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion ; qu'à défaut d'avoir justifié ces risques, la chambre de l'instruction a violé les articles 198, 706-71, 706-71-1, 591 à 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 5, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
8. Pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité de la comparution de M. [G] par visioconférence, l'arrêt attaqué énonce que l'audience ne porte ni sur l'appel d'une décision de placement en détention provisoire ou de prolongation de la détention provisoire, ni sur une demande fondée sur le dernier alinéa de l'article 148 du code de procédure pénale ou sur l'article 148-4 du même code, mais concerne l'appel d'une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté.
9. Les juges en déduisent que les dispositions de l'article 706-71, alinéa 4, du code de procédure pénale prévoyant le droit pour la personne détenue de refuser sa comparution par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication audiovisuelle ne sont pas applicables.
10. C'est à tort que les juges se sont déterminés ainsi, dès lors que le texte précité inclut, au nombre des hypothèses dans lesquelles un tel refus est possible sous les conditions qu'il prévoit, le cas dans lequel il est statué sur l'appel portant sur une décision de refus de mise en liberté.
11. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.
12. En effet, M. [G], détenu depuis cinq mois et vingt-trois jours à la date de l'audience, ne remplissait pas la condition d'une durée de détention supérieure à six mois, à laquelle ce même article 706-71, alinéa 4, du code de procédure pénale soumet le droit, pour la personne détenue comparaissant devant la juridiction statuant sur l'appel d'une décision de rejet de demande de mise en liberté, de refuser le recours à la visioconférence.
13. Dès lors, le moyen doit être écarté.
14. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
Crim. 8 novembre 2022 n° 21-86.499 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 21-86.499 F-B
N° 01353
ECF 8 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 NOVEMBRE 2022
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 8 septembre 2021, qui, pour exercice illégal de la profession de géomètre-expert, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société [1], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat du Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts et du Conseil régional des géomètres-experts de Lyon, parties civiles, et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le Conseil régional des géomètres-experts de Lyon et le Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts ont fait citer la société [1] devant le tribunal correctionnel du chef d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert, à raison de l'établissement, les 17 avril et 19 octobre 2015, de deux documents d'arpentage relevant du monopole des géomètres-experts.
3. Les juges du premier degré l'ont déclarée coupable de ces faits et ont prononcé sur les intérêts civils.
4. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens
Enoncé des moyens
5. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi le document d'arpentage en date du 17 avril 2015, alors :
« 1°/ que l'interprétation jurisprudentielle d'une loi d'incrimination ayant pour effet, au détriment du prévenu, d'é
2°/ que le respect du principe de légalité des délits et des peines interdit qu'un prévenu se voit appliquer une interprétation jurisprudentielle consacrée postérieurement à la commission des faits poursuivis, ayant pour effet d'étendre le champ de la répression et non prévisible ; qu'en faisant application à la Sarl [1] poursuivie pour l'établissement d'un document d'arpentage en date du 17 avril 2015 de l'interprétation faite par la chambre criminelle dans son arrêt du 1er septembre 2015 (Crim., 1er septembre 2015, Bull. crim. n° 134) des articles 1er, 2 et 7 de la loi du 7 mai 1946 qui était imprévisible et n'a pas pu « s'insérer » dans la jurisprudence antérieure de la chambre criminelle ayant exclu les documents d'arpentage du champ du monopole des géomètres-experts soit en rejetant, dans un arrêt de principe publié, le pourvoi contre la relaxe du prévenu auquel était reproché d'avoir établi ces documents (Crim., 16 mai 2006, n° 05-82.870, Bull. crim. n° 134) soit en faisant droit au pourvoi de la partie civile qui distinguait néanmoins les documents pénalement poursuivis des documents d'arpentage qu'elle reconnaissait non soumis à monopole (Crim., 8 février 2011, n° 10-83.917), ce que confirmaient la modification de la doctrine fiscale dès le lendemain de l'arrêt du 1er septembre 2015 ainsi que l'envoi à la prévenue d'un courrier le 21 septembre 2015 par le service du cadastre qui, face à la modification du champ de compétences des professionnels autres que les géomètres-experts dans la doctrine fiscale, prévoyait même des dispositions transitoires autorisant le dépôt au cadastre de documents d'arpentage « accompagnant ou destinés à être suivis d'un acte notarié ou administratif », la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que n'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ; qu'en ne répondant pas explicitement au moyen tiré de l'erreur sur le droit invoqué par la prévenue et en se bornant à invoquer la hiérarchie des normes sans examiner, comme elle y était invitée, si l'information donnée par l'administration fiscale, dans sa doctrine publiée, aux professionnels qu'elle agrée sur le champ de leurs compétences concernant les documents d'arpentage servant de fondement aux poursuites et sans rechercher si cette information, alors que ni le décret du 30 avril 1955 ni l'arrêté du 30 juillet 2010 ni l'agrément délivré individuellement ne précisaient que des documents d'arpentage pouvaient relever du monopole des géomètres-experts, n'avait pas donné lieu à une erreur sur le droit au bénéfice de la prévenue, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 122-3 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'exercice illégal de la profession de géomètre-expert est une infraction intentionnelle, supposant la conscience et la volonté d'enfreindre le monopole des géomètres-experts ; qu'en déclarant la Sarl [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi le document d'arpentage du 17 avril 2015, cependant qu'au vu du libellé des articles 1er, 2 et 7 de la loi du 7 mai 1946 et des articles 25 et 30 du décret du 30 avril 1955 qui ne prévoient pas que certains documents d'arpentage relèveraient du monopole et de leur interprétation par la chambre criminelle ayant exclu dans ses arrêts antérieurs à celui du 1er septembre 2015 ces documents du monopole, la prévenue, même en ayant recours à des conseils éclairés, ne pouvait évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, que l'établissement d'un document d'arpentage tel que celui établi le 17 avril 2015 était de nature à constituer le délit d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 du code pénal, 1, 2 et 7 de la loi du 7 mai 1946, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que des dispositions réglementaires peuvent autoriser la commission d'une infraction ; que l'interprétation jurisprudentielle nouvelle et imprévisible de dispositions réglementaires qui prévoient un fait justificatif ayant pour effet, au détriment du prévenu, de restreindre le champ de ce fait justificatif n'est pas applicable à des faits non définitivement jugés et commis antérieurement à cette nouvelle interprétation ; qu'en faisant application de l'interprétation jurisprudentielle des articles 25 et 30 du décret du 30 avril 1955 faite par la chambre criminelle dans son arrêt du 1er septembre 2015 selon laquelle parmi les documents d'arpentage visés par ces dispositions réglementaires, certains constituent des travaux relevant du monopole des géomètres-experts, cependant qu'antérieurement à l'arrêt de la chambre criminelle du 1er septembre 2015, les articles 25 et 30 du décret du 30 avril 1955 autorisaient les géomètres-topographes à établir tout document d'arpentage, la cour d'appel a violé les articles 122-4 du code pénal et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
6. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi les documents d'arpentage du 17 avril 2015 et 19 octobre 2015, alors :
