Crim. 19 décembre 2023 n° 23-82.116
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 23-82.116 F-D
N° 01515
GM 19 DÉCEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 19 DÉCEMBRE 2023
M. [N] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 4 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'infractions aux législations sur les stupéfiants et sur les armes, association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 27 juillet 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [N] [H], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseillers de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Au cours du mois d'octobre 2018, une enquête préliminaire concernant un possible trafic de stupéfiants a été diligentée par la section de la juridiction interrégionale spécialisée du parquet de Fort-de-France, au cours de laquelle diverses mesures d'enquête ont été mises en oeuvre.
3. Une information a été ouverte le 6 juin 2019 auprès de la juridiction interrégionale spécialisée de ce même siège.
4. Le 9 décembre 2021, M. [N] [H] a été interpellé avec M. [T] [U] au domicile de ce dernier. Ils ont été conduits dans un appartement loué par eux, dont ils détenaient tous deux une clé. Une perquisition a eu lieu audit appartement.
5. MM. [H] et [U] ont tous deux été mis en examen le 13 décembre 2021.
6. Le 9 juin 2022, M. [H] a déposé une requête en annulation de pièces de la procédure.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté comme mal fondée la requête en nullité pré
« 1°/ qu'il appartient au magistrat du parquet qui saisit la juridiction d'instruction de la JIRS de son réquisitoire introductif de démontrer, à partir des éléments concrets figurant au dossier, que l'affaire se révèle d'une « grande complexité » ; que la chambre de l'instruction saisie de la contestation de la régularité de cette saisine est dès lors tenue de s'assurer que le procureur de la République de droit commun a motivé sa décision au regard de ce critère de « grande complexité » de l'affaire ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir que la saisine de la JIRS de Fort-de-France lors de l'ouverture de l'information judiciaire n'avait été précédée, accompagnée ni même suivie d'aucun constat de « grande complexité » de l'affaire, ni par enquêteurs, ni par le parquet, ni par le juge d'instruction ; que la défense précisait en tout état de cause que les éléments factuels de la procédure ne permettaient pas de caractériser une telle complexité ; qu'en retenant, pour refuser de constater l'irrégularité de la saisine de la JIRS, que la compétence de cette juridiction était déjà établie au stade de l'enquête préliminaire, laquelle « portait sur des faits d'importation de stupéfiants en bande organisée, acquisition, transport, détention, offre ou cession de produits stupéfiants, association de malfaiteurs en vue de la commission des crimes et délits précités, blanchiment de trafic de stupéfiants », quand ces seules qualifications sont insuffisantes à établir la compétence de la JIRS en l'absence d'un constat de « grande complexité » de l'affaire, la chambre de l'instruction, qui n'a établi l'existence d'un constat de cette grande complexité ni lors de l'ouverture de l'enquête, ni au cours de celle-ci, ni à l'occasion de la saisine du juge d'instruction, ni enfin pendant l'information judiciaire, et a ainsi statué par des motifs inopérants à établir la compétence de la JIRS et la régularité de sa saisine, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 706-75, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'il appartient au magistrat du parquet qui saisit la juridiction d'instruction de la JIRS de son réquisitoire introductif de démontrer, à partir des éléments concrets figurant au dossier, que l'affaire se révèle d'une « grande complexité » ; que la chambre de l'instruction saisie de la contestation de la régularité de cette saisine est dès lors tenue de s'assurer que le procureur de la République de droit commun a motivé sa décision au regard de ce critère de « grande complexité » de l'affaire, sans pouvoir substituer à cette recherche sa propre appréciation de la complexité réelle ou supposée de l'affaire ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir que la saisine de la JIRS de Fort-de-France lors de l'ouverture de l'information judiciaire n'avait été précédée, accompagnée ni même suivie d'aucun constat de « grande complexité » de l'affaire, ni par enquêteurs, ni par le parquet, ni par le juge d'instruction ; que la défense précisait en tout état de cause que les éléments factuels de la procédure ne permettaient pas de caractériser une telle complexité ; qu'en retenant, pour refuser de constater l'irrégularité de la saisine de la JIRS, que « la présente procédure entre dans les critères de compétence matérielle des juridictions interrégionales spécialisées, conformément aux dispositions des articles 706-75 et 706-73, 3°, 15°, s'agissant d'un trafic international de cocaïne, impliquant une organisation hiérarchisée structurée et puissante », quand, à supposer que les juges aient entendu, par ces motifs, énoncer que l'affaire se révélait être d'une « grande complexité », il ne leur appartenait pas de substituer à la recherche d'un constat de « grande complexité » leur propre appréciation de la complexité réelle ou supposée de l'affaire, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 706-75, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'il résulte de la procédure que le parquet de la JIRS de Fort-de-France n'a jamais été saisi de l'enquête préliminaire à l'origine de la présente information judiciaire, celle-ci ayant été dirigée par le seul parquet de droit commun de Fort-de-France, sans aucune référence, ni aux dispositions de l'article 706-75 du code de procédure pénale relatives à la compétence JIRS du tribunal de grande instance de Fort-de-France, ni à l'habilitation JIRS des magistrats du parquet de cette juridiction prévue par l'article 706-75-1 du même code ; que cette compétence de droit commun résultait de ce que les faits reprochés à M. [H] auraient prétendument été commis en Martinique, soit dans le ressort du tribunal de grande instance de Fort-de-France ; qu'en affirmant à l'inverse qu' « à l'origine de cette instruction, l'enquête préliminaire [?] était menée sous le contrôle du parquet de la JIRS de Fort-de-France, plusieurs requêtes, sur le fondement des dispositions dérogatoires applicables (interceptions de correspondances émises par voie des télécommunications prises au visa des dispositions articles 706-73 et 706-95 du code de procédure pénale) en attestant », la chambre de l'instruction, qui a dénaturé les éléments de la procédure en sa possession, et en particulier les cotes D. 99 à D. 103 d'une part et D. 105 à D. 107 d'autre part, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 706-75, 706-75-1, 591 et 593 du code de procédure pénale.»
Réponse de la Cour
8. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel la juridiction interrégionale spécialisée était incompétente, l'arrêt attaqué énonce notamment que la procédure a été initiée suite à une enquête préliminaire menée sous le contrôle du parquet de la juridiction interrégionale spécialisée de Fort-de-France, et que les juridictions prévues à l'article 706-75 du code de procédure pénale peuvent être saisies à tout moment, y compris au stade de l'enquête préliminaire, les dispositions de l'article 706-77 dudit code ne concernant que le dessaisissement du magistrat instructeur.
9. Les juges ajoutent que la procédure entre dans les critères de compétence matérielle desdites juridictions prévus aux articles 706-75 et 706-73, 3° et 15°, du code précité, s'agissant d'un trafic international de cocaïne impliquant une organisation hiérarchisée, structurée et puissante.
10. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
11. En premier lieu, aucun texte ne fait obligation au procureur de la République de motiver spécialement la saisine de la juridiction interrégionale spécialisée.
12. En second lieu, la chambre de l'instruction a souverainement apprécié les pièces jointes au réquisitoire introductif pour en déduire que l'affaire présentait un caractère de grande complexité.
13. Ainsi, le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, doit être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté comme mal fondée la requête en nullité présentée par la défense, alors :
« 1°/ que lorsque plusieurs mis en cause partagent un logement, les parties de ce logement attachées à la jouissance privative de l'un d'entre eux, au premier rang desquelles les chambres de ceux-ci, ne peuvent être perquisitionnées qu'en présence de celui des mis en causes qui utilise effectivement ces parties du logement ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que M. [H] a été interpellé le 9 décembre 2021 à 12 heures 30 au domicile de M. [U], co-mis en cause dans la présente affaire ; que le même jour, à 17 heures, les enquêteurs se sont transportés « [Adresse 2] (derrière l'enclos) sur la commune de [Localité 1] », adresse à laquelle M. [H] et M. [U] louaient un appartement dont les clés avaient été retrouvés sur l'exposant ; qu'il a ainsi été procédé à la perquisition de ce logement, composé notamment de deux chambres distinctes ; que si l'officier de police judiciaire qui a réalisé cet acte indique que « MM. [U] [T] et [H] [N] persistent et signent ce présent avec nous et nos assistants », précision faite que « MM. [U] [T] et [H] [N] refusent de signer les fiches de scellés constituconstituées », force est de constater que ne figurent en réalité sur l'acte que les signatures de M. [U], de l'officier de police judiciaire et de l'un de ses assistants ; qu'il n'est ainsi pas établi que M. [H], qui n'a pas signé le procès-verbal litigieux, était bien présent lors de la perquisition de l'appartement qu'il occupait, et en particulier de sa chambre ; qu'en retenant, pour refuser de prononcer l'annulation de la perquisition de l'appartement occupé par l'exposant, qu' « il n'est pas acquis que sa signature fasse défaut, en ce qu'elle correspondrait à la deuxième figurant sur le procès verbal litigieux, entre celle de [T] [U] et celle de l'OPJ », quand la signature dont il est ainsi fait mention au conditionnel correspond en réalité à celle de l'un des assistants de l'officier de police judiciaire, mentionnés dans l'acte et dont rien ne permet d'affirmer qu'ils n'étaient pas présents lors de sa signature, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs hypothétiques et a dénaturé les éléments de la procédure en sa possession, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 56, 57, 171, 802, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que lorsque plusieurs mis en cause partagent un logement, les parties de ce logement attachées à la jouissance privative de l'un d'entre eux, au premier rang desquelles les chambres de ceux-ci, ne peuvent être perquisitionnées qu'en présence de celui des mis en causes qui utilise effectivement ces parties du logement ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que M. [H] a été interpellé le 9 décembre 2021 à 12 heures 30 au domicile de M. [U], co-mis en cause dans la présente affaire ; que le même jour, à 17 heures, les enquêteurs se sont transportés « [Adresse 2] (derrière l'enclos) sur la commune de [Localité 1] », adresse à laquelle M. [H] et M. [U] louaient un appartement dont les clés avaient été retrouvés sur l'exposant ; qu'il a ainsi été procédé à la perquisition de ce logement, composé notamment de deux chambres distinctes ; que si l'officier de police judiciaire qui a réalisé cet acte indique que « MM. [U] [T] et [H] [N] persistent et signent ce présent avec nous et nos assistants », précision faite que « MM. [U] [T] et [H] [N] refusent de signer les fiches de scellés constituées », force est de constater que ne figurent en réalité sur l'acte que les signatures de M. [U], de l'officier de police judiciaire et de l'un de ses assistants ; qu'il n'est ainsi pas établi que M. [H], qui n'a pas signé le procès-verbal litigieux, était bien présent lors de la perquisition de l'appartement qu'il occupait, et en particulier de sa chambre ; qu'en retenant, pour refuser de prononcer l'annulation de la perquisition de l'appartement occupé par l'exposant, que M. [H] ne saurait arguer d'aucun grief dès lors que M. [U], autre mis en cause, a signé le procès-verbal litigieux, sans remettre en cause l'authenticité des découvertes réalisées, quand l'absence de contestation par une partie de l'authenticité d'une perquisition ne saurait être opposée aux autres parties à la procédure, dès lors que celles-ci contestent bien la réalité des découvertes et saisies ainsi opérées, la chambre de l'instruction a violé les articles 56, 57, 171, 802, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que lorsque plusieurs mis en cause partagent un logement, les parties de ce logement attachées à la jouissance privative de l'un d'entre eux, au premier rang desquelles les chambres de ceux-ci, ne peuvent être perquisitionnées qu'en présence de celui des mis en causes qui utilise effectivement ces parties du logement ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que M. [H] a été interpellé le 9 décembre 2021 à 12 heures 30 au domicile de M. [U], co-mis en cause dans la présente affaire ; que le même jour, à 17 heures, les enquêteurs se sont transportés « [Adresse 2] (derrière l'enclos) sur la commune de [Localité 1] », adresse à laquelle M. [H] et M. [U] louaient un appartement dont les clés avaient été retrouvés sur l'exposant ; qu'il a ainsi été procédé à la perquisition de ce logement, composé notamment de deux chambres distinctes ; que si l'officier de police judiciaire qui a réalisé cet acte indique que « MM. [U] [T] et [H] [N] persistent et signent ce présent avec nous et nos assistants », précision faite que « MM. [U] [T] et [H] [N] refusent de signer les fiches de scellés constituées », force est de constater que ne figurent en réalité sur l'acte que les signatures de M. [U], de l'officier de police judiciaire et de l'un de ses assistants ; qu'il n'est ainsi pas établi que M. [H], qui n'a pas signé le procès-verbal litigieux, était bien présent lors de la perquisition de l'appartement qu'il occupait, et en particulier de sa chambre ; qu'en retenant, pour refuser de prononcer l'annulation de la perquisition de l'appartement occupé par l'exposant, que M. [H] ne saurait arguer d'aucun grief dès lors que M. [U], autre mis en cause, a signé le procès-verbal litigieux, sans remettre en cause l'authenticité des découvertes réalisées, quand ces motifs sont inopérants à écarter l'atteinte aux droits de M. [H] résultant de la réalisation, hors sa présence, d'une perquisition dans la chambre dont il avait la jouissance privative, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 56, 57, 171, 802, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que lorsque plusieurs mis en cause partagent un logement, les parties de ce logement attachées à la jouissance privative de l'un d'entre eux, au premier rang desquelles les chambres de ceux-ci, ne peuvent être perquisitionnées qu'en présence de celui des mis en causes qui utilise effectivement ces parties du logement ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que M. [H] a été interpellé le 9 décembre 2021 à 12 heures 30 au domicile de M. [U], co-mis en cause dans la présente affaire ; que le même jour, à 17 heures, les enquêteurs se sont transportés « [Adresse 2] (derrière l'enclos) sur la commune de [Localité 1] », adresse à laquelle M. [H] et M. [U] louaient un appartement dont les clés avaient été retrouvés sur l'exposant ; qu'il a ainsi été procédé à la perquisition de ce logement, composé notamment de deux chambres distinctes ; que si l'officier de police judiciaire qui a réalisé cet acte indique que « MM. [U] [T] et [H] [N] persistent et signent ce présent avec nous et nos assistants », précision faite que « MM. [U] [T] et [H] [N] refusent de signer les fiches de scellés constituées », force est de constater que ne figurent en réalité sur l'acte que les signatures de M. [U], de l'officier de police judiciaire et de l'un de ses assistants ; qu'il n'est ainsi pas établi que M. [H], qui n'a pas signé le procès-verbal litigieux, était bien présent lors de la perquisition de l'appartement qu'il occupait, et en particulier de sa chambre ; qu'en retenant, pour refuser de prononcer l'annulation de la perquisition de l'appartement occupé par l'exposant, que M. [H] ne saurait arguer d'aucun grief dès lors qu'il a bien participé aux mesures d'échantillonnages et de constatations sur les produits stupéfiants qui auraient été découverts lors de la perquisition litigieuse, quand cette seule circonstance est inopérante à établir que M. [H] reconnaissait que les produits avaient été effectivement découverts à son domicile ; la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 56, 57, 171, 802, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
15. M. [H] n'a allégué ni dans sa requête en nullité ni dans son mémoire devant la chambre de l'instruction qu'il disposait d'une partie privative dans le logement en question.
16. Il s'ensuit que le moyen qui soutient que M. [H] devait être présent lors de la perquisition d'une partie privative est irrecevable.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 19 décembre 2023 n° 23-81.286 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 23-81.286 FS-B
N° 01424
GM 19 DÉCEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 19 DÉCEMBRE 2023
M. [M] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 17 février 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, de recel, infractions aux législations sur les stupéfiants et sur les armes et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande en annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 15 mai 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [M] [W], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [G] [K] [S] [V], passager d'un véhicule conduit par M. [M] [W], a été interpellé le 7 février 2022. Dans un temps très voisin, M. [W] a également été interpellé. Une fouille de la sacoche de M. [K] [S] [V] a été effectuée, hors sa présence, seule la signature de l'officier de police judiciaire figurant sur le procès-verbal. Selon cette pièce, les clés de deux véhicules, dans lesquels ont été découverts des armes et des produits stupéfiants, se trouvaient dans la sacoche.
3. M. [W] a été mis en examen des chefs susvisés le 11 février 2022.
4. Le 23 mai 2022, a été diffusé sur une chaîne de télévision un reportage, dans lequel plusieurs scènes tirées de l'interpellation de MM. [W] et [K] [S] [V] étaient visibles.
5. Le 11 août 2022, M. [W] a déposé une requête en nullité de pièces de la procédure.
6. Le 24 novembre suivant, il a sollicité par mémoire la nullité de certains actes en raison de la diffusion du reportage précité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il rejeté le moyen tiré de la nullité de la fouille de la sacoche de M. [K] [S] [V] et dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce ou d'un acte de la procédure, alors :
« 1°/ que toute personne mise en examen qui conteste, y compris pour la première fois devant la chambre de l'instruction la réalité des découvertes et saisies réalisées au cours d'une perquisition ou d'une fouille peut à agir en nullité de cette mesure dès lors qu'elle invoque la méconnaissance d'une formalité dont l'objet est de garantir l'authentification des éléments de preuve qu'en se fondant, pour dire n'y avoir lieu à annulation des pièces relatives à la fouille de la sacoche de M. [K] [S] [V], que M. [W] n'avait contesté la présence des clés découvertes dans cette sacoche ni lors de sa garde à vue, ni lors de son interrogatoire de première comparution, ni lors de son interrogatoire par le juge d'instruction, quand la seule contestation soulevée à ce propos par M. [W] à l'occasion de la requête en nullité suffisait à caractériser un grief permettant à M. [W] de contester la régularité des opérations de fouille, la chambre de l'instruction a violé les articles 171, 802, 57, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne mise en examen qui conteste, y compris pour la première fois devant la chambre de l'instruction la réalité des découvertes et saisies réalisées au cours d'une perquisition ou d'une fou ille peut à agir en nullité de cette mesure dès lors qu'elle invoque la méconnaissance d'une formalité dont l'objet est de garantir l'authentification des éléments de preuve qu'en se fondant, pour dire n'y avoir lieu à annulation des pièces relatives à la fouille de la sacoche de M. [K] [S] [V], que M. [W] n'avait contesté la présence des clés découvertes dans cette sacoche ni lors de sa garde à vue, ni lors de son interrogatoire de première comparution, ni lors de son interrogatoire par le juge d'instruction, quand le silence de M. [W] relevait de la mise en oeuvre d'un droit dont il pouvait librement disposer, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 171, 802, 57, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que l'absence de contestation par la personne fouillée de l'authenticité de la présence des éléments prétendument découverts à cette occasion ne prive pas le tiers mis en cause par cette fouille de la possibilité de contester cette authenticité et la régularité de la fouille qu'en relevant, pour dire n'y avoir lieu à annulation des pièces relatives à la fouille de la sacoche de M. [K] [S] [V], que ce dern ier n'avait pas contesté la présence des clés saisies dans la sacoche, la chambre de l'instruction a violé les articles 171, 802, 57, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Le moyen, spécialement sa troisième branche, pose la question de savoir si, en présence d'une irrégularité tenant au défaut de signature du procès-verbal de perquisition, l'absence de contestation, par la personne qui se prévaut d'un droit sur le local perquisitionné, de la présence et de l'intégrité des objets saisis fait obstacle à ce qu'une autre personne mise en examen établisse l'existence d'un grief pris de cette irrégularité.
9. La Cour de cassation juge que la formalité de signature du procès-verbal de perquisition et saisie prévue à l'article 57, alinéa 3, du code de procédure pénale a pour objet d'authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis au cours de la perquisition et que, dès lors, toute partie a qualité pour invoquer la nullité tirée de sa méconnaissance (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 21-80.642, publié au Bulletin).
10. Il appartient au demandeur à la nullité de justifier d'une atteinte à ses intérêts.
11. L'absence de grief peut être déduite de ce que l'irrégularité n'a pas occasionné au requérant de préjudice, lequel ne peut résulter de sa seule mise en cause par l'acte critiqué.
12. Il s'ensuit que lorsque l'irrégularité réside dans le défaut de signature du procès-verbal de perquisition, le grief peut être écarté si la personne qui se prévaut d'un droit sur le local perquisitionné ne conteste pas la présence ou l'intégrité des objets saisis.
13. Dans l'arrêt précité du 7 septembre 2021, la Cour de cassation a jugé que, dans l'hypothèse où le demandeur à la nullité occupait le local perquisitionné avant cet acte, l'absence de contestation quant à la présence des objets saisis par la personne présente lors de cet acte ne pouvait lui être opposée.
14. Cette solution, qui repose sur le fait qu'occupant précédemment le local, le demandeur à la nullité était en mesure de connaître les objets qui y étaient présents et donc d'en contester utilement la présence ou l'intégrité, ne peut être étendue à l'hypothèse où le demandeur ne justifie pas avoir occupé les lieux perquisitionnés.
15. Dans ce dernier cas, l'absence de contestation, par la personne qui se prévaut d'un droit sur le local perquisitionné, de la présence et de l'intégrité des objets saisis est opposable à l'ensemble des personnes mises en examen qui ne peuvent donc se prévaloir d'un grief.
16. Les principes ci-dessus énoncés s'appliquent à la fouille d'un bagage, assimilable à une perquisition (Crim., 5 octobre 2001, pourvoi n° 11-81.125, Bull. crim. 2011, n° 195).
17. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité de la fouille de la sacoche de M. [K] [S] [V], pris de l'absence de sa signature ou, à défaut, de celle de deux témoins, l'arrêt attaqué énonce que M. [W] n'a pas contesté la présence des clés saisies dans cette sacoche, pas davantage que M. [K] [S] [V].
18. C'est à tort que les juges ont considéré que M. [W] n'a pas contesté la présence des clés dans la sacoche de M. [K] [S] [V], alors que cette contestation figure expressément dans sa requête en nullité.
19. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte des pièces de la procédure que M. [K] [S] [V], propriétaire de la sacoche et qui pouvait donc en authentifier le contenu, n'en a pas contesté la présence ou l'intégrité.
20. Dès lors, M. [W], qui ne justifie ni même n'allègue qu'il connaissait, antérieurement à la fouille, le contenu de la sacoche, ne peut se prévaloir d'un grief.
21. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité de l'interpellation et de la fouille réalisées en présence d'un tiers et dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce ou d'un acte de la procédure, alors :
« 1°/ que le secret de l'enquête et de l'instruction s'oppose à la présence d'un tiers ayant obtenu d'une autorité publique l'autorisation de capter, par le son ou l'image, fût ce dans le but d'informer le public, le déroulement des actes d'enquête quels qu'ils soient que la violation de ce principe porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont l'image ou le son sont captés par un tiers à l'occasion de l'accomplissement d'un acte d'enquête qu'au cas d'espèce, M. [W] faisait valoir que l'enregistrement audio visuel par des journalistes de la fouille de M. [K] [S] [V] et en particulier de sa sacoche, ainsi que celle des véhicules Skoda [Immatriculation 2] et Peugeot [Immatriculation 1] portait atteinte au secret de l'enquête et de l'instruction et lui faisait né
2°/ que le secret de l'enquête et de l'instruction s'oppose à la présence d'un tiers ayant obtenu d'une autorité publique l'autorisation de capter, par le son ou l'image, fût ce dans le but d'informer le public, le déroulement des perquisitions que la violation de ce principe porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont l'image ou le son sont captés par un tiers à l'occasion de l'accomplissement d'un acte d'enquête qu'au cas d'espèce, M. [W] faisait valoir que l'enregistrement audio visuel par des journalistes de la fouille de M. [K] [S] [V] et en particulier de sa sacoche, ainsi que celle des véhicules Skoda [Immatriculation 2] et Peugeot [Immatriculation 1] tous actes relevant du régime des perquisitions, portait atteinte au secret de l'enquête et de l'instruction et lui faisait nécessairement grief qu'en retenant, pour rejeter la demande d'annulation de ces actes, que M. [W] ne justifiait pas d'un grief, quand ce grief était présumé s'agissant d'actes d'enquête relevant du régime des perquisitions la chambre de l'instruction a violé les articles 11, 56, 76, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu' il résultait des propres constatations de l'arrêt que les fouilles filmées l'ont été dans un parking souterrain, que certaines images permettaient de voir lisiblement les plaques des véhicules fouillés, d'observer le visage de M. [W] et des éléments vestimentaires ou de corpulence permettant son identification qu'en retenant, pour rejeter la demande d'annulation de ces actes, que M.[W] ne justifiait pas d'un grief, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses constatati ons et a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 11, 56, 76, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ enfin que devant la chambre de l'instruction, M. [W] faisait valoir que la diffusion des images enregistrées au cours des fouilles sur une chaîne de grande écoute alors que l'instruction était en cours caractérisait une violation du secret de l'enquête qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, la chambre de l'instruction a violé les articles 11, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 11 du code de procédure pénale :
23. Il résulte de ce texte que les agents ou fonctionnaires auxquels la loi attribue des pouvoirs de police judiciaire sont soumis au secret de l'enquête. La présence d'un tiers ayant obtenu d'une autorité publique l'autorisation de capter, par le son ou l'image, fût-ce dans le but d'informer le public, le déroulement des actes d'enquête auxquels procèdent ces agents ou fonctionnaires, constitue une violation de ce secret. Une telle violation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée.
24. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel la présence de journalistes constituait une violation du secret de l'enquête, l'arrêt attaqué retient notamment que, faute d'avoir été identifiable, M. [W] n'a subi aucun grief.
25. En se déterminant ainsi, alors que la présence de tiers lors d'un acte d'enquête fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
26. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
27. Le secret de l'enquête a pour objet de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence des personnes concernées dans la procédure en cause (Cons. const., décision du 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC). Dès lors, la cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l'exception de nullité tirée de la violation du secret de l'enquête, en ce qu'elle se réfère à l'acte qui concerne M. [W], à savoir son interpellation (cote D 11). Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 19 décembre 2023 n° 22-87.200
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° N 22-87.200 F-D
N° 01518
GM 19 DÉCEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 19 DÉCEMBRE 2023
M. [R] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 31 août 2022, qui pour provocation publique à la haine ou à la violence, à raison de l'origine, de l'ethnie, la nation, la race ou la religion, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [R] [E], les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de l'association [6], les observations de la SCP Le Griel, avocat de l'[1], les observations du cabinet Buk Lament-Robillot, avocat de l'association [3], l'association [4], l'association [2], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseillers de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 29 juin 2018, le procureur de la République a ordonné une enquête préliminaire à la suite de propos tenus, le vendredi 15 décembre 2017, par M. [R] [E] dit « [G] », dans une mosquée, susceptibles de constituer une provocation à la haine raciale, puis a requis l'ouverture d'une information.
