Crim. 5 mars 2024 n° 22-86.972 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 22-86.972 F-B
N° 00239
SL2 5 MARS 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 MARS 2024
M. [N] [M], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges, en date du 24 novembre 2022, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant refusé d'informer sur sa plainte du chef de mise en danger de la vie d'autrui et s'étant déclaré incompétent des chefs de dénonciation calomnieuse, arrestation et séquestration arbitraires.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [N] [M], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [N] [M], de nationalité iranienne, a porté plainte et s'est constitué partie civile des chefs susvisés devant le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Limoges en raison des faits suivants.
3. Arrivé en France en 2013 comme étudiant, il a bénéficié d'un titre de séjour jusqu'en 2016. A compter de l'année 2014, il a été suivi médicalement pour une sclérose en plaques.
4. En février 2016, le préfet de la Haute-Vienne a refusé le renouvellement de son titre de séjour d'étudiant et délivré à son encontre une obligation de quitter le territoire français. L'intéressé a alors sollicité un titre de séjour pour raison de santé, et sa demande a été suivie d'un avis favorable du médecin de l'agence régionale de santé.
5. Le 19 juillet 2016, M. [M] s'est rendu à l'université d'[Localité 1] pour s'inscrire, ce qui lui a été refusé faute de titre de séjour. Il a été interpellé par la police à la sortie des locaux universitaires.
6. Placé en rétention administrative sur décision du préfet de Vaucluse, il a été expulsé le 22 juillet suivant, sans pouvoir récupérer sa valise et son traitement médical, et nonobstant ses demandes et recours pendants qui, en référé puis au fond, ont abouti à l'annulation des décisions administratives, à son retour sur le territoire national et à l'octroi d'un titre de séjour.
7. Par ordonnance du 25 janvier 2022, le juge d'instruction a refusé d'informer sur les faits de mise en danger et s'est déclaré territorialement incompétent pour les faits survenus en [Localité 1].
8. M. [M] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Enoncé des moyens
9. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction disant n'y avoir lieu à informer concernant les faits de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, alors :
« 1°/ que la juridiction d'instruction, régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile, a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public et que cette obligation ne cesse, suivant les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 86, que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale ; qu'en statuant en l'espèce par des motifs dont il résulte qu'elle s'est prononcée sur le fond même de l'affaire, en s'appuyant sur des faits en contradiction avec les allégations de la plainte dont seule une information aurait pu éventuellement établir l'exactitude, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 85 et 86 du code de procédure pénale ;
2°/ que le juge d'instruction a l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte et des pièces y analysées ; que dans sa plainte avec constitution de partie civile déposée le 26 mars 2018, M. [M] dénonçait des faits qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui consistant notamment en une dissimulation par des fonctionnaires de l'administration préfectorale de la Haute-Vienne de sa demande de titre de séjour pour raison de santé dont ils avaient été saisis et de l'avis favorable du médecin de l'agence régionale de la santé qui leur avait été transmis constatant que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, en l'absence d'un traitement approprié existant en Iran, avant et afin d'entraîner l'exécution, par des fonctionnaires de l'administration préfectorale du Vaucluse, après son arrestation et sa rétention illégales, d'une décision d'expulsion vers l'Iran également illégale et insusceptible d'exécution dès lors qu'un recours était pendant, en l'empêchant en outre de récupérer sa valise et son traitement avant son renvoi en Iran ; qu'en relevant que « [l]e plaignant reproche spécialement ce délit à la Préfecture de la Haute-Vienne en ce qu'elle aurait notamment « escamoté » la demande de permis de séjour pour raison de santé M. [M] », puis en énonçant, pour refuser d'informer sur les faits dénoncés au titre du délit de mise en danger délibérée d'autrui par M. [M], qu'« [e]n l'espèce, il appartenait au préfet d'accorder ou de refuser le renouvellement du titre de séjour. Au vu des éléments dont il disposait, il a estimé que les problèmes de santé de [N] [M] ne justifiaient pas le renouvellement du titre de séjour existant ni la délivrance d'un permis de séjour vie privée et famille. [N] [M] était naturellement en droit de contester cette décision sur le plan juridique. Il l'a d'ailleurs fait et a finalement obtenu satisfaction» pour en conclure qu' « il n'y a là que l'exercice normal du pouvoir administratif et du contrôle dudit pouvoir par la juridiction administrative » et qu' « [e]n l'état, l'infraction suggérée par le plaignant n'est manifestement pas constituée, le comportement du préfet ne relevant pas du pénal » (arrêt, pp. 5-6) et en considérant « qu'en l'espèce, l'absence de prise en compte des problèmes de santé présentés par M _- [M] par l'autorité préfectorale ne saurait s'analyser en une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ; que les fail : dénoncés s'analysent en une contestation de décisions administratives et de leur mise en oeuvre ; que l'appréciation du caractère fondé et proportionné des mesures prises relève de la juridiction administrative tout comme l'action en responsabilité de l'état en cas de manquement avéré ou d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en - application de l'article 86 du code de procédure pénale les faits ne peuvent revêtir une qualification pénale, il n'y a dès lors pas lieu d'informer sur ces faits de ce chef » (ordonnance, p. 1), la chambre de l'instruction, qui ne s'est ainsi, ce faisant, pas prononcée sur les faits tels que dénoncés par M. [M] dans sa plainte avec constitution de partie civile, qu'elle avait pourtant elle-même rappelés, a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85 et 86 du code de procédure pénale ;
3°/ que le juge d'instruction a l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte et des pièces y analysées ; que dans sa plainte avec constitution de partie civile déposée le 26 mars 2018, M. [M] dénonçait des faits qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui consistant notamment en une dissimulation par des fonctionnaires de l'administration préfectorale de la Haute-Vienne de sa demande de titre de séjour pour raison de santé dont ils avaient été saisis et de l'avis favorable du médecin de l'agence régionale de la santé qui leur avait été transmis constatant que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, en l'absence d'un traitement approprié existant en Iran, avant et afin d'entraîner l'exécution, par des fonctionnaires de l'administration préfectorale du Vaucluse, après son arrestation et sa rétention illégales, d'une décision d'expulsion vers l'Iran également illégale et insusceptible d'exécution dès lors qu'un recours était pendant, en l'empêchant en outre de récupérer sa valise et son traitement avant son renvoi en Iran ; qu'en relevant que « [l]e plaignant reproche spécialement ce délit à la Préfecture de la Haute-Vienne en ce qu'elle aurait notamment « escamoté » la demande de permis de séjour pour raison de santé M. [M] », puis en se bornant à retenir, pour refuser d'informer sur les faits dénoncés au titre du délit de mise en danger délibérée d'autrui par M. [M], qu'« [e]n l'espèce, il appartenait au préfet d'accorder ou de refuser le renouvellement du titre de séjour. Au vu des éléments dont il disposait, il a estimé que les problèmes de santé de [N] [M] ne justifiaient pas le renouvellement du titre de séjour existant ni la délivrance d'un permis de séjour vie privée et famille. [N] [M] était naturellement en droit de contester cette décision sur le plan juridique. Il l'a d'ailleurs fait et a finalement obtenu satisfaction » pour en conclure qu'« il n'y a là que l'exercice normal du pouvoir administratif et du contrôle dudit pouvoir par la juridiction administrative » et qu'« [e]n l'état, l'infraction suggérée par le plaignant n'est manifestement pas constituée, le comportement du préfet ne relevant pas du pénal » (arrêt, pp. 5-6) et en considérant « qu'en l'espèce, l'absence de prise en compte des problèmes de santé présentés par M _- [M] par l'autorité préfectorale ne saurait s'analyser en une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ; que les fail : dénoncés s'analysent en une contestation de décisions administratives et de leur mise en oeuvre ; que l'appréciation du caractère fondé et proportionné des mesures prises relève de la juridiction administrative tout comme l'action en responsabilité de l'état en cas de manquement avéré ou d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en - application de l'article 86 du code de procédure pénale les faits ne peuvent revêtir une qualification pénale, il n'y a dès lors pas lieu d'informer sur ces faits de ce chef » (ordonnance, p. 1), la chambre de l'instruction, qui a refusé d'informer par des motifs qui ne permettent pas de justifier qu'il serait manifeste que les faits dénoncés n'auraient pas été commis, a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85 et 86 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en refusant d'informer sur les faits tels que dénoncés par M. [M], qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, sans rechercher s'ils n'étaient pas susceptibles, en l'état, de revêtir une autre qualification pénale que celle proposée par ce dernier, notamment celles d'atteintes à la liberté individuelle par des personnes exerçant une fonction publique, d'abus d'autorité ou de non-assistance à personne en péril, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 85 et 86 du code de procédure pénale ;
5°/ qu'en retenant « que si le requérant estime que le préfet a pris des mesures non fondées ou disproportionnées, qu'il a fait une erreur manifeste d'appréciation ou a manqué à ses devoirs, il peut exercer une action en responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative », la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à justifier un refus d'informer dès lors, d'une part, qu'ils se situent hors les cas prévus par la loi pour refuser d'informer et que, d'autre part, l'éventuelle possibilité d'exercer une action en responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative est sans incidence sur le droit d'une personne se prétendant lésée par un crime ou un délit commis par des personnes physiques de déposer une plainte avec constitution de partie civile et de voir informer sur celle-ci, a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85, 86 et 593 du code de procédure pénale ;
6°/ qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur au moment des faits dénoncés, ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français l'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; qu'aux termes de l'article L. 521-3 du même code, dans sa version en vigueur au moment des faits, il ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ; que ce texte impose aux agents de ne pas, par une absence de communication d'une information sur l'état de santé de la personne, contribuer à cet éloignement ; que ces textes peuvent caractériser une obligation particulière de prudence imposée par la loi, en présence d'un étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, si eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; que M. [M] invoquait dans son mémoire, au titre des faits qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, la violation de ces obligations tirées du ceseda ; qu'en énonçant que l'« [o]n cherche en vain l'obligation particulière de prudence ou de sécurité que le préfet ¿ ou son administration - aurait délibérément et manifestement violée » la chambre de l'instruction a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles préliminaire, 85 et 86 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 223-1 du code pénal et l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur du 18 juillet 2011 au 1er novembre 2016 ;
7°/ qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur au moment des faits dénoncés, ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français l'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; que ce texte peut caractériser une obligation particulière de prudence imposée par la loi, en présence d'un étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, si eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; que M. [M] invoquait dans son mémoire, au titre des faits qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, la violation de cette obligation tirée de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en se bornant à énoncer que l'« [o]n cherche en vain l'obligation particulière de prudence ou de sécurité que le préfet ¿ ou son administration - aurait délibérément et manifestement violée », sans davantage s'expliquer sur la question de savoir si l'article L. 5114 du ceseda ne posait pas une obligation particulière de prudence imposée par la loi, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles préliminaire, 85 et 86 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 223-1 du code pénal et l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur du 18 juillet 2011 au 1ernovembre 2016 ;
8°/ que l'obligation pour l'État de mener une enquête effective est une obligation inhérente à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en refusant d'informer sur les faits tels que dénoncés par M. [M] dans sa plainte avec constitution de partie civile, qui pouvaient constituer un traitement prohibé par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la chambre de l'instruction a méconnu ce texte. »
10. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction s'étant déclaré territorialement incompétent pour les faits de dénonciations calomnieuses et arrestation et séquestration arbitraires et illégales, alors :
« 1°/ que la compétence du juge d'instruction, à raison du lieu de commission d'un délit s'étend aux infractions connexes de toute nature commises en dehors de cette circonscription ; que sont déclarés nuls les arrêts de la chambre de l'instruction lorsqu'il a été omis ou refusé de répondre aux articulations essentielles des mémoires dont elle est saisie ; qu'en confirmant l'ordonnance du juge d'instruction s'étant déclaré territorialement incompétent pour les faits qualifiés par M. [M] de dénonciation calomnieuse et d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales, sans répondre à l'articulation essentielle du mémoire déposé par ce dernier, qui invoquait l'existence d'un lien de connexité, susceptible de justifier une prorogation de compétence entre les faits qualifiés de mise en danger délibérée de la vie d'autrui et ceux qualifiés de dénonciation calomnieuse et d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 52, 85, 86, 90, 203 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ en tout état de cause, que les juridictions d'instruction ont non seulement le pouvoir mais aussi le devoir de vérifier leur compétence qu'il s'agisse de la compétence territoriale, matérielle ou personnelle ; que la chambre de l'instruction ne peut, sans méconnaître l'obligation d'informer imposée aux juridictions d'instruction par les articles 85 et 86 du code de procédure pénale, déclarer territorialement incompétent un juge d'instruction saisi d'une plainte avec constitution de partie civile, tant que ce magistrat n'a pas effectué les investigations de nature à lui permettre de vérifier sa compétence ; que pour considérer qu'une partie des faits dénoncés par M. [M] ne sauraient être instruits par un juge d'instruction limougeaud « faute du moindre critère de compétence », la chambre de l'instruction a retenu, s'agissant des faits qualifiés de dénonciation calomnieuse, que « l'université d'[Localité 1] n'a aucun lien avec la préfecture de la Haute-Vienne » et, s'agissant des faits qualifiés d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales, « qu'a fortiori en est-il de même de son service de sécurité. Les polices municipales ou nationale de cette ville sont également indépendantes de la Préfecture de la Haute-Vienne » et a considéré que « par ailleurs, et quoi qu'il en dise, le plaignant ne démontre aucunement que le préfet du Vaucluse n'aurait fait qu'obéir aux ordres de la Préfecture de la Haute-Vienne » et qu'ainsi « [à] l'évidence, les deux Préfectures n'étaient pas dans la connivence ou la subordination » ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le seul examen abstrait de la plainte ne pouvait, en l'état, permettre d'affirmer l'absence de tout lien entre les différents acteurs mentionnés dans la plainte, lien que seules des investigations du magistrat instructeur aurait été à même de confirmer ou d'infirmer et ainsi, de lui permettre de vérifier sa compétence ; qu'en prononçant ainsi, sans avoir vérifié par une information préalable sa compétence territoriale, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 52, 85, 86, 90, 203 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ en tout état de cause, qu'une chambre de l'instruction ne saurait déclarer territorialement incompétent un juge d'instruction par des motifs dont il résulte qu'elle s'est prononcée sur le fond même de l'affaire, en s'appuyant sur des faits en contradiction avec les allégations de la plainte dont seule une information aurait pu éventuellement établir l'exactitude et en en faisant peser la charge de la preuve sur la seule partie civile, en ce que de tels motifs équivalent à un refus d'informer hors les cas prévus par la loi ; que pour considérer qu'une partie des faits dénoncés par M. [M] ne sauraient être instruits par un juge d'instruction limougeaud « faute du moindre critère de compétence », la chambre de l'instruction a retenu, s'agissant des faits qualifiés de dénonciation calomnieuse, que « l'université d'[Localité 1] n'a aucun lien avec la préfecture de la Haute-Vienne » et, s'agissant des faits qualifiés de séquestration et arrestation arbitraires et illégales, « qu'a fortiori en est-il de même de son service de sécurité. Les polices municipales ou nationale de cette ville sont également indépendantes de la Préfecture de la Haute-Vienne » et a considéré que « par ailleurs, et quoi qu'il en dise, le plaignant ne démontre aucunement que le préfet du Vaucluse n'aurait fait qu'obéir aux ordres de la Préfecture de la Haute-Vienne » et qu'ainsi « [à] l'évidence, les deux Préfectures n'étaient pas dans la connivence ou la subordination. Indépendantes l'une de l'autre elles appliquaient chacune les textes les concernant » ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs dont il résulte qu'elle s'est prononcée sur le fond même de l'affaire, en s'appuyant sur des faits en contradiction avec les allégations de la plainte dont seule une information aurait pu éventuellement établir l'exactitude et en en faisant peser la charge de la preuve sur la seule partie civile, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85 et 86 du code de procédure pénale ;
4°/ à tout le moins, que la juridiction d'instruction qui se déclare d'emblée incompétente territorialement, avant toute instruction sur les faits dénoncés par la partie civile, ne saurait se prononcer sur leur réalité ou sur la possibilité qu'ils relèvent d'une qualification pénale, faute de compétence pour le faire ; qu'en se déclarant territorialement incompétente tout en retenant en l'espèce, que l'« [o]n peut s'interroger sur la notion de dénonciation calomnieuse dès lors que : [N] [M] n'était effectivement pas en possession d'un titre de séjour » et que « tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un délit, est tenu d'en aviser sans délai le procureur de la République, en application de l'article 40 du code de procédure pénale » et s'agissant des faits qualifiés d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales que « ces qualifications pénales interrogent dès lors que : s'agissant de la remise à la police, tout citoyen peut interpeller une personne soupçonnée d'un délit et la remettre à la police, en application de l'article 73 du code de procédure pénale ; s'agissant du placement en rétention administrative, le préfet du Vaucluse a seulement fait usage de ses prérogatives, les recours légaux avant d'ailleurs été exercés et ayant abouti : « il n'existe pas de délit de voies de fait : [N] [M] n'a par ailleurs jamais soutenu avoir été victime de violences, que ce soit lors de son interpellation ou lors de son séjour au C.R.A », quand il ne lui appartenait pas, dès lors qu'elle s'était elle-même déclarée incompétente pour le faire, de se prononcer sur les faits dénoncés et la qualification pénale qu'ils seraient susceptibles ou insusceptibles d'admettre, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 52, 85, 86, 90, 203 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ en toute hypothèse, que le séjour irrégulier ne constitue pas un délit ; que la connaissance de la situation irrégulière d'une personne ne peut justifier un avis au procureur par un fonctionnaire en application de l'article 40 du code de procédure pénale et encore moins une arrestation par tout citoyen en application de l'article 73 du même code ; qu'en retenant en l'espèce que l'« [o]n peut s'interroger sur la notion de dénonciation calomnieuse dès lors que : [N] [M] n'était effectivement pas en possession d'un titre de séjour » et que « tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un délit, est tenu d'en aviser sans délai le procureur de la République, en application de l'article 40 du code de procédure pénale » et s'agissant des faits qualifiés d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales que « ces qualifications pénales interrogent dès lors que : s'agissant de la remise à la police, tout citoyen peut interpeller une personne soupçonnée d'un délit et la remettre à la police, en application de l'article 73 du code de procédure pénale », la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 40, 52, 73, 85, 86, 90, 203 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
12. Pour confirmer la décision du juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'il appartenait au préfet de se prononcer sur le droit au séjour du demandeur, qu'au vu des éléments dont il disposait, il a estimé que les raisons de santé avancées par celui-ci ne justifiaient ni le renouvellement du titre de séjour existant ni la délivrance d'un permis de séjour vie privée et familiale, que l'intéressé a, comme il en avait le droit, contesté cette décision et obtenu satisfaction et qu'il n'y a là que l'exercice normal du pouvoir administratif et du contrôle dudit pouvoir par la juridiction administrative.
13. Les juges ajoutent que l'on cherche en vain l'obligation particulière de prudence ou de sécurité que le préfet aurait délibérément violée, le comportement de celui-ci ne relevant pas de la matière pénale.