« 1°/ qu'un document d'arpentage ne peut jamais fixer les limites de propriété ; qu'en relevant, pour déclarer la Sarl [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour l'établissement de deux documents d'arpentage, que ces documents ont été établis afin de permettre la division d'une parcelle et l'édification d'une construction sur la nouvelle parcelle, qu'ils ont été visés dans l'acte notarié de cession de la parcelle et annexés à celui-ci et qu'ils constituaient un bornage destiné à fixer les nouvelles limites de propriété, cependant que le document d'arpentage, même annexé à un acte notarié et visé dans celui-ci, demeure un document cadastral inapte, par sa nature et son objet, à fixer des limites de propriété ainsi que l'Ordre des géomètres-experts le reconnaît lui-même, la cour d'appel a violé les articles 1, 2, 7 de la loi du 7 mai 1946, 25 du décret du 30 avril 1955, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'un document d'arpentage ne peut jamais fixer les limites de propriété ; que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; qu'en retenant que le document d'arpentage établi le 17 avril 2015 par la prévenue était un bornage sans répondre aux conclusions d'appel se prévalant de la clause de l'acte notarié qui constatait expressément que les limites et la contenance cadastrale mentionnées dans le document annexé n'étaient qu'indicatives et que le cadastre n'était pas un document à caractère juridique mais à caractère fiscal, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1, 2, 7 de la loi du 7 mai 1946, 25 du décret du 30 avril 1955 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le document cadastral constatant une ligne de séparation au sein d'une parcelle entre une partie que le propriétaire entend conserver et une partie qu'il entend créer en vue de sa cession ne peut jamais constituer un plan fixant les limites de biens fonciers puisqu'au jour de l'établissement du document, la parcelle au sein de laquelle une ligne de séparation a été établie appartient à un seul propriétaire ; qu'en relevant que les documents d'arpentage divisant la parcelle appartenant à un unique propriétaire en deux ou trois nouvelles parcelles créent une nouvelle limite parcellaire entre deux fonds et constituaient un bornage, la cour d'appel a violé les articles 1, 2, 7 de la loi du 7 mai 1946, 25 du décret du 30 avril 1955, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que les propriétaires de deux fonds voisins peuvent se mettre d'accord pour fixer les limites de leurs propriétés sans faire appel à un professionnel ; qu'en retenant, après avoir constaté que les documents d'arpentage litigieux comportaient la signature du propriétaire initial et des futurs acheteurs, que ces documents constituent en réalité un bornage destiné à fixer les nouvelles limites de propriété et entrent dans le champ du monopole des géomètres-experts, l'existence d'un accord entre propriétaires ou l'absence de désaccord et de conflit étant à cet égard indifférentes au regard de l'objet et de la finalité du monopole cependant que le monopole des géomètres-experts étant accessoire par rapport à l'accord des propriétaires quant à la fixation des limites de leur propriété, le projet de division entre l'actuel propriétaire d'une parcelle et l'acheteur potentiel d'une partie de celle-ci lors de l'établissement du document d'arpentage devient, au moment de la réalisation de la cession, un bornage amiable procédant régulièrement de l'accord de propriétaires de fonds voisins, la cour d'appel a violé les articles 646 du code civil, 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ; que l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi du 7 mai 1946 prévoit que ne sont pas opposables aux services publics pour l'exécution des travaux qui leur incombent les dispositions de son premier alinéa prévoyant que peuvent seuls effectuer les travaux prévus au 1° de l'article 1er les géomètres-experts inscrits à l'ordre ; qu'en se bornant à relever que les dispositions de la loi de 1946 avaient dans la hiérarchie des normes une valeur supérieure aux textes réglementaires invoquées par la prévenue sans rechercher comme elle y était invitée si la Sarl [1], bénéficiaire d'un agrément de l'administration fiscale pour établir des documents d'arpentage et délégataire à ce titre d'une mission de service public, celui du cadastre, n'avait pas établi les documents d'arpentage litigieux en application de l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi du 7 mai 1946 de sorte que le monopole des géomètres-experts ne lui était pas opposable, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1, 2, 7 de la loi du 7 mai 1946, ensemble l'article 122-4 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
6°/ que ne saurait être pénalement responsable le professionnel ayant agi sur l'autorisation de l'administration qui a édicté des dispositions transitoires pour autoriser temporairement l'établissement et le dépôt d'actes enfreignant la loi pénale ; qu'en déclarant la Sarl [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour l'établissement du document d'arpentage du 19 octobre 2015, cependant que la prévenue avait été autorisée par l'administration fiscale, par courrier du 21 septembre 2015 prévoyant « A titre de mesure transitoire, les documents d'arpentage en cours de confection à la date du 2 septembre 2015 c'est-à-dire les documents pour lesquels les géomètres agréés ont engagé les travaux de terrain où se sont engagés contractuellement avant cette date, pourront être déposés pour vérification et numérotage au service du cadastre jusqu'au 2 décembre 2015, quand même ils accompagneraient un tel acte », à établir un tel document et qu'elle bénéficiait à ce titre du fait justificatif de l'article 122-4 du code pénal ou à tout le moins de celui de l'article 122-3, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Les moyens sont réunis.
8. Pour confirmer le jugement ayant déclaré la prévenue coupable, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée par la loi du 16 décembre 1987, et de la lecture convergente qu'en font les deux ordres de juridiction judiciaire et administratif, que les documents de modification du parcellaire cadastral ou tout autre document d'arpentage qui établit une ligne de séparation au sein d'une parcelle entre une partie que le propriétaire entend conserver et une partie qu'il entend créer en vue de sa cession, et qui a donc vocation à devenir la limite séparative de deux fonds issus de la vente, entrent dans le champ du monopole des géomètres-experts en ce qu'ils fixent les nouvelles limites de biens fonciers et créent des droits réels qui y sont attachés, leur auteur participant directement à la rédaction d'un acte translatif de propriété.
9. Les juges ajoutent qu'il en résulte, d'une part, que les géomètres-experts peuvent effectuer tous les actes fixant les limites de biens fonciers, des relevés, plans et documents topographiques, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, dès lors que ces actes concernent la définition des droits attachés à la propriété foncière, que l'opération ait un caractère amiable ou contentieux, d'autre part, que les géomètres-topographes peuvent effectuer les mesurages de superficies et descriptions et, plus généralement, toutes les opérations techniques ou études sur l'évaluation, la gestion ou l'aménagement des biens fonciers, dès lors que ces travaux sont sans incidence, directe ou non, sur la propriété foncière et ses limites.
10. Ils précisent qu'il appartient donc aux géomètres-topographes de s'assurer, préalablement au commencement de leur mission, de l'objet et de la finalité du document de délimitation qui leur est demandé.
11. Ils relèvent également que le décret du 30 avril 1955 relatif à la rénovation et à la conservation du cadastre et l'arrêté du 30 juillet 2010 fixant les modalités d'attribution des agréments pour l'exécution des travaux cadastraux ont, dans la hiérarchie des normes, une valeur moindre que la loi du 7 mai 1946 puisqu'il s'agit de textes réglementaires et non pas législatifs et que si les articles 25 et 30 du décret du 30 avril 1955 disposent que les documents d'arpentage constatant un changement de limites de propriétés, notamment par suite de divisions, lotissement, partage peuvent être réalisés par les personnes agréées à cette fin, ils ne peuvent avoir pour but ou pour effet de contrevenir aux dispositions de cette loi.
12. Ils retiennent encore qu'il ressort également de l'article 8 de l'arrêté du 30 juillet 2010 que les personnes agréées s'interdisent de réaliser des études et travaux topographiques destinés à fixer eux-mêmes des limites des biens fonciers ou les droits qui y sont attachés, de sorte que l'agrément fiscal ne confère au géomètre agréé aucune des compétences dévolues par la loi au géomètre-expert et ne peut autoriser son titulaire à violer la loi.
13. Pour conclure ensuite que les documents du 17 avril 2015 et du 19 octobre 2015 ne constituent pas de simples arpentages, mais des bornages destinés à fixer de nouvelles limites de propriété et à en permettre le transfert, et entrent de la sorte dans le champ du monopole des géomètres-experts, les juges constatent que ces actes divisent une parcelle en plusieurs parcelles, créent une nouvelle limite parcellaire entre des fonds et comportent les signatures tant du propriétaire initial que du futur acquéreur de l'une de ces parcelles, ainsi que cela ressort des actes notariés ultérieurs qui en consacrent la vente et font expressément référence à cette division parcellaire certifiée et numérotée par le service du cadastre, qu'ils annexent. Ils en déduisent que cette division parcellaire était un préalable nécessaire à la cession de parcelles destinées à la construction et que la prévenue ne pouvait ignorer ce but au moment de l'établissement des actes. Ils précisent que l'existence ou non d'un accord entre propriétaires est indifférente au regard de l'objet et de la finalité du monopole instauré au profit des géomètres-experts.
14. Par motifs adoptés, ils énoncent également que la prévenue ne pouvait se méprendre sur la portée de la lettre de l'administration fiscale du 21 septembre 2015 autorisant à titre transitoire les géomètres-topographes agréés à déposer au cadastre les documents d'arpentage, en cours de confection au 2 septembre 2015, accompagnant un acte notarié ou destinés à être suivis d'un tel acte, que si cette lettre pouvait entretenir un certain flou, l'administration n'avait pas le pouvoir de régulariser des actes contraires à la loi en l'état d'un droit clair et constant depuis plusieurs années et que la prévenue pouvait consulter l'un de ses organismes professionnels avant de dresser des documents d'arpentage destinés à diviser des fonds et à être annexés à des actes notariés de vente, de sorte que l'erreur invincible sur le droit n'est pas établie.