3. M. [E] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef susvisé pour avoir tenus les propos suivants : « notre Prophète, le grand, le vénéré Mahomet, messager de Dieu, nous a dit à propos de la bataille finale, de la bataille décisive le jour du jugement ne parviendra que quand les musulmans combattrons les juifs, le juif se cachera derrière l'arbre et la pierre, et l'arbre et la pierre diront oh musulman, oh serviteur de Dieu, il y a un juif derrière moi, viens et tue-le, sauf algharqada, qui est l'un des arbres des juifs » ; « On a entendu, il y a quelques années, des propos du martyre ; oh communauté, nous sommes des hommes et des héros et ce prêche suscite en vous la peur et la panique, avez-vous vu, vous êtes en pleine santé et avec toutes vos forces, et si un imam entre en prison, il y aura un autre qui viendra ; mais avez-vous vu des pays, des pays qui tremblent et s'agitent à cause d'un homme infirme sur la chaise de la vieillesse, la seule chose qu'il bouge est sa langue, le Cheikh [Z] [B], que Dieu ait son âme, il n'y a qu'un mort, oh communauté, et il n'y a qu'une seule justice, et si on a peur de nommer les choses par leurs noms, eux, je le jure, ne veulent pas quelque chose de précis, le but ce n'est pas Alqaida, ni [X], ni Daesh ni ?ni ?le but c'est l'Islam et malheureusement cette méthode est suivie chez nous par leurs « serviteurs », par les traîtres de la communauté de Mahomet quand ils combattent l'Islam; combien on a d'Islam ? On a 30 millions au Maroc, 35 millions en Algérie et 90 millions en Égypte ; qu'est ce que c'est cette absurdité, c'est un seul Coran, un seul sunnisme » ; « Toi, tu veux me diviser, pourquoi, l'Islam modéré, l'Islam intégriste, l'Islam conservateur et non conservateur, tu peux créer autant de différence mais c'est une seule religion, un seul Coran, une seul source » ; « la corruption morale des israélites dans l'histoire est nombreuse ; ils ont tué des prophètes c'est un pêché, ils ont falsifié la Torah, c'est un pêché, leur adoration du veau d'or est un pêché » ; « observez bien les paroles de Dieu envers les israélites » ; « nous vous avons redonné encore une fois » ; « la force, l'argent, les canaux, les chaînes d'information internationales et le pouvoir de contrôle de la vie politique et économique dans le monde » ; « si vous faites le bien, oh peuple juif, c'est pour vous et si vous faites le mal c'est contre vous (?) ».
4. Les juges du premier degré ont relaxé le prévenu et ont prononcé sur les intérêts civils.
5. Les parties civiles et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [E] du chef de provocation à la haine ou à la violence à une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et a alloué des dommages et intérêts aux parties civiles, alors :
« 1°/ que le délit de provocation n'est caractérisé que si, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés tendent à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées ; qu'il appartient au juge de cassation d'exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos poursuivis ; que, pour retenir que les propos tenus par M. [E] au cours de son prêche constituaient une provocation à la haine ou à la violence, et après avoir constaté que l'expertise destinée à assurer une traduction des propos était entachée de partialité en ce que l'experte avait porté une appréciation sur le discours de l'imam, la cour d'appel a dans un premier temps considéré que M. [E] n'avait accompagné la citation de l'hadith d'aucune explication qui aurait permis d'en faire une autre lecture que celle de l'appel, textuel, au meurtre des juifs qu'il contient ; qu'elle a relevé dans un deuxième temps qu'il avait désigné « les israélites » comme coupables de corruption morale en précisant « ils ont tué des prophètes, c'est un péché, ils ont falsifié la Torah, c'est un péché, leur adoration du veau d'or est un péché », qu'ils disposent par la bonté de Dieu de « la force, l'argent, les canaux, les chaînes d'information internationales et le pouvoir de contrôle de la vie politique et économique dans le monde » avant de préciser qu' « il y a une échéance, que cette échéance de la corruption est présente aujourd'hui » ; qu'elle a, dans un troisième et dernier temps, retenu que les mots «
2°/ que le sens et la portée des propos poursuivis doivent être appréciés au regard de l'ensemble des propos émis et en tenant compte de ce qui pouvait être compris par les personnes susceptibles d'y avoir accès ; que la partie finale du prêche traduite par l'expert et par la personne réquisitionnée au cours de l'enquête fait état de ce que : « si vous faites le bien, ô peuple juif, c'est pour vous et si vous faites le mal c'est contre vous, quand le jour du jugement arrivera, des serviteurs à nous, des fidèles à cette religion, malheureusement on vous a fait venir « lafifa » vers la fin de la sourate. On vous a fait venir « lafifa » c'est-à-dire, on vous a fait venir de l'est et de l'ouest, des juifs de Russie, d'Amérique et autre. Il y a des signes, honorables gens ! des signes de l'existence du mur de séparation raciste au sein de la Palestine et [Localité 5], ses preuves de leur peur. Le réveil de ces jeunes, le retour à la religion, à la prière, aux conférences du savoir, aux différentes rencontres dans le Maghreb et l'Orient arabe est une preuve que l'islam de retour, que les serviteurs de Dieu qui arriveront la prochaine fois seront les libérateurs de la terre de la ville sainte. Ils sont de cette génération ou celle qui suivra avec la volonté de Dieu et avec son aide. Les sociologues disent que les leaders pour le changement des différentes civilisations sont uniquement 2,5%, cela veut dire que des 300 millions d'américains qui sont les meilleurs, les leaders, les visionnaires, les inventeurs, 5 millions c'est-à-dire moins de 2,5% ; 98% sont suiveurs et 2,5% réussissent ce seront eux qui libéreront la ville sainte. J'implore Dieu, tout puissant, que cela arrive prochainement, il le voit lointain, on le voit proche. Dieu, libère nous des destructeurs et de leurs alliés, accorde nous une victoire contre cette injustice ou qu'elle se trouve, que le mal et la justice des détracteurs se retrouvent contre eux, apporte nous la paix et la sécurité et guide nous vers le bon chemin Amen » ; qu'en appelant Dieu à ce que « le mal et la justice des détracteurs se retournent contre eux » et en évoquant, au titre des serviteurs de la religion qui libèreront la ville de [Localité 5], « Le réveil de ces jeunes, le retour à la religion, à la prière, aux conférences du savoir, aux différentes rencontres dans le Maghreb et l'Orient arabe », l'auteur des propos poursuivis appelait la jeune génération à résister par la religion et le savoir et à garder espoir d'une fin de l'occupation de [Localité 5] de sorte que la phrase « si vous faites le bien, ô peuple juif, c'est pour vous et si vous faites le mal c'est contre vous », qui avait pour sens que la justice serait rendue en ce que ceux qui ont fait du mal recevront ce mal en retour, ne contenait aucune exhortation à la haine ou à la violence explicite ou implicite ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a là encore violé les articles 24, alinéa 7, de la loi précitée du 29 juillet 1881 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ qu'en l'absence d'exhortation explicite et délibérée, le sens et la portée des propos poursuivis doivent être appréciés en tenant compte de ce que la circonstance qu'ils s'inscrivent dans un débat d'intérêt général peut être de nature à exclure qu'ils puissent être regardés comme contenant même implicitement une exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence ; qu'à ce titre, la citation par l'animateur d'un culte d'un texte religieux dont le contenu littéral contient une incitation à la haine ou à la violence ne peut constituer le délit si cette citation s'inscrit dans un discours dont la teneur est inverse au sens littéral de ce texte et conduit les personnes susceptibles d'y avoir accès à interpréter ce dernier et à lui accorder une portée exempte de toute provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence ; qu'en l'espèce, en se limitant à constater l'absence d'explication explicite de l'hadith au sein du prêche sans apprécier le sens et de la portée de la citation au regard de l'ensemble du prêche et de ce qui pouvait être compris par les personnes susceptibles d'y avoir accès, là où ce prêche était consacré, dans une actualité marquée par le transfert de l'ambassade des Etats-Unis à [Localité 5], à l'espoir d'une fin de l'occupation israélienne de la ville de [Localité 5] et à la patience que les fidèles doivent garder au moyen de la religion, de la prière, du savoir et des rencontres de telle sorte que les propos qu'il contenait retiraient au passage de ce texte religieux et précisément à celui dans lesquels il est dit que les arbres et les pierres inciteront les combattants du jugement dernier à tuer les juifs, sa portée violente et, comme l'indiquait le prévenu depuis sa première audition, réduisait cette portée en un avertissement sur les dangers de la fin du monde et d'un tel combat, et là où, placée dans un tel prêche, la citation de ce texte ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d'expression s'agissant de l'utilisation par les animateurs d'un culte de textes religieux anciens, la cour d'appel a violé les articles 24, alinéa 7, de la loi précitée du 29 juillet 1881 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ qu'en se limitant à constater que M. [E] avait préparé lui-même son discours, qu'il connaissait le sens des mots et leur portée par sa formation et son niveau de connaissance, ce dont il s'ensuit qu'il n'aurait pas été imprudent mais aurait sciemment exhorté à la haine ou à la violence sans rechercher si l'intéressé, en citant un hadith dont il ne pouvait certes pas ignorer quelle serait la portée dans le cadre d'une interprétation littérale, avait voulu que cette lecture littérale soit celle retenue ou, à l'inverse, avait utilisé ce texte dans un prêche dont l'objet était précisément d'en assurer une interprétation de nature à en neutraliser la dimension provocatrice et haineuse, ce dont il résulterait que l'élément intentionnel du délit ne serait pas constitué, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision et a violé l'article 593 du code de procédure pénale ensemble les articles 24, alinéa 7, de la loi précitée du 29 juillet 1881 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer le prévenu coupable du chef de provocation à la haine raciale, l'arrêt attaqué énonce notamment que la question posée n'est pas d'apprécier le bien fondé d'un texte religieux, mais l'utilisation qui a pu en être faite, son sens et sa portée, dans le contexte d'un prêche.
8. Les juges relèvent qu'au cours de ses propos, d'une part, M. [E] n'a donné aucune explication au « hadith » qui aurait permis d'en faire une autre lecture que celle de l'appel, textuel, au meurtre des juifs qu'il contient : « Il y a un juif derrière moi, viens et tue le », verbes employés à l'impératif, d'autre part, bien qu'affirmant distinguer « la judaïcité en tant que peuple et religion » de l'Etat d'Israël, il a mêlé les propos critiques qu'il a tenus sur cet Etat, aux propos incriminés, dans lesquels, après s'être référé au cheik [Z] [B], fondateur du Hamas, le qualifiant de « martyre », il a désigné « les israélites » comme coupables de corruption morale, précisant qu'« une échéance de la corruption est présente aujourd'hui. »
9. Ils ajoutent que la phrase contenue dans la prévention « si vous faites le bien, ô peuple juif, c'est pour vous et si vous faîtes le mal, c'est contre vous », exhorte implicitement à la haine ou la violence et qu'elle se trouve explicitée à la fin du discours lorsque le prévenu annonce : « Nous vous enverrons des serviteurs à nous, des serviteurs de Dieu (...) qui se sont libérés de toute contrainte », qui « seront les libérateurs de la ville sainte. »
10. Ils en concluent que les propos poursuivis exhortent à la haine ou à la violence à l'égard de l'ensemble des juifs, désignés sous les vocables « les israélites », « le peuple juif », à raison de leur origine ou de leur appartenance à la religion juive.
11. Ils observent, enfin, que, tout d'abord, le contexte dans lequel les propos ont été tenus, à savoir le déplacement de l'ambassade des États-Unis de [Localité 7] à [Localité 5], aggrave le risque de passage à l'acte contre les personnes au seul motif qu'elles sont juives, ensuite, le prévenu, en raison de sa formation, de sa connaissance du sens des mots et de leur portée, n'a pas été imprudent mais a tenu sciemment ces propos, dépassant les limites admissibles de la liberté d'expression.
12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
13. En premier lieu, le prévenu n'a pas sollicité une nouvelle expertise devant les juges d'appel, de sorte que le moyen, pris en sa première branche, est inopérant.
14. En deuxième lieu, la juridiction a souverainement analysé les éléments extrinsèques, contradictoirement débattus devant elle, éclairant le sens et la portée des propos poursuivis, tels qu'ils étaient susceptibles d'être compris par les personnes pouvant en prendre connaissance.
15. Enfin, au terme de cette analyse, elle a exactement retenu que les propos poursuivis, par leur sens et leur portée, appelaient au meurtre des juifs en raison de leur corruption morale et contenaient ainsi une exhortation à la haine ou à la violence.
16. Ainsi, le moyen ne peut qu'être écarté.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 13 décembre 2023 n° 22-87.237 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 22-87.237 F-B
N° 01482
ODVS 13 DÉCEMBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 13 DÉCEMBRE 2023
La société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 1er décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre MM. [X] [N], [HX] [P], [B] [F] [G], [A] [R] [CK], [E] [I], [L] [S], [D] [J], [LJ] [W], [PS] [C], [B] [JB], [Z] [EO] [V], [OW] [M] [KF], [SE] [BC], [K] [RA] [WV], [T] [YV], [H] [FO], [O] [NS], [TI] [ZZ], [H] [GT], et Mmes [U] [EO] [V] et [VI] [ZZ], des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs aggravée et importation de stupéfiants en bande organisée, a confirmé l'ordonnance de gel rendue par le juge d'instruction et a prononcé sur sa demande de restitution d'objet saisi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre de l'information judiciaire diligentée des chefs susvisés, le juge d'instruction a rendu le 5 octobre 2021 une « ordonnance de gel de biens mobiliers susceptibles de confiscation », portant sur le navire Zoi situé en Grèce, appartenant à la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY (la société) et considéré comme ayant servi au transport de produits stupéfiants.
3. Le même jour, le magistrat instructeur a adressé aux autorités grecques un certificat de gel aux fins de reconnaissance et d'exécution de la décision.
4. Le certificat de gel a été notifié le 6 octobre 2021 à la société par les autorités grecques qui ont par ailleurs exécuté la décision de gel.
5. La société a interjeté appel de la décision de gel.
6. Le 3 novembre 2021, elle a par ailleurs saisi le juge d'instruction d'une demande de restitution.
7. Le 19 janvier 2022, elle a directement saisi la chambre de l'instruction d'une telle demande. Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, et le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé des moyens
8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de gel et a rejeté la demande de restitution du voilier présentée par la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY, alors :
« 1°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en relevant, pour écarter le moyen de la société Nea Zoi Sailing Nepa Mcpy tiré de la violation des principes du contradictoire et du procès équitable en l'absence de notification de l'ordonnance de gel en même temps que celle du certificat de gel, que, si l'ordonnance de gel n'avait pas été notifiée à la société Nea Zoi, le conseil de celle-ci avait admis dans un courrier du 7 décembre 2021 joint au dossier d'instruction qu'il avait eu accès à ladite ordonnance (arrêt p. 60) cependant qu'il résultait de ses propres constatations que, dans son courrier du 7 décembre 2021, le conseil de l'exposante avait sollicité la copie de l'ordonnance de gel du 5 octobre 2021 dont il avait appris l'existence (arrêt p. 57) et qu'il n'avait pas admis, dès lors, dans ce courrier avoir eu accès à cette ordonnance puisqu'il en demandait copie, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'il résulte de l'article 695-9-3 8° du code de procédure pénale que la personne concernée par la décision de gel, y compris le tiers de bonne foi, doit se voir notifier la décision de gel, contre laquelle elle peut former un recours, en même temps que le certificat de gel ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tiré de la violation des principes du procès équitable et du contradictoire en l'absence de notification de l'ordonnance de gel en même temps que le certificat de gel, que le certificat de gel antérieurement notifié comportait des mentions sur les motifs de la décision de gel, la nature et la qualification juridique des faits la justifiant et le résumé des faits connus de l'autorité judiciaire qui en est l'auteur (arrêt p. 60) cependant que la référence dans le certificat de gel à des éléments de la décision de gel est prévue par le 6° de l'article 695-9-3 et ne saurait pallier l'absence de réalisation de la notification, simultanément au certificat de gel, de la décision de gel elle-même imposée par l'article 695-9-3 8°, la chambre de l'instruction a violé l'article 695-9-3 du code de procédure pénale ;
3°/ que lorsqu'elle statue sur le recours du tiers appelant contre l'ordonnance de gel d'un bien lui appartenant, la chambre de l'instruction ne peut satisfaire aux exigences relatives à l'accès de l'appelant aux pièces auxquelles il peut prétendre en application de l'article 695-9-3 du code de procédure pénale par la seule mention, conforme aux dispositions de l'article 197, alinéa 3, du code de procédure pénale, selon laquelle le procureur général a déposé le dossier et ses réquisitions écrites au greffe de la chambre de l'instruction pour être tenus à la disposition des avocats des parties et doit énoncer dans ses motifs que le tiers appelant a eu accès à la décision de gel et au certificat de gel ; qu'en se bornant à relever que la société Nea Zoi et son conseil ont eu accès au dossier de la cour et notamment aux réquisitions de M. l'avocat général (arrêt p. 60), la chambre de l'instruction a violé les articles 695-9-3 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
9. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de gel et a rejeté la demande de restitution du voilier présentée par la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY, alors :
« 1°/ que l'article 99-2 alinéa 2 du code de procédure pénale, prévoyant que le juge d'instruction peut ordonner, sous réserve des droits des tiers, de remettre à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, en vue de leur aliénation, des biens meubles placés sous main de justice, dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi, lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien, n'est applicable qu'à l'exécution en France d'une décision de gel prise par les autorités étrangères et ne l'est pas à l'exécution à l'étranger d'une décision de gel prise par les autorités judiciaires françaises ; qu'en retenant, pour répondre à l'argumentation de la société Nea Zoi Sailing Nepa Mcpy faisant valoir que le juge d'instruction français ne pouvait demander aux autorités grecques de vendre le voilier Zoi, que l'article 99-2 du code de procédure pénale n'exclut pas, dans sa version postérieure à la loi du 3 juin 2016, l'aliénation d'un bien n'appartenant pas aux personnes poursuivies (arrêt p. 62), la chambre de l'instruction a violé par fausse application l'article 99-2 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'article 28 du règlement 2018/1805 prévoit que la gestion des biens gelés et confisqués est régie par le droit de l'État d'exécution et que les autorités de l'Etat d'exécution peuvent décider de l'aliénation du bien gelé pour prévenir sa dépréciation ; qu'en déduisant de l'article 28 du règlement 2018/1805 qu'elle ne pouvait que confirmer la décision d'autorisation faite aux autorités grecques compétentes, pour le compte des autorités françaises, de procéder à la vente du voilier avant jugement (arrêt p. 62) cependant qu'en vertu de ce texte, la gestion des biens gelés et confisqués est régie par le droit grec et que les autorités grecques avaient seule compétence pour décider la vente de ce bien, la chambre de l'instruction a violé ce texte ;
3°/ qu'il résulte de l'article 695-9-3 du code de procédure pénale que la personne concernée par la décision de gel, y compris le tiers de bonne foi, doit se voir notifier la décision de gel, contre laquelle il peut former un recours, en même temps que le certificat de gel ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité du gel en l'absence de notification de la décision de gel simultanément au certificat de gel (mémoire n° 1 p. 11 et mémoire n° 2 p. 18), qu'il ne résulte d'aucun texte que la décision de gel doive être notifiée en même temps que le certificat de gel (arrêt p. 62), la chambre de l'instruction a violé l'article 695-9-3 du code de procédure pénale ;
4°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité du gel en l'absence de notification de la décision de gel simultanément au certificat de gel, que si le certificat de gel a pu être notifié à la société Nea Zoi se présentant comme propriétaire du bateau Zoi dès le 6 octobre 2021 par les autorités grecques, une telle notification n'impliquait pas nécessairement que le juge d'instruction ait été informé de la prétendue qualité de propriétaire du navire par la société Nea Zoi (arrêt p. 62) cependant qu'en vertu des articles 695-9-3 et 695-9-6 du code de procédure pénale, l'Etat d'émission transmet ensemble la décision de gel et le certificat de gel à l'Etat d'exécution et qu'il incombait aux autorités de l'Etat d'exécution, soit aux autorités grecques, de notifier le 6 octobre 2021 en même temps que le certificat de gel la décision de gel, la chambre de l'instruction, qui s'est prononcée par un motif inopérant constatant l'impossibilité pour le juge d'instruction français de notifier l'ordonnance de gel, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des textes susvisés, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que la société Nea Zoi Sailing Nepa Mcpy a fait valoir dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, au soutien de l'irrégularité de la saisie, que le certificat de gel ne contenait pas certaines des mentions requises relatives à la désignation du propriétaire du bien saisi, à l'identité de la ou des personnes physiques ou morales soupçonnées d'avoir commis l'infraction ou qui ont été condamnées et qui sont visées par la décision de gel et aux voies de recours contre la décision de gel pour les personnes concernés, à la désignation de la juridiction devant laquelle ledit recours peut être introduit et au délai dans lequel celui-ci peut être formé (mémoire n°1 appel de l'ordonnance de gel p. 8-9 et mémoire n° 2 p. 16-17) ; qu'en ne répondant à ces articulations essentielles du mémoire de l'exposante, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 695-9-3 et 593 du code de procédure pénale. »
10. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de gel et a rejeté la demande de restitution du voilier présentée par la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY, alors :
« 1°/ que lorsque la chambre de l'instruction s'appuie, pour justifier une mesure de saisie pénale, sur des pièces précisément identifiées de la procédure, elle est tenue de s'assurer que celles-ci ont été communiquées à l'appelant ; que la même exigence s'impose nécessairement lorsque la chambre de l'instruction statue sur l'appel d'une ordonnance de gel prise en application de l'article 695-9-1 du code de procédure pénale ; qu'en relevant, pour retenir que la société Nea Zoi ne pouvait exciper de sa bonne foi, que les 27 et 29 janvier 2020, [X] [MN], qui se disait représentant légal de Altamira Trading SA et propriétaire du voilier Kerafnos, a adressé plusieurs courriels à la marina de [Localité 1] dans le but de récupérer le voilier, que [DO] [Y] s'est également présenté par la suite à la marina de [Localité 1] en possession d'un pouvoir signé de [X] [MN] et de documents d'identité à son nom et au nom de celui-ci pour récupérer le voilier et que les vérifications menées sur les documents d'identité ont mis en évidence qu'il s'agissait de faux documents (arrêt p. 62) et que compte tenu des revendications dont le navire a fait l'objet sous de fausses identités, il résultait que les circonstances douteuses de l'acquisition du voilier Kerafnos par la société Nea Zoi ont été précédées et suivies par des manoeuvres frauduleuses (arrêt p. 63) et se fondant ainsi dans des motifs décisoires sur des pièces précisément identifiées de la procédure dont elle ne s'est pas assurée qu'elles avaient été communiquées à l'appelante, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
12. Les moyens, qui critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de gel rendue par le juge d'instruction, sont irrecevables.
13. En effet, il résulte de l'article 2 du règlement (UE) n° 2018/1805 du Parlement et du Conseil du 14 novembre 2018 concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation, que la décision de gel est une décision émise ou validée par une autorité d'émission dans le but d'empêcher la destruction, la transformation, le déplacement, le transfert ou la disposition de biens en vue de permettre leur confiscation.
14. Il s'en déduit que la décision de gel constitue une notion autonome du droit de l'Union européenne qui correspond, dans l'ordre juridique interne, à une décision de saisie pénale destinée à garantir l'exécution de la confiscation du bien objet de la mesure.
15. Or, en l'espèce, la décision de saisie du juge d'instruction, en ce qu'elle porte sur un bien meuble corporel confiscable comme étant susceptible d'être l'instrument des faits objet de l'information, s'analyse en un acte d'instruction prévu par l'article 97 du code de procédure pénale. En conséquence, la régularité de la saisie ne peut être contestée par la voie de l'appel. Il appartient aux parties, lorsqu'elles contestent la régularité de la saisie, de saisir la chambre de l'instruction d'une requête en nullité de celle-ci, dans les conditions des articles 173 et suivants du code de procédure pénale. Il est par ailleurs loisible à la personne mise en examen, à la partie civile ou à toute autre personne qui prétend avoir droit sur l'objet saisi, de saisir le juge d'instruction d'une requête aux fins de restitution de celui-ci sur le fondement de l'article 99 du code de procédure pénale.
16. En conséquence, l'appel interjeté par la société était irrecevable, de sorte qu'il en est de même des moyens qui critiquent l'arrêt en ce qu'il a rejeté les moyens pris de l'irrégularité de la saisie.
Mais sur le moyen soulevé d'office et mis dans le débat
17. Vu l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme :
18. Il résulte de ce texte, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que, si ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général, les intéressés doivent bénéficier d'une procédure équitable, qui comprend le droit au caractère contradictoire de l'instance.
19. Il s'en déduit que la chambre de l'instruction directement saisie d'une demande de restitution d'objet saisi présentée par un tiers est tenue de s'assurer, si la saisie a été opérée entre ses mains ou s'il justifie être titulaire de droits sur le bien dont la restitution est sollicitée, que lui ont été communiqués en temps utile, outre les procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie et l'ordonnance de saisie, les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires.
20. Les mentions de l'arrêt doivent énoncer que le tiers requérant a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie et, le cas échéant, aux pièces précisément identifiées sur lesquelles la chambre de l'instruction se fonde pour justifier le rejet de la demande de restitution dans ses motifs décisoires, ainsi qu'identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, auquel l'article 194, alinéa 1er, du code de procédure pénale confie la mise en état de l'affaire, chacune des pièces mises à la disposition de l'avocat du tiers requérant.
21. Pour confirmer la saisie, l'arrêt retient, après avoir constaté que le procureur général a déposé le dossier au greffe de la chambre de l'instruction et y a joint ses réquisitions écrites pour être tenues à la disposition des avocats, que l'ordonnance de gel n'a pas été notifiée à la société requérante, mais que l'avocat de celle-ci a admis dans un courrier du 7 décembre 2021 qu'elle avait eu accès à l'ordonnance.
22. Les juges ajoutent que le certificat de gel comporte de nombreuses mentions notamment les motifs de la décision de gel, la nature et la qualification juridique des faits qui la justifie, ainsi que le résumé des faits connus de l'autorité judiciaire qui en est l'auteur.
23. Ils énoncent enfin que la société requérante et son conseil ont eu accès au dossier de la cour et aux réquisitions de l'avocat général.
24. En se déterminant ainsi, sans énoncer que la société s'était vue communiquer l'ordonnance de gel dans les conditions de l'article 197 du code de procédure pénale, ni identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, chacune des pièces mises à la disposition de l'avocat de cette société, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés.
25. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 13 décembre 2023 n° 22-81.985 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 22-81.985 FS-B
N° 01408
MAS2 13 DÉCEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 13 DÉCEMBRE 2023
M. [O] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 22 février 2022, qui, pour fraude fiscale et blanchiment aggravé, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement, 300 000 euros d'amende, une confiscation, a ordonné la révocation d'un sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [O] [X], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Etat français, de la direction générale des finances publiques et de la direction départementale des finances publiques des Hauts-de-Seine, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, M. de Lamy, Mme Jaillon, conseillers de la chambre, MM. Ascensi, Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Bougy, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 21 juin 2019, à la suite d'une enquête préliminaire, M. [O] [X] a été cité devant le tribunal correctionnel des chefs de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, aggravé par la circonstance que les faits ont été commis de façon habituelle.
3. Au titre de la fraude fiscale, il lui était reproché de s'être, entre 2009 et 2012, frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement des impôts dus au titre des années 2008 à 2012 en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt sur le revenu et à l'impôt de solidarité sur la fortune.
4. Au titre du blanchiment, il lui était reproché d'avoir, entre le 16 mai 1996 et le 2 novembre 2016, apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect du délit de fraude fiscale, en l'espèce en plaçant des avoirs sur des comptes détenus à l'étranger non déclarés à l'administration fiscale, en convertissant le produit de l'infraction grâce à la constitution d'un trust aux Bahamas et à l'acquisition d'un terrain en Colombie, sur lequel une villa avait été construite par le biais d'une société écran, en procédant à des encaissements de sommes en provenance de personnes physiques et de personnes morales, non déclarées à l'administration fiscale, puis au décaissement de ces sommes par des opérations successives, en employant les sommes non déclarées notamment à l'aménagement et l'entretien de la villa en Colombie et en procédant à des retraits en espèces et plusieurs virements depuis les comptes détenus à l'étranger.
5. Parallèlement, M. [X] a saisi le juge administratif en contestation du redressement fiscal lui ayant été appliqué.
6. Par jugement du 24 juin 2020, le tribunal correctionnel, après avoir rejeté les exceptions soulevées par le prévenu, a relaxé partiellement M. [X] des faits de blanchiment aggravé et l'a déclaré coupable pour le surplus.
7. Les premiers juges l'ont condamné à trois ans d'emprisonnement, 600 000 euros d'amende et dix ans d'interdiction de gérer, ont ordonné la révocation en totalité du sursis simple de dix mois, prononcé à son encontre par le tribunal correctionnel de Nanterre le 3 mai 2012, et ordonné la confiscation de montres et du solde créditeur du compte dont il est titulaire à la CIC Banque transatlantique, qui avaient été saisis.