14. Ils estiment encore que les faits survenus en [Localité 1] ne sauraient être instruits par un juge d'instruction limougeaud faute du moindre critère de compétence.
15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.
16. L'existence d'une loi ou d'un règlement prévoyant une obligation particulière de prudence ou de sécurité est une condition préalable de l'infraction de mise en danger prévue à l'article 223-1 du code pénal. Cette obligation, qui s'apprécie de manière objective et abstraite, doit ainsi être immédiatement perceptible et clairement applicable, sans possibilité d'appréciation personnelle par la personne qui y est tenue.
17. Les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile invoquées à l'appui de la plainte accordent au préfet une marge d'appréciation de la situation de la personne malade étrangère qui s'en prévaut pour décider si les conditions de leur application sont ou non réunies. Elles ne sont donc pas susceptibles de constituer le fondement d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité d'application automatique telle que requise par l'article susvisé du code pénal.
18. En conséquence, le défaut d'une telle obligation constitue une cause affectant l'action publique elle-même, d'où il résulte que, sans qu'il y ait lieu à investigations complémentaires, les faits dénoncés sous la qualification de mise en danger de la vie d'autrui ne peuvent légalement comporter une poursuite.
19. Les faits décrits dans la plainte sous cette qualification ne peuvent admettre aucune autre qualification pénale.
20. Par ailleurs, les recours intentés par l'intéressé ayant abouti à l'annulation des décisions administratives, à son retour sur le territoire national et à l'octroi d'un titre de séjour, celui-ci ne saurait alléguer une violation, par les autorités françaises, de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
21. En cet état, aucune connexité susceptible d'entraîner la compétence territoriale du juge d'instruction de Limoges ne saurait résulter des faits dénoncés sous la qualification de mise en danger avec ceux, qualifiés de dénonciation calomnieuse, arrestation et séquestration arbitraires, survenus en [Localité 1].
22. Les moyens doivent, en conséquence, être écartés.
23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 5 mars 2024 n° 23-80.110 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 23-80.110 FS-B
N° 00139
GM 5 MARS 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 MARS 2024
Mme [V] [O] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 21 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [S] [L]-[Z] des chefs d'association de malfaiteurs terroriste et de provocation directe à un acte de terrorisme commise au moyen d'un service de communication au public en ligne, a prononcé sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.
Un mémoire et des observations comlémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [V] [O], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 23 mars 2022, une perquisition a été effectuée dans le cabinet de Mme [V] [O], avocate au barreau de Paris, au cours d'une information ouverte des chefs susvisés.
3. Lors de cette perquisition, l'intégralité des dossiers numériques et des données téléphoniques du cabinet a été saisie par les juges d'instruction.
4. Par ordonnance sur contestation de saisies en date du 15 décembre 2022, le juge des libertés et de la détention a ordonné le versement au dossier d'information de divers fichiers et le maintien de la saisie des scellés en rapport avec ces fichiers.
5. Mme [O] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'appel mal fondé et a ordonné le versement à la procédure du contenu des scellés et le maintien de la saisie des scellés en rapport avec ces fichiers, alors :
« 1°/ que lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ; qu'en écartant la nullité des saisies, sans relever qu'il aurait existé des raisons plausibles de soupçonner l'avocate d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe, le président de la chambre de l'instruction a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 56-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ; qu'en écartant la nullité des saisies, sans mieux s'expliquer, le cas échéant, sur les raisons plausibles qui existeraient de soupçonner l'avocate d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe, le président de la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 56-1 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en énonçant d'une part, qu'aucun élément ne permet de matérialiser l'existence d'une relation avocat-client entre l'exposante et M. [L] et qu'en conséquence les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat et d'autre part, que les documents saisis mentionnaient la qualité d'avocate de l'exposante et le recours à la formule de politesse consacrée dans le cadre d'un rapport avocat-client « votre bien dévoué », le président de la chambre de l'instruction s'est contredit et a ainsi violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en énonçant qu'aucun élément ne permet de matérialiser l'existence d'une relation avocat-client entre l'exposante et M. [L] et qu'en conséquence les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat, lors même qu'un mail du 5 octobre 2022 versé aux débats faisait état de la transmission d'un rapport « remis à la demande de l'un de mes clients, M. [S] [L] », le président de la chambre de l'instruction s'est contredit et a ainsi violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
8. Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce notamment qu'il ressort de plusieurs éléments de la procédure pour association de malfaiteurs terroriste criminelle ouverte à l'encontre de M. [S] [L]-[Z], et notamment d'investigations techniques, que la ligne téléphonique de Mme [O] apparaissait dans différents groupes Whatsapp avec des membres des forces de l'ordre compromis dans I'association de malfaiteurs et qu'elle était en particulier membre d'un groupe où était évoqué le plan « Azur », destiné à mener des actions violentes contre les institutions.
9. Le président de la chambre de l'instruction précise que, le 19 mai 2021, Mme [O] a indiqué dans un courriel à un membre des forces de l'ordre impliqué dans l'organisation qu'il pouvait compter sur elle pour faire « partie des civils impliqués », mentionnant la nécessité d'agir vite contre la dictature, ce qui démontre une adhésion, au moment des faits, aux projets de M. [L]-[Z], visant à renverser le gouvernement.
10. Il conclut que ces éléments sont des indices de la participation de Mme [O] aux faits dont sont saisis les magistrats instructeurs et visés dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la perquisition.
11. En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
12. En effet, il se déduit de ces énonciations qu'il existait, au moment de la perquisition, des raisons plausibles de soupçonner Mme [O] d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui faisait l'objet de la procédure ou une infraction connexe.
13. Dès lors, ces griefs doivent être écartés.
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
14. Selon le deuxième alinéa de l'article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce qu'aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé.
15. Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions n'ont pas pour objet de permettre la saisie de documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d'une sanction et relevant, à ce titre, des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Cons. Const., 19 janvier 2023, décision n° 2022-1030 QPC).
16. Par ailleurs, le secret professionnel de l'avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d'établir la participation éventuelle de celui-ci à une infraction pénale (Crim., 14 janvier 2003, pourvoi n° 02-87.062, Bull. crim. 2003, n° 6).
17. En adoptant les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article 56-1 du code de procédure pénale, le législateur n'a pas entendu remettre en cause cette jurisprudence.
18. En l'espèce, pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce qu'il importe de déterminer, scellés par scellés, si les pièces saisies en ce qu'il s'agirait de correspondances entre l'avocat et ses clients, utiles à la manifestation de la vérité, sont susceptibles d'établir la preuve de la participation de l'avocat à une infraction, objet de la saisine du juge d'instruction.
19. Pour écarter l'existence d'une relation avocat-client entre Mme [O] et M. [L]-[Z] et en conclure que les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat, le président de la chambre de l'instruction énonce qu'aucune lettre de constitution n'est rapportée, aucune convention d'honoraires n'est alléguée, de même qu'aucun acte, événement ou objet en relation avec l'exercice professionnel d'un avocat s'agissant de la défense ou du conseil n'est rapporté ni même allégué.
20. Il ajoute qu'il ressort des déclarations mêmes de Mme [O] qu'elle a utilisé plusieurs adresses électroniques à diverses fins, sans qu'il soit possible d'attribuer à telle adresse électronique un usage purement professionnel dans le cadre d'une relation de défense ou de conseil.
21. Il précise que la qualité d'avocat ou le recours à des formules de politesse en usage dans la profession d'avocat retrouvées dans certains échanges ne sont pas de nature à caractériser le fait que ces derniers s'inscrivaient dans une relation qui serait couverte par le secret professionnel.
22. Il énonce qu'il ressort en outre des déclarations faites lors du débat contradictoire par Mme [O] l'existence d'une confusion dans l'usage de son outil informatique à des fins professionnelles et personnelles de sorte qu'il n'est aucunement justifié que les échanges avec M. [L]-[Z] relèvent de la relation avocat-client.
23. Il relève encore que l'analyse d'un rapport parlementaire sur un projet de loi en cours de discussion ne saurait caractériser une relation avocat-client, quand bien même M. [L]-[Z] écrirait « maître » et Mme [O] répondrait « votre bien dévouée » s'agissant d'un style de circonstance dénué de lien avec une consultation dans le cadre d'une relation avocat-client, que si Mme [O] allègue avoir contribué à la réflexion autour de la création d'un parti politique, il n'est pas démontré que cette contribution était rattachée à son exercice professionnel d'avocat.
24. Il conclut enfin qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que les documents saisis sur lesquels une contestation demeurait devant le juge des libertés et de la détention s'inscrivaient dans une relation avocat-client identifiée et qu'il ne résulte pas non plus des arborescences de fichiers des éléments permettant de considérer que les documents appartenant à ces arborescences relevaient d'une relation avocat-client.
25. En prononçant ainsi, le président de la chambre de l'instruction, qui a, par une motivation dépourvue d'insuffisance comme de contradiction, exclu que les documents saisis relèvent de l'exercice des droits de la défense et soient couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, au sens de l'article 56-1 précité, et qui n'avait donc pas à rechercher si ces pièces étaient susceptibles de caractériser la participation de l'avocate aux faits objet de l'information, a justifié sa décision.
26. Dès lors, le moyen ne saurait être accueilli.
27. Par ailleurs, l'ordonnance est régulière en la forme.
Crim. 5 mars 2024 n° 23-87.225
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 23-87.225 F-D
N° 00392
RB5 5 MARS 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 MARS 2024
M. [H] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 4 octobre 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de tentative d'extorsion avec arme, arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraires, en bande organisée, et associations de malfaiteurs, en récidive, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [H] [R] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire le 26 février 2021.
3. Par arrêt en date du 29 mars 2023, la chambre de l'instruction l'a mis en accusation et l'a renvoyé devant la cour d'assises.
4. Cette décision a été notifiée le 7 juin 2023 à l'intéressé qui a formé un pourvoi le lendemain.
5. La procédure a été reçue à la Cour de cassation le 6 septembre 2023.
6. Le 27 septembre suivant, M. [R] a formé une demande de mise en liberté.
7. Par arrêt du 22 novembre 2023, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la chambre de l'instruction (Crim., 22 novembre 2023, pourvoi n° 23-85.205).
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen est pris de la violation de l'article 5, § 4, de la Convention européenne des droits de l'homme.
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de mise en liberté, alors qu'il ressort des éléments de la procédure que l'ordonnance de mise en accusation n'est toujours pas définitive dix mois après le recours formé, en raison de retards dans la notification de l'arrêt de la chambre de l'instruction et dans la transmission du dossier à la Cour de cassation, de sorte que la chambre de l'instruction n'a pu, sans se contredire, constater que l'obligation de statuer à bref délai sur ce recours a été respectée.
Réponse de la Cour
Vu les articles 5, § 4, de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale :
10. Selon le premier de ces textes, le droit à un recours effectif impose que le juge saisi d'un recours à l'encontre d'une mesure privative de liberté statue dans les plus brefs délais.
11. En vertu du second, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
12. Pour rejeter la demande de mise en liberté et écarter l'argumentation de la personne mise en examen selon laquelle l'obligation de statuer à bref délai sur son recours contre l'ordonnance de mise en accusation aurait été méconnue, l'arrêt attaqué énonce notamment que l'arrêt de mise en accusation a été rendu dans les quatre mois de l'appel conformément aux dispositions de l'article 186-2 du code de procédure pénale et a été notifié aux parties dans un délai de deux mois et huit jours.
13. Les juges précisent que le délai de notification des décisions de la chambre de l'instruction prévu à l'article 217 du code de procédure pénale n'est pas prescrit à peine de nullité et qu'aucun délai n'encadre la transmission de la procédure à la Cour de cassation en cas de pourvoi.
14. Ils en déduisent que le délai écoulé entre cet arrêt et sa notification, d'une part, puis entre le pourvoi et sa transmission à la Cour de cassation, d'autre part, ne confèrent pas à la détention provisoire un caractère déraisonnable au sens de l'article 5, § 4, de la Convention européenne des droits de l'homme eu égard à la nature criminelle des faits et aux recours exercés par le mis en examen.
15. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
16. D'une part, c'est à tort qu'elle a considéré qu'aucun délai n'encadre la transmission de la procédure à la Cour de cassation alors que, selon l'article 586 du code de procédure pénale, le greffier doit mettre en état le dossier dans un délai de vingt jours et le remettre au magistrat du ministère public, et qu'il résulte de l'article 587 du même code que ce magistrat doit adresser immédiatement ledit dossier au procureur général près la Cour de cassation, lequel doit impérativement le transmettre dès qu'il lui parvient au greffe de la chambre criminelle.
17. D'autre part, la chambre de l'instruction, qui s'est bornée à analyser le délai pour statuer sur l'ordonnance de mise en accusation au regard des dispositions de droit interne, n'a pas répondu suffisamment au moyen du demandeur qui exposait qu'il n'avait pas été statué, dans les plus brefs délais, au recours formé contre ladite ordonnance.
18. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 5 mars 2024 n° 22-81.806
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 22-81.806 F-D
N° 00238
SL2 5 MARS 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 MARS 2024
M. [J] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 9 février 2022, qui, pour infraction à la législation sur les stupéfiants, importation de marchandises prohibées, en récidive, et association de malfaiteurs, l'a condamné à dix-huit ans d'emprisonnement, a fixé la durée de la période de surêté aux deux tiers de celle de la peine, 1 000 000 euros d'amende et 2 974 400 euros d'amende douanière.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [J] [R], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction générale des douanes et des droits indirects et de la direction régionale des douanes et droits indirects d'Aquitaine, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, M. Croizier, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [J] [R] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs précités, par ordonnance du 17 juillet 2015, le juge d'instruction délivrant en outre un mandat d'arrêt à son encontre.
3. Il a été condamné par jugement par défaut du 22 septembre 2015.
4. Le 12 mai 2021, il a été arrêté à son arrivée en France en exécution dudit mandat d'arrêt, en provenance des Emirats arabes unis où il résidait sous une identité d'emprunt.
5. Aux termes du procès-verbal de notification du mandat d'arrêt du 12 mai 2021, M. [R] a déclaré « Ma remise à la France par les autorités judiciaires dubaïotes s'est faite avec mon accord ».
6. Par jugement du 9 septembre 2021, le tribunal correctionnel, statuant sur opposition de M. [R] au jugement précité, a rejeté l'ensemble des exceptions de nullités soulevées par le prévenu, prononcé une relaxe partielle, l'a déclaré coupable pour le surplus, et l'a condamné à une peine de seize ans d'emprisonnement, assortie d'une période de sûreté des deux tiers, au paiement d'une amende de 4 000 000 euros et d'une amende douanière de 2 974 400 euros.
7. M. [R] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le septième moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les « demandes de constat d'impossibilité des poursuites d'annulation de l'extradition, du sursis à statuer, de supplément d'information, de remise en liberté, d'annulation de la procédure », alors :
« 1°/ d'une part que constitue une extradition déguisée l'arrestation d'une personne intervenue en territoire étranger sur l'instigation et/ou avec le concours des autorités françaises en vue de son expulsion vers la France aux fins d'exercice de poursuites ou de mise à exécution d'un mandat d'arrêt ; qu'au cas d'espèce, devant la Cour d'appel, Monsieur [R] faisait valoir qu'il avait été interpellé à [Localité 2] sur la base d'une « notice rouge » diffusée par Interpol et qui n'avait pu être émise qu'à la suite de la délivrance par les autorités françaises d'un mandat d'arrêt, qu'à la suite de son interpellation, l'administration pénitentiaire française avait dépêché sur place cinq agents pour l'escorter vers la France, qu'à deux reprises, dans des correspondances officielles adressées au Procureur général près la Cour d'appel et au Directeur central de la Police aux frontières, le ministre français de la justice avait fait état à son propos « d'une demande d'extradition sur le fondement d'un mandat d'arrêt » ; qu'en se bornant, pour écarter toute extradition et retenir une « expulsion » de Monsieur [R] par les seules autorités émiraties, à relever que le départ de Monsieur [R] des Emirats Arabes Unis ne serait « pas imputable, directement ou indirectement, aux autorités françaises », sans mieux s'expliquer sur les circonstances susvisées, qui caractérisaient une intervention étroite desdites autorités dans la remise de Monsieur [R], la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 9, 14 et 16 de la convention d'extradition conclue le 2 mai 2007 entre la France et les Emirats Arabes Unis, 459, 463, 512, 696-8, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que devant la Chambre de l'instruction, Monsieur [R] sollicitait un supplément d'information pour que soit versé aux débats « tout élément de procédure rendant compte des conditions du départ de M. [R] de l'Etat des Emirats Arabes Unis », « toutes les pièces relatives à la procédure d'extradition et établissant sa régularité, notamment la notice rouge Interpol, les pièces d'incarcération à [Localité 2], la décision d'extradition, les pièces établissant que des agents du Service National des Transfèrements de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice se sont rendus à [Localité 2] pour assurer la livraison de [J] [R] vers la France, l'ordre de mission qui leur a été donné, le cadre juridique de leur intervention et l'accord des autorités de [Localité 2] le confiant à ces agents » ; que ces pièces, dont la défense ne pouvait disposer hors un tel supplément d'information, étaient indispensables pour déterminer précisément les conditions dans lesquelles Monsieur [R] a été appréhendé aux Emirats Arabes Unis et remis à la France et pour caractériser une extradition déguisée ; qu'en écartant l'existence d'une telle extradition pour affirmer que Monsieur [R] aurait fait l'objet d'une simple expulsion, sans répondre à la demande de supplément d'information ainsi présentée, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9, 14 et 16 de la convention d'extradition conclue le 2 mai 2007 entre la France et les Emirats Arabes Unis, 696-8, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ de troisième part que la circonstance que l'intéressé ait consenti à sa remise aux autorités françaises ne le prive pas de la possibilité de contester la régularité de la procédure d'extradition mise en oeuvre à son encontre ; qu'en affirmant, pour rejeter les moyens d'annulation de l'extradition et des poursuites, que Monsieur [R] avait « formellement consenti à son éloignement du territoire des Emirats Arabes Unis et à sa remise aux autorités étrangères », la Cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant en violation des articles 9, 14 et 16 de la convention d'extradition conclue le 2 mai 2007 entre la France et les Emirats Arabes Unis, 696-8, 696-36, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ qu'il en est d'autant plus ainsi que la Cour d'appel, qui ne constate pas que Monsieur [R] aurait consenti à son éloignement et à sa remise en toute connaissance des motifs y ayant présidé, ne pouvait déduire de ce consentement une renonciation à la possibilité de contester la procédure suivie à son encontre sans violer derechef les articles 9, 14 et 16 de la convention d'extradition conclue le 2 mai 2007 entre la France et les Emirats Arabes Unis, 696-8, 696-36, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ enfin que dans le cas où une personne extradée vers la France n'ayant pas renoncé au principe de spécialité fait valoir que le respect de ce principe ne peut être assuré dès lors que ne figure pas en procédure la décision d'extradition des autorités judiciaires requises, il appartient à la juridiction de jugement d'en demander le versement au dossier, puis de rechercher si le prévenu est cité des chefs d'infraction pour lesquels ces autorités avaient ordonné, au moins pour partie, son extradition ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [R] faisait valoir que faute de versement au dossier de la procédure de la décision d'extradition prise à son égard par les autorités émiraties, il était impossible de s'assurer que les poursuites exercées à son encontre portaient sur des chefs de prévention ayant justifié son extradition ; qu'en ne répondant pas au moyen ainsi tiré de la violation du principe de spécialité, quand il lui appartenait de s'assurer du respect de ce principe, et donc de demander, dès lors qu'une contestation était soulevée à ce propos, le versement à la procédure de la décision d'extradition, la cour d'appel a violé les articles 13 de la convention d'extradition franco-émiratie du 2 mai 2007, 695-18, 969-6, 696-40 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel M. [R] a fait l'objet d'une extradition déguisée, l'arrêt attaqué énonce en substance que l'existence d'une demande d'extradition de l'intéressé par les autorités françaises, sur le fondement du mandat d'arrêt du 17 juillet 2015, ne suffit pas à considérer que le prévenu a effectivement fait l'objet d'une telle procédure, alors qu'il n'en est rien.