15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu à tous les chefs péremptoires des conclusions de la prévenue, a justifié sa décision, sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.
16. En premier lieu, elle a souverainement apprécié que les documents en cause ne consistaient pas en des documents fiscaux dépourvus d'incidence foncière, mais avaient au contraire pour effet de fixer de nouvelles limites de biens fonciers, peu important que le propriétaire actuel et le futur acquéreur soient d'accord pour la fixation de ces nouvelles limites.
17. En deuxième lieu, l'interprétation stricte des textes sur lesquels elle s'est fondée résulte non d'un arrêt qui aurait été rendu de manière imprévisible par la Cour de cassation le 1er septembre 2015, mais de la jurisprudence dans laquelle cet arrêt s'insère, selon laquelle les actes réservés aux géomètres-experts sont ceux qui fixent les limites des biens fonciers pour l'établissement des droits réels, préparent, accompagnent ou suivent l'intervention d'un notaire et participent des actes translatifs ou déclaratifs de propriété, tandis que les actes relevant de la compétence des géomètres- topographes concernent les documents d'arpentage et tous travaux cadastraux relatifs à la situation fiscale du fonds concerné.
18. En troisième lieu, elle a caractérisé l'élément intentionnel, sans qu'il y ait lieu de distinguer, eu égard à ce qui est énoncé au paragraphe précédent, entre chacun des deux actes concernés, selon qu'il a été établi avant ou après l'arrêt du 1er septembre 2015.
19. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 8 novembre 2022 n° 21-80.362
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 21-80.362 F-D
N° 01357
ECF 8 NOVEMBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 NOVEMBRE 2022
Mme [L] [I], épouse [M], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-5, en date du 25 novembre 2020, qui, dans la procédure suivie contre M. [O] [M] du chef de violences aggravées, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de Mme [L] [I], épouse [M], les observations de Me Haas, avocat de M. [O] [M], et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 22 février 2018, le tribunal correctionnel a relaxé M. [O] [M] des faits de violences aggravées sur Mme [L] [I], son épouse, et a débouté cette dernière de ses demandes de dommages et intérêts.
3. Mme [I] a relevé appel de cette décision, et sur le fondement d'une faute civile qui aurait été commise par M. [M], a sollicité que soit ordonnée une mesure d'expertise judiciaire ainsi que sa condamnation à lui verser la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle et 7 200 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, statuant sur l'action civile, décidé que M. [M] n'a pas commis, au préjudice de Mme [I], le délit de violences volontaires suivies d'incapacité n'excédant pas huit jours par conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, en a déduis l'absence de faute civile imputable à M. [M] et en conséquence, a débouté Mme [I] de sa demande de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; que n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte ; que l'auteur d'un acte de violence volontaire n'est exonéré de sa responsabilité pénale, sur le fondement de la légitime défense, que s'il a agi en raison d'un danger certain ou vraisemblable ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que M. [M] avait agi en état de légitime défense en attrapant Mme [I] par les bras et en la poussant pour la tirer hors de son bureau, qu'il s'était enfermé dans cette pièce pour éviter un conflit, tandis qu'elle avait usé de la ruse pour le contraindre à lui ouvrir, puis de la force en plaçant sa jambe contre la porte pour y pénétrer, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs qui ne sont pas de nature à caractériser l'existence d'un danger certain ou vraisemblable qui aurait justifié une riposte de M. [M], a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 122-5 du code pénal ;
2°/ qu'en énonçant, pour décider que M. [M] avait agi en état de légitime défense en attrapant Mme [I] par les bras et en la poussant pour la tirer hors de son bureau, qu'il déclarait avoir été giflé par cette dernière, ce qui était plausible au regard du contexte d'extrême excitation de son ex-épouse, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif hypothétique, a privé sa décision de motifs et de base légale au regard des articles 2 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble les articles 593 du code de procédure pénale et 122-5 du code pénal ;
3°/ que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; que le fait justificatif de légitime défense suppose qu'il n'y ait pas de disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte subie ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que M. [M] avait agi en état de légitime défense, qu'en attrapant Mme [I] par les bras et en la poussant pour la tirer hors de son bureau, il avait agi de manière proportionnée à la violence manifestée par cette dernière, laquelle s'en était pris tant à sa personne qu'au matériel du service hospitalier, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'absence de proportion de la riposte de M. [M] tenait au fait qu'il ne déplorait aucune blessure tandis qu'elle avait entraîné chez Mme [I] d'importantes lésions médicalement constatées ayant donné lieu à une incapacité totale de travail de cinq jours, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 122-5 du code pénal ;
4°/ que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; que le fait justificatif de légitime défense suppose qu'il n'y ait pas de disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte subie ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que M. [M] avait agi en état de légitime défense, qu'en attrapant Mme [I] par les bras et en la poussant pour la tirer hors de son bureau, il avait agi de manière proportionnée à la violence manifestée par cette dernière, laquelle s'en était pris tant à sa personne qu'au matériel du service hospitalier, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en outre, M. [M] avait violemment frappé Mme [I] au moyen de la porte du bureau, celle-ci ayant placé sa jambe dans l'ouverture, provoquant ainsi d'importantes lésions médicalement constatées ayant donné lieu à une incapacité totale de travail de cinq jours, et si cet acte n'était pas proportionné à l'atteinte qu'il prétendait avoir subie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 122-5 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
5. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
6. Pour rejeter les demandes de Mme [I], l'arrêt attaqué retient qu'aux termes d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation suite à un arrêt de principe rendu le 31 mai 1972 par la chambre criminelle, la légitime défense de soi-même exclut toute faute et ne peut donner lieu à une action en dommages-intérêts en faveur de celui qui l'a rendue nécessaire par son agression ; qu'en l'espèce c'est explicitement que le premier juge est entré en voie de relaxe au visa des dispositions de l'article 122-5 du code pénal caractérisant l'état de légitime défense dans lequel s'est trouvé M. [M].
7. Les juges en concluent que les prétentions de Mme [I] ne peuvent donc prospérer.
8. En se déterminant ainsi, sans s'assurer ainsi qu'il lui était demandé, que le prévenu relaxé avait réagi de manière nécessaire et proportionnée à une attaque préalable et injustifiée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
9. La cassation est par conséquent encourue.
Soc. 26 octobre 2022 n° 19-26.008
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB
COUR DE CASSATION _____________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 1138 F-D
Pourvois n° Z 19-25.996 C 19-25.999 F 19-26.002 G 19-26.004 K 19-26.006 M 19-26.007 N 19-26.008 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
1°/ La société France restauration rapide, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], prise en son établissement Pat à pain,
2°/ la société La Mie [Localité 7], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 9], exerçant sous l'enseigne Le Fournil d'Emma,
3°/ la société Le Fournil des pistes, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ la société Cyrjul, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], pris sous l'enseigne commerciale Intermarché,
5°/ la société BFP, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], exerçant sous l'enseigne Moulin de Paiou,
6°/ la société Mille et un pains, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],
7°/ la société SLAF, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4]
ont formé respectivement les pourvois n° H 19-26.008, C 19-25.999, F 19-26.002, G 19-26.004, K 19-26.006, M 19-26.007 et Z 19-25.996 contre sept arrêts rendus le 7 octobre 2019 par la cour d'appel de Riom (4e chambre civile, sociale) dans les litiges les opposant :
1°/ au syndicat Confédération générale du travail du commerce des services et de la distribution du Puy-de-Dôme,
2°/ au syndicat Union départementale CGT du Puy-de-Dôme,
ayant tous deux leur siège [Adresse 8],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation communs annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat des sociétés France restauration rapide, La Mie [Localité 7], Le Fournil des pistes, Cyrjul, BFP, Mille et un pains et SLAF, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 19-26.008, C 19-25.999, F 19-26.002, G 19-26.004, K 19-26.006, M 19-26.007, Z 19-25.996 formés par les sociétés France restauration rapide, La Mie [Localité 7], Fournil des pistes, Cyrjul, BFP, Mille et un pains et SLAF ont été joints par ordonnance du Premier président en date du 10 août 2020.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués rendus en référé (Riom, 7 octobre 2019), par actes du 16 novembre 2018, le syndicat Confédération générale du travail du commerce des services et de la distribution du Puy de Dôme et le syndicat Union départementale CGT du Puy de Dôme (les syndicats) ont fait assigner les sociétés France restauration rapide, prise en son établissement Pat à pain, Lamie [Localité 7], sous l'enseigne le Fournil d'Emma, Fournil des pistes, Cyrjul, sous l'enseigne Intermarché, BFP, sous l'enseigne Moulin de Paiou, Mille et un pains, et SLAF (les sociétés) devant le juge des référés d'un tribunal de grande instance, soutenant qu'elles ne respectaient pas l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 prescrivant, dans l'ensemble du département du Puy-de-Dôme, la fermeture au public un jour par semaine, des établissements, dépôts, fabricants artisanaux et industriels, fixes ou ambulants, dans lesquels s'effectuent à titre principal ou accessoire la vente au détail ou la distribution de pain, emballé ou non, de produits de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie et dérivés de ces activités.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, et le quatrième moyen, en sa cinquième branche, ci-après annexés
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ces moyens, sur l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats à l'audience publique du 5 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, Mme Kermina, Mme Durin-Karsenty, Mme Maunand, Mme Martinel, M. de Leiris, Mme Lemoine, Mme Jollec, Mme Bohnert, M. Cardini, Mme Dumas.