8. Statuant sur l'action civile, le tribunal a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'Etat français, et condamné M. [X], solidairement avec sa co-prévenue, à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice subi.
9. M. [X] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa première branche, les quatrième, sixième et septième moyens et le neuvième moyen, pris en sa première branche
10. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné pénalement M. [X] du chef de fraude fiscale, après avoir rejeté le moyen tiré d'une violation du principe ne bis in idem du fait des condamnations déjà prononcées à son encontre pour les mêmes faits dans la procédure fiscale, alors :
« 2°/ que par un arrêt du 5 mai 2022, la Cour de justice de l'Union européenne a affirmé que le droit fondamental garanti par l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'oppose à une réglementation nationale qui n'assure pas, dans les cas du cumul d'une sanction pécuniaire et d'une peine privative de liberté, par des règles claires et précises, le cas échéant telles qu'interprétées par les juridictions nationales, « que l'ensemble des sanctions infligées n'excède pas la gravité de l'infraction constatée » ; que si l'impôt sur le revenu comme l'impôt de solidarité sur la fortune ne sont pas régis par le droit de l'Union, il est indubitable que la légalité des doubles poursuites et sanctions telle qu'interprétée par le droit de l'Union ne pourra qu'être étendue aux situations ne relevant pas du droit de l'Union européenne sauf à méconnaître le principe d'égalité devant la loi ; que l'effectivité de cette décision parfaitement prévisible suppose qu'elle soit appliquée immédiatement aux faits commis antérieurement qui n'ont pas donné lieu à une condamnation définitive ; que M. [X] ayant dénoncé l'inconventionnalité des doubles poursuites et sanctions fiscales et pénales exercées et prononcées à son encontre pour les mêmes faits, l'arrêt attaqué doit être annulé pour permettre un nouvel examen des faits afin de déterminer si le cumul des sanctions pénales et fiscales prononcées à son encontre est proportionnel à la gravité de l'infraction. »
Réponse de la Cour
12. Il résulte de l'article 1741, alinéa 1er, du code général des impôts que quiconque s'est soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel de l'impôt, notamment en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt, à la condition que la dissimulation excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros, est passible de sanctions pénales, indépendamment des sanctions fiscales applicables en vertu de l'article 1729 du même code.
13. La Cour de cassation, appliquant des réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel (Cons. const., 24 juin 2016, décisions no 2016-545 QPC et no 2016-546 QPC, Cons. const., 22 juillet 2016, décision n° 2016-556 QPC et Cons. const., 23 novembre 2018, décision n° 2018-745 QPC), a posé plusieurs conditions au prononcé de sanctions pénales lorsque le prévenu de fraude fiscale a fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits (Crim., 11 septembre 2019, pourvois n° 18-81.067, n° 18-81.040 et n° 18-84.144, publiés au Bulletin).
14. Tirant les conséquences de l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne à la suite d'une question préjudicielle qu'elle lui avait transmise (CJUE, arrêt du 5 mai 2022, C-570/20), la Cour de cassation a ajouté à ces exigences, en matière de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, impôt entrant dans le champ de l'Union européenne, et en conséquences soumis à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux, l'obligation pour le juge pénal, d'une part, lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel de sanctions fiscales et s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier qu'il était raisonnablement prévisible, au moment où l'infraction a été commise, que celle-ci était susceptible de faire l'objet d'un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale, d'autre part, lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, après avoir constaté le montant des pénalités fiscales appliquées, de s'assurer que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction qu'il a commise (Crim., 22 mars 2023, pourvois n° 19-80.689 et n° 19-81.929, publiés au Bulletin).
15. Ces exigences supplémentaires ne s'imposent pas lorsque le prévenu est poursuivi uniquement pour des faits de fraude fiscale concernant des impôts qui ne sont pas soumis au droit de l'Union.
16. En effet, d'une part, dans cette hypothèse, l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux, dont elles découlent, n'est pas applicable.
17. L'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, qui, selon la réserve émise par la France ne trouve à s'appliquer que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale, ne saurait, le cas échéant, imposer des conditions particulières au cumul de sanctions pénale et fiscale, qui relèvent de deux ordres de juridiction distincts.
18. En conséquence, d'une part, le grief tiré de l'inapplication des exigences posées par la Cour de justice de l'Union européenne en matière de cumul de sanctions pénale et fiscale est inopérant dès lors que M. [X] a été poursuivi pour des faits de fraude relatifs aux seuls impôts sur le revenu et de solidarité sur la fortune.
19. D'autre part, le grief est également inopérant en ce que le requérant ne précise pas le fondement du principe d'égalité devant la loi qu'il invoque et n'a pas déposé de question prioritaire de constitutionnalité invoquant une atteinte audit principe en tant qu'il est énoncé par la Constitution.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [X] coupable du chef de blanchiment de fraude fiscale après avoir écarté l'exception de prescription de tous les actes antérieurs au 19 décembre 2000, alors « que l'article 9-1 du code de procédure pénale fait courir le délai de prescription de l'action publique de l'infraction occulte ou dissimulée à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits à compter du jour où l'infraction a été commise ; que, selon l'article 4 de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, ladite loi n'a pas « pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas acquise » ; qu'il résulte de la combinaison de ces textes que le délai butoir de 12 ans instauré par l'article 9-1 du code de procédure pénale pour les infractions occultes ou dissimulées est applicable aux enquêtes en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi, dans la mesure où l'action publique n'a pas été mise en mouvement ni exercée, faute de saisine d'un juge du siège – juge d'instruction ou juridiction de jugement avant l'entrée en vigueur de la loi ; que pour écarter la prescription des faits de blanchiment reprochés au prévenu commis antérieurement au 19 décembre 2000 par l'effet de l'application du délai butoir de 12 ans institué à l'article 9-1 du code de procédure pénale par la loi du 27 février 2017, la cour d'appel se borne à affirmer qu'au 1er mars 2017, « date d'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, la prescription n'était pas acquise et le ministère public avait déjà exercé l'action publique en faisant effectuer des actes d'instruction ou d'investigation au cours d'une enquête préliminaire » ; qu'en prononçant ainsi quand l'existence d'actes d'instruction ou d'investigation, interruptifs de prescription, ne pouvait par définition, constituer l'exercice de l'action publique qui n'avait pas été mise en mouvement, faute de saisine d'un magistrat instructeur ou d'une juridiction de jugement antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 4 de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, ainsi que les articles 112-2 4° du code pénal et 8, 9-1 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
21. Aux termes de l'article 9-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, entré en vigueur le 1er mars 2017, par dérogation au premier alinéa des articles 7 et 8 du même code, le délai de prescription de l'action publique de l'infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l'infraction a été commise.
22. Selon l'article 112-2, 4°, du code pénal, les lois relatives à la prescription de l'action publique sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, lorsque les prescriptions ne sont pas acquises.
23. Cependant, aux termes de l'article 4 de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, l'entrée en vigueur des dispositions de ladite loi relatives à la prescription des infractions occultes ou dissimulées ne peut avoir pour effet de prescrire celles qui, au jour de cette entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas acquise.
24. Ce texte doit être interprété restrictivement (Crim., 13 octobre 2020, pourvoi n° 19-87.787, publié au Bulletin).
25. Il s'en déduit, en premier lieu, que les notions de mise en mouvement et d'exercice de l'action publique, qui impliquent la saisine d'une juridiction d'instruction ou de jugement, ne sauraient inclure les actes d'investigation diligentés par le ministère public dans le cadre d'une enquête préliminaire.
26. Il s'en déduit, en second lieu, que ce texte ne saurait être interprété a contrario comme emportant nécessairement la prescription des infractions occultes ou dissimulées apparues avant l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, plus de douze ans après leur commission, mais qui n'ont pas donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique avant cette date.
27. Cette interprétation stricte du texte est conforme à la volonté du législateur. En effet, il résulte des travaux parlementaires que l'article 4 précité a eu, au contraire, pour seule finalité, selon l'intention du législateur, de prévenir la prescription de certaines infractions occultes ou dissimulées par l'effet de la loi nouvelle.
28. Les dispositions de ce texte ne permettent donc pas de répondre à la question de savoir si l'action publique concernant une infraction apparue avant le 1er mars 2017, plus de douze ans après sa commission, qui a fait l'objet d'actes interruptifs de prescription au sens de l'article 9-2 du code de procédure pénale, sans avoir été mise en mouvement ou exercée avant le 1er mars 2017, doit être considérée comme prescrite.
29. La Cour de cassation juge que l'entrée en vigueur d'une loi ayant pour effet de réduire le délai de prescription de l'action publique ne saurait avoir pour effet de remettre en cause l'interruption de la prescription déjà réalisée à cette date (Crim., 29 avril 1997, pourvoi n° 95-82.669, Bull. crim. 1997, n° 155).
30. Il s'en déduit que, lorsque la prescription d'une infraction occulte ou dissimulée a été régulièrement interrompue avant l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017 en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, l'institution par ladite loi d'un délai de prescription maximum de douze années révolues à compter du jour où le délit a été commis ne saurait avoir pour effet d'emporter la prescription de l'action publique, quand bien même le premier acte interruptif de prescription serait intervenu plus de douze ans après la date de commission des faits et l'infraction n'aurait pas donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique.
31. En l'espèce, pour écarter le moyen tiré de la prescription des faits antérieurs au 19 décembre 2000, l'arrêt attaqué énonce que la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale est en principe applicable directement à la répression des infractions commises avant son entrée en vigueur, conformément aux dispositions de l'article 112-2, 4°, du code pénal, mais qu'il existe deux exceptions à ce principe, la loi nouvelle n'étant pas applicable lorsque la prescription était déjà acquise au jour de son entrée en vigueur ou lorsque les infractions ont donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique avant son entrée en vigueur, exception prévue à l'article 4 de ladite loi.
32. Il relève que le point de départ du délai de prescription ne pouvait commencer à courir qu'à compter du jour où l'infraction de blanchiment de fraude fiscale avait pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, soit à compter de la plainte de l'administration fiscale du 19 décembre 2012.
33. Les juges ajoutent que ce délai a ensuite été interrompu à plusieurs reprises par les actes des représentants du ministère public ou des enquêteurs, notamment le soit-transmis du parquet de Nanterre diligentant une enquête le 19 décembre 2012 à la suite de la plainte pour fraude fiscale du même jour, le soit-transmis du 9 janvier 2012 diligentant une enquête à la suite de la note d'information de Tracfin du 27 juillet 2011, les procès-verbaux de perquisition du 13 novembre 2014 et les procès-verbaux d'audition du prévenu des 21 et 22 novembre 2016.
34. La cour d'appel en déduit qu'au 1er mars 2017, date d'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, la prescription n'étant pas acquise et le ministère public ayant déjà exercé l'action publique en faisant effectuer des actes d'instruction ou d'investigation au cours d'une enquête préliminaire, ladite loi ne pouvait avoir pour effet de prescrire les infractions reprochées à l'intéressé.
35. C'est à tort que la cour d'appel a considéré que le ministère public avait exercé l'action publique en faisant effectuer des actes d'enquête ou d'investigation.
36. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que les actes d'enquête réalisés, même plus de douze ans après la commission des faits, ont régulièrement interrompu la prescription antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017.
37. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
38. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [X] coupable de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale en violation du principe ne bis in idem, alors :
« 1°/ que des mêmes faits procédant d'une action unique ne peuvent donner lieu à l'encontre du même prévenu à deux déclarations de culpabilité ; qu'en retenant la culpabilité de M. [X] des chefs de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, pour les mêmes faits de dissimulation volontaire d'une part des sommes sujettes à l'impôt sur le revenu et à l'impôt de solidarité sur la fortune en recourant à des opérations de placement, de dissimulation et de conversion du montant des impôts ainsi éludés, quand la non-déclaration d'actifs à l'étranger et le fait de blanchir, au moyen de ces mêmes actifs, les impôts ainsi éludés procédaient d'une action unique ne pouvant donner lieu à deux déclarations de culpabilité, la cour d'appel a méconnu le principe ne bis idem, tel qu'interprété et défendu par la Chambre criminelle depuis 2016 jusqu'à son arrêt du 15 décembre 2021 ;
2°/ que dans son arrêt du 15 décembre 2021, la Chambre criminelle a affirmé que l'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité est réservée notamment aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'une des qualifications telles qu'elles résultent des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou à une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue ; que le délit de blanchiment de fraude fiscale, qui incrimine le « fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect » du délit de fraude fiscale, correspond à la circonstance aggravante du délit de fraude fiscale, consistant en la réalisation ou facilitation de la fraude par « l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie, ou institution comparable établis à l'étranger » ; qu'en ayant écarté toute violation du principe ne bis in idem tirée du cumul des qualifications de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale sans avoir pu l'examiner au regard du revirement opéré par la Chambre criminelle le 15 décembre 2021, soit postérieurement aux audiences des 15 et 16 novembre 2021, l'arrêt encourt à cet égard encore l'annulation, aux fins de réexamen de la violation invoquée à la lumière de cette évolution jurisprudentielle. »
Réponse de la Cour
39. La Cour de cassation juge qu'en cas de poursuites concomitantes, le principe ne bis in idem n'interdit le cumul de qualifications lors de la déclaration de culpabilité que lorsque les infractions retenues répriment des faits identiques (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, publié au Bulletin).
40. Pour déclarer le prévenu coupable de fraude fiscale, l'arrêt attaqué, après avoir exposé les éléments relatifs à la disposition de revenus et d'un patrimoine immobilier et mobilier non déclarés au sein ou par l'intermédiaire notamment du trust Cactus aux îles Bahamas et de la société Grayson Holding Ltd, sise aux Iles Vierges britanniques, et à l'utilisation de comptes à l'étranger, en particulier aux Bahamas et en Suisse, permettant d'établir qu'il a perçu en franchise d'imposition, directement ou indirectement, des revenus d'activité ou du patrimoine, constate que M. [X] n'a procédé à aucune déclaration au titre de l'impôt sur le revenu au cours des années 2008 à 2011 et que, de même, les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune, souscrites par le prévenu, au titre des années 2009 à 2012, ne mentionnent pas de patrimoine immobilier et mobilier expressément détenu aux îles Bahamas, au Panama, en Colombie, en Suisse ou dans les Iles Vierges britanniques.
41. Pour écarter la violation du principe ne bis in idem et déclarer le prévenu coupable du chef de blanchiment de fraude fiscale, l'arrêt attaqué énonce notamment que sur le plan matériel et temporel, la fraude fiscale sanctionne le contribuable sous l'angle du dépôt ou de la minoration de déclaration, alors que l'article 324-1 du code pénal, qui réprime le blanchiment, appréhende le comportement du prévenu, sous l'angle de la justification mensongère ou du concours à une opération de placement, dissimulation, conversion, lors d'une période de temps concomitante ou postérieure à l'établissement et au dépôt des déclarations.
42. Il relève que le blanchiment suppose par exemple, en sus et a posteriori, des actes de dissimulation volontaire des sommes sujettes à l'impôt, une multiplication des comptes bancaires appartenant au prévenu destinés à dissimuler les infractions principales ou encore, des montages financiers opaques faisant intervenir plusieurs membres de la famille et des sociétés.
43. Les juges retiennent qu'en l'espèce, le prévenu ne conteste pas avoir ouvert plusieurs comptes à l'étranger, et que la multiplication et les modalités d'ouverture et de fonctionnement de ces comptes bancaires ne s'expliquent que par sa volonté de dissimuler les fraudes fiscales commises.
44. En statuant par ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision, sans méconnaître le principe ne bis in idem.
45. En effet, d'une part, les déclarations de culpabilité des chefs de fraude fiscale et de blanchiment sont fondées sur des faits distincts, la première infraction étant constituée par l'absence de référence dans les déclarations faites par le prévenu à l'administration fiscale des avoirs détenus à l'étranger, ainsi que des revenus tirés de ces avoirs, tandis que la seconde est caractérisée par des opérations successives de dissimulation du produit de cette fraude, notamment réalisées au travers de l'ouverture et du fonctionnement de comptes bancaires à l'étranger.
46. D'autre part, il n'y a pas lieu de s'interroger sur l'application du principe ne bis in idem au cumul des qualifications de blanchiment de fraude fiscale et fraude fiscale aggravée par la circonstance consistant en la réalisation ou la facilitation de la fraude par l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie, ou institution comparable établis à l'étranger, le prévenu n'étant pas poursuivi de ce chef.
47. Ainsi, le moyen, inopérant en ce qu'il invoque la mise en oeuvre des principes régissant l'application de la loi pénale dans le temps, doit être écarté.
Mais sur le huitième moyen
Enoncé du moyen
48. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la peine complémentaire de confiscation sur le fondement des dispositions de l'article 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, s'agissant du produit de l'infraction de blanchiment, en valeur, de dix montres placées sous scellés Dom/Gau/Quatre, Dom/Gau/Six à Dom/Gau/11, Dom/Gau/Treize à Dom/Gau/Quinze, et du solde créditeur du compte CIC Banque transatlantique saisi pénalement, alors :
« 1°/ qu'en vertu de l'article 131-21 du code pénal, la peine complémentaire de confiscation porte notamment sur les biens qui sont l'instrument, l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime et la confiscation peut être ordonnée en valeur ; qu'il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien en valeur notamment de préciser quel est le fondement du caractère confiscable du bien auquel le bien confisqué se substitue, et de s'assurer que la valeur de ce bien n'excède pas celle de l'instrument, de l'objet ou du produit de l'infraction ; qu'en se bornant à confirmer la peine de confiscation, « s'agissant du produit de l'infraction de blanchiment en valeur » de « dix montres placées sous scellés et du solde créditeur du compte CIC Banque Transatlantique saisi pénalement », après lui avoir substitué un nouveau fondement en visant désormais les articles 131-21 alinéas 3 et 9 du code pénal aux lieu et place des articles 131-21 alinéa 6 et 324-7 12° du code pénal retenus par les premiers juges, sans davantage s'expliquer sur le caractère confiscable du bien auquel les biens confisqués se substituent, ni rechercher à établir, tant le montant du produit de l'infraction de blanchiment dont elle a déclaré M. [X] coupable, que la valeur totale des biens confisqués, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, en violation des articles 131-21 et 132-1 du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute insuffisance ou contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'il résulte en l'espèce des propres énonciations de l'arrêt attaqué que le chiffrage global des opérations de blanchiment visé à la citation était erroné et que l'absence de chiffrage précis de chaque opération de blanchiment imputée à M. [X] était en tout état de cause sans incidence sur la constitution du délit de blanchiment ; qu'en ordonnant néanmoins la confiscation en valeur du produit de l'infraction de blanchiment, quand il résultait nécessairement des énonciations précitées qu'en l'absence de chiffrage précis pour chaque opération de blanchiment reprochée, le montant total des droits éludés sur l'ensemble de la prévention, compte-tenu des relaxes partielles prononcées, ne pouvait être déterminé, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient, en violation des articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
49. Selon le premier de ces textes, la peine complémentaire de confiscation porte notamment sur les biens qui sont l'instrument, l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime, et la confiscation peut être ordonnée en valeur.
50. Il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien en valeur notamment de préciser quel est le fondement du caractè
51. Il résulte du second que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
52. Pour prononcer la confiscation en valeur du produit de l'infraction portant sur les montres saisies et le solde créditeur du compte détenu par le prévenu auprès de la CIC Banque transatlantique, l'arrêt attaqué énonce qu'il convient de confirmer cette peine sur le fondement des dispositions de l'article 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, s'agissant du produit de l'infraction de blanchiment en valeur.
53. Les juges ajoutent que, d'une part, s'agissant des montres, celles-ci ont été saisies en perquisition au domicile de M. [X], qui, interrogé par les enquêteurs dans une autre affaire sur l'intérêt de les gager, a expliqué qu'il avait besoin « d'argent officiel », d'autre part, s'agissant du compte bancaire CIC Banque transatlantique, il a accueilli les fonds rapatriés depuis le compte du trust.
54. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
55. En effet, d'une part, elle n'a pas précisé quel était le produit de l'infraction de blanchiment aggravé en répression de laquelle la confiscation était prononcée.
56. D'autre part, elle ne s'est pas assurée que la valeur des biens confisqués n'excédait pas celle de ce produit et, si cette valeur était supérieure, qu'elle était cantonnée à la hauteur de ce produit.
57. La cassation est par conséquent encourue.
Et sur le neuvième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
58. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la condamnation de M. [X], solidairement avec Mme [Y], à verser à l'Etat français la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice subi, outre une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors :
« 2°/ que seul le préjudice découlant directement des faits objet de la poursuite peut donner lieu à indemnisation ; que pour confirmer l'allocation à l'Etat d'une somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice subi du chef de blanchiment de fraude fiscale, l'arrêt attaqué affirme que « M. [X] a porté préjudice à l'Etat en jetant le discrédit par son comportement fautif sur le dispositif national préventif de lutte contre le blanchiment, en encourageant le non-respect de la transparence fiscale attendue de chaque contribuable dans le cadre du système fiscal déclaratif applicable en France et en affaiblissant l'autorité de l'Etat dans l'opinion publique » ; qu'en statuant ainsi quand le préjudice d'image de l'Etat ainsi invoqué ne résulte pas directement du délit de blanchiment dont le prévenu a été reconnu coupable, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 2 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale :
59. Il résulte de ces textes que l'action civile n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert d'un dommage directement causé par l'infraction, distinct de l'atteinte portée aux intérêts généraux de la société, dont la réparation est assurée par l'exercice de l'action publique.
60. En l'espèce, pour condamner le prévenu à verser à l'État français la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice, l'arrêt attaqué énonce notamment que l'intéressé a porté préjudice à l'État en jetant le discrédit par son comportement fautif sur le dispositif national préventif de lutte contre le blanchiment, en encourageant le non-respect de la transparence fiscale attendue de chaque contribuable dans le cadre du système fiscal déclaratif applicable en France et en affaiblissant l'autorité de l'État dans l'opinion publique.
61. Les juges ajoutent qu'il a également porté préjudice aux engagements internationaux de l'Etat en matière de prévention et de lutte contre le blanchiment.
62. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
63. En effet, la commission, par un contribuable, du délit de blanchiment de fraude fiscale n'est pas susceptible de causer à l'Etat un préjudice moral distinct de l'atteinte portée aux intérêts généraux de la société que l'action publique a pour fonction de réparer.
64. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
65. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines et aux intérêts civils. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 12 décembre 2023 n° 22-83.296
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 22-83.296 F-D
N° 01498
MAS2 12 DÉCEMBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 12 DÉCEMBRE 2023
M. [Y] [X], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 23 mars 2021, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée du chef de mise en danger d'autrui, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [Y] [X], les observations de la SCP Richard, avocat de MM. [E] [O] et [V] [D], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, M. Samuel, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 10 août 2011, l'aile droite d'un aéronef, au roulage, moteur tournant, a heurté le montant d'un hangar.
3. Cet événement n'a pas été mentionné sur le carnet de route de l'appareil.
4. Le surlendemain, M. [E] [O], président de l'aéro-club, a piloté l'avion jusqu'à un atelier où une réparation provisoire a été réalisée par M. [N] [J] qui a indiqué que l'aéronef pouvait voler après avoir apposé un scotch blindé sur l'aile endommagée.
5. M. [J] n'a délivré aucune autorisation pour remise en service.
6. L'avion a été ensuite utilisé par des membres de l'aéro-club.
7. Le 15 août 2011, M. [Y] [X], élève-pilote, a été autorisé à voler sur cet appareil.
8. À l'issue de ce vol, une déformation de l'aile de l'aéronef a été constatée, entraînant l'immobilisation stricte de l'avion, ultérieurement déclaré comme épave pour ne pas être économiquement réparable.
9. M. [O] a mentionné que l'approbation pour la remise en service (APRS) n'avait pu être délivrée car la réparation n'était que provisoire mais que M. [J] n'avait pas remis en cause la navigabilité de l'aéronef.
10. Le 23 octobre 2012, M. [X] a porté plainte et s'est constitué partie civile devant le juge d'instruction.
11. Le 11 février 2013, le procureur de la République a délivré un réquisitoire introductif du chef de mise en danger d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence.
12. Par ordonnance du 8 juillet 2019, conforme aux réquisitions du ministère public, le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre.
13. M. [X] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens
14. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de mise en danger d'autrui commis à Merville entre le 10 août 2011 et le 15 août 2011 au préjudice de MM. [G] [K] et de [Y] [X], alors :
« 2°/ que la chambre de l'instruction est saisie in rem et doit à ce titre envisager toutes les qualifications que peuvent revêtir les faits dont elle est saisie, que l'ordonnance de non-lieu comme l'arrêt qui le confirme énoncent qu'il n'apparaît contre quiconque charges suffisantes d'avoir commis le délit de mise en danger d'autrui ; qu'en limitant l'appréciation des faits à la caractérisation du seul délit du risque causé à autrui et en s'abstenant de rechercher si les faits dont elle était saisie pouvaient recevoir la qualification prévue aux articles L. 6232-4 et L. 6246-5 du code des transports, la chambre de l'instruction a violé les articles 85 et 86 et 202 du code de procédure pénale, ensemble les articles L. 6232-4 et L. 6242-5 du code des transports, par défaut d'application. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 85 et 86 du code de procédure pénale :
16. Il résulte de ces textes que la juridiction d'instruction régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public. Cette obligation ne cesse, suivant les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 86, que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale.
17. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'existe pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis le délit de mise en danger d'autrui.
18. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
19. En effet, la plainte avec constitution de partie civile faisant état, d'une part, de la remise en service de l'appareil après l'incident sans qu'aucune mention de cet événement ni de la réparation subséquente n'ait été portée sur son carnet de route, en méconnaissance des dispositions réglementaires, d'autre part, de ce que la partie civile avait sollicité des explications après l'immobilisation définitive de l'aéronef, elle se trouvait nécessairement saisie de la question de la navigabilité de celui-ci.
20. Il lui appartenait, par conséquent, d'apprécier les faits sous toutes les qualifications possibles en recherchant s'ils pouvaient être examinés sous l'incrimination prévue et réprimée à l'article L. 6232-4 du code des transports sanctionnant, tant dans sa version actuelle que dans celle en vigueur à l'époque des faits, le maintien en circulation d'un aéronef dont le document de navigabilité a cessé d'être valable ou ne répondant plus tant aux conditions techniques de navigabilité ayant servi de base à la délivrance du document de navigabilité, qu'aux règles relatives au maintien en état de validité de ce document.
21. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.
Crim. 12 décembre 2023 n° 23-81.374
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 23-81.374 F-D
N° 01496
MAS2 12 DÉCEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 12 DÉCEMBRE 2023
Mme [U] [Z] et la société [1], partie intervenante, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 16 février 2023, qui a déclaré irrecevable leur requête en incident contentieux.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [U] [Z] et de la société [1], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, M. Samuel, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 3 février 2016, le tribunal correctionnel a déclaré Mme [U] [Z] coupable, notamment, de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois par conducteur de véhicule terrestre à moteur et a renvoyé l'affaire sur les intérêts civils.
3. Le 20 mai 2020, le tribunal correctionnel, statuant sur intérêts civils, l'a condamnée à verser certaines sommes aux parties civiles et notamment à M. [Y] [P], en réparation de leurs préjudices.
4. La société [1] (la société) et la [2] (la caisse), parties intervenantes, ont relevé appel de cette décision.
5. Le 4 mars 2021, la cour d'appel a partiellement infirmé le jugement s'agissant de sommes versées à la caisse et de l'évaluation de certains postes de préjudices.
6. Les parties civiles, Mme [Z] et la société ont formé des pourvois contre cet arrêt.
7. La chambre criminelle a constaté la déchéance des pourvois de Mme [Z] et de la société et rejeté les autres pourvois (Crim., 12 avril 2022, pourvoi n° 21-82.388).