11. Les juges relèvent, en effet, que M. [R], qui vivait à [Localité 2] sous l'identité de [N] [LF], a été expulsé par les autorités des Emirats arabes unis et arrêté, à son arrivée en France, en vertu dudit mandat.
12. Ils retiennent que les modalités de retour sur le territoire français de l'intéressé, remis à la justice française par les autorités des Emirats arabes unis, dès lors qu'elles ne sont pas imputables, directement ou indirectement, aux autorités françaises, sont sans incidence sur l'exercice de l'action publique et sur l'application de la loi pénale, qui ne sont pas subordonnés à une arrivée volontaire sur le sol national ou à la mise en oeuvre d'une procédure d'extradition, de sorte que le prévenu n'est pas en situation de critiquer devant les juridictions françaises la régularité des actes accomplis à l'étranger par les autorités étrangères dans l'exercice de leur souveraineté.
13. Ils observent, en outre, que M. [R] a formellement consenti à son éloignement du territoire des Emirats arabes unis et à sa remise aux autorités françaises.
14. Il en déduisent, enfin, que, dans ces conditions, le supplément d'information doit être rejeté.
15. En l'état de ces énonciations, et dès lors que l'existence d'une demande d'extradition, faite en vertu d'un mandat d'arrêt diffusé via les services d'Interpol, ainsi que la présence d'une escorte de fonctionnaires de l'administration pénitentiaire lors du retour de l'intéressé en France ne suffisent pas à imputer, directement ou indirectement, aux autorités françaises les modalités dudit retour, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre le demandeur dans le détail de son argumentation, a justifié sa décision.
16. En conséquence, le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche et dont les troisième, quatrième et cinquième branches sont inopérantes, en l'absence de procédure d'extradition, doit être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité d'actes de la procédure présentées par M. [R], alors :
« 1°/ d'une part que par mémoire distinct, l'exposant sollicite le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité contestant la conformité au droit à un recours effectif et aux droits de la défense, garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des dispositions combinées des articles 179 et 385, alinéa 1, du Code de procédure pénale, en ce qu'ils prévoient que l'ordonnance de renvoi devenue définitive couvre les vices de la procédure, sans prévoir d'exceptions à ce principe de purge des nullités, notamment dans le cas où la personne poursuivie n'a pas été régulièrement mise en examen et n'a pas pu exercer les droits attachés à la qualité de partie à la procédure ; que l'abrogation de ces dispositions qui interviendra sur la question prioritaire de constitutionnalité privera l'arrêt attaqué de base légale et entraînera sa cassation ;
2°/ d'autre part que l'état de fuite n'est caractérisé que s'il est établi que la personne concernée par une procédure pénale savait que des poursuites, dont elle connaissait la nature et la cause, étaient engagées à son encontre ; que cet état de fuite ne peut se déduire que d'une information donnée officiellement par les autorités judiciaires à l'intéressé de ce qu'il faisait l'objet de poursuites ; que la simple présence du requérant à l'étranger ne suffit pas pour considérer que celui-ci avait connaissance des poursuites ou du procès dont il faisait l'objet ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [R] faisait valoir qu'il n'avait jamais été en fuite, faute de savoir qu'il était recherché ; qu'en retenant, pour dire Monsieur [R] en fuite et le juger par conséquent irrecevable à se prévaloir des éventuelles nullité de la procédure, qu'il était établi que celui-ci ne résidait pas en France, la Cour d'appel, qui n'a constaté ni que Monsieur [R] se savait recherché ni qu'il s'était volontairement soustrait à la procédure, a statué par des motifs impropres à caractériser sa situation de fuite et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 131,175, 179, 385, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ de troisième part que l'état de fuite n'est caractérisé que s'il est établi que la personne concernée par une procédure pénale savait que des poursuites, dont elle connaissait la nature et la cause, étaient engagées à son encontre ; que cet état de fuite ne peut se déduire que d'une information donnée officiellement par les autorités judiciaires à l'intéressé de ce qu'il faisait l'objet de poursuites ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [R] faisait valoir qu'il n'avait jamais été en fuite, faute de savoir qu'il était recherché ; qu'en retenant, pour dire Monsieur [R] en fuite et le juger irrecevable à se prévaloir des éventuelles nullité de la procédure, que « [J] [R] est sorti de détention en 2008, après avoir purgé des peines d'emprisonnement pour des trafics de produits stupéfiants, exécutées notamment avec le nommé [P] [D], marié à [A] [T], la s?ur de [S] [T], en concubinage avec [J] [R], et a quitté la France presque aussitôt : les deux hommes seront ensuite, et dès le début de l'année 2011, en liens téléphoniques fréquents à propos du présent trafic, ce qui n'est évidemment pas sans incidence sur les informations données à [R] par [D] sur les recherches et les poursuites engagées contre lui et sur la connaissance par ce dernier de ces recherches et de ces poursuites », sans s'assurer ni d'une part que Monsieur [R] ait bien été informé par les autorités judiciaires françaises de l'existence et des motifs de poursuites exercées à son encontre, ni d'autre part que Monsieur [D] avait effectivement informé Monsieur [R] de la nature des faits pour lesquels il était poursuivi, ce qui n'était d'ailleurs pas possible puisque Monsieur [D] n'avait jamais été mis en examen ni même entendu dans la présente procédure, la Cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser sa situation de fuite et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 175, 179, 385, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ de quatrième part que l'état de fuite ne peut être retenu que si ont été vainement accomplies des diligences suffisantes pour localiser l'intéressé ; que lorsque celui-ci dispose d'une ou plusieurs adresses connues sur le territoire français, la fuite ne saurait être caractérisée sans que le juge d'instruction ou les enquêteurs se soient assurés qu'il avait effectivement et définitivement quitté lesdites adresses ; qu'en se bornant, pour dire Monsieur [R] en état de fuite au moment de la délivrance à son encontre du mandat d'arrêt du 17 juillet 2015, à relever que celui-ci aurait habité à l'étranger pendant l'instruction et qu'il aurait été en contact avec des tiers impliqués dans un trafic de stupéfiants, quand il résulte de la procédure que Monsieur [R] n'a jamais été recherché ni convoqué aux adresses pourtant connues du juge d'instruction et des enquêteurs, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 175, 179, 385, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
5°/ de cinquième part que pour faire obstacle aux dispositions de l'article 385 du Code de procédure pénale qui permettent à la personne n'ayant pas été notifiée de la clôture de l'instruction, de soulever l'irrégularité des actes antérieurs à l'ordonnance de clôture, l'état de fuite doit être caractérisé au stade de l'instruction ; qu'en retenant, pour caractériser la fuite de Monsieur [R], que Monsieur [R] aurait, à l'audience, « admis, qu'après avoir appris sa condamnation en [septembre] 2015, il avait « pris peur », « s'était posé dans une maison en région parisienne », sans vouloir donner le nom du propriétaire, « avait patienté là » quelque temps, sans sortir, et « avait récupéré le passeport de son cousin lui ressemblant pour fuir » », quand ces éléments, postérieurs à la condamnation par défaut de Monsieur [R], étaient par nature impropres à établir l'état de fuite de Monsieur [R] au stade de l'instruction, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 175, 179, 385, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
6°/ enfin et en tout état de cause qu'au cas d'espèce, les avocats de Monsieur [R] faisaient valoir devant la Cour d'appel (conclusions « à fin de constat d'inexistence (à titre principal) et d'absence de valeur probante (à titre subsidiaire) d'une prétendue « note d'information de l'officier de liaison à [Localité 1] rédigée le 20 décembre 2013 »), que cette note était dépourvue d'existence juridique, faute d'avoir été signée par son auteur ; qu'en prenant en compte cette note pour dire Monsieur [R] en fuite, sans répondre au moyen opérant tiré de l'inexistence de cet acte, la Cour d'appel, a violé les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
18. Par arrêt du 13 septembre 2022, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité.
19. Il s'ensuit que le grief est devenu sans objet.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
20. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel l'état de fuite de M. [R] n'était pas caractérisé à la date de la délivrance du mandat d'arrêt, le 17 juillet 2015, l'arrêt attaqué énonce notamment que, d'une part, celui-ci est sorti de détention en 2008, après avoir purgé des peines d'emprisonnement pour des faits de trafic de stupéfiants, exécutées avec un proche, M. [P] [D], et a quitté la France presque aussitôt, d'autre part, les deux hommes ont été, dès le début de l'année 2011, en liens téléphoniques fréquents à propos du présent trafic, ce qui n'est évidemment pas sans incidence sur les informations données par M. [D] à M. [R] sur les recherches et les poursuites engagées contre lui et sur la connaissance que ce dernier en avait.
21. Les juges observent, à cet égard, que l'arrêt de condamnation de M. [R], le 14 octobre 2009, dans une autre procédure, a été signifié à parquet le 31 mars 2010, ce qui confirme que M. [R] n'était déjà plus en France à cette date.
22. Ils relèvent, par ailleurs, qu'une note du 19 avril 2011, transmise par la police au juge d'instruction, faisait état, à partir d'écoutes téléphoniques, de « la fuite de [J] [R] », alors domicilié au Maroc et en Algérie, à la suite d'une dénonciation de l'intéressé aux autorités marocaines pour un enlèvement et une séquestration, et concluait que « la ligne interceptée permettait de confirmer que M. [R] malgré son exil provisoire en Algérie, orchestrait un trafic d'ampleur internationale ».
23. Ils ajoutent qu'en considération de ces éléments, le juge d'instruction a, le 14 août 2012, délivré un mandat d'arrêt contre l'intéressé dans lequel il a indiqué que ce dernier résidait désormais [Adresse 3] à [Localité 4], puis une commission rogatoire internationale aux autorités marocaines aux fins de l'interpeller.
24. Ils observent, à cet égard, qu'une note de l'officier de liaison français à [Localité 1], datée du 20 décembre 2013 et transmise à la juridiction de jugement le 15 juin 2021, a confirmé l'appréciation du juge d'instruction.
25. Ils retiennent, encore, que ce magistrat, après avoir cherché, en 2013 et 2014, à localiser et interpeller M. [R], ce qui résulte notamment des interrogatoires d'autres personnes mises en examen, aux termes desquels ceux-ci, et particulièrement M. [V] [Z], ont tenté de protéger M. [R] qu'ils savaient en fuite, a délivré contre ce dernier un mandat d'arrêt, le 17 juillet 2015, confirmant sa dernière adresse connue à [Localité 4].
26. Ils en concluent qu'à cette date, M. [R] était en fuite à l'étranger et, informé des poursuites à son encontre, a décidé de s'y soustraire.
27. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
28. En premier lieu, la caractérisation de l'état de fuite n'exige pas que les autorités judiciaires aient officiellement informé l'intéressé de ce qu'il faisait l'objet de poursuites, une telle fuite faisant nécessairement obstacle à cette information.
29. En second lieu, les renseignements transmis par un officier de liaison en poste à l'étranger ne constituent pas des actes de police judiciaire mais sont seulement destinés à guider d'éventuelles investigations de la police judiciaire, peu important dès lors que la note critiquée ne soit pas signée.
30. Il s'ensuit que le moyen est infondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
31. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de M. [R] tendant à l'annulation de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, alors :
« 1°/ d'une part que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entraînera nécessairement celle du chef de dispositif par lequel la Cour d'appel a rejeté la demande de Monsieur [R] tendant à l'annulation de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, l'état de fuite n'étant pas caractérisé de sorte que le juge d'instruction ne pouvait mettre en examen Monsieur [R] en application des articles 131, 134 et 176 du code de procédure pénale et ne pouvant dès lors pas davantage le renvoyer devant le tribunal correctionnel ;
2°/ d'autre part que la personne visée par un mandat d'arrêt ne peut être regardée comme mise en examen par l'application de l'article 176 du Code de procédure pénale, en application de l'article 134 du même Code, que si elle n'a pu être saisie ; qu'à cet égard, l'établissement d'un procès-verbal de perquisition et de recherches infructueuses constitue une formalité substantielle à laquelle est subordonnée la validité de la mise en examen et par conséquent de l'ordonnance de renvoi, peu important que l'intéressé ait fait l'objet d'un mandat d'arrêt en application de l'article 131 du même Code ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [R] faisait valoir que n'ayant pas fait l'objet d'un procès-verbal de perquisition et de recherches infructueuses, il n'avait pas été valablement mis en examen ni par conséquent renvoyé devant le Tribunal correctionnel ; qu'en retenant, pour écarter ce moyen, qu' « un procès-verbal de perquisition et de recherches infructueuses n'était pas nécessaire » dès lors que Monsieur [R] avait été en fuite au cours de l'instruction et fait l'objet d'un mandat d'arrêt, quand une telle circonstance n'était pas de nature à dispenser le juge d'instruction de faire rechercher Monsieur [R] à son dernier domicile connu et de faire établir le cas échéant un procès-verbal de recherches infructueuses, condition indispensable à sa mise en examen puis à son renvoi, la Cour d'appel a violé les articles 134, 176, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ de troisième part que l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel doit préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen ; qu'au cas d'espèce, les avocats de l'exposant faisaient valoir que le juge d'instruction avait, dans son ordonnance de renvoi, omis d'énoncer les éléments à décharge concernant Monsieur [R], notamment son absence auprès des différents protagonistes du dossier, malgré de nombreuses surveillances, son absence de mise en cause par les différentes personnes entendues au cours de la procédure, et en particulier Messieurs [D] et [G], pourtant supposément proches de Monsieur [R], l'absence de corrélations entre les déplacements constatés à partir des lignes attribuées à Monsieur [R] et ses entrées et sorties du territoire marocain, l'absence de valeur probante de l'identification, par un seul enquêteur et sur la seule base de la mémoire auditive de celui-ci, de la voix de Monsieur [R] sur les écoutes téléphoniques, l'absence des proches de Monsieur [R] sur ces écoutes, l'absence d'élément patrimonial ou de train de vie de nature à caractériser son rôle supposé dans le trafic de stupéfiants ou encore l'absence de découverte de ses empreintes, génétiques ou papillaires, sur quelque objet litigieux que ce soit ; qu'en retenant, pour dire que l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction a renvoyé Monsieur [R] devant le tribunal correctionnel contenait bien des éléments à décharge le concernant, que « cette ordonnance contient également des éléments conduisant à un non-lieu partiel ainsi qu'à une requalification correctionnelle » et que « l'ordonnance du juge d'instruction n'évoque l'implication de [J] [R] dans ce trafic de produits stupéfiants qu'en quelques pages, sur un total de 153 pages », quand ces éléments sont impropres à constituer les « éléments à décharge » qui devaient figurer dans la motivation de l'ordonnance de renvoi, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 81, 184, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ de quatrième part que l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel doit préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen ; qu'au cas d'espèce, les avocats de l'exposant faisaient valoir que le juge d'instruction avait, dans son ordonnance de renvoi, omis d'énoncer les éléments à décharge concernant Monsieur [R], notamment son absence auprès des différents protagonistes du dossier, malgré de nombreuses surveillances, son absence de mise en cause par les différentes personnes entendues au cours de la procédure, et en particulier Messieurs [D] et [G], pourtant supposément proches de Monsieur [R], l'absence de corrélations entre les déplacements constatés à partir des lignes attribuées à Monsieur [R] et ses entrées et sorties du territoire marocain, l'absence de valeur probante de l'identification, par un seul enquêteur et sur la seule base de la mémoire auditive de celui-ci, de la voix de Monsieur [R] sur les écoutes téléphoniques, l'absence des proches de Monsieur [R] sur ces écoutes, l'absence d'élément patrimonial ou de train de vie de nature à caractériser son rôle supposé dans le trafic de stupéfiants ou encore l'absence de découverte de ses empreintes, génétiques ou papillaires, sur quelque objet litigieux que ce soit ; qu'en retenant, pour dire que l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction a renvoyé Monsieur [R] devant le tribunal correctionnel contenait bien des éléments à décharge le concernant, que « le juge d'instruction indique en page 36, sur un mode qui n'est guère affirmatif, que « [J] [R] et [V] [Z] semblent impliqués dans un traffic de produits stupéfiants de longue date », en page 37 que « les écoutes téléphoniques ont établi qu'en cas de défaillance de [J] [R], [V] [Z] disposait d'autres fournisseurs de cannabis, notamment en Espagne », en page 78 que « entre le 22 mars 2011 et le 1er mars 2012, les écoutes téléphoniques et les saisies ont permis de matérialiser 30 convois ayant vocation à importer des produits stupéfiants, à transporter des produits stupéfiants ou de l'argent », sachant que [J] [R] ne sera renvoyé que pour neuf convois, que plusieurs protagonistes de cette affaire ont déclaré ne connaître personne, et donc ne pas connaître [J] [R], que ce soit [M] [X] et [DE] [K] en pages 103 et 104, [E] [F] en page 110, [B] [O] en page 111, [U] [H] en page 112, [C] [Y] en page 116, [L] [W] en page 117, [B] [I] en page 118, qui a précisé en plus que les faits qui lui étaient imputables « n'avaient aucun rapport avec le trafic de produits stupéfiants imputé à [J] [R] », [V] [Z] en pages 121 et 122, à propos duquel le juge d'instruction a noté qu'il apparaissait incontestablement comme la tête d'un réseau de trafic de produits stupéfiants « travaillant principalement avec [J] [R] » », quand ces seuls éléments sont insuffisants à constituer les « éléments à décharge » qui devaient figurer dans la motivation de l'ordonnance de renvoi, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 81, 184, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
32. Le rejet du deuxième moyen rend ce grief sans objet.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
33. Pour écarter le moyen de nullité de l'ordonnance de renvoi de M. [R] devant le tribunal correctionnel en l'absence de l'établissement d'un procès-verbal de recherches infructueuses, l'intéressé n'ayant pu être saisi en vertu du mandat d'arrêt délivré le 17 juillet 2015, l'arrêt attaqué retient qu'au moment de la délivrance par le juge d'instruction dudit mandat, l'intéressé était en fuite hors du territoire national et, ayant connaissance des poursuites engagées contre lui, avait décidé de s'y soustraire, de sorte qu'un procès-verbal de perquisition et de recherches infructueuses n'était dès lors pas nécessaire à son renvoi devant le tribunal correctionnel.
34. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
35. En effet, le mandat d'arrêt n'était pas soumis aux formalités de perquisition prévues par l'article 134 du code de procédure pénale dès lors que la personne concernée se trouvait hors de France.
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
36. Pour écarter le moyen de nullité de l'ordonnance de renvoi de M. [R] devant le tribunal correctionnel en l'absence d'énonciation des éléments à décharge le concernant, l'arrêt attaqué retient que ladite ordonnance n'évoque l'implication possible de M. [R] que pour une partie des faits dont le juge d'instruction est saisi.
37. Les juges constatent que si les écoutes téléphoniques et les saisies ont mis en évidence trente convois d'importation de produits stupéfiants, l'ordonnance de renvoi retient que M. [R] n'est concerné que par neuf d'entre eux, plusieurs personnes mises en cause ayant affirmé ne pas connaître l'intéressé.
38. En prononçant ainsi, et dès lors que satisfait à l'exigence de motivation prévue à l'article 184 du code de procédure pénale l'ordonnance dont les juges ont constaté, comme en l'espèce, sans insuffisance ni contradiction, qu'elle énonce les éléments à charge et à décharge concernant le demandeur, en l'absence d'observations, la cour d'appel a justifié sa décision.
39. Ainsi, le moyen ne saurait être accueilli.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
40. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable d'importation de produits stupéfiants à destination de la France, d'offre ou de cession de produits stupéfiants, en état de récidive légale, de participation à une association de malfaiteurs, et d'importation, de détention ou de transport sans déclaration préalable, et en violation des dispositions légales ou réglementaires, de marchandises prohibées, en état de récidive légale, et l'a condamné à une peine de dix-huit ans d'emprisonnement, assortie d'une période de sûreté des deux tiers, à une amende d'un million d'euros et à une amende douanière de 2 974 400 euros, alors « que les droits de la défense et le principe du contradictoire interdisent aux juges du fond d'entrer en voie de condamnation à l'encontre d'un prévenu en s'appuyant exclusivement ou de manière déterminante sur des éléments de preuve qui n'ont pu être débattus ; qu'au cas d'espèce, les avocats de Monsieur [R] faisaient valoir que les poursuites dirigées contre ce dernier reposaient exclusivement d'une part sur un rapprochement entre une voix enregistrée sur certaines interceptions de 2011 et la voix de Monsieur [R] enregistrée quatre ans plus tôt dans une autre enquête et d'autre part sur l'emploi par une autre personne entendue en 2011, de termes interprétés comme mettant en cause Monsieur [R] ; qu'ils indiquaient que les enregistrements de 2011 avaient été placés sous scellé mais détruits le 25 novembre 2019 dans le cadre d'un plan d'apurement des scellés ordonné par le procureur de la République de Bordeaux, cette destruction rendant impossible la vérification de l'existence même des conversations de 2011 retenues à charge contre Monsieur [R], et le contrôle, le cas échant, de leur contenu et de la voix et de l'expression orale du locuteur désigné comme étant Monsieur [R] ; qu'en entrant cependant en voie de condamnation à l'encontre de Monsieur [R], quand cette condamnation reposait exclusivement sur des éléments de preuve qui n'avaient pu être débattus par l'exposant en raison de la destruction, ordonnée le 25 novembre 2019 par le ministère public, des scellés le supportant, la Cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
41. Pour déclarer M. [R] coupable des chefs d'importation de stupéfiants, association de malfaiteurs, offre ou cession de stupéfiants, importation, détention ou transport sans déclaration préalable de marchandises prohibées, en état de récidive, l'arrêt attaqué retient, en substance, notamment, qu'aux termes de deux procès-verbaux de 2011, un enquêteur a identifié la voix et l'expression orale de M. [R] sur des écoutes téléphoniques menées dans la présente affaire, ledit enquêteur ayant, en 2007, et pendant de nombreux mois, procédé à des écoutes concernant l'intéressé, ordonnées par un autre juge d'instruction.
42. Les juges ajoutent que cette identification est corroborée par des éléments provenant du contenu même des écoutes, qu'il s'agisse de l'évocation par l'un de ses interlocuteurs, M. [P] [D], d'une jeune femme prénommée [S], alors que la petite amie de M. [R] à cette époque s'appelait [S] [T], ou qu'il s'agisse de l'utilisation, par son autre interlocuteur, M. [Z], du prénom [J] ou du surnom « [J] ».
43. Ils relèvent également que les coprévenus de M. [R], jugés en 2015, n'ont pas remis en cause lesdites écoutes téléphoniques, bien que l'un d'eux, M. [Z], ait tenté de disculper l'intéressé, en prétendant ne pas le connaître et en affirmant être, lui-même, tout à la fois un maillon du trafic et son organisateur, affirmation en totale contradiction avec l'ensemble du dossier, démontrant l'emprise de M. [R] sur ses coauteurs ou complices.
44. Ils observent, par ailleurs, que de nombreuses indications ont été fournies par la personne, identifiée comme [J] [R], dans plusieurs autres conversations de 2011 allant toutes dans le sens de cette identification, en raison de l'utilisation de surnoms, patronymes ou de l'évocation de situations le liant à ses interlocuteurs.
45. Ils en concluent que M. [R] est bien celui qui s'exprime dans les conversations enregistrées rendant ainsi inutile la demande d'ouverture des scellés aux fins d'expertise de la voix de l'intéressé.
46. En l'état de ces énonciations, d'où il résulte que tant l'identification de M. [R] dans les interceptions téléphoniques qui lui sont attribuées que le contenu même de ces interceptions téléphoniques sont corroborés par les déclarations de ses coprévenus jugés en 2015 qui ne les ont pas contestés, de sorte que la condamnation de M. [R] ne repose pas exclusivement sur la seule retranscription desdites interceptions, la cour d'appel a, sans insuffisance, justifié sa décision.
47. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
48. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes de supplément d'information présentées par M. [R], alors « que devant les juges du fond, Monsieur [R] sollicitait un supplément d'information afin que soit versés au dossier, d'une part le listing de ses entrées et sorties du territoire algérien pour les années 2010, 2011 et 2012, d'autre part une copie des actes d'investigations financières réalisées dans le cadre de l'information judiciaire diligentée par la JIRS de Marseille (Parquet n° 11000000003), dans laquelle son implication aurait été constatée et enfin l'intégralité des pièces de la procédure 2007/SD/10921, visée à la cote D. 255 de la présente procédure, et qui fondait l'identification de sa voix par un enquêteur de la sûreté départementale de [Localité 5] ; qu'en retenant, pour rejeter en bloc ces demandes, que « [J] [R] est bien celui qui s'exprime sur toutes les écoutes téléphoniques qui lui sont attribuées : il n'est nécessaire ni de procéder à l'ouverture des scellés contenant ces écoutes téléphoniques, dont [R] a affirmé qu'elles ne le concernaient pas et dont les témoins cités par la défense ont affirmé qu'une expertise vocale serait à la fois inutile et inefficace, et il n'est pas davantage nécessaire de procéder à ce titre à un supplément d'information », quand cette motivation ne portait ni sur le listing des entrées et sorties du territoire algérien de Monsieur [R] pour les années 2010, 2011 et 2012, ni sur la copie des actes d'investigations financières réalisées dans le cadre de l'information judiciaire diligentée par la JIRS de Marseille (Parquet n° 11000000003), dans laquelle l'implication de Monsieur [R] aurait été constatée, ni enfin sur l'intégralité des pièces de la procédure 2007/SD/10921, visée à la cote D. 255 de la présente procédure, et qui fondait l'identification de la voix de Monsieur [R] par un enquêteur de la sûreté départementale de [Localité 5], la Cour d'appel, qui n'a pas répondu aux chefs péremptoires des conclusions de Monsieur [R], n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 459, 463, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
49. Pour rejeter la demande de supplément d'information présentée par M. [R], l'arrêt retient en substance, après avoir énoncé que la culpabilité du prévenu résulte de son identification au moyen des écoutes téléphoniques l'impliquant dans un trafic de produits stupéfiants structuré, dirigé par lui depuis le Maroc et l'Algérie entre janvier et août 2011, qu'il n'est pas nécessaire d'y procéder.
50. En l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a, par des motifs suffisants, justifié sa décision.
Mais sur le sixième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
51. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable d'importation de produits stupéfiants à destination de la France, d'offre ou de cession de produits stupéfiants, en état de récidive légale, de participation à une association de malfaiteurs, et d'importation, de détention ou de transport sans déclaration préalable, et en violation des dispositions légales ou réglementaires, de marchandises prohibées, en état de récidive légale, l'a condamné à une peine de dix-huit ans d'emprisonnement, assortie d'une période de sûreté des deux tiers de la peine, ainsi qu'à une peine d'amende d'un million d'euros et une amende douanière de 2 974 400 euros et a ordonné le maintien en détention de Monsieur [R], alors :
« 1°/ d'une part que la période de sûreté doit faire l'objet d'une décision spéciale et motivée lorsqu'elle est facultative ou excède la durée prévue de plein droit ; qu'en retenant, pour assortir la peine d'emprisonnement de Monsieur [R] d'une période de sûreté des deux tiers, excédant ainsi la période de plein droit de la moitié de la peine, que « l'exceptionnelle gravité des faits qui lui sont reprochés et les profits considérables qui en sont résultés, tel que cela résulte clairement des écoutes téléphoniques détaillées précédemment, justifient pleinement le prononcé d'une peine de 18 ans d'emprisonnement, assortie, conformément aux dispositions des articles 132-23 et 222-36 du code pénal, par décision spéciale, d'une période de sûreté des deux tiers de la peine [?] », quand ces motifs, qui justifient également la durée de la peine prononcée, sont insuffisant à constituer une « décision spéciale et motivée » justifiant spécifiquement le prononcé d'une période de sûreté d'une durée excédant la durée de plein droit, la Cour d'appel n'a pas légalement justifier sa décision au regard des articles 132-1, 132-19 et 132-23 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-23 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
52. Selon le premier de ces textes, lorsque la juridiction de jugement décide de porter la période de sûreté au-delà de celle qui est prévue de plein droit, elle doit le faire par décision spéciale et motivée.
53. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
54. Pour fixer la durée de la période de sûreté aux deux tiers de celle de la peine d'emprisonnement prononcée à l'égard de M. [R], l'arrêt retient que ladite peine sera assortie, conformément aux dispositions des articles 132-23 et 222-36 du code pénal, par décision spéciale, d'une période de sûreté des deux tiers de la peine.
55. En se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait de se prononcer par une décision spéciale et motivée, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
56. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
57. La cassation sera limitée aux peines dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure.
Crim. 5 mars 2024 n° 23-84.864 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 23-84.864 F-B
N° 00236
SL2 5 MARS 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 MARS 2024
M. [M] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 6 juillet 2023, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 29 septembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [M] [I], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [M] [I], mis en examen des chefs susmentionnés le 28 septembre 2022, a formé une requête en nullité le 28 mars 2023.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des pièces relatives à la géolocalisation du véhicule Renault Mégane immatriculé [Immatriculation 1] et des actes subséquents, alors :
« 1°/ d'une part qu'est recevable à contester la régularité d'une mesure de géolocalisation de véhicule toute personne que les enquêteurs soupçonnent d'être utilisateur dudit véhicule ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [I] faisait valoir que les opérations de géolocalisation du véhicule Renault Mégane immatriculé [Immatriculation 1] devaient être annulées faute de motivation suffisante de l'autorisation de géolocalisation donnée par le Procureur de la République ; qu'en affirmant, pour rejeter cette requête, que « M. [M] [I] ne justifie pas d'un grief propre qu'il subirait du fait de cette décision et de cette exploitation puisqu'il n'a pas été relevé qu'il utilisait d'une manière ou d'une autre ce véhicule », après avoir pourtant relevé « que les enquêteurs considéraient que ce véhicule pouvait être utilisé par [Monsieur [I]] », circonstance qui suffisait à justifier l'intérêt et la qualité pour agir de Monsieur [I], la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 230-32, 230-33, 230-35, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que la suffisance de la motivation d'une autorisation de géolocalisation doit être appréciée au regard des seuls motifs de cette autorisation, sans que la chambre de l'instruction puisse y ajouter des motifs propres ; qu'au cas d'espèce, l'autorisation de géolocalisation se contentait de viser, sans autre précision, « l'urgence » et les articles 230-32 à 230-44 du Code de procédure pénale ; qu'en se fondant, pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité des opérations de géolocalisation, sur la circonstance que ces opérations avaient duré peu de temps et n'avaient donné lieu qu'à une exploitation ponctuelle, considérations étrangères à l'autorisation litigieuse, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 230-32, 230-33, 230-35, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
4. Pour écarter le moyen tendant à l'annulation de l'autorisation de géologalisation du véhicule, l'arrêt énonce que cette mesure a été de très courte durée, puisqu'à la suite de la pose du dispositif le 3 février 2022, un seul trajet a été enregistré, ce même jour, entre 10 heures 45 et 11 heures 28, du lieu de stationnement du véhicule à l'agence de location de celui-ci, où Mme [P] [T], qui en était la locataire, l'a restitué.
5. Les juges indiquent que, s'il ressort du procès-verbal de mise en place du dispositif que les enquêteurs considéraient que ce véhicule pouvait être utilisé par M. [I], ce dernier ne justifie pas d'un grief propre qu'il subirait du fait de cette décision et de cette exploitation puisqu'il n'a pas été relevé qu'il utilisait d'une manière ou d'une autre ce véhicule.
6. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait une exacte application des conditions de la qualité à agir en nullité d'une mesure de géolocalisation pour les motifs qui suivent.
7. En premier lieu, pour déterminer si le requérant a qualité pour agir en nullité, la chambre de l'instruction doit examiner si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité, dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre.
8. En second lieu, l'exigence de motivation en droit et en fait de la décision autorisant une mesure de géolocalisation, prévue à l'article 230-33 du code de procédure pénale, a pour finalité, en permettant le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de l'ingérence qu'elle entraîne, de préserver le droit au respect de la vie privée des personnes, tel que garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
9. En l'espèce, M. [I] n'a ni justifié ni même allégué, devant la chambre de l'instruction, avoir été le locataire ou l'utilisateur régulier du véhicule concerné et il ressort des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, qu'au cours de la mise en oeuvre de la mesure, aucune localisation en temps réel du requérant n'a été effectuée en vertu de l'autorisation contestée de sorte qu'il ne justifie nullement qu'il aurait été porté atteinte, à l'occasion des investigations litigieuses, à sa vie privée.
10. Le fait, pour les enquêteurs, d'avoir soupçonné le requérant d'utiliser ce véhicule, s'il est à l'origine de la demande de mesure de géolocalisation, ne caractérise en soi aucune atteinte à sa vie privée.
11. Le moyen doit donc être rejeté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des pièces relatives à l'exploitation de la fiche individuelle de M. [I] issue du fichier de traitement des antécédents judiciaires et des actes subséquents, alors « d'une part que même lorsqu'ils agissent dans le cadre d'une enquête préliminaire et avec l'autorisation du parquet, seuls peuvent accéder aux fichiers du TAJ les enquêteurs individuellement désignés et spécialement habilités à cette fin ; que l'habilitation soit de l'enquêteur ayant lui-même procédé à cette consultation, soit du tiers requis par lui à cette fin, doit donc dans tous les cas figurer en procédure, afin de s'assurer de la légalité de cette mesure ; qu'au cas d'espèce, il résulte des éléments de la procédure que M. [C], gardien de la paix, a consulté plusieurs fichiers, dont le fichier TAJ ; qu'en affirmant, pour dire la procédure régulière en dépit de l'absence au dossier d'habilitation de M. [C], que celui-ci avait été habilité par le parquet à effectuer toutes réquisitions utiles pour déterminer le « profil » de M. [I], quand l'habilitation à requérir la consultation d'un fichier ne valait pas habilitation à consulter ledit fichier, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 230-6, 230-10, R. 40-23, R. 40-28, 77-1-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 15-5 et 593 du code de procédure pénale :
13. Selon le premier de ces textes, immédiatement applicable à la procédure conformément à l'article 112-2, 2°, du code pénal, l'absence de mention de l'habilitation spéciale et individuelle permettant à un personnel de procéder à la consultation de traitements au cours d'une enquête ou d'une instruction, dont la réalité peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée, n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure.
14. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
15. Pour écarter le moyen de nullité tiré du défaut d'habilitation de l'agent ayant procédé à la consultation du traitement des antécédents judiciaires, l'arrêt attaqué énonce que celle-ci a été réalisée dans le cadre de l'enquête préliminaire initiée par le procureur de la République et sur l'autorisation donnée par ce magistrat de réaliser toutes les réquisitions utiles dans le but d'établir notamment « le profil » de M. [I], comprenant nécessairement le profil pénal de l'intéressé défini au regard de ses antécédents judiciaires.
16. Les juges indiquent encore qu'il est de jurisprudence constante que, dans ce cadre, l'habilitation évoquée par le requérant n'est pas nécessaire.
17. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
18. En effet, d'une part, lorsque des enquêteurs, eux-mêmes dépourvus de toute habilitation à consulter le fichier de traitement des antécédents judiciaires, sont autorisés par le magistrat compétent à requérir une telle consultation, ils doivent porter, dans leur procès-verbal, toute mention permettant de s'assurer que la personne ayant consulté le fichier était habilitée spécialement et individuellement à cette fin, de manière à permettre un contrôle effectif sur la capacité de celle-ci à accéder audit traitement.
19. D'autre part, il appartenait à la chambre de l'instruction, le cas échéant en ordonnant un supplément d'information, de vérifier la réalité de l'habilitation spéciale et individuelle de l'agent ayant procédé à la consultation.
20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au moyen de nullité portant sur la consultation du fichier du traitement des antécédents judiciaires. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 5 mars 2024 n° 23-84.626 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 23-84.626 F-B
N° 00235
SL2 5 MARS 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 5 MARS 2024
MM. [F] [N] et [T] [G] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de [Localité 1], en date du 6 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'infractions aux législations sur les stupéfiants et sur les armes, blanchiment et association de malfaiteurs, a prononcé sur leurs demandes d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 18 septembre 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois, dit celui formé le 13 juin 2023 par M. [N] irrecevable et prescrit l'examen immédiat des deux autres pourvois.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan et de la SCP Celice, Texidor et Périer, avocat de M. [F] [N], les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [T] [G], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés le 27 janvier 2022, MM. [F] [N] et [T] [G] ont déposé, les 26 et 27 juillet suivants, des requêtes en annulation d'actes et de pièces de la procédure.