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, et le deuxième moyen réunis
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats à l'audience publique du 5 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, Mme Kermina, Mme Durin-Karsenty, Mme Maunand, Mme Martinel, M. de Leiris, Mme Lemoine, Mme Jollec, Mme Bohnert, M. Cardini, Mme Dumas.
Enoncé des moyens
4. Par leur premier moyen, les sociétés font grief aux arrêts de déclarer les demandes des syndicats recevables, de constater l'existence d'un trouble manifestement illicite et de leur ordonner, en conséquence, de se conformer aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 en fixant un jour de fermeture dans la semaine de leur commerce de pain sous astreinte de 1 000 euros chacune par jour de retard, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article 1351, devenu 1355 du code civil que si les décisions de la justice pénale ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé, il en est autrement lorsque les décisions statuent sur les intérêts civils ; que la cour d'appel a relevé qu'une décision de relaxe avait été rendue à l'égard de plusieurs sociétés de boulangerie par le tribunal de police de Clermont-Ferrand dans son jugement du 23 mai 2017, statuant au fond sur l'action publique ; qu'en considérant que l'arrêt de la cour d'appel du 17 mai 2018, rendu par la cour d'appel de Riom, dont elle a relevé qu'elle avait uniquement statué sur les intérêts civils, avait remis en cause l'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil du jugement de relaxe du 23 mai 2017, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355 du code civil, ensemble l'article 4 du code de procédure pénale ;
3°/ que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé ; qu'en subordonnant l'autorité absolue de la chose jugée des décisions pénales versées aux débats, au fait que les sociétés de boulangerie aient été parties aux instances y ayant donné lieu, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355 du code civil, ensemble l'article 4 du code de procédure pénale. »
5. Par leur deuxième moyen, les sociétés font grief aux arrêts de déclarer les demandes des syndicats recevables, de constater l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'ordonner, en conséquence, aux sociétés France restauration rapide, Fournil des pistes, SLAF, de se conformer aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 en fixant un jour de fermeture dans la semaine de leur commerce de pain sous astreinte de 1 000 euros chacune par jour de retard, alors que « les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé ; que la décision de relaxe rendue par la juridiction pénale établit à l'égard de tous l'inexistence de l'infraction poursuivie ; qu'une décision d'appel sur les seuls intérêts civils n'est pas de nature à remettre en cause son autorité absolue de la chose jugée ; qu'il résulte des décisions attaquées que par jugement le tribunal de police de Clermont-Ferrand a relaxé plusieurs sociétés de boulangerie des fins des poursuites et qu'aucun appel n'a été interjeté sur le plan pénal ; qu'il n'est pas contesté que le jugement pénal, statuant au fond sur l'action pénale, a, dans son jugement du 23 mai 2017, décidé qu' ''il est manifeste que l'accord conclu en 1996 entre 395 employeurs et 1682 salariés ne peut être considéré, à l'heure actuelle, comme reflétant la volonté majoritaire de la profession'' ; que ce jugement pénal avait ainsi autorité absolue de la chose jugée sur le civil, sans qu'une décision d'appel sur les intérêts civils soit susceptible de la remettre en cause ; qu'en considérant toutefois, en dépit de cette décision de relaxe devenue définitive au pénal, que la demande de la CGT était recevable contre les sociétés France restauration rapide, Fournil des pistes, SLAF, parties à l'instance pénale ayant donné lieu à leur relaxe, devenue définitive, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1351, devenu 1355 du code civil ensemble l'article 4 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du premier moyen, pris en sa première branche, et du deuxième moyen, examinée d'office après avis donné aux parties, en application de l'article 1015 du code de procédure civile, en ce qu'ils concernent les sociétés BFP, Cyrjul, Mille et un pains, La Mie [Localité 7] :
6. Les griefs, qui, dans la première branche du premier moyen visent des motifs ne figurant pas dans les arrêts que ces sociétés attaquent, et, dans le deuxième moyen, reprochent aux arrêts d'avoir ordonné à d'autres sociétés qu'elles de se conformer aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 ne sont pas recevables.
Bien-fondé du premier moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il concerne les mêmes sociétés :
7. Dès lors qu'il résulte des productions que les décisions pénales, dont l'autorité de la chose jugée a été invoquée par les sociétés BFP, Cyrjul, Mille et un pains et La Mie [Localité 7], ont statué sur l'existence d'un fait incriminé à la date de la prévention retenue, qui n'était imputé qu'à d'autres sociétés que celles précitées, c'est à bon droit que, pour écarter cette fin de non-recevoir, la cour d'appel a retenu que ces dernières ne pouvaient se prévaloir de l'autorité de la chose jugée attachée à ces décisions.
8. Le moyen n'est dès lors pas fondé.
Bien-fondé du premier moyen, pris en ses première et troisième branches, et du deuxième moyen, en ce qu'ils concernent les sociétés le Fournil des pistes, SLAF et France restauration rapide :
9. L'appréciation de la légalité d'un arrêté préfectoral de fermeture hebdomadaire, par le juge pénal, saisi en application de l'article 111-5 du code pénal, dont la portée est limitée à sa décision, ne revêt pas, sur ce point, d'autorité de la chose jugée devant le juge des référés.
10. Les arrêts attaqués, statuant sur l'appel d'une ordonnance de référé, ont rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée par le tribunal de police ayant accueilli l'exception d'illégalité de l'arrêté préfectoral, fondement des poursuites.
11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er et 1015 du code de procédure civile, les arrêts se trouvent légalement justifiés de ce chef.
Sur le troisième moyen
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats à l'audience publique du 5 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, Mme Kermina, Mme Durin-Karsenty, Mme Maunand, Mme Martinel, M. de Leiris, Mme Lemoine, Mme Jollec, Mme Bohnert, M. Cardini, Mme Dumas.
Enoncé du moyen
12. Par leur troisième moyen, les sociétés font grief aux arrêts attaqués, de constater l'existence d'un trouble manifestement illicite et de leur ordonner de se conformer aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 en fixant un jour de fermeture dans la semaine de leur commerce de pain sous astreinte de 1 000 euros chacune par jour de retard, alors :
« 1°/ qu'en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte réglementaire, le juge judiciaire doit surseoir à statuer jusqu'à ce que la question de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative ; que le juge des référés ne saurait se prononcer sur la légalité d'un acte administratif ; que dès lors, en statuant sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 ordonnant la fermeture au public un jour par semaine des commerces de boulangerie, par une analyse, portant sur la preuve de l'opinion de la majorité des membres de la profession, révélant le caractère sérieux de la difficulté soulevée, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 ;
2°/ qu' en tout état de cause, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un réglementaire, le juge judiciaire doit surseoir à statuer jusqu'à ce que la question de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, sauf s'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; qu'en statuant sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 ordonnant la fermeture au public un jour par semaine des commerces de boulangerie, par une analyse, portant sur la preuve de l'opinion de la majorité des membres de la profession, révélant le caractère sérieux de la difficulté soulevée, sans rechercher, même d'office, s'il était manifeste, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation de la légalité de l'acte administratif en cause pouvait ou non être tranchée par le juge judiciaire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790. »
Réponse de la Cour
13. Ayant relevé que la contestation sérieuse invoquée portant sur la légalité de l'arrêté préfectoral devait être écartée, la cour d'appel n'avait pas à rechercher d'office s'il était manifeste, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation de la légalité de l'acte en cause pouvait ou non être tranchée par le juge.