8. Le 15 mars 2022, Mme [Z] et la société ont saisi la cour d'appel d'une requête en omission de statuer concernant son arrêt du 4 mars 2021.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
9. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen.
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la requête de Mme [Z] et de la société irrecevable, alors :
« 1°/ que le président de la chambre d'appels correctionnels qui statue à juge unique sur une requête présentée en application des articles 710 et 711 du code de procédure pénale après l'organisation d'une audience doit donner au conseil de la partie requérante la parole en dernier, même lorsque la requête porte sur les intérêts civils ; qu'en statuant sans avoir réservé la parole au conseil de Mme [Z] et de la compagnie [1], présent à l'audience, et sans même préciser si la parole lui a été donnée, la cour d'appel a violé les articles précités du code de procédure pénale combinés avec les articles 460 et 513 du même code et les principes généraux du droit ;
2°/ que la CPS de la Polynésie française ne s'était pas opposée à la requête de Mme [Z] et de la compagnie [1] et que M. [P] n'en avait soulevé l'irrecevabilité qu'en ce qu'elle visait l'article 10 du code de procédure pénale ; qu'en déclarant d'office cette requête irrecevable en ce qu'elle était fondée sur les dispositions des articles 710 et 711 du code de procédure pénale sans inviter les requérants à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a méconnu les droits de la défense ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
11. Selon les termes de l'article 10, alinéa 3, du code de procédure pénale, lorsque la juridiction répressive a omis de se prononcer sur une ou plusieurs demandes de la partie civile régulièrement constituée, celle-ci peut ressaisir la juridiction afin qu'il soit statué sur sa demande conformément aux articles 710 et 711 du code de procédure pénale. La présence du ministère public à cette audience est facultative.
12. La partie pénalement condamnée par décision devenue définitive, qui saisit la juridiction d'une requête en interprétation d'une précédente décision qui a statué exclusivement sur l'action civile, a perdu la qualité de prévenu. Dans un tel cas, les dispositions combinées de l'article 710, et de l'article 513, dernier alinéa, du code de procédure pénale, qui prévoit que le prévenu a la parole en dernier, ne peuvent plus recevoir application lors des débats portant sur les seuls intérêts civils.
13. Il s'en déduit que, lors de l'audience statuant sur une requête présentée en application des dispositions de l'article 710 du code de procédure pénale, doivent être entendus, s'ils en font la demande, les parties requérantes, leurs avocats, puis les parties intimées, leurs avocats, et le cas échéant, le ministère public.
14. Pour déclarer irrecevable la requête de Mme [Z] et de la société tendant à la rectification d'une omission de statuer de l'arrêt du 4 mars 2021, l'arrêt attaqué énonce qu'en dehors des cas prévus à l'article 10 du code de procédure pénale, qui n'ouvrent un droit qu'aux seules parties civiles, l'omission de statuer dans un arrêt de la chambre des appels correctionnels ne peut se résoudre qu'en une nullité que seule la Cour de cassation peut constater.
15. Le juge ajoute que la demande de Mme [Z] et de la société, qui n'ont ni l'une ni l'autre la qualité de partie civile, n'entre pas dans les cas prévus à l'article 10, alinéa 3, ouvrant la possibilité d'une requête en omission de statuer.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
17. En effet, en premier lieu, les parties requérantes, qui ne pouvaient avoir la parole en dernier, ne sauraient se faire un grief de ne pas avoir été entendues, dès lors, d'une part, qu'il ressort des termes de l'arrêt attaqué que Mme [Z] n'était pas comparante et que les avocats de la partie intervenante et de la partie civile se sont bornés à déposer des conclusions, d'autre part, qu'il n'est pas soutenu par le moyen que l'avocat de Mme [Z] et de la société aurait demandé à être entendu, enfin, qu'une telle demande ne ressort pas non plus des termes de l'arrêt attaqué.
18. En second lieu, il ne saurait être fait grief à la cour d'appel d'avoir relevé un moyen d'office sans inviter les parties à en débattre dès lors que, quel que soit en tout état de cause le fondement de la requête, la question de sa recevabilité était dans les débats en raison des conclusions des parties civiles.
19. Ainsi, le moyen doit être écarté.
20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 6 décembre 2023 n° 23-81.272
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-81.272 F-D
N° 01463
RB5 6 DÉCEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 6 DÉCEMBRE 2023
[L] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 9 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de viol et vol, aggravés, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 24 avril 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de [L] [D], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de Mme [E] [B], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. [L] [D], mineur âgé de 16 ans, a été mis en cause pour des faits de viol et vol, commis en réunion.
3. Il a été placé en garde à vue le 13 avril 2022, et entendu avec l'assistance d'un avocat de permanence, qui, à l'issue de l'audition, a déclaré ne pas continuer à l'assister.
4. En vue d'une nouvelle audition devant être effectuée le 14 avril, l'officier de police judiciaire a contacté l'avocat de permanence ce jour-là, qui lui a indiqué être indisponible, puis, sur instructions du ministère public, trois avocats du barreau de Bourg-en-Bresse et, sur indication de la mère du mineur, un avocat du barreau de Saint-Etienne, tous indisponibles.
5. L'audition de [L] [D], initialement prévue le 14 avril 2022 à 9 heures 30, s'est finalement déroulée ce même jour à 14 heures 30, sans avocat.
6. Par requête du 1er juin 2022, l'avocat de [L] [D] a formé une demande d'annulation de pièces de la procédure.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité de [L] [D], alors :
« 3°/ subsidiairement, que selon l'article L. 413-9 du code de la justice des mineurs, lorsque le mineur ou ses représentants légaux n'ont pas désigné d'avocat, le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire doit, dès le début de la garde à vue, informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu'il en commette un d'office ; que si l'article 63-3-1 du code de procédure pénale prévoit que c'est le bâtonnier ou l'avocat de permanence qui doit être contacté, cette disposition générale applicable à une garde à vue de droit commun ne saurait permettre un affaiblissement du droit des mineurs, plus protecteur et guidé par l'intérêt supérieur de l'enfant, qui prévoit une information du seul bâtonnier ; qu'en l'espèce l'exposant avait soutenu devant la chambre de l'instruction qu'il « ressort du dossier qu'à aucun moment l'officier de police judiciaire n'a jugé utile de contacter : - la permanence du Barreau afin qu'il soit désigné un avocat en vue d'assister le mineur, - le Bâtonnier du Barreau de l'Ain, Me Séverine DEBOURG, afin que celle-ci puisse désigner un avocat pour assister le jeune [L]. L'officier de police judiciaire s'est contenté d'indiquer sur le procès-verbal d'audition : « Je vous informe que l'avocat de permanence ne sera pas présent lors de cette audition suite à un impératif de sa part, et tous les avocats contactés au préalable n'ont pas pu être présent » (cote D 47) [qu'il] apparait que l'OPJ a seulement contacté quelques avocats « au hasard », puis a attendu le délai de carence de 2 heures?(cote D33) [et que le] bon sens aurait voulu que la permanence du Barreau ou le Bâtonnier soient avertis afin qu'un nouvel avocat soit désigné ! » (requête en nullité, p. 3 et 4) ; que pour rejeter la requête en nullité, la chambre de l'instruction a énoncé que « l'officier de police judiciaire s'est conformé aux prescriptions de l'article L.413-9 du CJPM quant à l'information du bâtonnier pour qu'il commette un avocat d'office, cette obligation équivalant à celle de contacter l'avocat de permanence figurant sur la liste établie par le bâtonnier, comme le prévoit l'article 63-3-1 du code de procédure pénale » (arrêt attaqué, p. 8) ; qu'en appliquant ainsi le droit des majeurs au lieu d'appliquer le droit des mineurs, plus protecteur, réservant l'information au seul bâtonnier, la chambre de l'instruction a méconnu l'article L. 413-9 du code de la justice pénale des mineurs et le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 413-9 du code de la justice pénale des mineurs :
9. Il résulte de ce texte que, dès le début de la garde à vue, le mineur doit être assisté par un avocat, dans les conditions prévues aux articles 63-3-1 à 63-4-3 du code de procédure pénale. Lorsque le mineur ou ses représentants légaux, régulièrement avisés du droit pour le mineur d'être assisté d'un avocat, n'en ont pas désigné, le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire doit, dès le début de la garde à vue, informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu'il en commette un d'office.
10. Ces dispositions visent à garantir l'assistance effective du mineur gardé à vue par un avocat, ainsi que le libre choix de l'avocat qui prodiguera cette assistance. Elles sont prévues dans l'intérêt du mineur placé en garde à vue et leur méconnaissance entraîne la nullité du placement en garde à vue.
11. Pour écarter le moyen de nullité, l'arrêt attaqué énonce que l'officier de police judiciaire s'est conformé aux prescriptions de l'article L. 413-9 du code de la justice pénale des mineurs quant à l'information du bâtonnier pour qu'il commette un avocat d'office, cette obligation équivalant à celle de contacter l'avocat de permanence figurant sur la liste établie par le bâtonnier, comme le prévoit l'article 63-3-1 du code de procédure pénale.
12. Les juges ajoutent que les circonstances que le premier avocat commis d'office qui a assisté le mineur en début de garde à vue n'ait pas poursuivi sa mission dans la suite de cette mesure, que le deuxième avocat commis d'office contacté ait fait connaître qu'il ne se déplacerait pas, que l'avocat choisi par les parents du mineur ait déclaré ne pas se déplacer, ne sauraient entacher de nullité la seconde audition du mineur dans le cadre de la prolongation de la garde à vue, régulière par ailleurs.
13. En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que l'avocat désigné par le représentant légal était indisponible, d'autre part, que l'officier de police judiciaire n'a pas informé le bâtonnier du placement en garde à vue du mineur et de l'indisponibilité de l'avocat de permanence, de sorte que le mineur n'a pu bénéficier de l'assistance effective d'un avocat lors de son audition, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation sera limitée à la seule disposition ayant rejeté le moyen tiré de la nullité de la seconde audition de [L] [D], le 14 avril 2022 à 14 heures 30.
Crim. 6 décembre 2023 n° 23-85.794
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 23-85.794 FS-D
N° 01579
6 DÉCEMBRE 2023
ODVS
QPC INCIDENTE : IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 6 DÉCEMBRE 2023
M. [T] [Z] a présenté, par mémoire spécial reçu le 20 novembre 2023, trois questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion de la requête formée par lui, en renvoi devant une autre juridiction du même ordre, pour cause de suspicion légitime des procédures suivies contre lui devant la cour d'appel de Paris du chef de dénonciation calomnieuse.
Des observations complémentaires ont été produites.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Leprieur, MM. Turbeaux, Laurent, Gouton, Brugère, Tessereau, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mmes Guerrini, Diop-Simon, conseillers référendaires, M. Valat, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La première question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« L'interprétation systématique que fait la commission d'admission des requêtes du Conseil supérieur de la magistrature des premier et deuxième alinéas de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature satisfait-elle à la valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ? ».
2. La deuxième question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Le deuxième alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature viole-t-il l'avant-dernier alinéa de l'article 65 de la Constitution garantissant au justiciable de saisir le Conseil supérieur de la magistrature et porte-t-il atteinte au principe d'indépendance des magistrats et, par voie de conséquence, au droit fondamental du justiciable à des procès équitables et indépendants ? ».
3. La troisième question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« L'irrecevabilité d'une plainte d'un justiciable à l'encontre d'un magistrat qui demeure saisi de la procédure porte-t-elle atteinte aux principes d'impartialité et d'indépendance des magistrats et, par voie de conséquence, aux droits fondamentaux du justiciable ? ».
4. Il se déduit de l'article 590, alinéa 2, du code de procédure pénale que, lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est présentée, à la suite d'une précédente question prioritaire de constitutionnalité, par le même demandeur, après le dépôt du rapport par le conseiller commis sur cette première question, le mémoire qui ne contient aucun élément dont la méconnaissance aurait mis l'intéressé dans l'impossibilité de soulever la nouvelle question antérieurement est irrecevable.
5. Les présentes questions prioritaires de constitutionnalité ont été posées par mémoire spécial déposé le 20 novembre 2023, soit après le dépôt, le 24 octobre précédent, de son rapport par le conseiller désigné sur deux précédentes questions prioritaires de constitutionnalité présentées par mémoire spécial le 2 octobre 2023, à l'occasion de la même requête en dessaisissement.
6. Le mémoire spécial déposé le 20 novembre 2023 ne contient aucun élément qui résulterait du rapport susvisé ou dont la méconnaissance aurait mis le demandeur dans l'impossibilité de soulever lesdites questions auparavant.
7. Il est dès lors irrecevable, de même que, par voie de conséquence, les questions posées.
Crim. 6 décembre 2023 n° 23-85.794
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 23-85.794 FS-D
N° 01580
6 DÉCEMBRE 2023
ODVS
QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC IRRECEVABILITE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 6 DÉCEMBRE 2023
M. [T] [B] a présenté, par mémoire spécial reçu le 27 novembre 2023, trois questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion de la requête formée par lui, en renvoi devant une autre juridiction du même ordre, pour cause de suspicion légitime des procédures suivies contre lui devant la cour d'appel de Paris du chef de dénonciation calomnieuse.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Leprieur, MM. Turbeaux, Laurent, Gouton, Brugère, Tessereau, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mmes Guerrini, Diop-Simon, conseillers référendaires, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La première question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« L'interprétation systématique que fait la commission d'admission des requêtes du Conseil supérieur de la magistrature des premier et deuxième alinéas de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature satisfait-elle à la valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ? ».
2. La deuxième question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Le deuxième alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature porte-t-il atteinte au droit du justiciable le droit de saisir le Conseil supérieur de la magistrature garanti par l'avant-dernier alinéa de l'article 65 de la Constitution et porte-t-il atteinte au principe d'indépendance des magistrats et, par voie de conséquence, au droit fondamental du justiciable à des procès équitables et indépendants ? ».
3. La troisième question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« L'irrecevabilité d'une plainte d'un justiciable à l'encontre d'un magistrat qui demeure saisi de la procédure, telle que posée par l'article 50-3 de l'ordonnance statutaire, porte-t-elle atteinte aux principes d'impartialité et d'indépendance des magistrats et, par voie de conséquence, aux droits fondamentaux du justiciable ? ».
4. Il se déduit de l'article 590, alinéa 2, du code de procédure pénale que, lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est présentée, à la suite d'une précédente question prioritaire de constitutionnalité, par le même demandeur, après le dépôt du rapport par le conseiller commis sur cette première question, le mémoire qui ne contient aucun élément dont la méconnaissance aurait mis l'intéressé dans l'impossibilité de soulever la nouvelle question antérieurement est irrecevable.
5. Les présentes questions prioritaires de constitutionnalité ont été posées par mémoire spécial déposé le 27 novembre 2023, soit après le dépôt, le 24 octobre précédent, de son rapport par le conseiller désigné sur deux précédentes questions prioritaires de constitutionnalité présentées par mémoire spécial le 2 octobre 2023, à l'occasion de la même requête en dessaisissement.
6. D'une part, le mémoire spécial déposé le 27 novembre 2023 ne contient aucun élément qui résulterait du rapport susvisé ou dont la méconnaissance aurait mis le demandeur dans l'impossibilité de soulever lesdites questions auparavant, en tant qu'elles concernent les dispositions des textes contestés qui n'ont pas été modifiées par la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023.
7. D'autre part, les dispositions contestées résultant de la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 ont été soumises, par application de l'article 61 de la Constitution, au Conseil constitutionnel qui les a déclarées conformes à la Constitution dans sa décision n° 2023-856 du 16 novembre 2023.
8. En conséquence, les questions prioritaires de constitutionnalité sont irrecevables en tant qu'elles visent des dispositions non modifiées par la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023.
9. Il n'y a, par ailleurs, pas lieu de les transmettre en tant qu'elles visent des dispositions modifiées par la loi organique précitée.
Crim. 5 décembre 2023 n° 23-85.534
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 23-85.534 F-D
N° 01511
SL2 5 DÉCEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 DÉCEMBRE 2023
M. [Y] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 8 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'assassinat en bande organisée, association de malfaiteurs et infractions à la législation sur les armes, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [Y] [U], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen le 11 décembre 2020 notamment des chefs susvisés, M. [Y] [U] a été placé sous mandat de dépôt criminel le même jour.
3. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 27 avril 2023, M. [F], avocat de M. [U], inscrit au barreau d'Ajaccio, a adressé une demande de mise en liberté à la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, sur le fondement de l'article 148-4 du code de procédure pénale.
4. Le 28 avril 2023, la présidente de la chambre de l'instruction a rendu une ordonnance d'irrecevabilité, au motif que l'avocat exerçait dans le ressort de la juridiction et que la demande ne pouvait dès lors être formée par lettre recommandée. Cette ordonnance a été notifiée à M. [F], à l'intéressé et à ses deux autres avocats. Aucun recours n'a été exercé.
5. Le 19 mai 2023, le demandeur a sollicité sa mise en liberté d'office au motif que rien ne rattachait cette ordonnance à la demande du 27 avril 2023 de M. [F], dès lors que, si cette décision mentionnait la date de la demande faite par celui-ci par lettre recommandée, elle ne faisait pas apparaître qu'elle statuait en matière de détention, les textes visés étant relatifs au contentieux des nullités et le dispositif visant un appel, de sorte qu'il ne pouvait être considéré qu'il avait été statué sur la demande de mise en liberté du 27 avril 2023 dans le délai de vingt jours.
6. Le parquet général ayant refusé d'ordonner la mise en liberté de l'intéressé, M. [U] a, le 24 mai 2023, déposé au greffe de la chambre de l'instruction une nouvelle demande de mise en liberté.
Sur le délai de transmission de la procédure à la Cour de cassation en violation de l'article 5, § 4, de la Convention européenne des droits de l'homme
7. Selon l'article 567-2 du code de procédure pénale, la chambre criminelle saisie d'un pourvoi contre un arrêt rendu en matière de détention provisoire doit statuer dans les trois mois qui suivent la réception du dossier à la Cour de cassation, faute de quoi la personne mise en examen est mise d'office en liberté.
8. Si une telle sanction ne s'attache pas à l'éventuel dépassement du délai de vingt jours dans lequel, selon l'article 586 dudit code, le greffier doit mettre en état le dossier et le remettre au magistrat du ministère public, ni à l'exigence, résultant de l'article 587 du même code, que ce magistrat adresse immédiatement ledit dossier au procureur général près la Cour de cassation, lequel doit impérativement le transmettre dès qu'il lui parvient au greffe de la chambre criminelle, la personne mise en examen conserve le droit de déposer, à tout moment, une demande de mise en liberté, comme le prévoit l'article 148 de ce code, demande sur laquelle il doit être statué dans de brefs délais.
9. Le droit de la personne mise en examen à ce qu'il soit statué à bref délai sur la légalité de sa détention n'a pas été méconnu.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à ordonner la remise en liberté immédiate de M. [U] et rejeté la demande de mise en liberté formée par celui-ci, alors « que lorsque la personne n'a pas encore été jugée en premier ressort, la chambre de l'instruction, saisie directement d'une demande de mise en liberté, statue dans les vingt jours de la réception de la demande, faute de quoi l'intéressé est remis d'office en liberté ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure qu'aucune réponse n'a été apportée à la demande de mise en liberté dont la chambre de l'instruction a été saisie par lettre recommandée le 27 avril 2023 ; qu'en effet l' « ordonnance d'irrecevabilité » délivrée le lendemain par la présidente de la chambre de l'instruction, qui ne concerne alternativement qu'une « requête aux fins d'annulation » et un « appel », ne peut être rattachée à la demande de mise en liberté présentée la veille ni au regard des textes visés, relatifs au contentieux des nullités, ni au regard de ses motifs, relatifs au même contentieux, ni au regard de son dispositif, étranger au contentieux de la détention ; que l'exposant était dès lors fondé à solliciter sa remise en liberté ; qu'en retenant, pour refuser de faire droit à cette demande, que « l'ordonnance dont il s'agit, si elle ne vise pas la disposition législative relative aux demandes de mise en liberté directement adressées à la cour d'appel, ne comporte pas d'ambigüité, aucune autre saisine de la cour que celle de Me [F] sur le fondement de l'article 148-4 précité n'ayant été enregistrée », que « cette ordonnance a été notifiée à Me [F] (Cb448à 450) qui ne pouvait ignorer que cette ordonnance portait sur la demande de mise en liberté qu'il avait déposée d'autant qu'il est fait état de la lettre recommandée avec avis de réception parvenue au greffe de la cour le 27 avril 2023, par PLEX le 28 avril 2023 à 12H38 (Cb442/443) et à Maître [J] et Maître [V] (Cb455/456) » et que « cette ordonnance n'a donné lieu à aucun recours qu'il leur appartenait d'exercer », quand ces motifs, pour partie inopérants, procèdent d'une dénaturation de l'ordonnance litigieuse, qui ne répondait pas à la demande de mise en liberté présentée par la défense, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'Homme, 148-2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Pour rejeter la demande de mise en liberté de M. [U], l'arrêt attaqué énonce qu'aucune autre saisine de la chambre de l'instruction que celle de M. [F], sur le fondement de l'article 148-4 du code de procédure pénale, n'a été enregistrée.
12. Les juges ajoutent que l'ordonnance du 28 avril 2023 a été notifiée à M. [U] et à ses avocats, dont M. [F], qui ne pouvait ignorer que cette ordonnance portait sur la demande de mise en liberté qu'il avait déposée, d'autant que cette décision fait état de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception parvenue au greffe de la cour d'appel le 27 avril 2023.
13. Ils observent que cette ordonnance n'a donné lieu à aucun recours qu'il appartenait à ces derniers d'exercer.
14. Ils en déduisent que l'ordonnance du 28 avril 2023 a répondu à la demande de mise en liberté et présente un caractère définitif.
15. En l'état de ces seules énonciations, et dès lors que, d'une part, il est établi que la présidente de la chambre de l'instruction a statué le 28 avril 2023 sur la demande de mise en liberté formée le jour précédent par le demandeur, soit dans le délai de vingt jours, peu important que celle-ci ait été à tort déclarée irrecevable, d'autre part, le demandeur n'établit ni même n'allègue avoir saisi la chambre de l'instruction d'un autre contentieux que la demande de mise en liberté précitée, la cour d'appel a justifié sa décision.
16. Ainsi, le moyen doit être écarté.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'en application des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
Crim. 5 décembre 2023 n° 23-85.403 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 23-85.403 F-B
N° 01510
SL2 5 DÉCEMBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 DÉCEMBRE 2023
M. [Z] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 18 août 2023, qui, dans l'information suivie contre lui, notamment, des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive et association de malfaiteurs, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [Z] [S], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 31 mars 2023, M. [Z] [S] a été mis en examen des chefs susvisés, et placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention du même jour.
3. Le 1er août 2023, M. [S] a déposé une demande de mise en liberté devant la chambre de l'instruction, en application de l'article 148-4 du code de procédure pénale.
4. Le 10 août 2023, le demandeur et son avocat ont été convoqués à une audience fixée au 17 août suivant à 10 heures 30.
5. Le jour de l'audience, à 11 heures 54, l'avocat de M. [S] a été avisé que celui-ci comparaîtrait le même jour, à 14 heures, en visioconférence.
6. Il a alors adressé un mémoire demandant la mise en liberté immédiate de la personne mise en examen en raison d'une atteinte aux droits de la défense, ou, à titre subsidiaire, un renvoi de l'audience.
7. M. [S] a été avisé qu'il comparaîtrait par visioconférence à 13 heures 54.
8. L'audience s'est tenue à 14 heures, hors la présence de l'avocat de l'intéressé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté « le moyen de procédure soulevé et la demande de renvoi », dit la demande de mise en liberté mal fondée, et l'a rejetée, alors :
«2°/ d'autre part qu'en matière de détention, l'avocat doit être convoqué au moins quarante-huit heures avant l'audience de la chambre de l'instruction, la convocation devant préciser le mode de comparution de la personne détenue, afin de permettre à l'avocat de se déterminer, en cas de recours à la visioconférence, sur le lieu où il pourra se trouver – auprès de la juridiction ou auprès de son client – lors des débats ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que Monsieur [S] et son conseil n'ont été convoqués en vue de l'audience de la Chambre de l'instruction du 17 août 2023 à 14 heures que le jour même respectivement à 13 heures 55 et 11 heures 54 ; qu'en affirmant, pour juger la procédure régulière, que Monsieur [S] et son conseil avaient été convoqués pour une audience devant se tenir à la chambre de l'instruction le 17 août 2023 à 10 heures 30 et que le mode de comparution de la personne détenue pouvait être modifié pour passer d'une comparution physique devant la juridiction à l'usage de la visioconférence sans délai avant l'audience, la chambre de l'instruction a violé les articles 197, 706-71, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ encore qu'en matière de détention, l'avocat doit être convoqué au moins quarante-huit heures avant l'audience de la chambre de l'instruction, la convocation devant préciser le mode de comparution de la personne détenue, afin de permettre à l'avocat de se déterminer, en cas de recours à la visioconférence, sur le lieu où il pourra se trouver – auprès de la juridiction ou auprès de son client – lors des débats ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que Monsieur [S] et son conseil n'ont été convoqués en vue de l'audience de la Chambre de l'instruction du 17 août 2023 à 14 heures que le jour même respectivement à 13 heures 55 et 11 heures 54 ; qu'en affirmant, pour juger la procédure régulière, qu'il appartenait à l'avocat de Monsieur [S] de « prendre soin d'indiquer suffisamment à l'avance s'il serait ou non auprès de son client », quand une telle diligence ne lui incombait pas dès lors qu'il avait été convoqué à une audience à laquelle son client devait comparaître physiquement, la chambre de l'instruction a violé les articles 197, 706-71, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ en outre qu'en matière de détention, l'avocat doit être convoqué au moins quarante-huit heures avant l'audience de la Chambre de l'instruction, la convocation devant préciser le mode de comparution de la personne détenue, afin de permettre à l'avocat de se déterminer, en cas de recours à la visioconférence, sur le lieu où il pourra se trouver – auprès de la juridiction ou auprès de son client – lors des débats ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que Monsieur [S] et son conseil n'ont été convoqués en vue de l'audience de la Chambre de l'instruction du 17 août 2023 à 14 heures que le jour même respectivement à 13 heures 55 et 11 heures 54 ; qu'en affirmant, pour juger la procédure régulière, que le changement de mode de comparution n'avait pas causé grief à Monsieur [S], dès lors que son avocat n'était pas présent à l'audience, quand la circonstance que le conseil de Monsieur [S] n'ait pas été présent à [Localité 2] à 10 heures 30 n'excluait pas qu'il ait pu, s'il avait été averti suffisamment à l'avance du recours à la visioconférence, qu'il puisse être présent aux côtés de son client à la maison d'arrêt de [Localité 1] à 14 heures, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 197, 706-71, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
5°/ enfin que l'absence de convocation régulière de l'avocat à l'audience de la chambre de l'instruction devant se prononcer en matière de détention fait nécessairement grief à la personne détenue qui comparaît sans avocat ; qu'en affirmant, au cas d'espèce, qu'aucun grief n'était résulté pour Monsieur [S] des conditions dans lesquelles son conseil avait été convoqué à l'audience, dès lors que Monsieur [S] avait choisi de garder le silence et ne s'était pas opposé au recours à la visioconférence, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 197, 706-71, 802, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 706-71 du code de procédure pénale :
10. Selon ce texte, en cas d'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle devant la chambre de l'instruction statuant en matière de détention provisoire, l'avocat de la personne mise en examen peut se trouver auprès de la juridiction ou auprès de l'intéressé.