Examen des moyens
Sur le premier moyen proposé pour M. [G]
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la consultation du fichier « LAPI », alors « que la régularité de la consultation du fichier « LAPI » est nécessairement conditionnée par l'identification expresse des agents y ayant procédé, seul élément de nature à permettre un contrôle de leur habilitation personnelle respective ; qu'en rejetant le moyen tiré de l'irrégularité de la consultation du fichier « LAPI » sans procéder à l'identification des agents qui ont consulté personnellement les données du fichier, de sorte qu'elle n'a pu en contrôler l'habilitation individuelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles L.233-1 et L.233-2 du Code de la sécurité intérieure, de l'article 5 de l'arrêté du 18 mai 2009, et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
4. Pour rejeter le moyen de nullité des procès-verbaux établis les 5 et 29 novembre 2020 pris de l'irrégularité de la consultation du traitement de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI), l'arrêt attaqué énonce que, sur commission rogatoire du juge d'instruction, le chef de pôle orientation des contrôles de la direction régionale des douanes et des droits indirects a confirmé que, pour tout le mois de novembre 2020, tous les agents de la cellule de renseignement et de pilotage des contrôles de [Localité 1] (CRPC) et du centre de liaison inter-services (CLI) de cette localité en fonction durant cette période étaient nominativement et dûment habilités, à la demande de leur chef de service, par la direction générale des douanes et droits indirects, à consulter le système LAPI, et qu'il en va de même pour l'agent du centre opérationnel des douanes terrestres (CODT) de [Localité 2] en fonction le 29 novembre 2020, dont le numéro de matricule est 57334.
5. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
6. En effet, les éléments apportés en réponse à la commission rogatoire du juge d'instruction établissent que l'ensemble des agents saisis pour exécution par le CLI de [Localité 1], service requis, qui étaient en fonction à la date des réquisitions des 5 et 29 novembre 2020, étaient nominativement et dûment habilités à consulter le système LAPI, ce dont il se déduit que la consultation du traitement à ces deux dates n'a pu qu'être effectuée par une personne spécialement et individuellement habilitée à cette fin, peu important que celle-ci ne soit pas expressément identifiée.
7. Le moyen doit, dès lors, être écarté.
Sur le deuxième moyen proposé pour M. [G]
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité des éléments recueillis auprès de la société [4], alors « que s'analyse en réquisition toute demande adressée, dans le cadre d'une enquête, par une autorité publique à un service en vue d'obtenir des informations utiles à l'enquête ; qu'en l'espèce, les officiers de police judiciaire ont requis de la société [4] la remise de plusieurs informations afin d'identifier les trajets de plusieurs véhicules ; qu'en affirmant de manière purement péremptoire, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence d'autorisation par le procureur de la République, que « les différentes demandes d'information adressées à la société [4] par les enquêteurs ne sauraient être considérées comme des réquisitions judiciaires au sens de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale » (arrêt, p.32), lorsque ces demandes d'information ne pouvaient s'analyser que comme des réquisitions, la cour d'appel a violé les articles 77-1-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour rejeter le moyen de nullité des procès-verbaux relatant les éléments recueillis auprès de la société d'autoroute, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de la procédure que les enquêteurs se sont rapprochés du service anti-fraude de cette société pour se faire confirmer la présence d'un véhicule sur son réseau, voir retracer les trajets d'un autre véhicule et rechercher le passage d'un véhicule à la barrière de péage du Perthus le 12 janvier 2021 à 5 heures 58 en provenance de Vienne, et que la société a spontanément répondu à ces demandes.
10. Les juges concluent que celles-ci ne sauraient en conséquence être considérées comme des réquisitions et qu'elles n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale.
11. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les textes visés au moyen.
12. En effet, la communication de renseignements, faite volontairement aux officiers de police judiciaire, sans moyen coercitif, par les représentants des concessionnaires d'autoroute, n'exige pas la délivrance préalable de réquisitions.
13. Le moyen doit, dès lors, être écarté.
Sur le troisième moyen proposé pour M. [G]
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la sonorisation du véhicule Peugeot 208, alors « que la mise en place d'une mesure de sonorisation se déroule systématiquement sous l'autorité et le contrôle du magistrat qui l'a autorisée ; qu'en se bornant à invoquer la décision de prolonger la mesure de sonorisation pour en déduire l'existence d'un contrôle, la chambre de l'instruction, qui ce faisant s'est purement et simplement abstenue de s'assurer du contrôle effectif de la mesure par le magistrat, a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 591, 593 et 706-95-14 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
15. Pour rejeter le moyen de nullité de la mesure de sonorisation, l'arrêt attaqué relève que cette mesure a été autorisée pour une durée d'un mois, que le dispositif technique a été installé le 4 décembre 2020, que plusieurs procès-verbaux de retranscription de conversations ont été établis entre les 4 et 28 décembre et que le 31 décembre suivant, lors de l'examen de la requête du procureur de la République aux fins de prolongation, le juge des libertés et de la détention a nécessairement pris connaissance des actes effectués et été mis en capacité de contrôler la mesure, à défaut de quoi il n'en aurait pas autorisé la prolongation.
16. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
17. En effet, d'une part, elle s'est assurée que l'exécution de la mesure de sonorisation avait été à la fois régulière et conforme à l'autorisation initiale délivrée.
18. D'autre part, la décision de prolongation prise par le juge des libertés et de la détention établit que la mesure demeurait nécessaire, de sorte que ce magistrat, même s'il avait été informé conformément aux exigences de l'article 706-95-14 du code de procédure pénale, n'y aurait pas mis fin.
19. En cet état, le requérant n'a pu subir aucune atteinte à ses intérêts.
20. Le moyen doit, dès lors, être écarté.
Sur le quatrième moyen proposé pour M. [G] et le deuxième moyen proposé pour M. [N]
Enoncé des moyens
21. Le quatrième moyen proposé pour M. [G] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la captation des données informatiques en ayant recours à des moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, alors :
« 1°/ que, d'une part, le recours à des moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale suppose nécessairement que l'ordonnance du magistrat instructeur autorisant la captation de données informatiques ait prévu expressément cette possibilité ; qu'en se bornant à soutenir que « tant la commission rogatoire délivrée le 28 janvier 2021, que l'ordonnance du 29 janvier 2021 autorisant la captation des données ont visé les dispositions des articles 706-102-1 à 706-102-5 » (arrêt, p.35), pour en déduire la régularité du recours, lorsqu'elle constatait expressément l'absence d'une autorisation expresse sur ce point, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 591, 593 et 706-102-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que, d'autre part, la régularité de la captation de données informatiques en ayant recours à des moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale est nécessairement conditionnée par la délivrance d'une attestation de sincérité et des indications techniques utiles à la compréhension et à l'exploitation des résultats, aucune distinction n'étant opérée selon la nature de l'opération réalisée ; qu'en se bornant à affirmer, pour rejeter le moyen de nullité tiré de la non-délivrance d'une attestation de sincérité et des indications techniques utiles à la compréhension des résultats, que « les données informatiques captées dans le cadre de cette mesure n'ont fait l'objet d'aucune mise au clair » (arrêt, p. 35), ce dont elle déduit que « les dispositions de l'article 230-1 du même code ne sont pas applicables en l'espèce » (arrêt, p. 35), la cour d'appel, qui a dressé une distinction non prévue par la loi, a violé les articles 230-3, 591, 593 et 706-102-1 du code de procédure pénale. »
22. Le deuxième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa requête en nullité, alors :
« 1°/ que la captation des données par le recours aux moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, qui soustrait au contradictoire des parties l'ensemble des conditions d'exécution de cette mesure, doit être prescrite par le juge d'instruction de manière expresse ; que la chambre de l'instruction, après avoir énoncé que la commission rogatoire du 28 janvier 2021 et l'ordonnance du 29 janvier 2021 visent les dispositions des articles 706-102-1 à 706-102-5 du code de procédure pénale, retient que ce seul visa « peut être considéré comme incluant l'autorisation de procéder à l'installation d'un dispositif technique de captation de données informatiques en ayant recours à des moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale » (p. 28 in fine) ; qu'en jugeant ainsi que l'autorisation pouvait être implicitement accordée, par le simple visa des dispositions applicables, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-102-1 et 230-2 du code de procédure pénale ;
2°/ que le recours aux moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale est prescrit selon les formes prévues aux articles 230-1 à 230-5 du code de procédure pénale ; que l'article 230-3 impose que les résultats d'une captation de données informatiques réalisée par le recours aux moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale doivent être accompagnés des indications techniques utiles à leur compréhension et à leur exploitation, ainsi que d'une attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité de ces résultats ; qu'en jugeant au contraire, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence au dossier de la procédure de ces documents, que les dispositions de l'article 230-3 du code de procédure pénale n'étaient pas applicables, au motif inopérant que la captation n'a donné lieu à aucune opération de mise au clair, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles 706-102-1 et 230-3 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
23. Les moyens sont réunis.
24. Pour rejeter le moyen de nullité des mesures de captation des données informatiques, l'arrêt attaqué énonce que les articles 230-1, 230-2, 706-102-1 à 706-102-5 du code de procédure pénale ne prévoient pas de formalisme particulier pour l'autorisation que le juge d'instruction donne à l'officier de police judiciaire de recourir à des moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, et que tant les ordonnances autorisant la captation des données informatiques que les commissions rogatoires techniques ont visé les dispositions des articles 706-102-1 à 706-102-5 précités, ce qui peut être considéré comme incluant l'autorisation de procéder à l'installation de dispositifs techniques en ayant recours aux moyens de l'Etat.
25. Les juges ajoutent que, ainsi que l'a établi le supplément d'information, aucune opération de mise au clair ou de déchiffrage des données captées n'a été mise en oeuvre, de sorte que les dispositions de l'article 230-3 du code de procédure pénale ne trouvent pas à s'appliquer et que l'absence au dossier des indications techniques utiles à la compréhension et à l'exploitation des données ainsi que d'une attestation certifiant la sincérité des résultats transmis ne saurait entraîner la nullité des opérations.
26. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
27. En effet, d'une part, si le juge d'instruction peut, conformément à l'article 706-102-1 du code de procédure pénale, prescrire le recours aux moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale pour l'exécution d'une mesure de captation de données informatiques, l'officier de police judiciaire peut aussi requérir, conformément à l'article 706-95-17 du même code, sous réserve de l'étendue de sa délégation, en l'espèce non restreinte à ce titre, dans la liste des services habilités figurant à l'article D. 15-1-6 dudit code, la direction générale de la sécurité intérieure aux fins de saisine du service technique national de captation judiciaire (STNCJ) qui lui est rattaché et qui encadre et met en oeuvre cette modalité particulière d'exécution de la mesure.
28. Dès lors que celle-ci se déroule sous l'autorité et le contrôle du magistrat qui l'a autorisée et qui peut ordonner à tout moment son interruption, il est indifférent que le recours aux moyens de l'Etat résulte d'une prescription du juge d'instruction plutôt que d'une réquisition de l'officier de police judiciaire.
29. D'autre part, selon les éléments recueillis sur supplément d'information, les données informatiques, lorsqu'elles ont été captées et exploitées en application des articles 706-102-1 et 706-102-5 du code de procédure pénale, n'étaient pas chiffrées.
30. Il s'en déduit qu'il n'a pas été fait application des dispositions des articles 230-1 et suivants du code précité, qui encadrent la mise au clair des données chiffrées, de sorte que le service ayant procédé à la captation des données informatiques n'était pas tenu de remettre les résultats accompagnés des indications techniques utiles à la compréhension et à leur exploitation ainsi qu'une attestation certifiant la sincérité des résultats transmis.
31. Les moyens doivent, dès lors, être écartés.
Sur le premier moyen proposé pour M. [N]
Enoncé du moyen
32. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête aux fins de nullité de M. [N], alors « que les mesures de géolocalisation et d'interceptions téléphoniques ne peuvent être mises en oeuvre que par des décisions motivées par référence aux éléments de fait de la procédure caractérisant leur nécessité et leur proportionnalité ; qu'elles ne peuvent l'être sur la base de simples renseignements anonymes que si ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments d'information ; qu'au cas d'espèce, pour autoriser, dans le cadre de l'enquête préliminaire, le recours à des mesures de géolocalisation et d'interception de lignes téléphoniques, les magistrats se sont fondés sur un renseignement anonyme dénonçant M. [F] [N] comme participant à un trafic de stupéfiants, sur le franchissement par le véhicule de M. [F] [N] d'une barrière de péage le 29 octobre 2020 et sur le fait qu'une de ses lignes téléphoniques permettait d'identifier un trajet aller-retour entre la région lyonnaise et la frontière luxembourgeoise entre le 22 et le 25 juillet 2020 ; qu'en estimant que cette motivation suffisait à justifier les opérations contestées, quand le franchissement du péage et le trajet aller-retour, qui n'étaient en eux-mêmes l'indice d'aucune infraction, ne permettaient pas de corroborer le renseignement anonyme reçu, la Chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à établir la légalité de ces mesures et insuffisants à démonter leur nécessité, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 706-95, 100, 100-1, 230-32, 230-33, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
33. Pour rejeter le moyen pris de l'irrégularité des mesures de géolocalisation et d'interceptions téléphoniques reposant sur un renseignement anonyme, l'arrêt attaqué énonce qu'il existait alors plusieurs indices rendant vraisemblable la participation du requérant à un trafic de stupéfiants et à une association de malfaiteurs, en l'occurrence un renseignement anonyme désignant l'intéressé comme se livrant à un trafic de stupéfiants en utilisant un certain véhicule ainsi que la mise en évidence, à la suite des premières investigations, d'un aller-retour sur autoroute de ce véhicule précédé d'un autre véhicule, outre d'un aller-retour de l'intéressé entre la région lyonnaise et la frontière luxembourgeoise révélé par l'examen de sa ligne téléphonique.
34. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
35. En effet, un renseignement anonyme peut servir à orienter et faciliter les investigations des enquêteurs et, notamment, être exploité à l'appui de mesures de géolocalisation et d'interceptions de correspondances lorsqu'il est, comme en l'espèce, corroboré par d'autres éléments qui, ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de s'en assurer, ont précisément été mentionnés dans les décisions autorisant ces mesures.
36. Le moyen doit, dès lors, être écarté.
Sur le troisième moyen proposé pour M. [N]
Enoncé du moyen
37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête aux fins de nullité de M. [N], alors « que la personne, autre que celle mise en examen, chez laquelle une perquisition est opérée doit être invitée à y assister ou, en cas d'impossibilité, à désigner un représentant de son choix ; que pour dire que la perquisition réalisée dans les locaux de la société [3], dont M. [N] est associé, en présence de deux témoins, était régulière, la chambre de l'instruction se borne à retenir qu'aucun représentant de la société n'était présent sur les lieux ; qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi il était impossible pour M. [N], dont l'arrêt constate qu'il était pourtant en garde à vue et à la disposition des enquêteurs (p. 10), d'assister à la perquisition ou de désigner le représentant de son choix, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision et a violé les articles 57, 96 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
38. Le requérant, en sa seule qualité d'associé de la société dont le local a été perquisitionné, n'a pas qualité pour agir en nullité de cette perquisition.
39. Le moyen doit, dès lors, encore être écarté.
40. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 28 février 2024 n° 23-81.826 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 23-81.826 F-B
N° 00224
ODVS 28 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 28 FÉVRIER 2024
MM. [M] [I], [Z] [I] et la société KLS, anciennement dénommée [I] location, partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 15 février 2023, qui a condamné, le premier, pour recel, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 4 000 euros d'amende et un an d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, le second, pour abus de biens sociaux, escroquerie, banqueroute, entrave à l'exercice des fonctions de commissaire aux comptes, à trente mois d'emprisonnement dont vingt-quatre mois avec sursis, trois ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, deux ans d'interdiction professionnelle, cinq ans d'interdiction de gérer, une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [M] [I], M. [Z] [I] et la société KLS, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 20 février 2019, le commissaire aux comptes de la société [I] bâtiment a dénoncé des anomalies dans la gestion de cette société.
3. Une enquête a été diligentée à la suite de laquelle M. [Z] [I], gérant de cette société, a été poursuivi notamment du chef d'abus de biens sociaux pour avoir fait consentir, pour des raisons amicales, à la société [I] bâtiment, un prêt au profit d'une autre société et pour avoir refusé de communiquer des pièces au commissaire aux comptes dans le cadre de l'exercice de sa mission.
4. Il a été aussi poursuivi pour avoir escroqué différents établissements bancaires partenaires de la société [I] bâtiment en utilisant des bilans provisoires de cette société présentés comme des bilans définitifs, afin notamment de maintenir les crédits et facilités de caisse accordés par ces établissements.
5. En tant que gérant de la société [I] habitat, M. [Z] [I] a été poursuivi pour avoir commis un abus de biens sociaux en faisant acquérir à cette société un véhicule Porsche et en ayant utilisé celui-ci à des fins personnelles. Il lui a été également reproché d'avoir, en tant que gérant de la société [I] location, acquis à nouveau ce véhicule lors de la liquidation judiciaire de la société [I] habitat.
6. Le fils de M. [Z] [I], M. [M] [I], a été pour sa part poursuivi pour recel d'abus de confiance en raison de son usage du véhicule Porsche.
7. Les juges du premier degré ont condamné MM. [Z] et [M] [I] pour ces faits, le premier à deux ans d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction professionnelle, trois ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille et une confiscation, le second à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction professionnelle et un an de privation des droits civiques, civils et de famille.
8. Les prévenus ont relevé appel de cette décision, le ministère public a relevé appel incident.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième et sixième moyens et le septième moyen, pris en sa première branche, proposés pour MM. [Z] et [M] [I]
9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le cinquième moyen proposé pour M. [Z] [I]
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la condamnation de M. [Z] [I] du chef d'abus de biens sociaux, au titre du prêt consenti par [I] Bâtiment à la société TB construction, alors « que, le prêt consenti par une société à une société tierce n'est contraire à ses intérêts que s'il est dépourvu de contrepartie ; qu'en retenant que le prêt accordé à la société TB Construction par la société [I] Bâtiment était contraire à l'intérêt social de cette dernière, tout en constatant que ce prêt avait fait l'objet d'une convention écrite, signée entre les deux parties, prévoyant que les sommes prêtés étaient rémunérés au taux de 2% l'an, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 241-3, 4°, du code de commerce et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Pour déclarer le prévenu coupable d'abus de biens sociaux s'agissant du prêt consenti par la société [I] bâtiment à la société TB construction, l'arrêt attaqué relève notamment que ce prêt, d'un montant de 127 295 euros, ne faisait l'objet d'aucune garantie et était rémunéré à hauteur de 2 %.
12. Les juges ajoutent que, au moment de l'octroi de ce prêt, la société [I] bâtiment présentait un résultat déficitaire depuis plusieurs années et qu'il en était de même de la société TB construction.
13. Ils en concluent qu'en consentant ce prêt dans de telles conditions au profit d'une société avec laquelle la société [I] habitat n'avait aucun lien capitalistique ou commercial, pour favoriser un tiers avec lequel il entretenait des relations amicales, M. [Z] [I] a fait des biens de la société [I] habitat un usage contraire aux intérêts de celle-ci en lui faisant courir un risque anormal auquel elle ne devait pas être exposée.