14. Le moyen, qui est inopérant, ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, ci-après annexées
15. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le quatrième moyen, pris en ses première, deuxième, sixième et septième branches
Enoncé du moyen
16. Les sociétés font grief aux arrêts de constater l'existence d'un trouble manifestement illicite et de leur ordonner de se conformer aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 en fixant un jour de fermeture dans la semaine de leur commerce de pain sous astreinte de 1 000 euros chacune par jour de retard, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article 809, alinéa 1 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que pour s'opposer à la demande du syndicat confédération générale du travail du commerce des services et de la distribution 63 et de l'Union départementale CGT du Puy-de-Dôme tendant à voir condamner des sociétés de boulangerie à justifier du jour de fermeture de leur commerce et de l'avis transmis à la mairie de son lieu d'exploitation, ces sociétés invoquaient l'exception d'illégalité de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 ordonnant la fermeture au public un jour par semaine des commerces de boulangerie ; que ces sociétés soutenaient ainsi que cet arrêté, pris en application de l'article L. 221-17 du code du travail, était devenu illégal du fait qu'il ne représentait plus la majorité indiscutable des professionnels concernés ; qu'elles invoquaient en ce sens une étude réalisée par la Chambre de commerce et d'industrie de l'Auvergne d'où il résultait 879 professionnels étaient désormais opposants à l'accord sur la base duquel a été pris ledit arrêté, dont n'étaient signataires que 395 professionnels, de sorte que la réglementation en cause ne correspondait plus à la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés, étant précisé que les établissements non signataires de l'accord préalable doivent être comptabilisés comme n'étant pas favorables au maintien de l'arrêté de fermeture, comme en a jugé le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 26 décembre 2013 (CE, 26 décembre 2013, n° 362675) ; qu'en retenant toutefois l'existence d'un trouble manifestement illicite alors qu'il existait une contestation sérieuse de la légalité de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997, la cour d'appel a violé l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile ;
2°/ que, en tout état de cause, aux termes de l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en ne caractérisant pas en quoi, au-delà de son bien ou de son mal fondé, la contestation de la légalité de l'acte administratif n'était pas sérieuse, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile ;
6°/ qu'un arrêté préfectoral de fermeture au public devient illégal, s'il ne correspond plus à la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés ; que par ailleurs, les établissements non signataires de l'accord préalable doivent être comptabilisés comme n'étant pas favorables au maintien de l'arrêté de fermeture, comme l'a jugé le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 26 décembre 2013 (CE, 26 décembre 2013, n° 362675) ; qu'en énonçant qu'il n'est pas démontré que les professionnels non représentés par les organisations syndicales signataires seraient réellement opposées à l'accord litigieux, étant observé que l'étude réalisée par la CCI d'Auvergne n'avait pas pour objet de déterminer les professionnels favorables à l'accord et ceux y étaient opposés, et que partant, il n'était pas établi avec suffisamment d'évidence qu'une majorité incontestable des professionnels concernés par la fabrication et ou la vente de pain ou les organisations syndicales les représentant serait opposée à l'accord du 28 novembre 1996, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas de l'étude de la CCI versée aux débats, recensant le nombre d'établissements et de salariés par secteur d'activité concernée par la fabrication du pain et la vente de pain sur le territoire du département du Puy-de-Dôme, que l'accord du 28 novembre 1996, signé par 395 employeurs et 1682 employés, ne l'avait été que par une minorité des établissements concernés, et si cela n'établissait pas, au regard de la jurisprudence du Conseil d'Etat du 26 décembre 2013, et du nombre actuel des établissements concernés, de ce que cet accord ne correspondait pas à la majorité indiscutable de ces derniers, à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 809 du code de procédure civile et L. 3132-29 du code du travail ;
7°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que, pour décider que l'illégalité alléguée de l'arrêté préfectoral de fermeture hebdomadaire n'est pas établie, la cour d'appel a, après avoir relevé que la société France restauration rapide produit une étude de la CCI recensant le nombre d'établissements et de salariés par secteur d'activité concernée par la fabrication du pain et la vente de pain sur le territoire du département du Puy-de-Dôme, à partir de laquelle elle prétend que les professionnels opposantes représentent 879 employeurs et 8838 salariés, l'accord du 28 novembre 1996 n'ayant été signé que par 395 employeurs et 1 682 salariés, a énoncé que l'arrêté litigieux lorsqu'il est intervenu n'a pas été remis en cause et que la production de documents attestant de la saisine du préfet aux fins d'abrogation par diverses sociétés et la fédération des entreprises de boulangerie n'établit pas la majorité indiscutable des membres de la profession ; qu'en statuant ainsi, sans procéder à l'analyse, fut-ce sommaire, de l'étude de la CCI, invoquée par la société France restauration rapide, pour vérifier s'il n'en résultait pas que l'accord cadre ne correspondait plus à la majorité indiscutable des établissements concernés par le décret préfectoral de fermeture hebdomadaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
17. La violation d'un arrêté est constitutive d'un trouble manifestement illicite sauf si la mise en cause de la légalité de cet acte administratif présente un caractère sérieux.
18. Ayant estimé, par motifs propres et adoptés, que les pièces produites par les sociétés requérantes n'établissaient pas l'absence de majorité incontestable des professionnels concernés en faveur de l'accord sur lequel est fondé l'arrêté et ayant notamment relevé que l'étude de la CCI d'Auvergne ne faisait que recenser les professionnels qui seraient concernés par la vente de pain sans apporter aucun élément sur l'opposition des professionnels, non représentés par les signataires de l'accord, au contenu de cet accord, la cour d'appel a pu décider que la légalité de l'arrêté préfectoral du 21 mars 1997 n'était pas sérieusement contestable et, ayant constaté que cet arrêté était toujours en vigueur, que sa violation constituait un trouble manifestement illicite.
19. Le moyen n'est donc pas fondé.
Crim. 26 octobre 2022 n° 22-84.986 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 22-84.986 F-B
N° 01468
ECF 26 OCTOBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [H] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 27 juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de meurtres en bande organisée et tentative, association de malfaiteurs, en récidive, a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [H] [J], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [H] [J] a été mis en accusation des chefs susvisés et renvoyé devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône par ordonnance du juge d'instruction, en date du 28 mars 2019, maintenant les effets du mandat d'arrêt décerné à son encontre le 24 août 2018, en exécution duquel il a été placé en détention provisoire le 31 décembre 2019.
3. L'ordonnance de mise en accusation est devenue définitive le 4 mai 2020.
4. M. [J] a été mis en liberté le 8 juillet 2020.
5. L'intéressé ne s'étant pas présenté à l'interrogatoire préalable à sa comparution devant la cour d'assises, le président de cette cour a décerné mandat d'arrêt à son encontre le 25 novembre 2020.
6. Par arrêt rendu par défaut en date du 30 janvier 2021, maintenant les effets de ce mandat d'arrêt, la cour d'assises a déclaré M. [J] coupable de complicité de meurtres et de tentative de meurtre, en bande organisée et en récidive, et l'a condamné à trente ans de réclusion criminelle.