11. Il s'en déduit que, hors le cas prévu à l'article 706-71-1 du code de procédure pénale, lorsque le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle est envisagé devant la chambre de l'instruction statuant en matière de détention provisoire, l'avocat de l'intéressé doit en être avisé dans le délai et selon les formes prévus pour l'avis d'audience aux articles 197 et 803-1 du code de procédure pénale. Cette formalité, qui a pour objet de permettre à l'avocat d'assurer une défense effective de l'intéressé, en se trouvant à ses côtés s'il estime utile, est essentielle à la préservation des droits de la défense et doit être observée à peine de nullité de l'arrêt.
12. Pour écarter le moyen de nullité et rejeter la demande de renvoi, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que la comparution par visioconférence relève du pouvoir discrétionnaire de la chambre de l'instruction et que la loi n'a pas prévu de délai de rigueur pour l'utilisation de ce moyen de télécommunication.
13. Les juges ajoutent que l'avocat du demandeur n'était pas présent à l'audience à laquelle il avait été convoqué et qu'il lui appartenait d'indiquer suffisamment à l'avance s'il serait auprès de son client.
14. Ils relèvent enfin que M. [S] a choisi de garder le silence et n'a pas exprimé son refus de comparaître par visioconférence.
15. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.
16. En effet, alors que l'avis d'audience ne mentionnait pas la comparution de la personne mise en examen par visioconférence, l'avocat de M. [S] n'a été avisé de cette modalité de comparution que le jour même de l'audience.
17. Il s'ensuit que, M. [S] ayant comparu sans son avocat, les droits de la défense ont été méconnus.
18. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner le premier grief.
Crim. 5 décembre 2023 n° 22-84.305
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° R 22-84.305 F-D
N° 01435
GM 5 DÉCEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 DÉCEMBRE 2023
M. [O] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 5 mai 2022, qui, pour diffamation publique et diffamation non publique envers un particulier, l'a condamné à deux amendes de 50 000 francs CFP et 4 000 francs CFP et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ampliatif et personnel, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [O] [W], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans un contexte de conflit l'opposant à l'ordre des avocats du barreau de Papeete, auquel il reproche de refuser de lui faire désigner un avocat au titre de l'aide juridictionnelle, M. [O] [W] a, par courriel adressé le 4 janvier 2020 au procureur général, à la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) et à l'inspection générale, déposé plainte à l'encontre de plusieurs avocats et du procureur de la République. Ce message a été transféré par la CARPA à l'ordre des avocats le 20 janvier suivant. Le 14 janvier, M. [W] a également adressé une plainte similaire par courriel à l'ordre des avocats.
3. Par courrier du 30 janvier 2020, le bâtonnier de l'ordre des avocats a déposé plainte auprès du procureur de la République pour ces faits, plainte transmise par ce dernier au vice-procureur, pour compétence, par soit-transmis du 19 février 2020. Une enquête préliminaire pour diffamation non publique a été ouverte en exécution d'un soit-transmis du procureur de la République du 3 mars suivant. M. [W] a été entendu, sous le régime de l'audition libre, le 9 juin. L'enquête a été clôturée le 10 juin 2020.
4. Le 29 septembre suivant, M. [W] a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir, les 14 et 20 janvier 2020, adressé des lettres à l'ordre des avocats, lesquelles portaient des allégations ou imputations d'un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération de Maître [T], Maître [N], Maître [F] et Maître [S], en l'espèce : pour avoir écrit à l'ordre des avocats de Tahiti, le 14 janvier 2020, les propos suivants : « Pourquoi l'ordre des avocats de Papeete n'applique-t-il pas la déontologie au sein de son barreau à Papeete? » ; « Ces avocats utilisent leurs fonctions pour avantager leurs amis, clients habituels ou collaborateurs dans les procédures en cours dont je suis partie adverse » ; « Je suis sans avocat dans quatre procédures en raison des agissements délictuels de Me [S] et Me [F], ainsi que dix-huit membres du conseil de l'ordre des avocats de Papeete en place depuis le 25 janvier 2019, qui se sont permis de se prononcer à mon encontre en recelant des informations confidentielles me concernant dont ils n'étaient pas destinataires » ; « J'attire votre attention sur les agissements de Me [T] qui ? fait preuve d'un comportement déloyal incroyable en utilisant ses fonctions et ses relations au sein du conseil de l'ordre pour tenter de me priver de l'assistance d'un avocat. Il en est de même de Me [N]? et de Me [F] » ; « je ne suis pas responsable de la situation, je suis victime de leurs agissements délictuels»; et pour avoir écrit à l'ordre des avocats de Tahiti, le 20 janvier 2020, les propos suivants : « II n'y a plus personne en Polynésie française capable d'appliquer la loi et le code de déontologie des avocats afin de stopper les graves abus de Me [S] [I] et son délégué Me [Z] [J] à mon encontre ? » ; « Je subis leurs graves abus depuis environ un AN » ; « Ces avocats me portent gravement préjudice alors qu'ils ont des intérêts avec les parties adverses dans les procédures qui me concernent et attendent que je me tue en me maintenant volontairement dans une situation économique précaire et en exerçant des violences à mon encontre avec la complicité du Procureur de la République » ; « Monsieur le Procureur de la République a tenté de couvrir leurs agissements délictuels en insérant une mention fausse dans le ficher TAJT et en dissimulant les plaintes antérieures pour tenter d'obtenir l'application d'une jurisprudence par l'intermédiaire de manoeuvre à mon encontre ».
5. Par jugement par itératif défaut du 21 septembre 2021, le tribunal correctionnel a confirmé le jugement du 17 novembre 2020 ayant, après requalification des faits en diffamation non publique, déclaré M. [W] coupable de ce chef, le condamnant à 4 000 francs CFP d'amende.
6. M. [W], puis le ministère public, ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses troisième, cinquième à huitième branches, les troisième et quatrième moyens, le cinquième moyen, pris en sa première branche, et le sixième moyen du mémoire personnel, Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le cinquième moyen du mémoire ampliatif, en ce qu'il vise la peine prononcée pour les faits de diffamation non-publique
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche, du mémoire personnel Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, du mémoire ampliatif
Enoncé des moyens
8. Le cinquième moyen du mémoire personnel, pris de la violation des articles 65 de la loi du 29 juillet 1881 et 591 du code de procédure pénale, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception tirée de la prescription de l'action publique et condamné M. [W] des chefs susvisés alors que la cour d'appel a évoqué le courriel adressé
9. Le deuxième moyen du mémoire ampliatif critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a joint les exceptions de procédure au fond et a rejeté l'exception de prescription de l'action publique soulevée par M. [W], alors :
« 2°/ qu'à supposer par impossible qu'il soit considéré que la cour visait l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 applicable à l'espèce, les délais ne peuvent être prorogés au-delà de la date butoir du 23 août 2020 ; que la date d'expiration du délai de prescription de l'action publique ne pouvait être fixée au-delà du 23 août 2020, date butoir de tout délai de prescription ; que la cour d'appel a relevé que la citation était du 29 septembre 2020 ; qu'en tout état de cause les faits étaient prescrits à la date du 23 août 2020 ; qu'en refusant néanmoins de constater la prescription de l'action publique, la cour d'appel a méconnu les articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, les articles préliminaires, 591 et 593 du code procédure pénale ;
3°/ qu'en matière de délit de presse, les faits sont prescrits trois mois après la date de l'écrit ou de sa communication ; qu'à supposer les délais suspendus par les ordonnances n° 2020-303 du 25 mars 2020 et la loi du 11 mai 2020 recommencent à courir à la date du 10 août 2020, le calcul doit tenir compte du délai ayant couru avant le 12 mars 2020 ; qu'en relevant que les écrits ont été transférés les 14 et 20 janvier 2020, de sorte que pour le premier écrit, 57 jours ayant courus entre le 14 janvier et le 12 mars 2020 et pour le second écrit, 51 jours ayant couru entre le 20 janvier et le 12 mars 2020 ; les faits étaient prescrits à la date du 13 septembre 2020 pour le premier et 19 septembre 2020 pour le second écrit ; qu'en relevant néanmoins que la prescription de l'action publique était acquise, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et partant a violé les articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, les articles préliminaires, 591 et 593 du code procédure pénale ;
4°/ qu'en matière de délit de presse, sauf acte interruptif, les faits sont prescrits trois mois après la date de l'écrit ou de sa communication ; qu'à supposer les délais suspendus par l'ordonnances n° 2020-303 du 25 mars 2020 et la loi du 11 mai 2020 recommencent à courir à la date du 10 août 2020, le calcul doit tenir compte du délai ayant couru avant le 12 mars 2020 ; qu'en relevant que « l'enquête ordonnée le 19 février 2020 s'est trouvée suspendue à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 10 août 2020 et qu'en conséquence, la prescription encourue n'a recommencé à courir qu'à compter de cette date » sans procéder, comme il lui était demandé, au calcul permettant de constater que relativement à la date du 19 février 2020, la prescription de l'action publique était acquise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, les articles préliminaires, 591 et 593 du code procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Les moyens sont réunis.
11. Pour écarter l'exception tirée de la prescription de l'action publique, l'arrêt attaqué énonce que les faits reprochés au prévenu auraient été commis les 14 et 20 janvier 2020 et que, en raison de la pandémie de Covid 19, l'enquête s'est trouvée suspendue, par l'effet de l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, entre le 12 mars 2020 et le 10 août 2020.
12. Les juges en concluent que la prescription n'a recommencé à courir qu'à compter du 10 août 2020 et que la citation délivrée le 29 septembre 2020 était donc régulière.
13. En se déterminant ainsi, dès lors que la prescription a été interrompue par le soit-transmis du 3 mars 2020 et qu'elle a été suspendue entre le 12 mars et 10 août suivant, de sorte que la citation délivrée le 29 septembre 2020 est intervenue dans le délai de trois mois prévu à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a justifié sa décision.
14. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, du mémoire personnel Sur le troisième moyen du mémoire ampliatif
Enoncé des moyens
15. Le deuxième moyen du mémoire personnel, pris de la violation des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [W] du chef de diffamation non publique pour les faits du 14 janvier 2020 alors qu'il conteste être l'auteur du courriel du 14 janvier 2020, dont il discute la force probante.
16. Le troisième moyen du mémoire ampliatif critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a requalifié les faits du 14 janvier 2020 et déclaré coupable M. [W] du chef de diffamation non publique, alors :
« 1°/ que la simple expression d'une opinion et d'un jugement de valeur participe du droit à la libre critique et ne saurait constituer une imputation diffamatoire ; qu'en qualifiant de diffamatoire l'écrit du 14 janvier 2020 par lesquels le prévenu avait estimé que des avocats étaient à l'origine d'agissements « délictueux » ou encore d'un « comportement déloyal incroyable », sans rechercher si ces propos, pris dans leur contexte ne relevaient pas de l'expression d'une opinion et d'un jugement de valeur autorisés par le droit à la libre critique, et non de l'imputation d'un fait précis portant atteinte à l'honneur et à la considération des parties civiles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 23, 29, 32 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 et les articles préliminaire, 591 et 593 du code procédure pénale ;
2°/ que la simple expression imprécise ou vague ne saurait constituer une imputation diffamatoire ; qu'en constatant que « ces affirmations ne comportent en réalité aucune allégation précise : elles sont vagues et sans aucune signification, ni contenu conceptuel » pour considérer ensuite que M. [W] avait estimé que des agissements étaient « délictueux » ou encore d'un « comportement déloyal incroyable » sans rechercher si, au regard de leur contexte, ces considérations ne relevaient pas de l'expression imprécise et globalement générale et non de l'imputation d'un fait précis portant atteinte à l'honneur et à la considération des parties civiles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 23, 29, 32 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 et les articles préliminaire, 591 et 593 du code procédure pénale ;
3°/ que s'il incombe au juge répressif de restituer aux faits leur exacte qualification, c'est à la condition qu'il invite le prévenu ou son avocat à s'expliquer sur l'opération de qualification et la nouvelle qualification envisagée ; qu'en l'espèce, les poursuites visaient pour l'écrit du 14 janvier 2020, un acte de diffamation publique ; qu'en requalifiant les faits en acte de diffamation non publique sans que M. [W] n'ait été invité à s'expliquer sur cette nouvelle qualification, les juges du fond ont méconnu les articles 6-1 et 6-3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et les articles préliminaire, 388, 512, 591 et 593 du code procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Les moyens sont réunis.
18. Pour requalifier les faits et déclarer M. [W] coupable du chef de diffamation non publique pour les faits du 14 janvier 2020, l'arrêt attaqué, après avoir écarté certains des propos comme trop vagues ou ne concernant aucune des victimes visées par la citation, énonce notamment que les propos qui évoquent les « faits délictueux » commis par les avocats visés dans le courriel de M. [W] ainsi que ceux faisant état « des agissements délictuels » de ces mêmes avocats « qui se sont permis de se prononcer » à l'encontre de M. [W] « en recelant des informations confidentielles » le concernant, constituent une insinuation laissant entendre que les avocats, membres du conseil de l'ordre, détiennent illégalement des informations sur M. [W].
19. Les juges ajoutent que le passage « j'attire votre attention sur les agissements de Me [T] qui ... fait preuve d'un comportement déloyal incroyable en utilisant ses fonctions et ses relations au sein du conseil de l'ordre pour tenter de me priver de l'assistance d'un avocat. Il en est de même de Me [N] et de Me [F] » laisse clairement et très précisément entendre que lesdits avocats ont délibérément violé leur déontologie en utilisant des moyens de pression sur leurs confrères.
20. Ils en concluent que ces propos, qui se présentent sous la forme d'une articulation précise de faits contraires à l'honneur ou à la considération de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire, constituent une diffamation, laquelle ne présente pas un caractère public dès lors que le courriel du 14 janvier 2020 a été adressé à l'ordre des avocats, personnes liées par une communauté d'intérêt.
21. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a, sans insuffisance ni contradiction, précisément analysé chacun des propos du courriel du 14 janvier 2020, retenant les seuls propos qui constituaient une articulation précise de faits contraires à l'honneur ou à la considération de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire et qui a restitué aux faits initialement poursuivis sous la qualification de diffamation publique leur exacte qualification, sans qu'il ait été besoin d'inviter M. [W] à s'expliquer sur ce point, dès lors que cette question était dans le débat, a justifié sa décision.
22. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches, du mémoire personnel Sur le sixième moyen du mémoire ampliatif
Enoncé des moyens
23. Le deuxième moyen du mémoire personnel, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [W] du chef de diffamation publique alors que le message du 20 janvier a été adressé à l'ordre des avocats par une autre personne que M. [W], que ce courrier faisait l'objet d'une contestation sérieuse quant à son authenticité et que la cour d'appel a mélangé des passages des deux courriels litigieux de sorte que la condamnation pour diffamation pour les faits du 20 janvier 2020 n'est pas justifiée.
24. Le sixième moyen du mémoire ampliatif critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable des faits requalifiés commis le 14 janvier 2020 et des faits de diffamation publique commis le 20 janvier 2020, alors :
« 1°/ que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; que M. [W] a toujours soutenu tout au long de la procédure, qu'il n'était pas l'auteur des courriels adressés à l'ordre des avocats ; qu'en retentant que « le message du 4 janvier 2020, a été transféré, le 20 janvier, par Mme [Y] à l'ordre des avocats », ce dont il résultait que M. [W] n'était pas l'auteur des courriels transférés le 20 janvier 2020, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et partant, a méconnu l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 121-1 du code pénal, les articles 23, 29, 32 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 et les articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que dès lors qu'ils relevaient que « le message du 4 janvier 2020, a été transféré, le 20 janvier, par Mme [Y] à l'ordre des avocats », les juges du fond devaient rechercher, comme il leur était demandé, si M. [W] était bien l'auteur du message transféré le 20 janvier 2020 et qu'à défaut de ce faire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 121-1 du code pénal, des articles 23, 29, 32 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 et des articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier sa décision ; que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en déclarant M. [W] coupable de faits de diffamation par voie électronique commis le 20 janvier 2020 pour avoir adressé un courriel à l'ordre des avocats ce même jour quand la cour d'appel relevait dans le même temps que, d'une part, « le message du 4 janvier 2020, a été transféré, le 20 janvier, par Mme [Y] à l'ordre des avocats. » puis que « le 4 janvier 2020, le message a été adressé à M. le procureur général, à la CARPA et à l'inspection générale. », la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et partant a méconnu les articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 23, 29, 32 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 et les articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que le délit de diffamation suppose l'imputation d'un fait précis pouvant être regardé comme visant la personne se présentant comme victime de la diffamation ; qu'en déclarant M. [W] coupable de faits de diffamation commis à Papeete le 20 janvier 2020 pour avoir envoyé un courriel à l'ordre des avocat tout en relevant que le message du 4 janvier était transféré le 20 janvier 2020 par Mme [Y] à l'ordre des avocats, puis que le 4 janvier 2020, le message a été envoyé à M. le procureur général, à la CARPA et à l'inspection générale, ce qui ne permet pas de s'assurer du destinataire du courriel adressé par M. [W], la cour d'appel a méconnu les articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 23, 29, 32 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 et les articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
25. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 121-1 du code pénal :
26. Il résulte de ce texte que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait.
27. Pour déclarer M. [W] coupable des faits de diffamation publique pour le courriel du 20 janvier 2020, l'arrêt attaqué énonce que ce courriel a été adressé le 4 janvier par M. [W] au procureur général, au secrétariat de la CARPA chargé de l'aide juridictionnelle et à l'inspection générale puis qu'il a été transféré à l'ordre des avocats, le 20 janvier suivant, par une personne de la CARPA.
28. Les juges ajoutent que, si la citation vise par erreur la date du transfert du message, il n'en demeure pas moins que M. [W] sait parfaitement ce qui lui est reproché.
29. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le message du 20 janvier 2020, objet des poursuites, n'a pas été envoyé par M. [W], la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
30. Par conséquent, la cassation est encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
31. La cassation est limitée aux seules dispositions de l'arrêt attaqué condamnant M. [W] pour les faits de diffamation publique du 20 janvier 2020.
32. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Crim. 5 décembre 2023 n° 23-82.729
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 23-82.729 F-D
N° 01438
GM 5 DÉCEMBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 DÉCEMBRE 2023
L'officier du ministère public près le tribunal de police d'Evry-Courcouronnes a formé un pourvoi contre le jugement dudit tribunal, en date du 16 janvier 2023, qui a relaxé M. [C] [W] [M] du chef de contravention au code de la route.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte du jugement attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [C] [W] [M] a été poursuivi devant le tribunal de police pour un excès de vitesse d'au moins 20 km/h et inférieur à 30 km/h, relevé au moyen d'un cinémomètre.
3. Le 16 janvier 2023, le tribunal de police, faisant droit à l'exception de nullité du relevé de la mesure de vitesse soulevée par le prévenu, a relaxé ce dernier au motif que le cinémomètre avait été vérifié par l'organisme accrédité sur un autre lieu que celui de son siège social, seul lieu figurant sur l'accréditation.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens
Enoncé des moyens
4. Les moyens sont pris de la violation des articles 567 et 591 du code de procédure pénale, 36 du décret n° 2001-387 du 3 mai 2001 relatif au contrôle des instruments de mesure et 23 de l'arrêté du 4 juin 2009 relatif aux cinémomètres de contrôle routier.
5. Le premier moyen critique le jugement attaqué en ce qu'il a fait droit à l'exception de nullité et relaxé le prévenu alors que le tribunal a dénaturé la décision d'accréditation Cofrac n° 3-1304, laquelle a pour seul objet de certifier que l'organisme chargé des vérifications des cinémomètres respecte les conditions prévues par l'article 36 du décret du 3 mai 2001, ces conditions ne portant que sur l'organisme accrédité et non sur le lieu où seront effectuées les vérifications primitives et périodiques ; que la précision de l'adresse ne saurait être interprétée comme imposant que toutes les vérifications du bon fonctionnement du cinémomètre soient effectuées au siège de l'organisme accrédité, ni qu'il doive être fait mention dans l'accréditation de tous les lieux dans lesquels l'organisme accrédité pourrait être amené à effectuer lesdites vérifications.
6. Le second moyen critique le jugement attaqué en ce qu'il a fait droit à l'exception de nullité et relaxé le prévenu alors que ni l'article 36 du décret du 3 mai 2001 relatif au contrôle des instruments de mesure ni l'arrêté du 4 juin 2009 relatif aux cinémomètres de contrôle routier n'imposent que les lieux de vérification des cinémomètres soient également accrédités ou même mentionnés sur l'accréditation ; qu'en imposant que toutes les vérifications soient effectuées au siège de l'organisme accrédité ou en imposant que l'accréditation mentionne tous les sites sur lesquels cet organisme serait amené à effectuer ces contrôles, le tribunal a ajouté une condition que la loi ne prévoit pas.
Réponse de la Cour
7. Les moyens sont réunis.
Vu l'article L. 130-9 du code de la route :
8. Il résulte de ce texte que le bon fonctionnement des cinémomètres est suffisamment établi par leur homologation et leur vérification annuelle.
9. Pour faire droit aux conclusions de nullité du procès-verbal constatant la contravention et relaxer le prévenu, le jugement attaqué énonce qu'il résulte de l'attestation d'accréditation délivrée par le Comité français d'accréditation (COFRAC), pour la période comprise entre le 1er décembre 2016 et le 30 novembre 2021, que la société [4] était habilitée à effectuer la vérification périodique des cinémomètres de contrôle routier fixes et de ceux installés dans un véhicule, sur son implantation située [Adresse 1] [Localité 2] (Sarthe).
10. Le juge observe que le carnet métrologique du cinémomètre utilisé pour mesurer la vitesse à laquelle circulait le prévenu le 15 novembre 2020, mentionne qu'il a fait l'objet d'une vérification périodique le 17 septembre précédent par l'organisme susvisé sur le site de contrôle A11 à [Localité 3], et non pas au lieu mentionné sur l'accréditation, seul à être accrédité par le COFRAC.
11. Il en déduit qu'il existe un doute sérieux sur la fiabilité de la mesure de vitesse réalisée à l'aide d'un cinémomètre qui n'a pas été vérifié dans les conditions légales requises par l'article 36 du décret du 3 mai 2001 relatif au contrôle des instruments de mesure.
12. En statuant ainsi, le tribunal a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé, dès lors que, d'une part, le bon fonctionnement du cinémomètre était établi par son homologation et sa vérification annuelle par l'organisme accrédité, qui était identifié, d'autre part, la décision d'accréditation dudit organisme par le COFRAC a pour seul objet de certifier qu'il respecte les conditions prévues par l'article 36 du décret du 3 mai 2001, lesquelles ne comportent aucune exigence quant au lieu où doivent être effectuées les opérations de vérification.
13. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 5 décembre 2023 n° 22-87.563
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 22-87.563 F-D
N° 01437
GM 5 DÉCEMBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 DÉCEMBRE 2023
Mme [H] [X] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 8 décembre 2022, qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamnée à 2 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme [H] [X] [L], les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [U] [D], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre,et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 22 avril 2021, Mme [U] [D] a porté plainte et s'est constituée partie civile pour des faits de diffamation publique envers un particulier en raison, d'une part, de la publication, dans l'édition du 5 février 2021 du journal [3], d'un article intitulé « Le comédien [M] [X] accusé d'inceste par sa fille aînée, [H] [X] [L] », d'autre part, de la diffusion, le 4 mars 2021, sur la chaîne de télévision [1] d'une interview de Mme [X] [L] dans l'émission « le Live [C] ».
3. La plainte visait, concernant l'article [3], plusieurs passages qui évoquaient l'entretien qu'avait eu Mme [X] [L] avec les deux journalistes auteurs de l'article au cours duquel celle-ci relatait les abus sexuels qu'elle alléguait avoir subis de son père, M. [M] [X], et de sa compagne de l'époque, Mme [D], ainsi que la plainte qu'elle avait déposée le 25 janvier 2021 auprès du procureur de la République pour ces faits. Concernant l'émission télévisée du 4 mars 2021, la plainte visait les propos de Mme [X] [L] alléguant que Mme [D] « fait partie [2], une secte qui prône la pédophilie et l'inceste. »
4. Le 8 septembre 2021. Mme [X] [L] a été mise en examen pour diffamations publiques envers un particulier et renvoyée devant le tribunal correctionnel.
5. Par jugement du 14 avril 2022, le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité ainsi que l'exception de vérité présentée par la prévenue, et, refusant de lui accorder le bénéfice de l'excuse de bonne foi qu'elle invoquait, l'a condamnée des chefs susvisés à 2 000 euros d'amende.
6. La prévenue, puis le ministère public et la partie civile, ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [X] [L] coupable de diffamation envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, s'agissant de l'article [3] du 5 février 2021, alors :
« 1°/ que la diffamation nécessite de caractériser une allégation ou une imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée ; qu'en l'espèce, en déclarant [H] [X] [L] coupable de diffamation envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, s'agissant de l'article [3] du 5 février 2021, après avoir écarté ses moyens de défense tiré de l'offre de preuve et de la bonne foi, mais sans avoir caractérisé préalablement la diffamation, à savoir que les propos poursuivis caractérisaient une allégation ou une imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de [U] [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 23, 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :
8. Selon le premier de ces textes, d'une part, toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation, d'autre part, il appartient aux juges d'examiner les circonstances et éléments extrinsèques qui leur sont soumis comme étant de nature à donner aux expressions incriminées leur véritable sens.
9. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour condamner la prévenue du chef de diffamation publique pour les propos publiés dans l'article [3] paru le 5 février 2021, l'arrêt attaqué, en premier lieu, énonce que le caractère public de la diffamation est caractérisé puis, en second lieu, par motifs propres et adoptés, rejette l'exception de vérité et l'excuse de bonne foi invoquées par la prévenue.
11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
12. En effet, il appartenait aux juges d'analyser dans un premier temps chacun des propos poursuivis pour déterminer s'ils contiennent en eux-mêmes, par leur sens et leur portée, tels qu'ils peuvent être éventuellement éclairés par des éléments extrinsèques, l'imputation d'un fait précis contraire à l'honneur ou à la considération faite à la partie civile avant d'examiner, dans un second temps, les moyens de défense produits par la prévenue.