7. Le mandat d'arrêt a été mis à exécution le 1er septembre 2021.
8. Selon requête déposée le 1er juillet 2022, le procureur général a saisi la chambre de l'instruction aux fins de prolongation exceptionnelle de la détention provisoire de l'accusé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, alors :
« 1°/ que l'accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d'assises est immédiatement remis en liberté s'il n'a pas comparu devant celle-ci à l'expiration d'un délai d'un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s'il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire ; que si l'accusé, qui était détenu à la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, a été remis en liberté au cours de la procédure, il ne peut être ultérieurement replacé en détention qu'à la condition que le cumul des périodes pendant lesquelles il a ainsi été détenu n'excède pas un an ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que M. [J] était détenu pour les faits de la cause au jour où sa mise en accusation est devenue définitive ; qu'il a ainsi été détenu jusqu'au 8 juillet 2020, de sorte qu'il a passé 64 jours en détention ; que par un arrêt du 30 janvier 2021, rendu par défaut à l'égard de M. [J], la cour d'assises des Bouches-du-Rhône l'a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à 30 années de réclusion criminelle et a ordonné le maintien des effets du mandat d'arrêt émis à son encontre le 25 novembre 2020 ; que ce mandat d'arrêt a été mis à exécution le 1er septembre 2021 ; qu'il s'ensuit que l'exposant, qui avait déjà été détenu 64 jours dans l'attente de sa comparution devant la cour d'assises, devait comparaître devant cette juridiction avant le 22 juin 2022, faute de quoi l'article 181, alinéa 8, du code de procédure pénale, imposait qu'il soit remis en liberté ; qu'en retenant toutefois, pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, la date du 1er septembre 2021 comme point de départ du délai d'un an au terme duquel l'accusé doit avoir comparu devant la cour d'assises sous peine de remise en liberté d'office, quand ce délai, qui avait commencé à courir dès le 4 mai 2020, avait été suspendu, et non interrompu, du 8 juillet 2020 au 1er septembre 2021, la chambre de l'instruction a violé les articles 181, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que si le délai d'un an au terme duquel l'accusé doit avoir comparu devant la cour d'assises sous peine de remise en liberté d'office peut être prolongé, à titre exceptionnel, pour une durée de six mois, c'est à la condition qu'il soit justifié de circonstances ayant empêché l'audience au fond de débuter avant ce délai ; qu'en retenant, pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, que devaient être réalisés « les actes indispensables dans le cadre de toute procédure criminelle, à savoir audition au fond, enquête de personnalité, expertises psychologique et psychiatrique », et que « ces actes, imposant la saisine du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Marseille aux fins d'audition de [H] [J] et de désignation d'experts psychiatre et psychologue et d'un enquêteur de personnalité, ne pouvaient pas être réalisés dans le délai courant jusqu'au 31 août 2022 », sans s'expliquer sur les raisons qui avaient empêché la réalisation de ces actes, peu nombreux, sur une période d'une année entière, la chambre de l'instruction n'a pas suffisamment justifié sa décision au regard des articles 181, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
10. L'arrêt attaqué prolonge la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022.
11. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des articles 181 et 379-4 du code de procédure pénale.
12. En effet, la durée de la détention provisoire accomplie en application de l'alinéa 8 du premier de ces textes ne s'impute pas sur la durée de celle subie, sur le fondement distinct de l'alinéa 2 du second, à la suite de la mise à exécution du mandat d'arrêt assortissant la condamnation de l'accusé jugé par défaut à une peine ferme privative de liberté.
13. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
14. Pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J], l'arrêt attaqué énonce qu'il a fui à l'étranger dès le début de la procédure, n'a jamais été entendu et n'a été placé en détention provisoire qu'après l'ordonnance de mise en accusation ; que, cette ordonnance étant devenue définitive le 4 mai 2020, le président de la cour d'assises a apporté une diligence particulière à la poursuite de la procédure en ordonnant, le 29 mai 2020, un supplément d'information ; qu'ayant été mis en liberté, M. [J] a de nouveau pris la fuite et a été jugé par défaut, à la suite de quoi un mandat d'arrêt lui a été notifié le 1er septembre 2021 ; qu'il n'a pu être jugé en mai 2022, des actes imposant la saisine d'un juge d'instruction, ainsi que la désignation de deux experts et d'un enquêteur de personnalité, devant être réalisés en vue de l'audience et ne pouvant l'être avant le 31 août 2022.
15. En l'état de ces énonciations, desquelles il résulte que les autorités compétentes ont apporté au jugement de l'affaire, qui est audiencée du 6 au 13 février 2023, une diligence adaptée aux circonstances, la chambre de l'instruction, qui s'est déterminée par des considérations répondant aux exigences de l'article 181, alinéa 9, du code de procédure pénale, a justifié sa décision.
16. Ainsi, le moyen doit être écarté.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 26 octobre 2022 n° 21-86.419
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 21-86.419 F-D
N° 01342
RB5 26 OCTOBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 26 OCTOBRE 2022
Mme [U] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises de l'Eure, en date du 23 octobre 2021, qui, pour meurtre aggravé, l'a condamnée à dix ans de réclusion criminelle, quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation et a ordonné une mesure de confiscation.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme [U] [H], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt du 27 mars 2019, la chambre de l'instruction a ordonné la mise en accusation de Mme [U] [H] devant la cour d'assises du chef de meurtre commis par concubin.
3. Par arrêt du 27 novembre 2020, cette juridiction a déclaré l'accusée coupable et l'a condamnée à dix ans de réclusion criminelle et cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation.
4. L'accusée et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
5. Devant la cour d'assises statuant en appel, la défense a invoqué la cause d'irresponsabilité pénale de légitime défense.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les premier et troisième moyens
Enoncé des moyens
7. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'accusée coupable d'homicide volontaire aggravé, alors « qu'il résulte des articles 2, 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme interprétés au regard des obligations souscrites par les Etats signataires de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique dite convention d'Istanbul, l'obligation pour toute autorité publique de tenir compte, en cas d'allégations de violences domestiques, de la spécificité de ces violences et de la situation de ceux qui ont sont les victimes ; que cette obligation s'impose dans le cadre d'enquêtes menées sur de telles allégations comme lorsqu'il s'agit de déterminer si un acte a été commandé par la légitime défense et d'apprécier pour ce faire si les violences ou les menaces de violences proférées par le conjoint, concubin ou partenaire auteur des violences domestiques à l'encontre de la victime de ces dernières commandaient de la part de celle-ci un acte de légitime défense ; qu'en cas de condamnation par une cour d'assises qui a répondu par la négative à la question relative à légitime défense invoquée à raison d'un contexte de violences domestiques, la feuille de motivation doit énoncer, au titre des principaux éléments à charge, les éléments faisant apparaître que la spécificité des violences domestiques dans laquelle s'inscrivaient les faits a été prise en considération ; que, là où il est constant au regard notamment de l'arrêt de mise en accusation et des pièces versées au cours des débats que l'accusée se prévalait de ce que son acte homicide avait été commandé par la nécessité de se soustraire à un risque de violences graves compte tenu de ce que son concubin, alors en état d'ébriété, réitérait des menaces de mort à son encontre et se dirigeait vers elle, la feuille de motivation de la décision de la cour d'assises qui a condamné l'accusée du chef d'homicide volontaire sur concubin après avoir exclu toute légitime défense, fait apparaître que cette dernière a été écartée par la seule considération qu'aucune atteinte autre qu'une « menace verbale », dont l'objet n'est même pas précisé, existait au moment de l'acte homicide ; qu'en l'état d'une feuille de motivation qui ne fait pas apparaître que la spécificité des violences domestiques dont l'accusée disait avoir été menacée et qu'elle invoquait pour faire valoir que son acte était commandé par la légitime défense, a été prise en considération, la cour d'assises a violé l'article 2, 3 et 8 précité de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 122-5 du code pénal, 355-1 et 593 du code de procédure pénale. »
8. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'accusée coupable d'homicide volontaire aggravé, alors « que la circonstance aggravante qui résulte de ce que l'homicide volontaire a été commis sur le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ne peut être retenue en présence d'un acte qui, même non couvert par la légitime défense, s'inscrivait dans un geste visant à se défendre de violences domestiques ; qu'il appartient à ce titre aux juges du fond de tenir compte et de se prononcer sur les allégations de violences domestiques dont la personne poursuivie dit qu'elle était ou allait être la victime lorsqu'elle commettait l'infraction ; qu'en retenant cette circonstance aggravante sans faire apparaître dans la feuille de motivation la prise en considération des allégations de violences domestiques, la cour d'assises a violé les articles 2, 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 132-80, 221-4 du code pénal, 365-1 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Les moyens sont réunis.
10. Selon l'article 365-1 du code de procédure pénale, en cas de condamnation, la motivation de la cour d'assises consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises.
11. La cour d'assises a répondu, par l'affirmative, aux questions principales relatives à l'homicide volontaire aggravé commis par l'accusée et, par la négative, à la question relative à la légitime défense. La feuille de motivation relève les constatations médicales, balistiques et de police ainsi que les déclarations de divers témoins. Elle en déduit qu'il s'agit d'une action volontaire de tir avec une arme à feu, avec une action volontaire sur la queue de détente, à courte distance, de face, avec une trajectoire de tir légèrement oblique ayant atteint la victime au thorax, zone vitale, et qu'il en résulte de la part de Mme [H] une intention de tuer.
12. Les juges ajoutent que, lors de cette scène, alors qu'étaient présents au domicile plusieurs personnes, l'accusée s'est munie d'une arme à feu en présence de son concubin, non armé, sans qu'il y ait lors de cette action aucune atteinte autre que celle alléguée de menace verbale, de sorte que toute action de légitime défense ne peut qu'être exclue.
13. En prononçant ainsi, la cour d'assises n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens pour les motifs qui suivent.
14. En premier lieu, les énonciations de la feuille de questions et celles de la feuille de motivation mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'assises, statuant en appel, a caractérisé les principaux éléments à charge, résultant des débats, qui l'ont convaincue de la culpabilité de l'accusée, en écartant la cause d'irresponsabilité de légitime défense invoquée, et justifié sa décision, conformément aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 365-1 du code de procédure pénale, sans méconnaître les autres dispositions légales et conventionnelles invoquées.
15. Dès lors, le moyen revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par la cour et le jury, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus.
16. En second lieu, la circonstance aggravante personnelle du premier alinéa de l'article 132-80 du code pénal, qui résulte de ce que l'infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, est objective et ne peut être écartée par le juge en raison de ce que l'auteur des faits a été victime de violences domestiques.
17. La juridiction peut cependant tenir compte de l'existence de telles violences pour individualiser la peine prononcée, par application de l'article 132-1 du code pénal, dans les limites fixées, en matière criminelle, par l'article 132-18 du même code.
18. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
19. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 26 octobre 2022 n° 21-85.850 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 21-85.850 F-B
N° 01341
RB5 26 OCTOBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 26 OCTOBRE 2022
Mme [X] [H], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, en date du 28 septembre 2021, qui a, notamment, déclaré M. [W] [M] pénalement irresponsable des faits d'assassinats, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [X] [H], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [W] [M] a été mis en examen pour assassinats.
3. Par ordonnance du 3 mai 2021, le juge d'instruction a saisi la chambre de l'instruction d'une ordonnance de transmission de pièces, en application des dispositions de l'article 706-120 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le second moyen
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a statué sans mentionner que M. [M], mis en examen, avait été informé de son droit de garder le silence, alors « que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie d'une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que monsieur [M] a comparu (p. 1), a été entendu en ses explications (p. 3) et a eu la parole en dernier (p. 4), mais qu'il n'en résulte pas que le président l'a informé de son droit de se taire ; qu'en omettant d'informer la personne mise en examen, dès l'ouverture des débats, de son droit de garder le silence, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 600 du code de procédure pénale, nul ne peut, en aucun cas, se prévaloir contre la partie poursuivie de la violation ou omission des règles établies pour assurer la défense de celle-ci.
7. Les dispositions de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, dont il se déduit le droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ont pour objet la protection de l'accusé, au sens de cet article.
8. Il en résulte que la partie civile est sans qualité pour se prévaloir du défaut de notification à la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie d'une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
9. Ainsi, le moyen est irrecevable.
10. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 26 octobre 2022 n° 21-86.402
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 21-86.402 F-D
N° 01339
RB5 26 OCTOBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 26 OCTOBRE 2022
Mmes [O] [W], [G] [I] et M. [V] [B] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 12 octobre 2021, qui a condamné les deux premières, pour vol aggravé, à six mois d'emprisonnement avec sursis et 2 000 euros d'amende, le troisième, pour complicité de vol, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 1 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, et un mémoire en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mmes [O] [W], [G] [I] et M. [V] [B], les observations de la SCP Rocheteau,Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [C] [W], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [C] [W] a fait citer Mmes [G] [I], [O] [W] et M. [V] [B], devant le tribunal correctionnel, les deux premières des chefs d'association de malfaiteurs, vol en réunion et abus de confiance, le troisième pour complicité de ces infractions, commises au préjudice de l'indivision successorale.
3. Par jugement du 18 mai 2020, le tribunal correctionnel a accueilli l'exception présentée en défense, sur le fondement de l'article 5 du code de procédure pénale, et a déclaré l'action de la partie civile irrecevable.
4. Mme [C] [W] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mmes [G] [I] et [O] [W] coupables de vol en réunion et M. [B] coupable de complicité de ce délit et a prononcé des peines à leur encontre, alors « que sur le seul appel de la partie civile d'un jugement ayant, par application de l'article 5 du code de procédure pénale, déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la victime qui a saisi le tribunal par citation directe, les juges du second degré ne peuvent statuer sur l'action publique ; que saisie du seul appel des parties civiles, qui avaient saisi le tribunal par citation directe, contre le jugement ayant déclaré irrecevable leur constitution de partie civile par application de l'article 5 du code de procédure pénale, la cour d'appel, en statuant sur l'action publique, a méconnu les articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 1er, 5, 497, 509, 515 et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. En évoquant, après avoir écarté le moyen tiré de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile en application de l'article 5 du code de procédure pénale, et en statuant au fond, y compris sur l'action publique, l'arrêt attaqué n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
8. En effet, lorsque le jugement frappé d'appel a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la victime qui a saisi le tribunal par citation directe, la cour d'appel, dans l'hypothèse où elle infirme cette décision, doit statuer tant sur l'action publique que sur l'action civile, alors même que seule la partie civile aurait usé de cette voie de recours.
9. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
10. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 25 octobre 2022 n° 21-87.446
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 21-87.446 F-D
N° 01316
ODVS 25 OCTOBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 25 OCTOBRE 2022
M. [U] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Riom, en date du 30 novembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants et infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 7 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [U] [W], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Maziau, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une enquête préliminaire relative à un trafic international de résine de cannabis susceptible de mettre en cause les frères [U] et [D] [W] a été diligentée.
3. Dans ce cadre, des interceptions téléphoniques ainsi que des géolocalisations des lignes et des véhicules attribués à M. [U] [W] et à sa concubine, Mme [S] [V], ont été ordonnées.
4. Des réquisitions ont été également délivrées par les enquêteurs aux opérateurs de télécommunications afin d'avoir accès aux données de connexion des lignes téléphoniques précitées.
5. Le 21 octobre 2020, une information judiciaire a été ouverte des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et importation de stupéfiants.
6. Le 31 janvier 2021, M. [U] [W] a été mis en examen des chefs précités.
7. Le 30 juillet suivant, il a déposé une requête en nullité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche et sur les quatrième, cinquième, sixième et septième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité du dispositif de géolocalisation mis en place dans un lieu destiné à l'entrepôt de véhicules sans autorisation préalable du procureur de la République, alors « que l'introduction dans un lieu privé destiné ou utilisé à l'entrepôt des véhicules aux seules fins de mettre en place un dispositif de géolocalisation au cours d'une enquête préliminaire nécessite l'autorisation écrite du procureur de la République ; qu'en refusant d'annuler la mesure de géolocalisation mise en place sur le véhicule attribué au mis en examen aux motif que « le parking en question était ouvert au public et ne saurait donc être considéré comme un lieu privé » (arrêt, p. 10, § 8), lorsque le parking d'un hôtel constitue un lieu privé destiné à l'entrepôt des véhicules nécessitant l'autorisation du procureur de la République afin de s'y introduire pour mettre en place un dispositif de géolocalisation, la chambre de l'instruction a violé les articles 230-32, 230-33, 230-34 et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le moyen de nullité, pris de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation sur un véhicule stationné sur le parking d'un hôtel, sans l'autorisation du procureur de la République, en violation de l'article 230-34 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué énonce notamment que M. [W] est irrecevable à invoquer cette irrégularité dès lors qu'il ne se prévaut d'aucun droit sur ce parking.