13. Par conséquent, la cassation est encourue de ce chef.
Et sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, et le second moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé des moyens
14. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [X] [L] coupable de diffamation envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, s'agissant de l'article [3] du 5 février 2021, alors :
« 2°/ qu'il résulte des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes ; qu'en matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'est exprimé dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher préalablement, en application du paragraphe 2 du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante afin, s'ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment l'absence d'animosité personnelle et la prudence dans l'expression ; qu'en l'espèce, en déclarant Mme [H] [X] [L] coupable de diffamation envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, s'agissant de l'article [3] du 5 février 2021, en retenant une animosité personnelle envers [U] [D], sans avoir préalablement recherché si lesdits propos reposaient ou non sur une base factuelle suffisante, la cour d'appel a violé les articles 23, 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 à 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que l'animosité personnelle, exclusive de la bonne foi, s'entend de considérations personnelles, étrangères et extérieures au sujet traité, d'un mobile dissimulé aux lecteurs qui constituerait une part substantielle de l'information révélée au public et qui est étranger au litige ; que par ailleurs, lorsque la personne qui invoque la bonne foi s'exprime sur un sujet d'intérêt général concernant la dénonciation d'actes de nature sexuelle qu'elle a personnellement subis pendant son enfance, auquel est directement lié la partie civile, personne publique, le critère de l'animosité personnel doit être apprécié de façon souple ; qu'en l'espèce, en relevant, pour affirmer l'existence d'une animosité personnelle de la part de [H] [X] [L] envers [U] [D] s'agissant de l'article [3] du 5 février 2021, dans lequel elle dénonçait les abus sexuels dont elle avait été victime par son père, et auquel elle accusait la partie civile d'avoir participé, qu'il est constant que le contexte de la révélation des faits, des tractations préalables à la plainte, des accusations tardives portées contre Mme [D] démontre l'existence d'une animosité personnelle de la part de Mme [X] [L] à l'égard de Mme [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 23, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en affirmant, pour retenir l'animosité personnelle, que la volonté de nuire de la prévenue peut également être caractérisée au regard des allusions faites sur l'antenne de [1] le 4 mars 2021 témoignant des recherches faites par Mme [X]-[L] sur Mme [D] pour la rattacher à la secte [2] prônant l'inceste et la pédophilie, la cour d'appel a violé les articles 23, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 à 593 du code de procédure pénale. »
15. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [X] [L] coupable de diffamation envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, s'agissant de l'émission « le Live [C] » diffusée sur la chaîne de télévision [1] le 4 mars 2021, alors :
« 1°/ qu'il résulte des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes ; qu'en matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'est exprimé dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher préalablement, en application du paragraphe 2 du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante afin, s'ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment l'absence d'animosité personnelle et la prudence dans l'expression ; qu'en l'espèce, en déclarant [H] [X] [L] coupable de diffamation envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, s'agissant de l'émission « le Live [C] » diffusée sur la chaîne de télévision [1] le 4 mars 2021, en retenant qu'il existe une animosité personnelle de Mme [X] [L] à l'égard de Mme [D], antérieure à la publication de l'article [3], et donc antérieure aux propos tenus dans l'émission « le Live [C] » sur [1], sans avoir préalablement recherché si lesdits propos reposaient ou non sur une base factuelle suffisante, la cour d'appel a violé les articles 23, 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 à 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'animosité personnelle, exclusive de la bonne foi, s'entend de considérations personnelles, étrangères et extérieures au sujet traité ou d'un mobile dissimulé aux lecteurs qui constituerait une part substantielle de l'information révélée au public et qui est étranger au litige ; que par ailleurs, lorsque la personne qui invoque la bonne foi s'exprime sur un sujet d'intérêt général concernant la dénonciation d'actes de nature sexuelle qu'elle a personnellement subis pendant son enfance, auquel est directement lié la partie civile, personne publique, le critère de l'animosité personnel doit être apprécié de façon souple ; qu'en l'espèce, en relevant, pour affirmer l'existence d'une animosité personnelle de la part de [H] [X] [L] envers [U] [D] s'agissant de l'émission « le Live [C] » diffusée sur la chaîne de télévision [1] le 4 mars 2021, dans lequel elle a déclaré que [U] [D] est quelqu'un qui fait partie [2], une secte qui prône la pédophilie et l'inceste, qu'il est constant que le contexte de la révélation des faits, des tractations préalables à la plainte, des accusations tardives portées contre Mme [D] démontre l'existence d'une animosité personnelle de la part de Mme [X] [L] à l'égard de Mme [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 23, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en affirmant, pour retenir l'animosité personnelle, que la volonté de nuire de la prévenue peut également être caractérisée au regard des allusions faites sur l'antenne de [1] le 4 mars 2021 témoignant des recherches faites par Mme [X]-[L] sur Mme [D] pour la rattacher à la secte [2] prônant l'inceste et la pédophilie, la cour d'appel a violé les articles 23, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
16. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
17. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
18. Pour refuser à la prévenue le bénéfice de la bonne foi et confirmer le jugement de condamnation pour les propos tenus dans l'article [3] du 5 février 2021 et lors de l'émission télévisée du 4 mars 2021, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, énonce en substance qu'il résulte des nombreuses pièces et témoignages produits qu'il existe un clivage au sein de la famille et une animosité de la prévenue envers son père et sa compagne actuelle.
19. Les juges ajoutent que le contexte de la révélation des faits d'abus sexuels dont la prévenue allègue avoir été victime de la part de son père et de la partie civile ainsi que le fait que la prévenue ait pourtant recherché le soutien de la partie civile avant de porter à son encontre des accusations tardives démontrent l'existence d'une animosité personnelle de la prévenue envers celle-ci, antérieure aux propos litigieux.
20. Ils observent que la volonté de nuire de la prévenue peut également être caractérisée par les allusions qu'elle a faites lors de l'émission télévisée du 4 mars 2021, qui témoignent des recherches qu'elle a effectuées sur la partie civile pour la rattacher à la secte [2], prônant l'inceste et la pédophilie.
21. Ils en déduisent que l'absence d'animosité personnelle de la prévenue, premier critère pouvant établir sa bonne foi, n'est pas caractérisée et que, les quatre critères de la bonne foi étant cumulatifs, la bonne foi de la prévenue ne peut ainsi être retenue et ce, même si ces critères doivent être appréciés plus largement lorsque les propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général, ce qui est le cas de la révélation de faits de nature sexuelle à l'encontre de mineurs.
22. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
23. D'une part, il lui appartenait d'énoncer précisément les faits et circonstances lui permettant de juger, en premier lieu, si, en application de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, les propos litigieux s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général et s'ils reposaient sur une base factuelle suffisante, notions qui recouvrent celles de but légitime d'information et d'enquête sérieuse, puis, en second lieu, ces deux conditions étant réunies, si l'auteur des propos avait conservé prudence et mesure dans l'expression et était dénué d'animosité personnelle, ces deux derniers critères devant être appréciés moins strictement puisque les deux premiers étaient réunis.
24. D'autre part, les juges, qui ne peuvent déduire l'animosité personnelle, laquelle ne saurait se confondre avec l'intention de nuire, uniquement de la gravité des accusations et du ton avec lequel elles sont formulées, devaient établir qu'elle était préexistante aux propos litigieux et qu'elle résulte de circonstances qui ne sont pas connues du public.
25. La cassation est par conséquent également encourue de ces chefs, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Civ.2 30 novembre 2023 n° 22-13.656 B
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 30 novembre 2023
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1186 FS-B
Pourvoi n° Y 22-13.656
Aide juridictionnelle partielle en demande pour Mme [Z]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 16 décembre 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2023
Mme [G] [Z], épouse [K], domiciliée [Adresse 3], [Localité 2], a formé le pourvoi n° 22-13.656 contre l'arrêt rendu le 4 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige l'opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 5],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de Mme [Z], épouse [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, Mmes Cassignard, Isola, M. Martin, Mme Chauve, conseillers, M. Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, Mme Nicolétis, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 février 2021) et les productions, Mme [Z] a déposé plainte, le 1er avril 2014, pour des faits de violences volontaires commis à son encontre le 29 mars 2014 alors qu'elle était passagère d'un autobus.
2. L'unité médico-judiciaire du centre hospitalier intercommunal de [Localité 7] l'a examinée le 2 avril 2014 et a conclu à une incapacité temporaire totale de 45 jours.
3. Par requête déposée le 14 mars 2019, Mme [Z] a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) pour obtenir la réparation de son préjudice et a déposé une plainte avec constitution de partie civile le 29 juin 2020 qui a donné lieu à une ouverture d'information le 20 octobre 2020.
4. Mme [Z] a interjeté appel de la décision qui a déclaré sa requête irrecevable comme ayant été formée après l'expiration du délai de forclusion prévu à l'article 706-5 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de déclarer forclose sa requête en indemnisation devant la CIVI, alors « que l'article 706-5 du code de procédure pénale relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction dispose que « à peine de forclusion, la demande d'indemnisation doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction ; lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive » ; qu'aux termes de l'article 8 du code de procédure pénale, « l'action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise » ; que selon l'article 3 de l'Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid 19, « les délais de prescription de l'action publique et de prescription de la peine sont suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu'au terme prévu à l'article 2 » ; que l'article 2 prévoit : « les dispositions de la présente ordonnance sont applicables (?) jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 » ; que l'article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions prévoit : « l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid 19 est prorogé jusqu'au 10 juillet 2020 inclus ; qu'en l'espèce Mme [Z], victime d'une infraction le 29 mars 2014 disposait d'un délai [expirant] au 10 août 2020 inclus pour déposer plainte avec constitution de partie civile ; que pour déclarer la demande de Mme [Z] irrecevable, la cour d'appel a retenu qu'aucune poursuite pénale n'ayant été exercée en dépit de la plainte déposée le 1er avril 2014 et de l'ouverture d'une enquête préliminaire pour faits de violences aggravés, cette demande devait être présentée dans le délai de trois ans à compter de l'infraction, soit au plus tard le 29 mars 2017 ; qu'en statuant ainsi quand l'action publique était toujours en cours, la cour d'appel qui n'a constaté l'existence d'aucune décision ayant statué définitivement sur cette action a violé les articles 8 et 706-5 du code de procédure pénale, ensemble les articles 2 et 3 de l'Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 prise sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 et l'article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 706-5, alinéa 1er, du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2020-833 du 2 juillet 2020, à peine de forclusion, la demande d'indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction. Lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive ; lorsque l'auteur d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 est condamné à verser des dommages-intérêts, le délai d'un an court à compter de l'avis donné par la juridiction en application de l'article 706-15. Toutefois, la commission relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime.
7. Il en résulte que le délai de forclusion prévu par ce texte ne peut être prorogé que s'il n'a pas déjà expiré au jour où des poursuites pénales sont exercées.
8. Ayant relevé qu'aucune poursuite pénale n'avait été exercée avant le 29 mars 2017, terme du délai de forclusion de trois ans, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que les poursuites pénales exercées après cette date étaient sans incidence sur la forclusion déjà acquise.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. Mme [Z] fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que selon l'article 706-5 du code de procédure pénale, la commission relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ; que pour dire n'y avoir lieu à relever Mme [Z] de forclusion la cour d'appel retient que l'existence d'une aggravation de son préjudice n'est pas établie ni même invoquée ; qu'en statuant ainsi quand dans ses conclusions notifiées le 26 novembre 2020, Mme [Z] faisait valoir que les séquelles psychologiques étaient réapparues plus vives, qu'elle souffrait depuis quelques mois de cauchemars et de réminiscence de l'agression et avait développé plusieurs phobies handicapantes au quotidien, que la nécessité d'un suivi psychiatrique s'était imposé en 2019 et versait aux débats les attestations du médecin psychiatre, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
12. Pour dire n'y avoir lieu à relever Mme [Z] de forclusion, l'arrêt retient que l'existence d'une aggravation du préjudice n'est pas établie ni même invoquée par la requérante.
13. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, Mme [Z] s'était prévalue d'une aggravation de son préjudice, et sans analyser, même de façon sommaire, les attestations qu'elle produisait au soutien de cette allégation, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Crim. 29 novembre 2023 n° 22-85.867 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 22-85.867 F-B
N° 01416
MAS2 29 NOVEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 29 NOVEMBRE 2023
MM. [F] [Z] et [P] [T] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 25 août 2022, qui, pour soustraction aux mesures de gel des avoirs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, a condamné, le premier, à trois mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, une amende douanière et une confiscation, le second, à deux mois d'emprisonnement avec sursis, une amende douanière et une confiscation.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de MM. [F] [Z] et [P] [T], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. MM. [F] [Z] et [P] [T] étaient respectivement président et secrétaire de deux associations dissoutes en mars 2019 car considérées comme vecteurs de diffusion d'une idéologie appelant à la haine, à la discrimination et faisant l'apologie du terrorisme.
3. En application de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier, quatre arrêtés pris conjointement par les ministres des finances et de l'intérieur ont prononcé le gel de leurs avoirs bancaires pour des périodes de six mois entre le 2 octobre 2018 et le 18 avril 2021.
4. Par jugement du 6 septembre 2021, le tribunal correctionnel les a condamnés pour soustraction aux mesures de gel des avoirs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, M. [Z], à la peine de deux mois d'emprisonnement, une amende douanière et une confiscation et, M. [T], à la peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis, une amende douanière et une confiscation.
5. Les intéressés ainsi que le ministère public et l'administration des douanes ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens, le cinquième moyen, pris en ses première et deuxième branches, le sixième moyen, pris en ses première et deuxième branches, et le septième moyen
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité soulevé par M. [T], tiré de l'incompétence des agents des douanes pour effectuer l'enquête préliminaire dont il a fait l'objet, alors « que, selon l'article 28-1 du code de procédure pénale, les agents des douanes peuvent être habilités à effectuer des enquêtes préliminaires concernant une liste limitative d'infractions, comprenant la recherche des auteurs des délits douaniers et des infractions connexes, sur réquisition du procureur de la République ; que M. [T] a invoqué la nullité des actes réalisés par les agents des douanes, en enquête préliminaire, en soutenant qu'ils ne pouvaient enquêter sur le délit de soustraction aux mesures de gels des avoirs incriminées par l'article L. 574-3 du code monétaire et financier non visé par l'article 28-1 du code de procédure pénale et en l'absence de réquisition du procureur de la République à cette fin ; que pour rejeter ce moyen, la cour d'appel a considéré qu'en renvoyant à l'article 459 du code des douanes, le législateur avait donné compétence aux agents des douanes pour réaliser les enquêtes concernant ce délit, qu'il s'agissait d'un délit connexe à une infraction douanière permettant l'extension de compétence et que le soit-transmis adressé au magistrat délégué au service judiciaire des douanes avait valablement saisi les agents des douanes pour enquêter ; que dès lors que le délit de soustraction aux mesures de gel des avoirs n'est pas un délit incriminé par le code des douanes, qu'il n'était en l'espèce pas connexe à une infraction au code des douanes dont les agents des douanes auraient été régulièrement saisis, et que l'article 28-1 du code de procédure n'a pas institué de délégation du pouvoir d'enquête par le procureur de la République au magistrat chargé de superviser l'enquête des agents des douanes habilités, la cour d'appel a violé les articles L. 574-3 du code monétaire et financier, les articles 453 et 459 du code des douanes et l'article 28-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel les agents des douanes habilités n'étaient pas compétents pour enquêter sur les faits de soustraction aux mesures de gel des avoirs sur le fondement de l'article 28-1 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué retient que ce texte prévoit que ces agents peuvent effectuer des enquêtes judiciaires sous le contrôle du procureur de la République s'agissant des infractions douanières, mais également s'agissant des infractions connexes aux infractions douanières.
9. Les juges ajoutent que l'article L. 574-3 du code monétaire et financier, qui incrimine la soustraction aux mesures de gel des avoirs, prévoit expressément que les modalités de constatation, de poursuite et de répression de cette infraction sont régies par le code des douanes.
10. Ils en déduisent qu'il résulte de ce renvoi de l'article L. 574-3 aux textes du code des douanes que les agents des douanes habilités ont bien compétence pour effectuer des enquêtes judiciaires sur cette infraction en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale.
11. Par ailleurs, ils relèvent que, dès lors qu'il ressort des pièces de procédure que le service des douanes judiciaires a été saisi par un soit-transmis adressé au magistrat délégué aux missions judiciaires de la douane et de l'administration fiscale, détaillant les réquisitions du procureur de la République, il doit en être conclu que ce service a bien agi sur réquisition de ce magistrat.
12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
13. En effet, en premier lieu, dès lors que les modalités de constatation, de poursuite et de répression du délit de soustraction aux mesures de gel des avoirs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sont prévues par le code des douanes, cette infraction constitue une infraction prévue par le code des douanes au sens du 1° du I de l'article 28-1 du code de procédure pénale.
14. En second lieu, il résulte de ce même article et de l'article R. 15-33-12 du même code que le procureur de la République peut délivrer des réquisitions au magistrat délégué aux missions judiciaires de la douane, à charge pour ce dernier de désigner, aux fins de leur exécution, le ou les agents des douanes habilités.
15. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré MM. [Z] et [T] coupables de soustraction aux obligations résultant d'une décision de gel de leurs avoirs, alors :
« 1°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que l'article L. 574-3 du code monétaire et financier réprime le fait, pour les dirigeants ou les préposés des organismes financiers et personnes mentionnés à l'article L. 562-4 et, pour les personnes faisant l'objet d'une mesure de gel ou d'interdiction prise en application du chapitre II du titre VI du livre V, de se soustraire aux obligations en résultant ou de faire obstacle à sa mise en oeuvre ; qu'avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 6 novembre 2020, les mesures de gels ordonnées par le ministre de l'économie sur le fondement de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier ne s'appliquaient pas aux prestations de services fournies par des sociétés ou autres entités établies à l'étranger ; que dès lors, en retenant la culpabilité des prévenus pour avoir fait fonctionner des comptes ouverts pendant les différentes périodes de gel de leur avoirs par différents arrêtés pris antérieurement à l'entrée en vigueur de cette ordonnance, la cour d'appel a violé les articles L. 563-4, L. 574-3 du code de procédure pénale et 111-4 du code de procédure pénale et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
2°/ qu'en retenant à l'encontre des prévenus une soustraction à leurs obligations résultant des arrêtés de gels de leurs avoirs, lorsque les articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier ne leur imposent aucune obligation particulière et que les arrêtés pris en application de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier se contentaient de geler leurs avoirs, sans indiquer quelles obligations s'imposaient à eux, le courrier d'accompagnement se contentant de rappeler la possibilité de demander au service du trésor une partie des fonds bloqués, ce qui ne constitue pas une obligation mais un droit, la cour d'appel a encore violé les articles L. 574-3 du code de procédure pénale et 111-4 du code de procédure pénale et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
3°/ que l'article L. 574-3 du code monétaire et financier réprimant l'obstacle à la mise en oeuvre du gel des avoirs, en constatant seulement que les prévenus avaient ouverts des comptes allemands et les avaient alimentés pendant les périodes de dégel, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'obstacle à la mise en oeuvre des mesures de gel, par le seul fait pour les prévenus d'avoir fait fonctionner ces comptes, même majoritairement pendant les périodes de gel, sans constater aucune dissimulation ou manoeuvre, et a ainsi privé sa décision de base légale, au regard des articles L. 574-3 du code de procédure pénale et 111-4 du code de procédure pénale et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
4°/ que le délit suppose la volonté de faire obstacle à la mise en oeuvre du gel ; qu'il s'en déduit que cette volonté doit être caractérisée au moment de l'obstacle mis à la mise en oeuvre de la mesure de gel ; que dès lors, en considérant que les prévenus avaient eu l'intention de se soustraire aux obligations résultant du gel de leurs avoirs, en ouvrant des comptes en Allemagne, pendant les périodes de dégel dans la perspective d'une éventuelle reconduction du gel de leurs avoirs, la cour d'appel n'a pas caractérisé la volonté de faire obstacle à la mise en oeuvre du gel au moment des faits, faute de constater des manoeuvres particulières pendant les périodes de gel, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 574-3 du code de procédure pénale et 111-4 du code de procédure pénale et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
17. Pour déclarer les prévenus coupables de soustraction aux mesures de gel des avoirs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, l'arrêt attaqué énonce que l'article L. 574-3 du code monétaire et financier punit le fait, pour les personnes mentionnées à l'article L. 562-4 du même code, leurs dirigeants ou leurs préposés et pour les personnes faisant l'objet d'une mesure de gel ou d'interdiction prise en application du chapitre II du titre VI du livre V de ce code, de se soustraire aux obligations en résultant ou de faire obstacle à sa mise en oeuvre.
18. Les juges relèvent également que l'article L. 562-2, 1°, du code monétaire et financier dispose que le ministre chargé de l'économie et le ministre chargé de l'intérieur peuvent décider, conjointement, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent.
19. Ils relèvent encore que l'article L. 562-4, 1°, du code monétaire et financier, dans sa version applicable jusqu'au 6 novembre 2020, dispose que toute personne mentionnée à l'article L. 561-2 qui détient ou reçoit des fonds ou des ressources économiques pour le compte d'un client est tenue d'appliquer sans délai les mesures de gel et les interdictions de mise à disposition ou d'utilisation prévues au chapitre II du titre VI du livre V dudit code et d'en informer immédiatement le ministre chargé de l'économie.
20. Ils ajoutent que l'infraction prévue par l'article L. 574-3 consiste à ne pas avoir respecté la mesure administrative de gel des avoirs financiers et économiques détenus par les prévenus sur leurs comptes.
21. Ils retiennent qu'en l'espèce, quatre arrêtés ministériels ont privé les prévenus de la libre disposition des avoirs détenus sur leurs comptes pour une durée de six mois chacun, entre le 2 octobre 2018 et le 18 avril 2021, et que ces arrêtés leur ont été notifiés avec la mention des voies de recours et la possibilité d'obtenir une autorisation administrative d'utiliser une partie des avoirs.
22. Ils retiennent également que les dispositions de l'article L. 562-4 du code monétaire et financier, qui font obligation aux établissements financiers d'appliquer les interdictions édictées par l'autorité administrative, n'étaient pas opposables aux établissements financiers étrangers avant le 6 novembre 2020.
23. Ils constatent ensuite qu'il résulte de l'enquête que les deux prévenus ont chacun ouvert un compte auprès de la « néo-banque » allemande [1], les 7 et 10 avril 2019, alors que la mesure de gel résultant du premier arrêté avait pris fin le 2 avril 2019, et qu'ils ont donc, sitôt retrouvée la disponibilité de leurs avoirs, mis en place le moyen de détourner d'éventuelles nouvelles mesures du même type.
24. Ils constatent enfin qu'il ressort de l'examen des comptes ouverts au sein de la banque [1] que ceux-ci ont davantage été actifs en période de gel que de dégel, montrant ainsi quel était le but recherché lors de l'ouverture des comptes.
25. Ils en concluent que les prévenus, qui avaient bien connaissance de la possibilité qui leur était ouverte par les dispositions de l'article L. 562-11 du code monétaire et financier de solliciter auprès de la direction du Trésor une autorisation de déblocage de leurs fonds et en ont usé, se sont intentionnellement soustraits aux mesures de gel de leurs avoirs et ont détourné la mesure administrative.
26. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision et a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
27. En premier lieu, selon le 5° de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, le gel des fonds est défini comme toute action tendant à empêcher un changement de leur volume, montant, localisation, propriété, possession, nature, destination ou toute autre modification qui pourrait permettre leur utilisation, notamment la gestion de portefeuille. Il résulte donc de l'article L. 574-3 du même code une obligation pour les personnes faisant l'objet d'une mesure de gel de s'abstenir de tout acte visant à se soustraire ou à faire obstacle à une telle action.
28. En deuxième lieu, le seul fait que la cour d'appel ait retenu que les prévenus avaient ouvert des comptes dans une banque étrangère, juste après la fin de la première période de gel, afin de pouvoir disposer ensuite de leurs avoirs pendant la période de gel suivante, caractérise leur soustraction à la mesure de gel, la loi n'exigeant en outre aucune dissimulation ou manoeuvre.
29. En dernier lieu, il ne saurait être déduit de ce que les établissements financiers étrangers n'étaient pas soumis à l'obligation d'appliquer les mesures de gel avant le 6 novembre 2020 que les personnes dont les avoirs avaient alors été gelés pouvaient, sans se rendre coupable du délit prévu par l'article L. 574-3, contourner ces mesures de gel en utilisant un compte bancaire au sein d'un tel établissement.
30. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le cinquième moyen, pris en sa cinquième branche, et le sixième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé des moyens
31. Le cinquième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [Z] au titre de l'action douanière, à la confiscation de la somme de 12 185,61 euros et au paiement d'une amende du même montant, outre la peine d'emprisonnement de trois mois assortis du sursis probatoire, alors :
« 5°/ qu'en fixant l'amende sans prendre en considération la possibilité de prononcer une amende inférieure à la somme minimum sur laquelle a porté l'infraction , par application de l'article 369 du code des douanes auquel elle ne se réfère pas, quand elle admettait que les dépenses en cause étaient essentiellement des dépenses de vie courante et en refusant de tenir compte du fait que les arrêtés de gel se fondaient sur un risque d'aide au terrorisme qui n'existait plus au moment où ils avaient été pris, comme le soutenait la défense, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 574-3 du code monétaire et financier, 459 et 369 du code des douanes, des articles 485 et 593 du code de procédure pénale. »
32. Le sixième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [T] au paiement d'une amende douanière de 3 228,35 euros et a ordonné la confiscation d'une somme du même montant correspondant au produit de l'infraction, au titre de l'action douanière, alors :
« 3°/ qu'en fixant l'amende douanière à la somme de 3 228,35 €, sans prendre en considération la possibilité de prononcer une amende inférieure à la somme minimum du montant du, par application de l'article 369 du code des douanes auquel elle ne se réfère pas, quand elle admettait que les dépenses en cause étaient essentiellement des dépenses de vie courante et en refusant de tenir compte du fait que les arrêtés de gel se fondaient sur un risque d'aide au terrorisme qui n'existait plus, comme le soutenaient les prévenus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 574-3 du code monétaire et financier, 459 et 369 du code des douanes, des articles 485 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
33. Les griefs sont réunis.
34. Pour condamner M. [Z] à une confiscation de la somme de 12 185,61 euros et à une amende douanière d'un même montant et M. [T] à une confiscation de la somme de 3 228,35 euros et à une amende d'un même montant, la cour d'appel énonce que ces sanctions sont justifiées au regard des montants soustraits à l'obligation de gel des avoirs et de la situation familiale et financière des prévenus.
35. En statuant ainsi, après avoir détaillé la situation familiale et professionnelle des prévenus lorsqu'elle a motivé les sanctions pénales prononcées à leur encontre, la cour d'appel a justifié sa décision.
36. Les griefs doivent être écartés.
Mais sur le cinquième moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [Z] au titre de l'action douanière, à la confiscation de la somme de 12 185,61 euros et au paiement d'une amende du même montant, outre la peine d'emprisonnement de trois mois assortis du sursis probatoire, alors :
« 3°/ que, par ailleurs et en tout état de cause, en fixant l'amende à la somme de 12 185,61 euros, qui correspondrait au montant du produit de l'infraction, et en ordonnant la confiscation d'une somme du même montant, quand par ailleurs la cour d'appel avait constaté que le prévenu avait utilisé pendant les périodes de gel des avoirs, tiré de son compte auprès de la banque allemande la somme de 6 357,20 euros (arrêt, p. 9), la cour d'appel se prononce par des motifs contradictoires, équivalents au défaut de motifs, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
38. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
39. Pour condamner M. [Z] à une confiscation d'un montant de 12 185,61 euros et à une amende douanière d'un même montant, l'arrêt attaqué relève que l'article 459 du code des douanes réprime l'infraction de soustraction à une mesure de gel des avoirs de la confiscation du produit du délit et d'une amende douanière égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction.
40. Les juges ajoutent que la somme susmentionnée représente le produit de l'infraction.
41. En prononçant ainsi, alors qu'elle a constaté que le compte ouvert par M. [Z] à la banque avait été alimenté à hauteur de 9 641,54 euros uniquement pendant la période de dégel et que les débits intervenus pendant les périodes de gel s'élevaient à la somme de 6 357,20 euros, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires.
42. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
Portée et conséquences de la cassation
43. La cassation sera limitée à la confiscation et à l'amende douanière prononcées à l'encontre de M. [Z]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 28 novembre 2023 n° 23-85.290
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 23-85.290 F-D
N° 01554
ECF 28 NOVEMBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 28 NOVEMBRE 2023
M. [S] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 30 août 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'assassinat, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Hairon, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [S] [D], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Hairon, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [S] [D], mis en examen du chef de meurtre, a été placé sous contrôle judiciaire le 21 février 2017, après avoir été détenu.
3. Mis en accusation du chef d'assassinat, par arrêt du 7 avril 2022, il a été condamné de ce chef à vingt ans de réclusion criminelle par la cour d'assises, qui a décerné mandat de dépôt le 17 février 2023.