11. En l'état de ces seuls motifs, et dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer par l'examen des pièces de la procédure que la pose du moyen technique de géolocalisation n'a pas nécessité l'introduction dans le véhicule, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
12. Il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la réalisation d'observations transfrontalières sans avoir recueilli l'autorisation prévue à l'article 40 de la Convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990, alors « qu'en refusant d'annuler les observations transfrontalières réalisées en Espagne aux motifs que « la mention figurant au procès-verbal du 12 janvier 2021 selon laquelle cette demande a été « acceptée par les autorités espagnoles sous le numéro de référence BCN/GECI/2020379-2 valable jusqu'au 11.02.2021 » constitue bien la preuve que cette autorisation a bien été délivrée », lorsque seule l'autorisation des autorités espagnoles de procéder à des observations transfrontalières sur son territoire, qui ne figure pas au dossier de la procédure, permet de s'assurer de la réalité de leur accord et des éventuelles conditions auxquelles elles ont a entendu soumettre l'exécution des observations, la chambre de l'instruction a violé les articles 40 de la Convention d'application de l'accord Schengen du 19 janvier 1990, 694-6 et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Pour ne pas faire droit à la nullité des observations transfrontalières, prise de l'absence en procédure de l'autorisation des autorités espagnoles compétentes, prévue à l'article 40 de la Convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990, l'arrêt attaqué énonce que la mention figurant au procès-verbal du 12 janvier 2021 selon laquelle cette demande a été « acceptée par les autorités espagnoles sous le numéro de référence BCN/GECI/2020379-2 valable jusqu'au 11.02.2021 » constitue la preuve de sa délivrance ainsi que sa durée.
15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les dispositions invoquées au moyen.
16. En effet, d'une part, l'article 694-6 du code de procédure pénale invoqué au moyen n'est pas applicable dès lors que la surveillance n'a pas été effectuée en application de l'article 706-80 dudit code.
17. D'autre part, il appartenait au requérant de solliciter que les pièces relatives à l'autorisation délivrée par les autorités espagnoles soient versées au dossier de l'information.
18. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
Sur le huitième moyen
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation par les enquêteurs de leur compétence territoriale, alors « qu'au cours de l'instruction, les officiers de police judiciaire ne peuvent se transporter sur toute l'étendue du territoire national, à l'effet d'y poursuivre leurs investigations, qu'après en avoir informé le juge d'instruction ; qu'en refusant d'annuler les opérations réalisées par les enquêteurs du SRPJ de [Localité 1] en dehors des limites territoriales de leur compétence aux motifs que « le procès-verbal de saisine en date du 22 octobre 2020 mentionne une extension de compétence des enquêteurs au vu de l'article 18, alinéa 3, du code de procédure pénale prévue dans la commission rogatoire générale délivrée par le magistrat instructeur » (arrêt, p. 18, § 7), lorsque les officiers de police judiciaire n'avaient pas informé le magistrat instructeur de leur transport, la chambre de l'instruction a violé les article 18 et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
20. Pour ne pas faire droit au moyen de nullité, pris de la violation par les enquêteurs de leur compétence territoriale, faute pour ceux-ci d'avoir informé le juge d'instruction de leur transport hors de leurs limites territoriales, conformément à l'article 18, alinéa 3, du code de procédure pénale, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, l'arrêt attaqué énonce que le procès-verbal de saisine des enquêteurs, en date du 22 octobre 2020, mentionne que, par commission rogatoire générale, le juge d'instruction a accordé aux enquêteurs une extension de leur compétence.
21. Les juges en déduisent que le magistrat instructeur était nécessairement informé du transport des enquêteurs puisqu'il en était à l'initiative.
22. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
23. En effet, lorsque le juge d'instruction a autorisé expressément les enquêteurs, par mention dans la commission rogatoire qu'il leur a délivrée, à se transporter sur toute l'étendue du territoire national, le défaut d'information de ce magistrat avant tout transport sur les lieux est sans effet sur la validité des actes accomplis par les enquêteurs hors des limites territoriales où ils exercent leurs fonctions habituelles.
24. Il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité des investigations fondées sur la conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation, alors :
« 1°/ que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52, paragraphe 1, de la Charte, et du principe d'effectivité, s'oppose à une réglementation nationale permettant à titre préventif la conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation (CJUE, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net) ; qu'en refusant d'annuler les investigations portant sur les données relatives au mis en examen, lesquelles ont été conservées de manière généralisée et indifférenciée en application des articles L. 34-1 et R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques aux motifs que « selon la CJUE la conservation généralisée et indifférenciée de certains types de données est possible, sans délai particulier, aux fins de prévention des menaces à la sécurité publique, de recherche, de détection et de poursuite des infractions pénales en général et de sauvegarde de la sécurité nationale » (arrêt p. 9, § 2), lorsque le droit européen permet seulement l'adoption d'une réglementation permettant à titre préventif, une conservation ciblée des données relatives au trafic et des données de localisation en vue des mêmes fins, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;
2°/ que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52, paragraphe 1, de la Charte, et du principe d'effectivité, impose au juge pénal national d'écarter des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation incompatible avec le droit de l'Union, dans le cadre d'une procédure pénale ouverte à l'encontre des personnes soupçonnées d'actes de criminalité, si ces personnes ne sont pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d'un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits (CJUE, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net), qu'en refusant d'annuler les investigations portant sur les données relatives au mis en examen, lesquelles ont été conservées de manière généralisée et indifférenciée en application des articles L. 34-1 et R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques aux motifs que « il ne s'agit pas (?) d'une obligation imposée au juge pénal national de manière systématique d'écarter des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus au moyen d'un conservation généralisée et indifférenciée » et que « les conditions ne sont manifestement pas réunies en l'espèce » (arrêt p. 9, § 3), sans mieux s'expliquer sur le fait que les éléments de preuve ainsi obtenus n'entraient dans le champ de ceux qu'elle avait l'obligation d'écarter, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
26. Par arrêt en date du 12 juillet 2022, la Cour de cassation a énoncé les principes suivants (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).
27. L'article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, mis en oeuvre par l'article R. 10-13 dudit code, tel qu'il résultait du décret n° 2012-436 du 30 mars 2012, est contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'il imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l'exception des données relatives à l'identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu'en matière de criminalité grave, de celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d'une connexion.
28. En revanche, la France se trouvant exposée, depuis décembre 1994, à une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible à la sécurité nationale, les textes précités de droit interne étaient conformes au droit de l'Union en ce qu'ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée les données de trafic et de localisation, aux fins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, incriminés aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal.
29. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale, dans leur version antérieure à la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022, lus en combinaison avec le sixième alinéa du paragraphe III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, permettaient aux autorités compétentes, de façon conforme au droit de l'Union, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, d'ordonner la conservation rapide, au sens de l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, des données de connexion, même conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.
30. Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle est saisie d'un moyen en ce sens, de vérifier, d'une part, que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave, dont l'appréciation relève du droit national, d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire.
31. S'agissant de la gravité des faits, il appartient au juge de motiver sa décision au regard de la nature des agissements de la personne poursuivie, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.
32. En l'espèce, pour ne pas faire droit au moyen pris de la non conformité au droit de l'Union européenne de la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, l'arrêt énonce que, selon la Cour de justice de l'Union européenne, une telle conservation de certains types de données est possible, sans délai particulier, aux fins de prévention des menaces à la sécurité publique, de recherche, de détection et de poursuite des infractions pénales en général et de sauvegarde de la sécurité nationale.
33. Les juges ajoutent que la Cour de justice de l'Union européenne n'impose pas au juge pénal national d'écarter de manière systématique des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus au moyen d'une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et à la localisation incompatible avec le droit de l'Union dès lors qu'il faut encore que les personnes ne soient pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d'un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits.
34. Or, ils relèvent que ces conditions ne sont pas manifestement réunies en l'espèce.
35. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction, qui devait motiver sa décision comme il est précisé au paragraphe 30 du présent arrêt, a méconnu les textes susvisés et les principes susénoncés.
36. La cassation est dès lors encourue de ce chef.
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