4. M. [D] a relevé appel de cette décision et a présenté une demande de mise en liberté le 6 juillet 2023.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit mal fondée et a rejeté la demande de mise en liberté de M. [D] et, par conséquent, a dit que ce dernier demeurait provisoirement détenu, alors :
« 1°/ que la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs définis par la loi et que ceux-ci ne sauraient être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou par une assignation à résidence avec surveillance électronique ; que l'un des objectifs définis par la loi est de garantir le maintien de la personne à la disposition de la justice ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en liberté présentée par M. [D], que les promesses d'embauche produites par ce dernier porteraient uniquement sur des emplois « à [Localité 2] », cependant que deux des trois promesses d'embauche portaient sur des emplois en région parisienne, l'une, émanant de la société Fidelia Corp établie à [Localité 3] (Val-de-Marne), l'autre, émanant de la société Global Est, mais portant sur un chantier de construction situé à [Localité 1] (Hauts-de-Seine), la cour d'appel s'est placée en contradiction avec les pièces du dossier auxquelles elle prétendait se référer et a, par suite, privé sa décision de motifs, en méconnaissance des dispositions de l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en liberté présentée par M. [D], que, dans le « nouveau contexte » de la condamnation en première instance et du mandat de dépôt que la cour d'assises a jugé nécessaire de décerner à l'issue des débats, « les différentes promesses d'embauche à [Localité 2], l'existence d'une famille et d'un domicile constitu[aient] des garanties insuffisantes, le risque de non-représentation à l'audience étant désormais majeur », sans rechercher si l'absence de toute mention de condamnation au bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [D], relevé par la cour, n'était pas de nature à exclure le risque d'absence de représentation de M. [D] lors du procès devant la cour d'assises en appel, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 144, 148-1, 148-2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en liberté présentée par M. [D], que, dans le « nouveau contexte » de la condamnation en première instance et du mandat de dépôt que la cour d'assises a jugé nécessaire de décerner à l'issue des débats, « les différentes promesses d'embauche à [Localité 2], l'existence d'une famille et d'un domicile constitu[aient] des garanties insuffisantes, le risque de non-représentation à l'audience étant désormais majeur », sans rechercher si la circonstance que M. [D] avait parfaitement respecté les obligations de son contrôle judiciaire entre son placement sous contrôle judiciaire le 21 février 2017 et la condamnation intervenue le 17 février 2023, soit pendant six ans, ce contrôle judiciaire s'étant déroulé sans le moindre incident jusqu'à la comparution de M. [D] devant la cour d'assises au mois de février 2023, ainsi que la circonstance que M. [D] s'était présenté tous les jours de son procès devant la cour d'assises, les 14, 15, 16 et 17 février 2023, n'étaient pas de nature à exclure le risque d'absence de représentation de M. [D] lors du procès devant la cour d'assises en appel, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 144, 148-1, 148-2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en liberté présentée par M. [D], que, dans le « nouveau contexte » de la condamnation en première instance et du mandat de dépôt que la cour d'assises a jugé nécessaire de décerner à l'issue des débats, « les différentes promesses d'embauche à [Localité 2], l'existence d'une famille et d'un domicile constitu[aient] des garanties insuffisantes, le risque de non-représentation à l'audience étant désormais majeur », sans s'expliquer sur la circonstance que M. [D] avait la charge d'une famille et, plus particulièrement, d'un très jeune enfant, en raison de la naissance de son fils [U] le 22 février 2023, soit cinq jours seulement après la condamnation en première instance, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 144, 148-1, 148-2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en liberté présentée par M. [D], que, dans le « nouveau contexte » de la condamnation en première instance et du mandat de dépôt que la cour d'assises a jugé nécessaire de décerner à l'issue des débats, « les différentes promesses d'embauche à [Localité 2], l'existence d'une famille et d'un domicile constitu[aient] des garanties insuffisantes, le risque de non-représentation à l'audience étant désormais majeur », sans tenir compte du fait que la personne chez qui M. [D] sera hébergé, à savoir sa mère, Mme [L], ainsi que son épouse, n'étaient aucunement mises en cause dans la procédure, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 144, 148-1, 148-2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
6°/ qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en liberté présentée par M. [D], que la décision de la cour d'assises rendue en premier ressort était susceptible d'avoir fait « prendre conscience » à ce dernier « du poids des charges retenues contre lui et de la difficulté de les combattre », par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un risque d'absence de représentation de M. [D] lors du procès devant la cour d'assises en appel, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision, en méconnaissance des dispositions de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
6. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
7. Pour rejeter la demande de mise en liberté de M. [D], l'arrêt attaqué énonce que, nonobstant les observations développées dans son mémoire, la détention provisoire de l'intéressé est désormais l'unique moyen de garantir sa représentation en justice.
8. Les juges relèvent que si M. [D], qui niait sa culpabilité, était sous contrôle judiciaire lors de sa comparution devant la cour d'assises, la décision rendue est susceptible de lui avoir fait prendre conscience du poids des charges retenues contre lui et de la difficulté de les combattre.
9. Ils ajoutent que, dans le nouveau contexte de cette première condamnation et du mandat de dépôt que la cour d'assises a jugé nécessaire de décerner au terme des débats, les différentes promesses d'embauche à [Localité 2], l'existence d'une famille et d'un domicile constituent des garanties insuffisantes, le risque de non-représentation à l'audience étant désormais majeur.
10. Ils en déduisent que la détention provisoire est justifiée au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure comme étant l'unique moyen de parvenir aux objectifs énoncés et qui ne pourraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, y compris mobile, de telles mesures ne comportant pas de contraintes suffisantes pour prévenir efficacement les risques précités et ne permettant que des contrôles discontinus, intervenant a posteriori.
11. En se déterminant ainsi, sans mieux répondre aux articulations du mémoire faisant valoir, d'une part, qu'aucun incident n'était intervenu au cours des six années de la mesure de contrôle judiciaire, d'autre part, que M. [D] justifiait de solides garanties et d'un cadre familial stable, permettant la reproduction des modalités de ce contrôle judiciaire, ou le placement sous assignation à résidence avec surveillance électronique en région parisienne, la chambre de l'instruction, n'a pas justifié sa décision.
12. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 22 novembre 2023 n° 23-81.085 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 23-81.085 FS-B
N° 01292
GM 22 NOVEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 NOVEMBRE 2023
M. [W] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 17 janvier 2023, qui a prononcé sur sa requête en incident contentieux d'exécution.
Un mémoire et des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [W] [Z], et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Leprieur, MM. Turbeaux, Laurent, Gouton, Brugère, Tessereau, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mme Diop-Simon, conseillers référendaires, M. Courtial, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt du 22 novembre 2022, la cour d'appel de Paris a condamné M. [W] [Z] à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont un an avec sursis probatoire, et prononcé un mandat à effet différé, assorti de l'exécution provisoire.
3. M. [Z] a formé un pourvoi contre cette décision le 22 novembre 2022, en cours d'instruction.
4. Il a, par ailleurs, saisi la cour d'appel d'une requête en difficulté d'exécution, le 19 décembre 2022, tendant à faire juger que son pourvoi en cassation suspendait l'exécution du mandat de dépôt à effet différé assorti de l'exécution provisoire.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que le pourvoi formé le 22 novembre 2022 n'a pas d'effet suspensif sur l'exécution du mandat de dépôt à effet différé, assorti de l'exécution provisoire, prononcé le 22 novembre 2022 et a dit que le mandat de dépôt à effet différé doit s'exécuter en application des dispositions de l'article D. 45-2-7 du code de procédure pénale au besoin avec le recours de la force publique, alors « que pendant les délais du recours en cassation et, s'il y a eu recours, jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation, il est sursis à l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel, sauf en ce qui concerne les condamnations civiles, et à moins que la cour d'appel ne confirme le mandat décerné par le tribunal en application de l'article 464-1 ou de l'article 465, premier alinéa, ou ne décerne elle-même mandat sous les mêmes conditions et selon les mêmes règles ; que n'étant pas régi par les articles 465 et 464-1 précités, et ne constituant pas une mesure de sûreté destinée à être exécutée nonobstant l'effet suspensif d'un pourvoi en cassation, comme le sont les mandats de dépôt ou d'arrêt, mais une modalité d'exécution de la peine à laquelle le pourvoi en cassation fait obstacle, le mandat de dépôt à effet différé ne peut être mis à exécution en cas de pourvoi en cassation, fusse-t-il assorti de l'exécution provisoire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 464-2 et 569 du code de procédure pénale, ensemble la présomption d'innocence garantie par les articles 6 §2 de la Convention européenne des droits de l'homme et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe que la liberté individuelle garantie par l'article 66 de la Constitution ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. »
Réponse de la Cour
6. Pour rejeter la requête de M. [Z], l'arrêt attaqué énonce que son pourvoi en cassation contre la décision de condamnation n'a pas d'effet suspensif, dès lors que le mandat de dépôt à effet différé décerné contre lui est assorti de l'exécution provisoire. Les juges ajoutent qu'en application de l'article 464-2 du code de procédure pénale, le mandat de dépôt à effet différé peut être assorti de l'exécution provisoire lorsque la durée totale de l'emprisonnement ferme attaché à la peine prononcée est supérieure à un an, et que les conditions de l'article 465 du même code sont réunies, ce qui est le cas en l'espèce. Ils retiennent que l'exécution provisoire ainsi décidée doit conduire à l'incarcération du prévenu, comme le prévoient les articles D. 45-2-1 à D. 45-2-9 et D. 48-2-4 à D. 48-2-8 du code de procédure pénale.
7. Ils relèvent que les dispositions légales attachent des conséquences identiques au mandat de dépôt et au mandat de dépôt à effet différé assorti de l'exécution provisoire, lequel présente le caractère d'une mesure de sûreté, compte tenu de l'obligation qu'il impose au condamné de se présenter dans un établissement pénitentiaire pour y être incarcéré, sous peine d'y être contraint par la force publique.
8. Ils en déduisent que l'absence d'effet suspensif du pourvoi en cassation, prévu aux articles 465 et 569 du code de procédure pénale, s'attache tant au mandat de dépôt qu'au mandat de dépôt à effet différé assorti de l'exécution provisoire, tout en énonçant que les effets d'une mesure de sûreté ne sont pas suspendus par un pourvoi en cassation.
9. C'est à tort que la cour d'appel s'est fondée sur les articles 465 et 569 du code de procédure pénale pour considérer que l'exécution du mandat de dépôt à effet différé assorti de l'exécution provisoire n'était pas suspendue par le pourvoi en cassation.
10. En effet, ces dispositions ne s'appliquent qu'au mandat de dépôt.
11. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, pour les motifs qui suivent.
12. Le mandat de dépôt à effet différé assorti de l'exécution provisoire a pour conséquence l'incarcération du prévenu à la date fixée par le procureur de la République. Cette incarcération se poursuit jusqu'à ce que la décision de condamnation soit exécutoire.
13. Elle s'effectue sous le régime de la détention provisoire, dès lors que l'exécution provisoire d'une peine d'emprisonnement n'est prévue ni par l'article 471 du code de procédure pénale ni par aucune autre disposition législative.
14. Le moyen ne peut, dès lors, être admis.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 22 novembre 2023 n° 23-82.675 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-82.675 F-B
N° 01379
SL2 22 NOVEMBRE 2023
ANNULATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 NOVEMBRE 2023
M. [M] [T] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Rennes, en date du 29 mars 2023, qui a déclaré non admis son appel du jugement du tribunal correctionnel l'ayant condamné, pour outrages et violences aggravées, à dix-huit mois d'emprisonnement, et pour rébellion, à quatre mois d'emprisonnement, trois ans d'inéligibilité, et ayant prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Après débats contradictoires à l'audience du tribunal correctionnel du 31 octobre 2022, M. [M] [T] a été condamné le 9 décembre 2022, par jugement qualifié de contradictoire, pour outrages et violences aggravées, à dix-huit mois d'emprisonnement et, pour rébellion, à quatre mois d'emprisonnement, ainsi qu'à trois ans d'inéligibilité. Le tribunal a également prononcé sur les intérêts civils.
3. Le prévenu a interjeté appel principal le 13 janvier 2023 sur les dispositions pénales et civiles.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen est pris de la violation de l'article 498 du code de procédure pénale.
5. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré l'appel non admis, alors que le délai d'appel contre un jugement rendu à l'encontre d'un détenu qui n'a pas été extrait pour assister à son prononcé ne peut courir qu'à compter de la signification.
Réponse de la Cour
Vu les articles 498 et 505-1 du code de procédure pénale :
6. Il résulte du premier de ces textes que, si le délai d'appel court à compter du prononcé du jugement contradictoire, même si la partie dûment avertie n'était pas présente à l'audience à laquelle le jugement a été prononcé, ce n'est qu'à la condition que cette partie ne justifie pas de circonstances l'ayant mise dans l'impossibilité absolue d'être présente à la lecture de la décision et d'exercer son recours en temps utile.
7. Le prévenu détenu qui, étant présent aux débats, n'a pas été extrait de la maison d'arrêt le jour où a été prononcé le jugement, et qui n'était pas représenté par son avocat, justifie de telles circonstances. Le délai d'appel ne peut dès lors courir à son égard qu'à compter de la signification dudit jugement.
8. Si, selon le second de ces textes, l'ordonnance de non-admission d'appel du président de la chambre des appels correctionnels n'est pas susceptible de recours, il en va autrement lorsque son examen fait apparaître un excès de pouvoir.
9. Pour dire non admis l'appel, l'ordonnance attaquée retient que le prévenu a interjeté appel hors délai.
10. En statuant ainsi, alors que le prévenu, détenu, n'était ni comparant ni représenté à l'audience à laquelle avait été prononcé le jugement, ce dont il résultait que le délai d'appel ne pouvait courir qu'à compter de la signification de la décision, le président a excédé ses pouvoirs.
11. L'annulation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de l'annulation
12. L'annulation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
13. Le jugement n'ayant pas été signifié, le délai d'appel n'a pas couru. L'appel est donc recevable.
Crim. 21 novembre 2023 n° 22-82.834
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 22-82.834 F-D
N° 01371
ODVS 21 NOVEMBRE 2023
REJET
Mme Labrousse, conseiller le plus ancien en remplacement du président empêché
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 21 NOVEMBRE 2023
Mme [O] [N] a déposé une requête en récusation, parvenue à la Cour de cassation le 30 août 2023, de M. Nicolas Michon, conseiller référendaire à la chambre criminelle de ladite Cour, qui, le 21 février 2023, a déposé un avis de non-admission du pourvoi formé par elle contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 8e chambre, l'ayant notamment condamnée, pour harcèlement moral, à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents Mme Labrousse, conseiller le plus ancien en remplacement du président empêché, Mme Merloz, conseiller rapporteur, M. Maziau, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Vu les articles 668 à 674-2 du code de procédure pénale :
Vu les observations écrites de M. le conseiller [H] [E] en date du 4 septembre 2023.
1. La requérante motive ladite requête sur le fondement des dispositions de l'article 668, 1°, 4°, 6°, 8° et 9° du code de procédure pénale.
2. Elle fait notamment valoir que le conseiller rapporteur peut être considéré comme un allié de M. [H] [Z] et des magistrats chargés d'instruire l'affaire, notamment le président de la chambre criminelle, M. [H] [F], et l'ancien procureur général de la Cour de cassation, M. [C] [S], qui ont, selon elle, pris position en faveur des chirurgiens contre lesquels elle est en litige. Elle ajoute que le conseiller rapporteur se trouve dans la dépendance hiérarchique du président de la chambre criminelle, qu'elle a précédemment récusé, et qu'elle a été en procès avec les supposés alliés du conseiller rapporteur. Elle affirme enfin que la partialité de l'avis de non-admission déposé le 21 février 2023 est manifeste, le rapport étant inexact et partial, et n'ayant pas pris en compte son mémoire personnel ni les pièces probantes produites.
3. Les griefs ne sont pas établis pour les motifs qui suivent.
4. En premier lieu, il n'est aucunement établi que le conseiller rapporteur soit l'allié de parties au présent pourvoi au sens de l'article 668 du code de procédure pénale.
5. En deuxième lieu, les litiges évoqués par la requérante ne satisfont pas aux conditions de l'article 668, 6° et 8°, dès lors qu'il n'existe aucun procès ni aucun différend sur une question similaire à celle du présent litige entre le conseiller rapporteur ou l'un de ses alliés en ligne directe et l'une des parties au présent pourvoi ou alliés dans la même ligne.
6. En troisième lieu, aucun lien de dépendance n'existe entre le conseiller rapporteur, dont l'office est d'analyser le pourvoi avant qu'il ne soit présenté à la formation collégiale de jugement, et le président de ladite formation de jugement.
7. En dernier lieu, la procédure de non-admission, prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, qui est conforme aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, est fondée sur l'absence de moyen sérieux de cassation, laquelle a été explicitée par le rapporteur, qui a répondu à l'ensemble des griefs présentés au soutien du pourvoi, dans le respect du contradictoire.
8. Dès lors, la requête en récusation doit être rejetée comme non fondée.
9. Il n'y a pas lieu de faire droit aux réquisitions de l'avocat général tendant au prononcé d'une amende civile.
Crim. 21 novembre 2023 n° 23-85.033 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 23-85.033 F-B
N° 01501
GM 21 NOVEMBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 21 NOVEMBRE 2023
M. [M] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 511 de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 16 août 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs d'escroquerie, tentative d'escroquerie, blanchiment aggravé, faux et usage, vol, en récidive, a déclaré sa demande de mise en liberté recevable et constaté son dessaisissement.
Des mémoires ampliatif et personnel ont été produits.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [M] [B], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt du 9 décembre 2021, la cour d'appel de Colmar a condamné M. [M] [B] à six ans et un an d'emprisonnement et a ordonné son maintien en détention provisoire.
3. Par arrêt en date du 14 juin 2023 (Crim., 14 juin 2023, pourvoi n° 22-80.544), la Cour de cassation a cassé cet arrêt et a renvoyé la procédure devant la cour d'appel de Nancy.
4. M. [B] a présenté une demande de mise en liberté le 8 juin 2023 devant la cour d'appel de Colmar.
Examen de la recevabilité du mémoire personnel
5. Le mémoire, qui ne vise aucun texte de loi et n'offre à juger aucun moyen de droit, ne remplit pas les conditions exigées par l'article 590 du code de procédure pénale. Il est, dès lors, irrecevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté le dessaisissement de la cour d'appel de Colmar, et a refusé de se prononcer sur la demande de mise en liberté de M. [B], alors « que la cour d'appel, régulièrement saisie d'une demande de mise en liberté comme dernière juridiction ayant statué au fond, doit se prononcer sur celle-ci, peu important qu'ensuite de la cassation de l'arrêt de condamnation qu'elle avait prononcée, une autre cour d'appel ait été saisie du dossier sur le fond ; qu'en se déclarant dessaisie de la demande au profit de la cour d'appel de Nancy, la cour d'appel de Colmar a violé l'article 148-1 du code de procédure pénale, ensemble l'article 5, § 4, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 148-1, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale :
7. Il se déduit de ce texte qu'en cas de pourvoi, la juridiction qui a connu en dernier lieu de l'affaire au fond demeure compétente pour statuer sur la demande de mise en liberté formée devant elle avant l'arrêt de la Cour de cassation.
8. Pour refuser de se prononcer sur la demande de mise en liberté formée par M. [B] , l'arrêt attaqué énonce que si la demande est recevable, la cour d'appel de Colmar est dessaisie au profit de la cour d'appel de Nancy, par suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 14 juin 2023.
9. En se déterminant ainsi, alors que la demande de mise en liberté de M. [B] avait été formée le 8 juin 2023, soit antérieurement à l'arrêt de la Cour de cassation précité, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé.
10. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
11. Il appartient à la cour d'appel de Nancy, désignée comme cour d'appel de renvoi, de statuer sur la demande de mise en liberté formée par M. [B], après s'être assurée qu'elle ne l'a pas déjà fait à la suite de l'arrêt attaqué.
Crim. 21 novembre 2023 n° 23-85.035 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 23-85.035 F-B
N° 01502
GM 21 NOVEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 21 NOVEMBRE 2023
M. [Z] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 512 de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 16 août 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs d'escroquerie, tentative d'escroquerie, blanchiment aggravé, faux et usage, vol, en récidive, a déclaré sa demande de mise en liberté recevable et constaté son dessaisissement.
Des mémoires ampliatif et personnel ont été produits.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [Z] [I], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Z] [I] à été condamné à deux peines d'emprisonnement ferme de six et un an par un arrêt de la cour d'appel de Colmar du 9 decembre 2021 contre lequel il a formé un pourvoi.
3. Il est resté en détention provisoire dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation.
4. Par arrêt en date du 14 juin 2023 (Crim., 14 juin 2023, pourvoi n° 22-80.544), la Cour de cassation a cassé cet arrêt du 9 décembre 2021.
5. M. [I] a présenté une demande de mise en liberté le 27 juin 2023.
Examen de la recevabilité du mémoire personnel
6. Le mémoire, qui ne vise aucun texte de loi et n'offre à juger aucun moyen de droit, ne remplit pas les conditions exigées par l'article 590 du code de procédure pénale. Il est, dès lors, irrecevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la demnde de mise en liberté de M. [I], alors « qu'en cas de pourvoi, la juridiction qui a connu en dernier lieu de l'affaire au fond est compétente pour se prononcer sur une demande de mise en liberté jusqu'à l'arrêt de cassation ; que la demande que lui adresse le détenu est recevable tant que ne lui a pas été notifié l'arrêt statuant sur son pourvoi ; qu'en déclarant irrecevable la demande qui lui était adressée le 27 juin 2023, à raison de l'intervention de l'arrêt de la Cour de cassation du 14 juin précédent, sans constater que celui-ci avait été notifié à l'intéressé avant le dépôt de sa demande, la cour d'appel a violé l'article 148-1, du code de procédure pénale, ensemble l'article 5 § 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer irrecevable la demande de mise en liberté, l'arrêt attaqué énonce que la cour d'appel de Colmar est désormais dessaisie du dossier par l'effet de l'arrêt du 14 juin 2023 de la Cour de cassation au profit de la cour d'appel de Nancy.
10. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
11. En effet, à la date de la demande de mise en liberté, formée le 27 juin 2023, la cour d'appel de Colmar avait été dessaisie par l'arrêt de la Cour de cassation susvisé, peu important que cet arrêt ait été notifié à l'intéressé après qu'il avait formulé sa demande.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 21 novembre 2023 n° 23-80.931
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 23-80.931 F-D
N° 01362
ODVS 21 NOVEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 21 NOVEMBRE 2023
M. [P] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans, en date du 2 février 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 15 mai 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [P] [N], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 17 novembre 2021, agissant sur commission rogatoire pour les besoins d'une information ouverte des chefs de trafic de stupéfiants et association de malfaiteurs, les enquêteurs ont interpellé, dans un garage, MM. [P] [N], [I] [W] et [S] [K], autour d'un véhicule d'où ce dernier sortait des produits stupéfiants.
3. Les enquêteurs ont procédé à une perquisition du garage automobile, à une fouille du véhicule et à la pesée des stupéfiants, en la seule présence de M. [W].
4. A l'issue de la perquisition, les enquêteurs ont mis la clé du garage dans la fouille de M. [N].
5. Le lendemain, lors de son audition en garde à vue, M. [N] a déclaré être locataire du garage depuis septembre 2021 afin d'y créer son entreprise de mécanicien.
6. La destruction des produits stupéfiants a été ordonnée par le juge d'instruction le 7 décembre 2021.
7. Mis en examen le 21 novembre 2021 des chefs susvisés, M. [N], a déposé une requête en nullité le 20 mai 2022.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen d'annulation de la perquisition et dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure, alors :
« 1°/ que les perquisitions réalisées au sein d'un local professionnel doivent, en vertu des dispositions relatives à la protection du domicile, être réalisées en présence d'un représentant de l'entreprise utilisatrice du local ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [N] faisait valoir que la perquisition du garage qu'il exploitait sous le régime de l'auto-entrepreneuriat à [Localité 1] était nulle pour avoir été effectuée hors sa présence ou celle d'une personne qu'il aurait désignée pour le représenter ; qu'en retenant, pour rejeter ce moyen, que « les lieux ou la perquisition a été effectuée ne sont pas un domicile mais un local affecté à une activité de garage automobile », la Chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 57, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que les perquisitions réalisées au sein d'un local professionnel doivent, en vertu des dispositions relatives à la protection du domicile, être réalisées en présence d'un représentant de l'entreprise utilisatrice du local, qu'il appartient aux enquêteurs d'identifier, peu important qu'il soit étranger à l'enquête ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [N] faisait valoir que la perquisition du garage qu'il exploitait sous le régime de l'auto-entrepreneuriat à [Localité 1] était nulle pour avoir été effectuée hors sa présence ou celle d'une personne qu'il aurait désignée pour le représenter ; qu'en retenant, pour rejeter ce moyen, qu' « à aucun moment [P] [N] n'était apparu dans les investigations faites par les enquêteurs avant les interpellations dans le local en question, si bien qu'au moment où les enquêteurs investissent les lieux et procèdent à la perquisition, ils ignorent qui est le propriétaire ou locataire des lieux ou le responsable du commerce et ne sont nullement en possession d'un bail ou autre document leur donnant les informations utiles », la Chambre de l'instruction a derechef violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 57, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ encore que les perquisitions réalisées au sein d'un local professionnel doivent, en vertu des dispositions relatives à la protection du domicile, être réalisées en présence d'un représentant de l'entreprise utilisatrice du local, qu'il appartient aux enquêteurs d'identifier, peu important qu'il soit étranger à l'enquête et qui ne peut être substitué par un mis en cause n'ayant aucun titre sur le local perquisitionné ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [N] faisait valoir que la perquisition du garage qu'il exploitait sous le régime de l'auto-entrepreneuriat à [Localité 1] était nulle pour avoir été effectuée hors sa présence ou celle d'une personne qu'il aurait désignée pour le représenter ; qu'en retenant, pour rejeter ce moyen, qu' « il résulte également du procès-verbal de perquisition que les enquêteurs ont effectué la perquisition des lieux, la fouille du véhicule Nissan Note contenant les stupéfiants et la saisie des stupéfiants, en la présence de [I] [W], dès lors que ce dernier était soupçonné par les enquêteurs d'avoir un rôle central dans le trafic de stupéfiants et était en lien avec le véhicule Nissan Note contenant les stupéfiants, qu'il s'était présenté dans le garage automobile après l'arrivée de la Nissan Note et se trouvait à proximité immédiate du véhicule lors de l'arrivée des policiers, qu'il était donc intéressé au premier chef aux opérations de fouille et saisies, et ce contrairement à [P] [N] dont la position dans l'instruction, comme dans la requête en nullité est de déclarer n'avoir rien à voir avec le véhicule Nissan Note et avec les stupéfiants qu'il contenait », la Chambre de l'instruction a de plus fort violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 57, 591 et 593 du Code de procédure pénale;
4°/ qu'en affirmant, pour dire la perquisition litigieuse régulière, que « [P] [N] ne justifie d'aucun grief dès lors qu'il ne conteste pas les saisieseffectuées, se disant étranger aux produits stupéfiants saisis», quand il résultait de la lecture de la requête en annulation formée par la défense que l'exposant contestait bien la réalité des découvertes effectuées lors de cette mesure irrégulière, la chambre de l'instruction, qui a dénaturé les écritures dont elle était saisie, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 57, 171, 802, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel la perquisition réalisée en l'absence de M. [N] ou de l'un de ses représentants était irrégulière, l'arrêt attaqué énonce notamment que ce dernier n'avait pas été identifié, avant les interpellations, dans le trafic de stupéfiants, si bien que les enquêteurs ignoraient qui était le propriétaire ou le locataire du garage perquisitionné.
10. Les juges ajoutent que le fait que les clés du local aient été mises dans la fouille de M. [N] à l'issue de la perquisition ne saurait établir que les policiers connaissaient le locataire des lieux au moment de celle-ci et que ce dernier n'alléguait d'ailleurs pas que les opérations avaient été sciemment effectuées hors sa présence.
11. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
12. En effet, il résulte des éléments de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, qu'à la suite d'une surveillance d'un convoi de produits stupéfiants, l'interpellation s'est déroulée dans un local situé dans un ensemble d'entrepôts industriels, dont l'existence n'était pas connue des enquêteurs, et qui ne portait aucun signe visible permettant à ces derniers de déterminer l'identité précise du locataire ou du propriétaire du lieu perquisitionné, M. [N] ne s'étant de surcroît pas signalé comme le locataire des lieux lors de la perquisition.
13. Ainsi, le moyen, inopérant en sa quatrième branche, en ce qu'aucune irrégularité prise de l'absence de M. [N] ou de l'un de ses représentants n'est établie, doit être écarté. Sur le second moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité des opérations de pesée des stupéfiants et dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure, alors :
« 1°/ d'une part qu'il résulte de l'article 706-30-1 du Code de procédure pénale que les substances stupéfiantes saisies au cours de l'enquête ne peuvent être pesées qu' « en présence de la personne qui détenait les substances, ou, à défaut, en présence de deux témoins requis par le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire et choisis en dehors des personnes relevant de leur autorité » ; que pour l'application de ce texte, le détenteur des substances est la personne en présence de laquelle la perquisition devait être réalisée en application de l'article 57 du Code de procédure pénale soit, pour la perquisition d'un local professionnel, l'utilisateur de ce local ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [N] faisait valoir qu'il exploitait le local perquisitionné sous le régime de l'auto-entrepreneuriat de sorte que la pesée aurait dû avoir lieu en sa présence ; qu'en affirmant que la pesée effectuée en présence de Monsieur [W] était régulière dans la mesure où ce dernier était au nombre des personnes qui s'affairaient autour du véhicule au moment de l'intervention des policiers, la Chambre de l'instruction a statué par des motifs inopérants en violation des articles 706-30-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part qu'à supposer que le « détenteur » des produits stupéfiants devant à ce titre assister à leur pesée soit la personne entre les mains de laquelle les produits ont été saisis, la Chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et violé derechef les articles 706-30-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale en affirmant que la pesée avait pu être effectuée en présence de Monsieur [W] après avoir elle-même observé « qu'il résulte des constatations des policiers que [S] [K] était en train de sortir des pains de stupéfiants de la voiture pour les mettre dans un sac de sport;
3°/ qu'en affirmant, pour dire la perquisition litigieuse régulière, que « [P] [N] ne justifie d'aucun grief dès lors qu'il ne conteste pas les pesées effectuées, se disant étranger aux produits stupéfiants saisis», quand il résulte de la lecture de la requête en annulation formée par la défense que l'exposant conteste bien la réalité des mesures réalisées lors de cette pesée irrégulière, la Chambre de l'instruction, qui a dénaturé les écritures dont elle était saisie, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 706-30-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
15. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel la pesée réalisée en l'absence de M. [N] était irrégulière, l'arrêt attaqué énonce que la pesée des produits stupéfiants a été effectuée au cours des opérations de perquisition et de saisie en présence de l'une des trois personnes interpellées, M. [W].
16. Les juges ajoutent que, même si ce dernier n'est pas celui qui, à l'arrivée des policiers, était en train de sortir les pains de stupéfiants du véhicule, les trois personnes interpellées, présentes autour du véhicule, apparaissent toutes comme les personnes détenant les produits stupéfiants au moment de l'intervention des policiers.
17. Ils en concluent que, dès lors que l'une de ces trois personnes a assisté aux opérations de pesée, alors que les dispositions légales n'exigent pas que l'ensemble des détenteurs des produits assistent aux opérations, la pesée n'est pas entachée d'irrégularité.
18. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
19. En effet, les dispositions de l'article 706-30-1 du code de procédure pénale imposent la réalisation de la pesée des produits stupéfiants en présence de la personne qui détenait les substances. A cette qualité la personne qui assiste au déchargement des produits stupéfiants aux côtés de celui qui y procède.
20. Ainsi, le moyen, inopérant en sa troisième branche, en ce qu'aucune irrégularité prise de la pesée des produits stupéfiants hors la présence du requérant n'est établie, doit être écarté.
21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 21 novembre 2023 n° 23-80.081
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 23-80.081 F-D
N° 01368
ODVS 21 NOVEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 21 NOVEMBRE 2023
M. [S] [J], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, en date du 6 décembre 2022, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'informer sur sa plainte du chef de faux public et usage.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [S] [J], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [S] [J], viticulteur, a fait l'objet de plusieurs procès-verbaux de constatation d'infractions dressés par des agents de la direction régionale des douanes et droits indirects, les 26 avril 2006 et 6 mars 2007, pour défaut de livraison de l'excédent de la quantité normalement vinifiée à la distillation obligatoire prévue à l'article 28 du règlement CE n° 1496/1999 du 17 mai 1999.
3. Il a été condamné à verser diverses sommes au titre de décisions rendues en dernier lieu par une cour d'appel les 13 et 20 octobre 2010.
4. M. [J] a, le 21 février 2019, porté plainte et s'est constitué partie civile pour des faits de faux en écriture publique et usage par personne dépositaire de l'autorité publique, visant les agents verbalisateurs.
5. Le juge d'instruction a, le 26 janvier 2022, rendu une ordonnance de refus d'informer.
6. M. [J] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de refus d'informer du 26 janvier 2022 rendue par le juge d'instruction, alors « que la juridiction d'instruction régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile a le devoir d'instruire ; que n'est pas valablement justifié un refus d'informer fondé sur une appréciation des faits résultant d'éléments étrangers à la procédure et sur la prétendue absence d'intention frauduleuse, à l'issue d'un examen abstrait des faits ; qu'en motivant sa décision de confirmation de l'ordonnance de refus d'informer sur l'infraction de faux dénoncée par la partie civile au regard d'un arrêt de la Cour de cassation rendu dans le cadre d'une autre procédure, postérieur de plus de dix ans à la rédaction des procès-verbaux litigieux et sur l'absence supposée d'intention frauduleuse des rédacteurs de celui-ci, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 441-1 et 441-4 du code pénal, ainsi que les articles 85, 86 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour confirmer l'ordonnance de refus d'informer, l'arrêt attaqué énonce notamment que l'argumentation juridique développée par la partie civile concernant l'interprétation des textes de droit communautaire ayant servi de fondement aux procès-verbaux argués de faux a été écartée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 novembre 2018.
9. Les juges ajoutent que, au surplus, une mauvaise interprétation des textes par les services des douanes ne peut en aucune façon s'analyser en une volonté délibérée de commettre un faux intellectuel caractérisant l'élément intentionnel de l'infraction alléguée.
10. En statuant ainsi, et dès lors qu'une simple erreur dans l'interprétation d'une règle de droit par des agents des douanes, à la supposer établie, ne saurait constituer l'élément intentionnel de l'infraction de faux, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
11. Dès lors, le moyen doit être écarté.
12. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Civ.1 15 novembre 2023 n° 21-11.180
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 15 novembre 2023
Cassation sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 607 F-D
Pourvoi n° M 21-11.180
Aide juridictionnelle totale en demande au profit de M. [K]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 20 novembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 NOVEMBRE 2023
M. [S] [K], domicilié centre de rétention administrative, [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 21-11.180 contre l'ordonnance rendue le 9 juin 2020 par le premier président de la cour d'appel de Douai (chambre des libertés individuelles), dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet du Nord, domicilié [Adresse 1],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Douai, domicilié en son [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Ghestin, avocat de M. [K], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 septembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Douai, 9 juin 2020) et les pièces de la procédure, le 4 juin 2020, à l'issue d'un contrôle d'identité, M. [K], de nationalité guinéenne, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative, en exécution d'une décision de transfert.
2. Le juge des libertés et de la détention a été saisi le 5 juin 2020 par le préfet d'une demande de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 552-1, alinéa 1er, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et le 6 juin 2020 par M. [K] d'une contestation de la décision de placement en rétention sur le fondement de l'article L. 551-1 du même code.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [K] fait grief à l'ordonnance de prolonger la rétention administrative pour une durée de vingt-huit jours, alors « que dans ses conclusions d'appel, M. [K] faisait valoir de nombreuses irrégularités ayant vicié le contrôle d'identité, à la suite duquel son placement en rétention a été ordonné, dont il a fait l'objet le 3 juin 2020 à 16h30, rappelant notamment que le contrôle d'identité jusqu'à 20 kilomètres des frontières devait être motivé par "la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière", que ce contrôle ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas douze heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique?, et soutenant que son procès-verbal d'interpellation ne donnait aucune indication permettant de vérifier le respect de ces dispositions, M. [K] ne pouvant être tenu d'apporter la preuve contraire ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions péremptoires, l'ordonnance attaquée a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 78-2 al. 4 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile et l'article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale :
4. Selon le premier de ces textes, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif.
5. Il résulte du second que l'identité de toute personne peut être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale, dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière, et que, pour l'application de ces dispositions, le contrôle ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas douze heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux susmentionnés.
6. Pour prolonger la rétention de M. [K], l'ordonnance retient que le contrôle d'identité a été effectué dans la zone frontière des 20 kilomètres et dans les termes prévus par les réquisitions, et qu'aucun élément ne permet d'étayer l'allégation selon laquelle les contrôles effectués dans la zone susvisée auraient excédé la durée légale.
7. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [K] qui soutenait que le contrôle d'identité jusqu'à 20 kilomètres des frontières devait être motivé par « la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière », et que le procès-verbal de son interpellation ne donnait aucune indication permettant de vérifier le respect de ces dispositions, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
Crim. 15 novembre 2023 n° 23-81.795
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 23-81.795 F-D
N° 01341
ECF 15 NOVEMBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2023
M. [G] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 7 mars 2023, qui, dans la procédure suivie des chefs de blanchiment, abus de confiance, abus de biens sociaux, a confirmé la décision de remise à l'AGRASC aux fins d'affectation prise par le procureur de la République.
Par ordonnance du 26 juin 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [G] [N], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une enquête préliminaire, un véhicule de marque Hyundai Tucson appartenant à M. [G] [N] a été saisi par les enquêteurs lors de la perquisition de son domicile.
3. Le 1er septembre 2022, le procureur de la République a ordonné la remise du véhicule à l'AGRASC, en vue de son affectation à titre gratuit par l'autorité administrative au commandant de la gendarmerie de la Guyane.
4. M. [N] a relevé appel de la décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le recours de M. [N] à l'encontre de la décision du procureur de la République de remise à l'AGRASC en vue de son affectation du véhicule de marque Hyundai Tucson, a confirmé ladite décision en toutes ses dispositions, alors « que les personnes contestant une décision du procureur de la République de remise à l'AGRASC peuvent demander la restitution du bien saisi à cette occasion ; que la chambre de l'instruction qui refuse la restitution d'un bien saisi est alors tenu de s'expliquer, d'une part, sur la nécessité actuelle de la mesure et, d'autre part, hormis le cas où le bien saisi constitue, dans sa totalité, l'objet ou le produit de l'infraction ou la valeur de ceux-ci, sur le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, au regard de la situation personnelle de ce dernier et de la gravité concrète des faits, lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une saisie de patrimoine ; que saisie par le mémoire du 6 février 2023, déposé au soutien de l'appel formé contre la décision du procureur de la République de remise à l'AGRASC en vue de son aliénation du véhicule saisi d'une demande en restitution, la chambre de l'instruction qui ne s'est pas prononcée sur cette demande ni sur les moyens faisant valoir notamment que la valeur de la saisie excédait le montant estimé du produit des infractions personnellement reproché à M. [N] et que la saisie était disproportionnée, a privé sa décision de motif, l'a entaché d'un excès de pouvoir négatif et a violé les articles 41-4, 41-5 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 41-5 du code de procédure pénale :
6. Il résulte de ce texte que la décision de remise à l'AGRASC aux fins d'affectation avant jugement d'un bien meuble saisi peut être contestée devant la chambre de l'instruction par les personnes ayant des droits sur le bien et les personnes mises en cause, afin de demander, le cas échéant, la restitution du bien saisi.
7. Il ressort des énonciations de l'arrêt que la chambre de l'instruction a été saisie le 6 février 2023 d'un mémoire déposé à son greffe par l'avocat du demandeur sollicitant notamment la restitution du véhicule saisi.
8. En confirmant la décision de remise à l'AGRASC aux fins d'affectation avant jugement, sans statuer sur la demande de restitution du bien dont elle était régulièrement saisie, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
9. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 15 novembre 2023 n° 22-86.279
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 22-86.279 F-D
N° 01348
ECF 15 NOVEMBRE 2023
IRRECEVABILITE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2023
M. [O] [K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa, chambre correctionnelle, en date du 10 octobre 2017, qui, pour abus de biens sociaux et banqueroute, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement, 6 000 000 francs CFP et cinq ans d'interdiction de gérer.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [O] [K], les observations de la SCP Richard, avocat des sociétés des Carburants de Bourail et Lecras, prises en la personne de la SELARL Mary Laure Gastaud, mandataire liquidateur, parties civiles, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [O] [K] a formé opposition à l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa, prononcé par défaut, le 6 septembre 2016, qui, pour abus de biens sociaux et banqueroute, l'a condamné aux mêmes peines.
Examen de la recevabilité du pourvoi
3. Pour qualifier la décision d'itératif défaut, les juges énoncent que le prévenu a été cité selon exploit d'huissier délivré à l'étude, sans que l'accusé de réception n'ait été retiré, qu'il n'est pas comparant et qu'il ne s'est pas fait représenter.
4. Le prévenu n'ayant pas eu connaissance, dans les conditions prévues par l'article 494 du code de procédure pénale, de la date d'audience à laquelle son opposition devait être examinée, l'arrêt attaqué a été rendu par défaut à l'égard du demandeur et est donc susceptible d'opposition de sa part.
5. Dès lors, le pourvoi n'est pas recevable.
Crim. 15 novembre 2023 n° 22-85.007
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° D 22-85.007 F-D
N° 01351
ECF 15 NOVEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2023
M. [J] [X] et Mme [T] [E], épouse [X], ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 22 juin 2022, qui a condamné le premier, pour travail dissimulé et blanchiment, à six mois d'emprisonnement, la seconde, pour recel, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, et les deux, à une confiscation.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [J] [X] et Mme [T] [E], épouse [X], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une enquête préliminaire a été diligentée concernant l'activité non déclarée de M. [J] [X] relative au négoce et à la réparation de véhicules de collection.
3. Un ensemble immobilier appartenant à M. [X] et à son épouse, Mme [T] [E], situé [Adresse 1] à [Localité 3], comprenant un appartement, une cave et un emplacement de voiture, a été saisi durant l'enquête.
4. M. [X] et Mme [E] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs, pour le premier, de travail dissimulé, blanchiment de fraude fiscale, pour la seconde, de recel de travail dissimulé et de blanchiment de fraude fiscale.
5. Le tribunal correctionnel a condamné M. [X] du chef de travail dissimulé et l'a relaxé du chef de blanchiment. Il a condamné Mme [E] du chef de recel de travail dissimulé et l'a relaxée du chef de recel de blanchiment. Il a ordonné la restitution des scellés.
6. Le ministère public, M. [X] et Mme [E] ont relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement s'agissant du délit de blanchiment et, statuant à nouveau de ce chef, a déclaré M. [X] coupable, alors « que les délits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale sont deux infractions distinctes et autonomes ; que pour déclarer M. [X] coupable des faits de blanchiment de fraude fiscale, l'arrêt retient que celui-ci n'a pas respecté ses obligations déclaratives à l'égard du fisc, et ce intentionnellement au regard de la disproportion entre la faiblesse des sommes déclarées et l'importance des sommes transitant sur ses comptes bancaires et ceux de sa famille ; qu'en retenant la culpabilité de M. [X] au titre du blanchiment de fraude fiscale, en ne relevant que la seule existence de faits caractérisant une fraude fiscale, sans relever un élément matériel et un élément intentionnel distincts, la cour d'appel a violé les articles 324-1 du code pénal, 1741 du code général des impôts, 593 du code de procédure pénale, et n'a pas légalement justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 324-1, alinéa 2, du code pénal, 1741 du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale :
8. Aux termes du premier de ces textes, constitue un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
9. Il se déduit des deux premiers que l'objet du délit de blanchiment de fraude fiscale, produit de la fraude fiscale, est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés.
10. Selon le dernier, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour déclarer le prévenu coupable de blanchiment de fraude fiscale, l'arrêt attaqué énonce qu'en ne se conformant pas sciemment aux obligations des commerçants et notamment en ne tenant pas une comptabilité fidèle ou un registre des objets mobiliers, M. [X] s'est mis en situation de ne pas respecter ses obligations déclaratives à l'égard du fisc comme commerçant et comme citoyen.
12. Les juges retiennent que la disproportion entre la faiblesse des sommes déclarées et l'importance de celles transitant sur les différents comptes de la famille, qu'il ne pouvait ignorer puisqu'il admet gérer les comptes de la famille, signe la volonté de dissimulation des sommes normalement sujettes à l'impôt.
13. Ils ajoutent qu'en outre et contrairement à ce qu'il soutient, il a fait l'objet en 2018 d'un redressement au titre de la TVA pour les années 2014 et 2015, de même en ce qui concerne l'imposition sur les revenus pour ces mêmes années.
14. Ils concluent que M. [X] est coupable du délit de blanchiment de fraude fiscale.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser ce délit, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement ayant ordonné la restitution des scellés, et statuant à nouveau du chef infirmé a ordonné la confiscation de l'ensemble immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 3], alors :
« 1°/ qu'il incombe au juge qui décide de confisquer un bien de préciser le fondement de la mesure ; qu'en se bornant, pour ordonner la confiscation de l'immeuble, à indiquer que celle-ci était justifiée par l'importance des sommes éludées sur la période de prévention, qui ont seules permis l'acquisition de la maison de [Localité 2], sans préciser ni le délit au titre duquel la confiscation était prononcée, ni la nature de la confiscation en cause, la cour d'appel a statué par des motifs qui ne permettent pas d'apprécier l'étendue de l'exigence de motivation à laquelle elle était tenue, et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 132-1 et 132-21 du code pénal, et 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en supposant que les juges d'appel aient entendu ordonner la confiscation du patrimoine du couple [X], le juge qui prononce une mesure de confiscation de tout ou partie d'un patrimoine doit non seulement motiver sa décision au regard de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, mais également apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé ; qu'en se bornant à retenir que la confiscation de l'immeuble était justifiée « dans le contexte précité » et « en proportion avec l'infraction et le produit que les prévenus en ont retiré », sans se prononcer sur la proportionnalité de l'atteinte ainsi portée au droit de propriété des époux [X], la cour d'appel, qui a insuffisamment motivé sa décision, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 131-2, 131-21 et 324-7 du code pénal, l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article premier du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que M. [X] faisait valoir dans ses conclusions, visées par le président et la greffière, que la confiscation de l'immeuble sis [Adresse 1], à [Localité 3], constituait une atteinte disproportionnée au droit de propriété du couple, dès lors que l'immeuble avait une valeur de 187 990 euros, tandis que le montant de l'impôt éludé ne s'élevait qu'à 19 144 euros ; qu'en retenant que la confiscation était « en proportion » avec l'infraction et le produit retiré, sans mieux s'expliquer, ainsi qu'elle y était invitée, sur la proportion entre le montant du produit de la fraude fiscale et la valeur du bien confisqué, la cour d'appel a encore violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que le produit généré par la fraude fiscale est l'économie correspondant au montant de l'impôt éludé ; qu'en confondant les recettes encaissées avec l'impôt éludé, et en appréciant en conséquence la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété des époux [X] au regard des sommes dissimulées à l'administration fiscale et normalement sujettes à l'impôt, quand seule la déclaration de culpabilité du chef de blanchiment de fraude fiscale permettait le prononcé d'une confiscation de patrimoine, la cour d'appel a violé les articles 131-21 et 324-7 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
18. Selon le premier de ces textes, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. La confiscation porte alors sur les biens qui ont servi à commettre l'infraction, ou qui étaient destinés à la commettre, et sur ceux qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction. Si la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné.
19. Hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une confiscation de tout ou partie du patrimoine.
20. Il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu.
21. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
22. Pour condamner M. [X] et Mme [E] à la confiscation de leur immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 3], l'arrêt relève qu'outre de l'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'activité, M. [X] a été reconnu coupable du délit de blanchiment de fraude fiscale, et Mme [E] coupable du délit de recel du produit de ces délits.
23. Les juges retiennent que les importantes sommes éludées sur la période de prévention ont seules permis l'acquisition de la maison de [Localité 2] et qu'il apparaît dans ces conditions justifié d'ordonner également la confiscation du bien immobilier composé d'un appartement de type T4 de 77,80 m2, de sa cave et d'un emplacement de parking, situé au [Adresse 1] sur la commune de [Localité 3].
24. Ils ajoutent que ce bien immobilier, qui appartient en pleine propriété pour moitié indivise aux deux prévenus, n'est pas la résidence familiale.
25. Ils concluent que cette confiscation apparaît justifiée dans le contexte précité, en proportion avec l'infraction et le produit que les prévenus en ont retiré.
26. En se déterminant ainsi, sans préciser l'origine du bien dont elle a ordonné la confiscation, ni le fondement de cette peine, et par conséquent en ne permettant pas d'apprécier l'étendue de l'exigence de motivation de la confiscation ordonnée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
27. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
28. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [X] du chef de blanchiment et aux peines prononcées à l'égard de M. [X] et de Mme [E]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 15 novembre 2023 n° 22-85.667
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 22-85.667 F-D
N° 01347
ECF 15 NOVEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 15 NOVEMBRE 2023
M. [D] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 15 septembre 2022, qui, pour escroquerie, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 25 000 euros d'amende, trois ans d'inéligibilité et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [D] [P], les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [D] [P], médecin cardiologue, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d'escroquerie pour avoir facturé des consultations ou des actes techniques à des dates erronées, afin de contourner la minoration prévue pour le deuxième acte pratiqué le même jour, ou les avoir surcotés en actes urgents permettant une majoration, dont ils ne relevaient pas.
3. Les juges du premier degré ont déclaré M. [P] coupable et l'ont condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis, 25 000 euros d'amende avec exclusion de la peine d'inéligibilité. Sur l'action civile, ils ont reçu la constitution de partie civile de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), ont déclaré M. [P] responsable du préjudice subi et l'ont condamné à lui payer la somme de 85 763,58 euros à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de procédure.
4. Le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] coupable d'escroquerie au préjudice d'un organisme de protection sociale pour l'obtention d'une allocation ou prestation indue, et l'a condamné pénalement et civilement, alors :
« 1°/ que, la loi pénale étant d'interprétation stricte, le délit d'escroquerie exige que soit établi que le prévenu, a soit fabriqué un faux, soit utilisé des manoeuvres frauduleuses, soit abusé d'une qualité vraie, pour déterminer la partie civile à consentir à son préjudice, à des actes, ou à des remises fonds auxquels elle n'aurait pas consenti sans ces manoeuvres frauduleuses ; que le faux n'est pas constitué par une fausse déclaration du prévenu en sa faveur qui ne représente que ses affirmations sujettes à vérification et discussion, mais uniquement, aux termes de l'article 441-1 du code pénal, par une « altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice... qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait qui a des conséquences juridiques » ; que n'est constitutif ni d'un faux, ni d'une manoeuvre frauduleuse, le fait pour un médecin de transmettre à une CPAM des actes médicaux postdatés pour éluder la règle du non cumul prévue par la classification des actes médicaux ou d'avoir appliqué un code de majoration d'urgence à certains actes ; ces transmissions ne comportant aucune mention ayant pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, l'organisme social disposant d'un pouvoir de vérification et de discussion de ces actes ; qu'en décidant le contraire, l'arrêt attaqué a méconnu les articles 111-4, 313-1, 441-1 du code pénal, 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour dire établi le délit d'escroquerie et en déclarer le prévenu coupable, l'arrêt attaqué énonce les trois règles de facturation sur lesquelles portent les anomalies établies par le contrôle administratif entrepris par la CPAM, qui a également relevé une suractivité très importante en comparaison avec la moyenne régionale, portant sur un chiffre d'affaires deux fois supérieur, une facturation d'actes techniques médicaux deux fois et demi supérieur, un nombre absolu de trois mille cent trente-six actes techniques médicaux contre mille quatre cent cinquante-quatre et un nombre de consultations de neuf cent quatre-vingt-dix-sept contre sept cent quarante-sept.
8. Les juges précisent que M. [P] a partiellement reconnu la matérialité des irrégularités de facturations, qui, au regard de leur nombre, ne peuvent ressortir d'une erreur de sa part, mais qu'il a, pour partie, imputées au logiciel de gestion et à sa secrétaire.
9. Les juges ajoutent que les témoignages des patients entendus par sondage dans le cadre du supplément d'information ordonné par le tribunal ont, en très grande majorité, confirmé la fausseté des dates et nature des prestations réalisées.
10. Ils en déduisent que l'utilisation simultanée par M. [P] de sa carte professionnelle et de la carte vitale des patients pour transmettre les facturations ainsi irrégulièrement établies caractérise les manoeuvres frauduleuses qui ont déterminé la CPAM à payer.
11. En l'état de ces énonciations et dès lors que la télétransmission à la CPAM a été rendue possible par le recours à la carte vitale de l'assuré social présentée par le patient, donnant force et crédit aux dates et nature d'actes irrégulièrement cotés ou facturés, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris ayant condamné civilement M. [P] à payer à la CPAM du Morbihan la somme de 85 763,5 euros à titre de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que si les juges du fond apprécient souverainement le montant des réparations alloué à la victime d'une infraction, les dommages et intérêts alloués à une partie civile ne peuvent excéder la réparation intégrale du préjudice qui lui a été causé ; que cette appréciation cesse d'être souveraine lorsqu'elle est déduite de motifs insuffisant, contradictoires ou erronés ; qu'en l'espèce, la CPAM reprochait au docteur [P] d'avoir éludé la règle de l'abattement de 50 % sur le second acte technique facturé lorsqu'il est réalisé le même jour que le premier acte technique et d'avoir fait application d'une majoration d'urgence pour d'autres actes pour percevoir des honoraires plus importants ; que le préjudice de la CPAM ne pouvait être supérieur à l'excès de rémunération ou de prestation indument versée par l'organisme social ; qu'en se contentant de retenir qu'il convenait de faire droit à l'intégralité de la demande de la CPAM au regard des pièces produites par elle aux débats, la Cour d'appel a méconnu le principe sus rappelé et les articles 1242 du code civil, 2, 3, 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le docteur [P] faisait valoir que « ... si par impossible la cour trouvait dans le dossier trace d'une ou de quelques infractions, seules ces infractions pourraient ouvrir droit à réparation d'un préjudice, et non la totalité des actes comme revendiqués par la CPAM, qui sur la base de 20 prétendues infractions non avérées, remettait en cause tous les actes réalisés sur 4 années ; pour le 3eme chef de poursuite, l'utilisation à tort du code « U » la constitution de partie civile n'est recevable que dans la limite des infractions relevées, soit 47 et non sur 691 revendiquées par la CPAM » ; qu'en s'abstenant de répondre à ce cette articulation essentielles de la défense, la Cour d'appel a privé méconnu l'article 593 du code procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Pour allouer à la CPAM du Morbihan, sur sa demande, la somme de 85 763,58 euros en réparation de son préjudice, la cour d'appel énonce s'être fondée sur l'analyse de l'activité du médecin comparée à la facturation appliquée à chacun des actes de la prévention, et s'être prononcée au regard des pièces produites aux débats par la partie civile, comportant une analyse de l'activité du prévenu et de sa facturation détaillée et faisant apparaître, pour chaque acte, son caractère dû ou indu.
15. Les juges ajoutent que M. [P] n'a produit aucun élément sérieux de nature à remettre en cause ce décompte.
16. En se déterminant ainsi et dès lors qu'il ressort de l'arrêt attaqué que les juges ont, dans la limite des demandes des parties, apprécié dans son intégralité le préjudice de la partie civile, la cour d'appel a justifié sa décision.
17. Le moyen qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, doit, en conséquence, être écarté.
18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
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