14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a établi que les faits reprochés avaient fait courir un risque injustifié à l'actif social, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
15. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le septième moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour M. [Z] [I]
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la condamnation de M. [Z] [I] du chef d'entrave à l'exercice des fonctions de commissaire aux comptes, alors :
« 2°/ que d'autre part, l'entrave à l'exercice des fonctions de commissaire aux comptes suppose la conscience et la volonté d'entraver l'exécution de la mission du commissaire aux comptes ; qu'en déclarant le prévenu coupable de ce chef aux motifs que l'infraction était constituée « quand bien même [Z] [I] aurait-il transmis les pièces sollicitées concernant [I] Bâtiment postérieurement au 14 février 2019 », lorsqu'il faisait valoir qu'il avait transmis les documents demandés concernant la société [I] Bâtiment dès le lendemain de la visite du commissaire aux comptes, le 15 février 2019, ce dont il résulte qu'il n'a pas eu la volonté d'entraver la mission du commissaire aux comptes, la cour d'appel a violé les articles L. 820-4, 2°, du code de commerce et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Pour dire établi le délit d'entrave à l'exercice des fonctions de commissaire aux comptes, l'arrêt attaqué relève que, le 14 février 2019, le commissaire aux comptes s'est présenté dans les locaux de la société [I] bâtiment, après avoir pris rendez-vous avec la comptable de cette société.
18. Les juges ajoutent que la comptable était absente et que le personnel sur place a refusé de communiquer au commissaire aux comptes les pièces demandées. Ils indiquent également que la comptable a déclaré que M. [Z] [I] lui avait interdit de rencontrer le commissaire aux comptes et lui avait dit de s'absenter et que le prévenu a reconnu avoir donné ces instructions.
19. Ils en concluent que, bien que M. [Z] [I] ait justifié ses directives par sa volonté d'être l'interlocuteur principal du commissaire aux comptes et son impossibilité d'être présent le jour de la visite en raison d'un arrêt maladie, il ressort de la procédure qu'il a donné des instructions afin que les pièces demandées ne soient pas remises et s'est donc rendu coupable des faits reprochés, quand bien même il aurait transmis certaines des pièces sollicitées postérieurement à la visite du commissaire aux comptes.
20. En l'état de ces énonciations, dont il résulte que la cour d'appel a établi le refus volontaire du prévenu de communiquer au commissaire aux comptes sur place des pièces utiles à l'exercice de sa mission, et dès lors que la communication de ces pièces le lendemain de la visite du commissaire aux comptes ne présente pas les mêmes garanties que leur remise immédiate, la cour d'appel, qui n'avait pas à caractériser en outre une volonté du prévenu d'entraver la mission du commissaire aux comptes, a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
21. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le huitième moyen proposé pour MM. [Z] et [M] [I]
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à l'encontre de MM. [Z] et [M] [I] la peine d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, alors « qu'en prononçant contre les prévenus la peine de privation de privation des droits civiques, civils et de famille sur le fondement de l'article 131-26-2, 10°, du code pénal, aux motifs qu'il s'agit « d'une peine obligatoire à l'encontre de toute personne coupable d'abus de biens sociaux et de recel de ce même délit » (arrêt, p. 31 et 33), lorsqu'il ressort de ces dispositions que seule la peine d'inéligibilité est obligatoirement prononcée à l'encontre du prévenu condamné de l'un de ces chefs, ce dont il résulte que la cour d'appel a prononcé cette peine sans s'interroger sur sa nécessité au regard des circonstances des infractions, de la personnalité des auteurs ainsi que de leur situation personnelle, en violation des articles 131-26, 131-26-2, 132-1 du code pénal, L. 241-3 du code de commerce et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 241-3, 4°, du code de commerce, 132-1, 131-26-2, 10°, du code pénal, 485-1 et 593 du code de procédure pénale :
23. Il résulte du deuxième et de l'avant-dernier de ces textes que, en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction, en fonction des circonstances de l'infraction, de la personnalité ainsi que de la situation matérielle, familiale et sociale de son auteur.
24. Il résulte des premier et troisième que, si la peine complémentaire d'inéligibilité est obligatoire à l'encontre des personnes déclarées coupables du délit d'abus de biens sociaux ou de recel de ce délit, les autres peines mentionnées à l'article 131-26 du code pénal ne sont pas obligatoires.
25. Selon le dernier, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
26. En l'espèce, après avoir déclaré M. [Z] [I] coupable d'abus de biens sociaux et M. [M] [I] coupable de recel d'abus de biens sociaux, la cour d'appel les a condamnés, à titre de peine complémentaire, à la privation de tous leurs droits civiques, civils et de famille pour une durée de trois ans pour le premier et pour une durée d'un an pour le second, en indiquant appliquer l'article 131-26-2, 10°, du code pénal et en relevant qu'il s'agit d'une peine obligatoire à l'encontre de toute personne coupable d'abus de biens sociaux ou de recel de ce délit.
27. En se déterminant ainsi, sans rechercher si cette peine complémentaire, facultative pour l'interdiction des droits autres que l'éligibilité, était justifiée au regard de la gravité des faits, de la personnalité des auteurs et de leur situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
28. La cassation est, dès lors, encourue de ce chef.
Et sur le neuvième moyen proposé pour M. [Z] [I] et le moyen proposé pour la société KLS
Enoncé des moyens
29. Le moyen proposé pour M. [Z] [I] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à l'encontre de celui-ci la peine de confiscation des scellés (les clés de contact et le double des clés du véhicule Porsche Panamera immatriculé [Immatriculation 2], un téléphone Apple iPhone numéro 359, un téléphone iPhone numéro 353), alors « qu'il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure ; qu'en confirmant la confiscation des scellés, sans indiquer le fondement légal de cette peine, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision, en méconnaissance des articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
30. Le moyen proposé pour la société KLS critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande de restitution du véhicule Porsche Panamera immatriculé [Immatriculation 1] et des deux jeux de clés de contact, alors « que, la qualité de victime du tiers propriétaire qui sollicite la restitution de son bien est exclusive de sa mauvaise foi ; qu'en rejetant la demande de restitution du véhicule Porsche Panamera et des deux jeux de clés de contact introduite par la société K.L.S, anciennement dénommée [I] Location, au motif qu'elle ne peut être considérée de bonne foi, lorsqu'elle condamnait M. [Z] [I] pour avoir fait des biens de la société [I] Location un usage contraire à ses intérêts en rachetant aux enchères le véhicule anciennement détenu par la société [I] Habitat, ce dont il résulte que la société [I] location était la victime du délit d'abus de bien sociaux commis par son ancien gérant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constations, en violation des articles 131-21 du code pénal et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
31. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
32. Selon le premier de ces textes, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. La confiscation porte alors sur les biens qui ont servi à commettre l'infraction, ou qui étaient destinés à la commettre, et sur ceux qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime. Si la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.
33. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
34. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a refusé la restitution du véhicule Porsche à la société KLS, anciennement [I] location, et ordonner la confiscation de celui-ci ainsi que des autres scellés, à savoir les clés du véhicule, deux téléphones, une clé USB et deux disques compacts, l'arrêt attaqué énonce que M. [Z] [I], au regard de l'article 131-21 du code pénal, encourt la peine complémentaire de confiscation pour les faits d'abus de biens sociaux qui lui sont reprochés.
35. Les juges ajoutent que, si le véhicule Porsche a constitué un actif de la société [I] habitat avant de devenir un actif de la société [I] location, l'enquête a établi que M. [Z] [I], en sa qualité de gérant de ces sociétés, en avait la libre disposition.
36. Ils indiquent également que, au moment de l'acquisition de ce véhicule, il ne peut être soutenu que la société [I] location était de bonne foi et que la société KLS ne peut pas non plus être considérée comme de bonne foi.
37. Ils relèvent enfin que le véhicule est le produit des délits d'abus de biens sociaux reprochés à M. [Z] [I].
38. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les textes visés aux moyens pour les motifs qui suivent.
39. En premier lieu, en prononçant la confiscation des biens placés sous scellés autres que le véhicule Porsche sans indiquer le fondement de cette peine, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'en contrôler la légalité.
40. En second lieu, dès lors que la confiscation peut porter sur l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime, la cour d'appel ne pouvait refuser la restitution du véhicule Porsche à la société KLS, alors que ce véhicule est encore dans le patrimoine de cette société, au motif que cette dernière était un propriétaire de mauvaise foi, tout en relevant que cette société était la victime de l'abus de biens sociaux dont le véhicule Porsche était l'objet ou le produit.
41. La cassation est par conséquent encore encourue de ces chefs.
Et sur le onzième moyen proposé pour M. [Z] [I]
Enoncé du moyen
42. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable, alors « que, l'action civile ne peut être exercée devant les juridictions pénales que par celui qui a subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans l'infraction poursuivie ; qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable en ce qu'elle a subi un préjudice d'image lié à l'utilisation de son enseigne et de sa dénomination aux fins de commettre le délit d'escroquerie, lorsque seules éprouvent un préjudice résultant directement d'une escroquerie, les personnes qui, déterminées par les manoeuvres frauduleuses, ont opéré une remise à leur préjudice, la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 du code de procédure pénale :
43. Selon ce texte, l'action civile en réparation du dommage causé par un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par cette infraction. Il en résulte que les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d'un préjudice résultant de l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction visée à la poursuite.
44. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a accordé à la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt attaqué énonce que cette somme répare le préjudice d'image subi par cette société en raison de l'utilisation de son enseigne et de sa dénomination sur de faux documents comptables.
45. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
46. En effet, la cour d'appel a déclaré M. [Z] [I] coupable d'escroqueries au préjudice de divers établissements bancaires en retenant, au titre des manoeuvres frauduleuses, que celui-ci avait produit auprès de ces établissements des bilans provisoires des comptes de la société dont il était gérant établis par la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable. Or, le préjudice d'image allégué par cette dernière société en raison de l'utilisation de ces documents ne résulte pas des remises effectuées par les établissements bancaires escroqués.
47. La cassation est par conséquent encore encourue.
Portée et conséquences de la cassation
48. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de MM. [Z] et [M] [I], au rejet de la demande de restitution formée par la société KLS et par M. [Z] [I], à la déclaration de recevabilité de la constitution de partie civile de la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable et à la condamnation de M. [Z] [I] à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts et les sommes de 300 et 700 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Civ.1 28 février 2024 n° 23-40.018
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
COUR DE CASSATION
CF
______________________
QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITÉ ______________________
Audience publique du 28 février 2024
NON-LIEU A RENVOI
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 179 F-D
Affaire n° Y 23-40.018
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 FÉVRIER 2024
La cour d'appel de Douai a transmis à la Cour de cassation, suite à l'ordonnance rendue le 30 novembre 2023, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 5 décembre 2023, dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
M. [L] [G], domicilié centre de rétention administratif (CRA) de [Localité 5], [Adresse 3], représenté par Mme [J] [H], domiciliée [Adresse 1],
D'autre part,
le préfet du Nord, domicilié [Localité 2],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 février 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Le 25 novembre 2023, à 10 heures 50, M. [G], de nationalité algérienne, a fait l'objet d'un contrôle d'identité [Adresse 4] à [Localité 6], effectué sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale, puis a été placé en retenue.
2. Le 26 novembre 2023, à 8 heures 50, il s'est vu notifier par le préfet du Nord deux arrêtés, l'un portant obligation de quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, l'autre de placement en rétention administrative. Le 27 novembre 2023, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention d'une requête tendant à prolonger la mesure de rétention.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. Par ordonnance du 30 novembre 2023, le premier président de la cour d'appel de Douai a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « Les dispositions de l'article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale telles qu'issues de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure portent-elles atteinte à la liberté fondamentale d'aller et venir et aux dispositions de l'article 66 de la Constitution en ce qu'elles permettent aux services de police de procéder à des contrôles d'identité préventifs sans justifier d'un motif, par simple renvoi à la "criminalité transfrontière", sans contrôle préalable d'un juge judiciaire, garant des libertés individuelles, avec pour conséquence : - d'une part, le fait que la mesure privative de liberté subséquente (la retenue administrative), qui peut durer vingt-quatre heures, peut échapper au juge ; - d'autre part, de faire échapper du juge judiciaire le contrôle de l'utilisation de ces "notes", de sorte qu'elles peuvent être quasi-permanentes comme renouvelées tous les jours, pendant une durée de douze heures, sur le même territoire - sans contrôle judiciaire. »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. La disposition contestée, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017, est applicable au litige.
5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
7. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
8. En premier lieu, les dispositions de l'article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale, permettant uniquement aux services de police judiciaire de procéder à des contrôles d'identité, n'entraînent pas de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution.
9. En second lieu, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties au nombre desquelles figure la liberté d'aller et venir doit être concilié avec la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infraction, qui constituent des objectifs à valeur constitutionnelle et les atteintes portées à ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
10. Les contrôles d'identité, fondés sur l'article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale, qui constituent la contrepartie de la suppression des contrôles aux frontières résultant de l'accord de Schengen, ont pour objectif de prévenir et rechercher des infractions liées à la criminalité transfrontalière.
11. Ils sont entourés de garanties puisqu'ils sont limités à des zones géographiques déterminées en fonction de cet objectif, ne peuvent être pratiqués pour une durée excédant douze heures consécutives dans un même lieu et ne doivent pas consister en des contrôles systématiques des personnes présentes ou circulant dans les zones concernées.
12. La régularité de ces contrôles peut être contestée devant le juge judiciaire, saisi soit de poursuites pénales, soit d'une requête en prolongation de la rétention, soit d'une demande d'indemnisation.
13. Les dispositions litigieuses doivent donc être regardées comme ne portant à la liberté d'aller et venir que des atteintes adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs de préservation de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infraction.
14. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Crim. 27 février 2024 n° 23-81.061 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 23-81.061 FS-B
N° 00108
ODVS 27 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 27 FÉVRIER 2024
M. [U] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 15 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de blanchiment aggravé et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 26 juin 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [U] [I], et les conclusions de M. Auber, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mmes Ingall-Montagnier, Goanvic, MM. Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Les investigations de géolocalisation et interception réalisées notamment sur une ligne téléphonique et des véhicules utilisés par M. [U] [I] ont révélé sa possible implication dans des collectes d'argent en relation avec un trafic de produits stupéfiants.
3. M. [I] a été mis en examen des chefs susvisés.
4. Il a déposé devant la chambre de l'instruction deux requêtes en annulation de pièces de la procédure.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [I] tendant à l'annulation des réquisitions adressées aux établissements et organismes privés de téléphonie, et de la procédure subséquente, alors :
« 1°/ que le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l'officier ou l'agent de police judiciaire, peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l'enquête, y compris celles issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique ; qu'aux termes du procès-verbal d'investigation établi le 20 avril 2021, les enquêteurs de la section de recherches de [Localité 2] ont indiqué que « M. [D] [Z] [vice-procureur de la République] nous autorise à toutes réquisitions à des organismes publics ainsi que le recours au logiciel de rapprochement judiciaire » ; que pour juger que l'omission dans la mention établie par l'enquêteur de ce que l'autorisation du procureur de la République porte également sur les réquisitions pouvant être adressées à des organismes privés n'apparaît résulter que d'une erreur matérielle de sa part et ne fait pas douter de ce que l'autorisation du procureur de la République portait également sur de tels organismes privés (arrêt attaqué, p. 10, 3e §), la Chambre de l'instruction a retenu qu' « il résulte de la procédure, d'une part, qu'aucune réquisition n'a été adressée à un organisme public, hormis la PNIJ qui ne sert toutefois que de support technique informatique et dont l'utilisation est soumise à un régime particulier et, d'autre part, qu'il a été donné l'autorisation d'utilisation de logiciels de rapprochement judiciaire prévue à l'article 230-20 du code de procédure pénale qui ne distingue pas davantage l'exploitation des données issues d'un organisme privé ou public, l'enquêteur n'ayant par ailleurs adressés de réquisitions qu'à des organismes privés, ce que la nature des informations dont il disposait commandait », de sorte qu'il « ne se comprendrait (?) pas que l'autorisation donnée par le procureur de la République n'ait porté précisément que sur des réquisitions sans objet et inutiles à destination d'organisme publics et que l'enquêteur, sur l'autorisation qu'il a relatée, n'ait adressé que des réquisitions à des organismes privés » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'erreur matérielle dont serait entaché le procès-verbal d'investigations du 20 avril 2021, lequel mentionnait exclusivement l'autorisation de procéder « à toutes réquisitions à des organismes publics ainsi que le recours au logiciel de rapprochement judiciaire », la chambre de l'instruction a violé l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ qu'aux termes du procès-verbal d'investigation établi le 20 avril 2021, les enquêteurs de la section de recherches de [Localité 2] ont indiqué que « M. [D] [Z] [vice-procureur de la République] nous autorise à toutes réquisitions à des organismes publics ainsi que le recours au logiciel de rapprochement judiciaire » ; qu'en énonçant que l'omission dans la mention établie par l'enquêteur de ce que l'autorisation du procureur de la République porte également sur les réquisitions pouvant être adressées à des organismes privés n'apparaît résulter que d'une erreur matérielle de sa part et ne fait pas douter de ce que l'autorisation du procureur de la République portait également sur de tels organismes privés (arrêt attaqué, p. 10, 3e §), et qu'il « ne se comprendrait pas (?) que l'autorisation donnée par le procureur de la République n'ait porté précisément que sur des réquisitions sans objet et inutiles à destination d'organisme publics et que l'enquêteur, sur l'autorisation qu'il a relatée, n'ait adressé que des réquisitions à des organismes privés », la chambre de l'instruction a dénaturé les pièces du dossier et en particulier le procès-verbal d'investigation du 20 avril 2021, et violé les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ enfin, qu'en énonçant que « l'absence d'autorisation du procureur de la République précisément mentionnée, s'agissant des réquisitions à des organismes privé
Réponse de la Cour
6. Pour écarter le moyen de nullité pris de ce que les enquêteurs ont adressé des réquisitions à des établissements et organismes privés alors que le procureur de la République n'avait autorisé celles-ci qu'auprès d'organismes publics, l'arrêt attaqué énonce qu'il ne fait pas de doute que l'autorisation portait également sur des organismes privés et que l'omission d'une telle mention sur le procès-verbal constitue une erreur matérielle de l'enquêteur qui l'a rédigé.
7. Les juges retiennent à cet effet, d'une part, que les dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, dans leur rédaction alors applicable, n'opèrent aucune différence de régime entre organismes privés et publics, d'autre part, que l'enquêteur n'a adressé de réquisitions qu'à des organismes privés, ce que la nature des informations dont il disposait commandait, à la seule exception de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires, organisme public qui ne sert que de support technique informatique et dont l'utilisation est soumise à un régime particulier et, enfin, qu'une autorisation avait été donnée d'utiliser les logiciels de rapprochement judiciaire prévus à l'article 230-20 du code de procédure pénale, lequel ne distingue pas davantage l'exploitation des données selon qu'elles sont issues d'un organisme privé ou public.
8. Ils en déduisent qu'il serait incompréhensible que l'autorisation accordée n'ait porté que sur des réquisitions sans objet et inutiles à destination d'organisme publics et que l'enquêteur ait, sur le fondement de cette autorisation, adressé des réquisitions uniquement à des organismes privés.
9. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction, qui n'a ni dénaturé le procès-verbal soumis à son examen ni renversé la charge de la preuve de l'existence de l'autorisation requise, a justifié sa décision.
10. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [I] tendant à l'annulation des interceptions téléphoniques effectuées, et de la procédure subséquente, alors :
« 1°/ que si les nécessités de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire relative à l'une des infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-73-1 l'exigent, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire peut, à la requête du procureur de la République, autoriser l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques selon les modalités prévues aux deuxième et dernier alinéas de l'article 100 ainsi qu'aux articles 100-1 et 100-3 à 100-7, pour une durée maximum d'un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée ; que ces opérations sont faites sous le contrôle du juge des libertés et de la détention ; que M. [I] faisait valoir que les opérations d'interception s'étaient achevées au plus tard le 27 juillet 2021, et que l'information judiciaire avait été ouverte le 24 août suivant, mais qu'il n'existait aucun acte de la procédure qui permettrait d'établir que le procureur de la République, voire les enquêteurs, avaient informé le juge des libertés et de la détention des actes accomplis en exécution de l'autorisation d'interception délivrée le 24 avril 2021, de sorte qu'aucun contrôle effectif n'avait pu être exercé par ce magistrat ; que pour écarter ce moyen de nullité, la Chambre de l'instruction a retenu que M. [I] ne justifiait d'aucun grief dans la mesure où l'autorisation d'interception n'avait pas été dépassée et avait été régulièrement exécutée, et que les actes en cause avaient été soumis au contrôle du juge d'instruction, saisi de la poursuite des investigations (arrêt, p. 11-12) ; qu'en statuant de la sorte, la chambre de l'instruction, qui a subordonné la nullité des actes pris en violation de l'article 706-95, alinéa 4, du code de procédure pénale à la démonstration d'un grief distinct de la méconnaissance de ce texte, quand il n'était pas établi par les pièces de la procédure que les procès-verbaux de retranscription et d'exécution des mesures d'investigations, rédigés entre le 19 mai et le 27 juillet 2021, pour être joints à un seul et même bordereau d'envoi, non daté ni signé, avaient été porté à la connaissance du juge des libertés et de la détention, de sorte que ces mesures attentatoires à la liberté individuelle avaient pu perdurer sans contrôle par un magistrat indépendant, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-95, 100-4 et 100-5 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ en outre, qu'en statuant comme elle l'a fait, sans répondre au chef péremptoire des conclusions de M. [I] qui faisait valoir (son mémoire devant la Chambre de l'instruction, p. 14), que le grief résultant de la violation de l'article 706-95, alinéa 4, du code de procédure pénale était matérialisé par la prolongation de la mesure litigieuse, sans que le juge l'ayant accordée n'ait pu avoir connaissance de ces actes et en apprécier le caractère nécessaire et proportionné au regard de la protection des libertés individuelles, la Chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale, et privé sa décision de base légale au regard de l'article 706-95 du même code, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
12. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'absence de contrôle effectif du juge des libertés et de la détention sur l'interception, qu'il a autorisée, de la ligne téléphonique [XXXXXXXX01] utilisée par M. [I], l'arrêt attaqué énonce que l'alinéa 4 de l'article 706-95 du code de procédure pénale exige que ce magistrat soit informé notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation.
13. Ils ajoutent que la circonstance que tel n'a pas été le cas en l'espèce n'est pas de nature à faire grief à M. [I], dès lors que les actes en cause ont été soumis au contrôle du juge d'instruction saisi de la poursuite des investigations qui aurait pu saisir la chambre de l'instruction s'il avait considéré que l'interception était frappée de nullité, ce qu'il n'a pas fait.
14. Ils relèvent également qu'aucune irrégularité de l'interception n'est par ailleurs soulevée ou constituée et que ni l'article 100-5 ni aucune autre disposition du code de procédure pénale ne font obligation aux officiers de police judiciaire de recueillir l'autorisation du juge des libertés et de la détention préalablement à la transcription d'interceptions utiles à la manifestation de la vérité révélant des faits susceptibles d'être qualifiés pénalement.
15. C'est à tort que, pour écarter tout grief, l'arrêt s'est fondé sur le contrôle ultérieur du juge d'instruction, dès lors qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure que ce juge, ni précédemment le juge des libertés et de la détention, aurait été informé sans délai des actes accomplis sur le fondement de l'autorisation de prolongation.
16. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.
17. En effet, d'une part, la nullité n'est encourue, en application des articles 173 et 802 du code de procédure pénale, que si le demandeur établit que l'inobservation de la formalité précitée a eu pour effet de porter atteinte à ses intérêts.
18. D'autre part, le demandeur s'est borné, dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, à invoquer de manière abstraite l'absence de contrôle de la proportionnalité de la seule prolongation des interceptions par le juge des libertés et de la détention, sans préciser en quoi cette mesure aurait revêtu un caractère disproportionné.
19. Dès lors, le moyen, inopérant en sa seconde branche, doit être écarté. Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [I] tendant à l'annulation de l'autorisation de poursuite des investigations, et de la procédure subséquente, alors « que lorsqu'il requiert l'ouverture d'une information, le procureur de la République peut, si la recherche de la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d'une peine supérieure ou égale à trois ans d'emprisonnement nécessite que les investigations en cours ne fassent l'objet d'aucune interruption, autoriser les officiers et agents de police judiciaire des services ou unités de police judiciaire qui étaient chargés de l'enquête à poursuivre les opérations prévues aux articles 706-95, 230-32 à 230-35, 706-80, 706-81, 706-95-1, 706-95-20, 706-96 et 706-102-1 pendant une durée ne pouvant excéder quarante-huit heures à compter de la délivrance du réquisitoire introductif ; que cette autorisation fait l'objet d'une décision écrite, spéciale et motivée, qui mentionne les actes dont la poursuite a été autorisée ; qu'en l'espèce, M. [I] faisait valoir (son mémoire devant la Chambre de l'instruction, p. 15-16) que l'autorisation de poursuite des investigations prise par le vice-procureur de la République se bornait à indiquer que « la recherche de la manifestation de la vérité nécessite que les investigations en cours ne fassent l'objet d'aucune interruption, en ce que l'enquête préliminaire a démontré une activité ayant toutes les apparences de collecte de somme d'argent et d'exportation vers l'Espagne quasi-continue et régulière depuis plusieurs mois », sans que cette autorisation ne soit spécialement motivée au regard des actes de poursuite autorisés ; qu'en se bornant à retenir qu' « une telle motivation répond aux exigences de l'article 80-5 dès lors qu'il en résulte que l'infraction s'était commise sur une longue période de temps et se poursuivait encore. Par ailleurs, l'article 80-5 susvisé, en permettant cette autorisation pour les crimes et délits punis d'une peine supérieure ou égale à trois ans d'emprisonnement, n'induit pas de contrôle de la proportionnalité de la mesure au regard de la gravité de l'infraction, pourvu que cette condition légale, comme en l'espèce, soit remplie, les faits de blanchiment aggravé et de participation à une association de malfaiteurs visés au réquisitoire introductif étant punis d'une peine de dix ans d'emprisonnement » (arrêt, p. 12-13), la chambre de l'instruction, qui a ainsi apprécié le respect de l'exigence de motivation spéciale au regard de la nécessité du principe même de la poursuite des investigations, non sur la justification de poursuivre chacune des mesures d'investigation en cause, en particulier en considération de leur nécessité et de leur proportionnalité, a violé l'article 80-5 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
21. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'absence d'une décision écrite et motivée du procureur de la République relative à la poursuite, en début d'information judiciaire, de la géolocalisation de la ligne téléphonique et de deux véhicules utilisés par M. [I] diligentée durant l'enquête préliminaire, l'arrêt attaqué énonce que ce magistrat a autorisé les officiers de police judiciaire à poursuivre cette mesure au motif que la recherche de la manifestation de la vérité nécessitait qu'elle ne fasse l'objet d'aucune interruption, l'enquête préliminaire ayant révélé, d'une part, une activité apparente de collecte et d'exportation régulières de sommes d'argent depuis plusieurs mois vers l'Espagne, d'autre part, les liens de l'une des principales personnes qui y participaient avec des trafiquants de stupéfiants.
22. La chambre de l'instruction en conclut que cette motivation répond aux exigences de l'article 80-5 du code de procédure pénale, dès lors qu'il en résulte que l'infraction avait été commise sur une longue période de temps et se poursuivait encore.
23. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction qui, ayant estimé que les mesures ordonnées au stade de l'enquête préliminaire étaient nécessaires et proportionnées, n'avait à se prononcer que sur la nécessité qu'elles ne fassent l'objet d'aucune interruption au moment de l'ouverture de l'information, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
24. En effet, l'article 80-5 du code de procédure pénale selon lequel la décision du ministère public doit être écrite, spéciale, motivée et mentionner les actes dont elle autorise la poursuite, n'exige pas que chacun de ces actes fasse l'objet d'une motivation distincte, les motifs pouvant leur être communs.
25. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
26. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [I] tendant à l'annulation des décisions autorisant les mesures de géolocalisation au cours de l'enquête préliminaire, et de la procédure subséquente, alors « qu' il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, Prokuratuur, 2 mars 2021 (C-746/18K), que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, telle que modifiée par la directive 2009/136, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale ; qu'en jugeant, pour rejeter le moyen de nullité des décisions autorisant les mesures de géolocalisation au cours de l'enquête préliminaire, la chambre de l'instruction a retenu que les dispositions de l'article 230-33 du code de procédure pénale n'étaient pas contraires à ces exigences, dès lors qu'il a été mis fin à l'enquête par le ministère public en saisissant par réquisitoire introductif un juge d'instruction, perdant ainsi tant la direction de l'enquête que le pouvoir de saisir une juridiction de jugement qui appartiennent alors aux seuls magistrats du siège, la Cour de justice n'exigeant pas que le contrôle par une autorité indépendante soit, en ce cas, préalable, et qui permet ainsi nécessairement le contrôle par un magistrat indépendant des données à caractère personnel prévu au 3 de l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux et n'exigeant seulement que le ministère public lorsqu'il donne l'autorisation ne soit pas ensuite la seule autorité de poursuite (arrêt, p. 11, 3ème §) ; qu'en statuant de la sorte, quand le ministère public, ayant donné l'autorisation litigieuse, et ayant établi le réquisitoire introductif qui constitue un acte de poursuite, ne saurait être considéré comme une autorité indépendante, la chambre de l'instruction a violé l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, telle que modifiée par la directive 2009/136, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, ensemble les articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le grief relatif à la géolocalisation de deux véhicules
27. Il résulte des articles 1er et 2 de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 modifiée, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, que ses dispositions s'appliquent aux seuls opérateurs de services de communications électroniques accessibles au public. Il s'ensuit que la géolocalisation d'un véhicule ne rentre pas dans son champ d'application.
28. Par conséquent, le moyen en ce qu'il vise la géolocalisation de véhicules est inopérant.
Mais sur le grief relatif à la géolocalisation d'une ligne téléphonique
Vu l'article 15 de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
29. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) juge que la mise en oeuvre d'une mesure autorisant le recueil en temps réel des données relatives à la localisation doit être soumise à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d'un effet contraignant, cette juridiction ou cette entité devant notamment s'assurer qu'un tel recueil en temps réel n'est autorisé que dans la limite de ce qui est strictement nécessaire. En cas d'urgence dûment justifiée, le contrôle doit intervenir dans de brefs délais (CJUE, arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net, e.a., French Data Network e.a., C-511/18, C-512/18, C-520/18, § 179).
30. Selon cette juridiction, ne constitue pas une telle autorité le ministère public, qui dirige la procédure d'enquête et exerce, le cas échéant, l'action publique (CJUE, arrêt du 2 mars 2021,H.K./Prokuratuur, C-746/18).
31. La Cour de cassation en a déduit que les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, dans leur rédaction alors applicable, sont contraires au droit de l'Union uniquement en ce qu'ils permettent au procureur de la République, à un officier de police judiciaire ou à un agent de police judiciaire d'accéder aux données de trafic et de localisation conservées par les opérateurs de télécommunications sans contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).
32. Elle a également jugé, dans le même arrêt, que, lorsqu'un demandeur ayant qualité pour agir allègue un grief pris d'une méconnaissance du droit de l'Union, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher s'il est établi. Un tel grief n'est caractérisé que lorsque l'accès à ces données n'a pas été circonscrit à une procédure relevant de la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire.
33. Les principes ainsi dégagés sont applicables à une mesure de géolocalisation en temps réel d'une ligne téléphonique autorisée par le procureur de la République, dès lors que, pour les motifs exposés au paragraphe 27 cette mesure entre dans le champ de la directive 2002/58/CE précitée.
34. Par conséquent, sont contraires au droit de l'Union les articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale, en ce qu'ils autorisent le procureur de la République à ordonner une mesure de géolocalisation d'une ligne téléphonique qui permet à des enquêteurs d'accéder en temps réel aux données de localisation de celle-ci, sans contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante.
35. La nullité n'est encourue que si le requérant établit un grief tel que défini au paragraphe 32.
36. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité de la mesure de géolocalisation de la ligne téléphonique [XXXXXXXX01] utilisée par le requérant, autorisée par le procureur de la République sur le fondement des articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué énonce en substance que le droit de l'Union, tel qu'interprété par la CJUE, ne s'oppose pas à une telle mesure ordonnée au cours d'une enquête préliminaire, dès lors que le ministère public y met fin en saisissant un juge d'instruction, perdant ainsi tant la direction de l'enquête que le pouvoir de saisir une juridiction de jugement, qui appartiennent alors aux seuls magistrats du siège.
37. Les juges ajoutent que la CJUE n'exige pas que le contrôle par une autorité indépendante soit, dans un tel cas, préalable, mais qu'elle exige seulement que le ministère public, lorsqu'il donne l'autorisation, ne soit pas ensuite la seule autorité de poursuite.
38. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
39. La cassation est dès lors encourue de ce chef.
Portée et conséquence de la cassation
40. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au moyen de nullité concernant la mesure de géolocalisation de la ligne téléphonique [XXXXXXXX01]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 27 février 2024 n° 23-86.869
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 23-86.869 F-D
N° 00358
27 FÉVRIER 2024
GM
QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 27 FÉVRIER 2024
Mme [H] [G] et M. [Y] [G], parties civiles, ont présenté, par mémoire spécial reçu le 1er décembre 2023, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion des pourvois formés par eux contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 9 novembre 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [I] [E] du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
Des observations ont été produites.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« La combinaison des articles 459 et 497, en son alinéa 1 et le 3°, du code de procédure pénale, porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, plus précisément, au principe d'égalité devant la justice, au principe des droits de la défense, garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il prive la partie civile, contrairement à ce qui est prévu lorsqu'est ouverte une information judiciaire, de la possibilité de discuter devant le juge d'appel de la qualification des faits dont le tribunal correctionnel est saisi en lui interdisant d'interjeter appel d'une décision qui a écarté une qualification criminelle, a refusé de se déclarer incompétent et a statué sur le fond ? ».
2. Les dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure.
3. L'article 497, 3°, du code de procédure pénale a déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., 31 janvier 2014, décision n° 2014-363 QPC).
4. Les articles 459 et 497, alinéa 1er, du code de procédure pénale n'ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
5. En tant qu'elle concerne ces deux derniers textes, la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
6. La question ne présente pas un caractère sérieux dès lors que les dispositions des articles 459 et 497, alinéa 1er, du code de procédure pénale, qui prévoient, pour le premier de ces textes, les conditions dans lesquelles les juridictions correctionnelles sont tenues de répondre aux conclusions des parties, pour le second, le principe du droit d'appel, ne peuvent, prises isolément, servir de fondement à la critique du mécanisme dénoncé par la question, qu'elles ne concernent pas.
7. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Crim. 27 février 2024 n° 23-82.521
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 23-82.521 F-D
N° 00208
RB5 27 FÉVRIER 2024
CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 27 FÉVRIER 2024
L'association [3] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 24 janvier 2023, qui, pour infractions au code de l'urbanisme et au code forestier, l'a condamnée à 6 000 euros d'amende dont 3 000 euros avec sursis, a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de l'association [3], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'association [3] (l'association) et la société [2] (la société), propriétaires de parcelles dont certaines classées « espace boisé » sur lesquelles une entreprise de terrassement et construction a déversé de la terre et des gravats et procédé à l'abattage d'arbres, ont été poursuivies, avec le gérant de cette entreprise, des chefs d'infractions au code de l'urbanisme et au code forestier.
3. Le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables et a, notamment, condamné l'association à 6 000 euros d'amende et à deux amendes contraventionnelles de 500 euros, a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte ainsi qu'une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils.
4. L'association, la société et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné contre l'association la remise en état des lieux de la parcelle [Cadastre 1] classée « espace boisé classé » de la forêt de protection de Bouconne, dans un délai d'un an à compter de son prononcé, et, au-delà, sous astreinte de cent euros par jour de retard, alors « que, lorsqu'il ordonne une mesure de remise en état des lieux, le juge pénal statue, soit sur la mise en conformité des lieux avec les règlements, l'autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur, et il impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol un délai pour l'exécution de l'ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; qu'en ordonnant à l'association [3] la remise en état des lieux de la parcelle [Cadastre 1] dans un délai d'un an, sans nullement détailler les mesures à prendre au regard des faits visés par la prévention, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme. »
Réponse de la Cour
7. Pour ordonner la remise en état de la parcelle n° [Cadastre 1] dans le délai d'un an sous astreinte de 100 euros par jour de retard, l'arrêt attaqué énonce notamment que ce terrain ne présente aucun phénomène de régénération, ce qui illustre les conséquences délétères des exhaussements sur la capacité de la végétation à se renouveler naturellement.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel, à qui il n'incombait pas de détailler les mesures à prendre pour parvenir à ce résultat, n'a fait qu'user de la faculté que lui accorde l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme.
9. Ainsi, le moyen ne peut être accueilli.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné solidairement l'association et la société à payer à l'association [4] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et la somme de 800 euros sur le même fondement en cause d'appel, alors « que, la solidarité prévue par l'article 480-1 du code de procédure pénale pour les restitutions de dommages-intérêts n'est pas applicable au paiement des frais irrépétibles ; qu'en condamnant néanmoins solidairement l'association [3] et la société [2] à payer une somme au titre des frais irrépétibles à la partie civile, la cour d'appel a violé les articles 475-1 et 480-1 du code de procédure pénale, le principe selon lequel la solidarité prévue pour les dommages-intérêts n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 475-1 et 480-1 du code de procédure pénale :
11. Selon ces textes, la solidarité édictée pour les restitutions et dommages et intérêts n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables.
12. L'arrêt attaqué a condamné solidairement l'association et la société à payer à la partie civile certaines sommes en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
13. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la condamnation de l'association, solidairement avec la société, à payer une somme au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Les autres dispositions seront donc maintenues.
16. En application de l'article 612-1 du code de procédure pénale, et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la cassation aura effet à l'égard de la société, qui ne s'est pas pourvue.
17. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Crim. 14 février 2024 n° 23-81.359
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 23-81.359 F-D
N° 00184
MAS2 14 FÉVRIER 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 14 FÉVRIER 2024
M. [L] [I], assisté de Mme [B] [U], curatrice, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 23 février 2023, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'informer sur sa plainte du chef d'abus de faiblesse.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Diop-Simon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [L] [I], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Diop-Simon, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [L] [I] a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef d'abus de faiblesse, dénonçant la vente à des amis qui l'hébergeaient de la quasi totalité de sa maison, ainsi que l'obtention par ceux-ci de la jouissance exclusive du terrain associé, pour un prix anormalement bas, alors que son état de santé physique et psychologique le rendait particulièrement vulnérable.
3. Sur réquisitions conformes du procureur de la République le juge d'instruction a rendu une ordonnance de refus d'informer.
4. M. [I] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de refus d'informer rendue le 22 août 2022 par le juge d'instruction de Grasse, alors :
« 1°/ que la juridiction d'instruction régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public ; que cette obligation ne cesse que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale ; que le juge d'instruction ne saurait être dispensé d'une telle obligation par la seule considération que le plaignant ne prouverait pas la réalité des faits dénoncés, l'instruction ayant précisément pour objet de permettre de rapporter cette preuve ; qu'en l'espèce pour confirmer le refus d'informer l'arrêt attaqué reproche à la partie civile de n'avoir pas « démontré » les éléments constitutifs du délit d'abus de faiblesse ni « étayé [ses affirmations] par un quelconque élément » (arrêt, p. 4 § 9), avant de conclure que le fait reproché « ne trouv[ait] aucune assise dans la plainte, [L] [I] se contentant de l'affirmer » (arrêt, p. 4 § 10) ; qu'en se fondant ainsi exclusivement sur l'absence de démonstration des faits dénoncés, sans avoir procédé à aucun acte d'instruction pour les vérifier, la chambre de l'instruction a violé les articles 223-15-2 du code pénal, 86, al. 4, et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le délit d'abus de faiblesse de l'article 223-15-2 du code pénal peut être caractérisé par la vente d'un bien à un prix anormalement bas par rapport à sa valeur réelle, susceptible comme telle d'être gravement préjudiciable aux intérêts patrimoniaux du vendeur en état de particulière vulnérabilité ; que la chambre de l'instruction était saisie d'une plainte avec constitution de partie civile dont il ressortait que la particulière vulnérabilité de M. [L] [I] était établie dès l'année 2015 et que, parfaitement informés de son état, Mme [G] [O] et M. [R] avaient exercé une emprise sur ce dernier qu'ils hébergeaient et pris toutes les initiatives pour que la vente du bien immobilier lui appartenant se réalise au plus vite et à l'insu de sa famille pour un prix dérisoire au regard de sa valeur réelle ce qui lui avait causé un grave préjudice constitué par le caractère dérisoire du prix et le fait qu'après avoir ainsi pris possession de la quasi-totalité de la propriété et des terrains afférents, le couple en avait interdit l'accès à M. [I] et avait fait murer la porte fenêtre de son appartement, seule ouverture vers l'extérieur, le rendant invendable à un tiers ; que dans ces conditions, la chambre de l'instruction ne pouvait considérer que les faits n'admettaient aucune qualification pénale sans violer les articles 223-15-2 du code pénal, 86, al. 4, et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que lorsqu'ils apprécient l'absence de qualification pénale de faits visés par une plainte avec constitution de partie civile, les juges du fond sont tenus de prendre en compte l'ensemble des éléments dont ils sont saisis ; qu'en retenant que la partie civile ne démontrait pas l'existence d'un abus frauduleux de la situation de faiblesse de [L] [I] sans s'expliquer sur les déclarations des parties civiles faisant état de l'emprise exercée par Mme [G] [O] et M. [R] sur M. [L] [I] alors qu'il était hébergé chez eux à l'époque des faits et des précautions prises par ces derniers pour que l'acte soit signé en urgence sans que les proches de M. [I] n'en soient informés, la chambre de l'instruction a violé les articles 223-15-2 du code pénal, 86, al. 4, et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que lorsqu'ils apprécie l'absence de qualification pénale de faits visés par une plainte avec constitution de partie civile, les juges du fond ne sauraient préjuger du fond de l'affaire ; que pour dire que l'absence de qualification pénale était d'emblée acquise faute d'élément permettant de caractériser un abus frauduleux de la situation de faiblesse de [L] [I] et une atteinte gravement préjudiciable à ses intérêts, la chambre de l'instruction a retenu que les lots « ont été cédés devant notaire après lotissement supervisé par un géomètre, le 16 octobre 2015 » (arrêt, p. 4 § 7) et « que ladite vente ne portait que sur une partie des locaux » (arrêt, p. 4 § 9) ; qu'en statuant ainsi, par des motifs préjugeant du fond du dossier s'agissant des conditions de la vente et du caractère lésionnaire du prix, la chambre de l'instruction a violé les articles 223-15-2 du code pénal, 86, al. 4, et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 85 et 86 du code de procédure pénale :
6. Il résulte de ces textes que la juridiction d'instruction régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public. Cette obligation ne cesse, suivant les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 86, que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale.
7. Pour confirmer l'ordonnance de refus d'informer, la chambre de l'instruction énonce qu'il n'est pas établi que la vente de biens immobiliers consentie par M. [I] ait été conclue à un prix manifestement sous évalué. Elle ajoute qu'il n'est pas démontré que la partie civile ait été dans une situation de faiblesse à la date de la vente, ni que les acquéreurs aient pu abuser frauduleusement d'une telle situation.
8. En tenant ainsi pour non établis les faits visés par la plainte, sans qu'il ait été informé sur celle-ci, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés.
9. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 14 février 2024 n° 23-80.076
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-80.076 F-D
N° 00185
MAS2 14 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 14 FÉVRIER 2024
M. [D] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, chambre correctionnelle, en date du 25 mai 2022, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive, l'a condamné à sept ans d'emprisonnement.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [D] [F], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [D] [F] a été condamné par le tribunal correctionnel des chefs susvisés à cinq ans d'emprisonnement et une confiscation.
3. Le ministère public a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [F] à une peine de sept ans d'emprisonnement et ordonné son maintien en détention, alors :
« 1°/ que le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers ; que cette règle s'applique à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond ; qu'il ressort des mentions de l'arrêt attaqué qu'à l'audience du 27 avril 2022, M. [F] a indiqué en début d'audience souhaiter la présence de son avocat et a demandé le renvoi de son affaire (arrêt p. 4) ; qu'il ne résulte ni des mentions de l'arrêt ni des notes d'audience que M. [F], présent à l'audience, ait eu la parole en dernier sur cette demande ; que la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du principe susvisé et a violé l'article 513 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 513, alinéa 4, du code de procédure pénale :
5. Selon ce texte, le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers. Cette règle s'applique à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond.
6. Il résulte de l'arrêt attaqué qu'à l'audience des débats, le prévenu a présenté une première demande de renvoi qui a été rejetée, puis qu'une seconde demande de renvoi a été faite pour lui par son avocat, et qu'elle a aussi été rejetée, sans que ni le prévenu ni son avocat n'aient eu la parole en dernier, à l'occasion de l'examen de ces deux demandes.
7. En prononçant ainsi, alors que les incidents n'avaient pas été joints au fond, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
8. La cassation est dès lors encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
9. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à M. [F].
Crim. 14 février 2024 n° 23-86.734
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 23-86.734 F-D
N° 00340
14 FÉVRIER 2024
SL2
QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 14 FÉVRIER 2024
M. [G] [Y] a présenté, par mémoire spécial reçu le 27 décembre 2023, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 9 novembre 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de recel de vol, tentative de meurtre, aggravés, association de malfaiteurs et infractions à la législation sur les armes, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Sur le rapport de Mme Diop-Simon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [G] [Y], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Diop-Simon, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article 112-2, 4°, du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 en ce qu'elles prévoient l'application immédiate à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, des lois relatives à la prescription des peines, auraient-elle pour résultat d'aggraver la situation de l'intéressé, sont-elles contraires au principe de légalité des délits et des peines, au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et au principe de sécurité juridique, tels qu'ils sont garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».
2. La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
3. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
4. La question posée ne présente pas un caractère sérieux.
5. En premier lieu, les dispositions contestées se rapportent aux lois relatives à la prescription de l'action publique, qui n'a pour seul effet que de faire obstacle, lorsqu'elle est acquise, à l'exercice de l'action publique. Dès lors elles n'ont aucune incidence sur la définition des infractions et des peines, et ne portent pas atteinte au principe de non-rétroactivité des lois plus sévères, ni au principe de légalité des délits et des peines.
6. En second lieu, la disposition législative critiquée ne porte atteinte à aucune situation légalement acquise et ne remet pas en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. En effet, il est à tout moment loisible au législateur, dans le domaine de sa compétence, de modifier les textes antérieurs ou de les abroger en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions pour autant qu'il ne prive pas les exigences constitutionnelles de garanties légales. Tel n'est pas le cas en l'occurrence, de sorte qu'il n'est pas porté atteinte au principe de sécurité juridique.
7. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Crim. 14 février 2024 n° 23-80.759
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 23-80.759 F-D
N° 00181
MAS2 14 FÉVRIER 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 14 FÉVRIER 2024
M. [G] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 4 janvier 2023, qui, pour agression sexuelle aggravée, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et deux ans d'interdiction professionnelle et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [G] [D], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 21 septembre 2018, le tribunal correctionnel a condamné M. [G] [D], pour agression sexuelle sur une personne vulnérable par une personne abusant de ses fonctions, à un an d'emprisonnement avec sursis et deux ans d'interdiction d'exercer la profession de médecin. Le tribunal a également prononcé sur les intérêts civils.
3. Le prévenu, le ministère public et la partie civile ont relevé appel de ce jugement.
4. Par arrêt avant dire droit du 20 novembre 2019, la cour d'appel a ordonné une nouvelle expertise psychiatrique du prévenu et décidé le renvoi de l'affaire au 18 mai 2020. Plusieurs renvois ont par la suite été ordonnés.
5. Par arrêt du 1er juin 2022, la cour d'appel a ordonné un examen médical du prévenu afin de déterminer si celui-ci était en état de comparaître à l'audience du 16 novembre 2022.
6. A cette audience, le prévenu n'était ni comparant ni représenté.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de renvoi formée par son conseil, alors :
« 1°/ que l'assistance d'un défenseur est obligatoire quand le prévenu est atteint d'une infirmité de nature à compromettre sa défense et lorsque l'altération des facultés d'un prévenu est telle que celui-ci se trouve dans l'impossibilité d'assurer effectivement sa défense, il doit être sursis à son jugement ; qu'en rejetant la demande de renvoi formulée par le conseil de M. [D] et en le jugeant contradictoirement, sans qu'il ne bénéficie de l'assistance d'un défenseur, tout en constatant qu'il présentait, aux termes d'une expertise médicale, un état d'aphasie consécutif à un AVC survenu le 5 décembre 2021 ne lui permettant de comparaître que « sous réserve qu'il soit accompagné par une tierce personne et que les éventuels questionnements soient très simples et brefs » et relevant que « d'un point de vue neurocognitif, le patient ne semble pas être à même de participer à discussion, échange, débat ou interrogatoire. (?) avec, en l'état constaté, la possibilité qu'aucun échange ou réponse ne soit contributif » (Production n° 2), la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 417, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe des droits de la défense et du droit à un procès équitable. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, §§ 1 et 3, a et c, de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles préliminaire et 593 du code de procédure pénale :
8. D'une part, il se déduit des deux premiers de ces textes qu'il ne peut être statué sur la culpabilité d'une personne que l'altération de ses facultés physiques ou psychiques met dans l'impossibilité de se défendre personnellement contre l'accusation dont elle fait l'objet, fût-ce en présence de son tuteur et assistée d'un avocat.
9. En l'absence de l'acquisition de la prescription de l'action publique, la juridiction pénale, qui ne peut interrompre le cours de la justice, est tenue de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure et ne peut la juger qu'après avoir constaté que l'accusé ou le prévenu a recouvré la capacité à se défendre.
10. Elle peut cependant, dans le cas où la comparution personnelle est durablement impossible, faire application des dispositions de l'article 10, alinéa 4, du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, en décidant qu'il sera tenu une audience publique pour statuer uniquement sur l'action civile, l'accusé ou le prévenu étant alors représenté par son avocat.
11. D'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
12. Pour rejeter la demande de renvoi et statuer sur les actions publique et civile, l'arrêt attaqué relève qu'au regard des conclusions de l'expertise médicale, le prévenu, en dépit de ses pathologies et notamment des séquelles d'un accident vasculaire cérébral survenu le 5 décembre 2021, est en capacité de comparaître et de confier un mandat à son avocat.
13. Les juges ajoutent qu'en dépit de plusieurs renvois, aucune disposition n'a été prise pour régulariser un tel mandat et qu'aucune décision plaçant le prévenu sous le régime de la curatelle ou de la tutelle n'a été rendue.
14. Ils en concluent qu'il y a lieu de rejeter la demande de renvoi.
15. En dénaturant ainsi la teneur du rapport d'expertise selon lequel le prévenu ne semblait pas, sur le plan neurocognitif, à même de participer à une discussion, un échange, ou un interrogatoire, ce dont il résulte qu'il ne pouvait exercer de manière effective les droits de la défense lui étant reconnus et était inaccessible à une sanction pénale, la cour d'appel, qui devait surseoir à statuer ou bien, le cas échéant, faire application des dispositions de l'article 10, alinéa 4, du code de procédure pénale, n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Crim. 14 février 2024 n° 23-80.579
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 23-80.579 F-D
N° 00186
MAS2 14 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 14 FÉVRIER 2024
M. [R] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 25 octobre 2022, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants, en récidive, et importation de marchandises prohibées, l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement, 538 160 euros d'amende douanière et une confiscation.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [R] [M], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'administration des douanes et des droits indirects et de la direction interregionale des douanes et des droits indirects d'Aquitaine, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [R] [M] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs d'importation de stupéfiants, infractions à la législation sur les stupéfiants et importation de marchandises prohibées.
3. Par jugement du 13 avril 2022, le tribunal correctionnel a relevé l'état de récidive relativement aux délits d'importation de stupéfiants et d'infractions à la législation sur les stupéfiants, et l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement, 538 160 euros d'amende et une confiscation.
4. M. [M] a relevé appel de cette décision. Le ministère public a formé appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [M] coupable de faits d'importation non autorisée de stupéfiants en récidive et d'importation en contrebande de marchandise prohibée, de transport non autorisé de stupéfiants en récidive, d'acquisition non autorisée de stupéfiants en récidive et de détention non autorisé de stupéfiants en récidive, alors « que le prévenu ou son avocat auront toujours la parole en dernier ; cette règle s'applique à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond ; qu'en statuant sur la demande du prévenu tendant à l'ouverture du scellé n° DA-CLIO-DEUX après avoir entendu le ministère public et sans inviter le prévenu ou son avocat à prendre la parole à sa suite (voir arrêt, p. 8), la cour d'appel a violé l'article 513 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 513, alinéa 4, du code de procédure pénale :
6. Selon ce texte, le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers. Cette règle s'applique à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond.
7. l résulte des mentions de l'arrêt attaqué et des notes d'audience qu'il a été statué, au cours des débats, sur la demande d'ouverture d'un scellé présentée par le prévenu, pour la rejeter, sans que l'intéressé ou son avocat, ait eu, sur cette demande, la parole le dernier.
8. En prononçant ainsi, alors que l'incident n'avait pas été joint au fond, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
9. La cassation est dès lors encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à M. [M].
Crim. 14 février 2024 n° 23-84.093 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 23-84.093 F-B
N° 00178
MAS2 14 FÉVRIER 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 14 FÉVRIER 2024
M. [R] [O] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, en date du 21 février 2023, qui a prononcé sur sa requête portant sur les conditions de détention.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [R] [O], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [R] [O] exécute plusieurs peines d'emprisonnement au centre pénitentiaire de [Localité 1] (94).
3. Par requête du 16 janvier 2023, M. [O] a saisi le juge de l'application des peines afin de faire reconnaître le caractère indigne de ses conditions de détention, et qu'il y soit remédié.
4. Par ordonnance du 6 février 2023, le juge de l'application des peines a déclaré sa requête bien fondée.
5. Cette ordonnance a été notifiée, le 7 février 2023, au condamné et au procureur de la République, lequel, le même jour, en a relevé appel suspensif.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré non fondée la requête de M. [O] portant sur ses conditions de détention, alors :
« 1°/ que l'appel formé par le ministère public contre la décision du juge d'application des peines ayant déclaré bien fondée une requête portant sur des conditions indignes de détention doit être porté à la connaissance du détenu ou de son avocat ; qu'en se prononçant sur l'appel interjeté par le ministère public contre l'ordonnance du 6 février 2023 par laquelle le juge d'application des peines du tribunal judiciaire de Créteil a déclaré bien fondée la requête de M. [O], sans que cet appel n'ait été porté à la connaissance du détenu ou de son avocat, qui n'ont ainsi pas eu la possibilité de faire valoir leurs observations, la présidente de la chambre d'application des peines a méconnu les articles préliminaire et 803-8 du code de procédure pénale et 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
8. La Cour de cassation a jugé que le caractère équitable et contradictoire de la procédure applicable aux requêtes relatives aux conditions indignes de détention, ainsi que l'équilibre des droits des parties, était préservé lorsqu'un demandeur, informé du recours formé par le procureur de la République contre la décision déclarant bien fondée sa requête, n'a pas sollicité que les éventuelles observations de l'appelant lui soient communiquées, et n'en a pas obtenu communication (Crim., 16 novembre 2022, pourvoi n° 22-80.807, publié au Bulletin).
9. Lorsque, à l'inverse, la personne détenue n'est pas informée de l'existence de ce recours, le caractère équitable de la procédure n'est plus assuré de manière suffisante. En effet, la faculté offerte à la personne de solliciter les observations du ministère public, et à son avocat de consulter le dossier, n'est pas effective, si l'une et l'autre ne sont pas avisés de l'utilité d'user de leurs droits, à l'occasion d'un recours dont ils n'ont pas connaissance.
10. En l'espèce, M. [O] indique ne pas avoir eu connaissance de l'appel formé par le procureur de la République contre l'ordonnance ayant déclaré sa requête bien fondée.
11. Cependant, il ne saurait s'en faire un grief, dès lors qu'il résulte des pièces de procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que le greffe du juge de l'application des peines a transmis à l'administration pénitentiaire copie de la déclaration d'appel du procureur de la République, aux fins de notification à M. [O], qui a refusé de se rendre auprès de l'agent chargé d'y procéder.
12. Le grief n'est en conséquence pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré non fondée la requête portant sur ses conditions de détention, alors :
« 1°/ que saisi d'une requête tendant à faire cesser des conditions de détention indignes, le juge doit d'abord s'attacher à déterminer l'espace personnel dont le détenu dispose en cellule, qui est le facteur déterminant de l'analyse qu'il portera ensuite sur les autres conditions de détention ; qu'en écartant le bien-fondé de la requête de M. [O], sans avoir consacré aucun motif à l'espace personnel dont ce dernier disposait dans sa cellule, pour lequel la requête exposait qu'il était inférieur à 4 m2, la présidente de la chambre d'application des peines a méconnu les articles 803-8 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le juge doit procéder à une analyse globale des conditions de détention afin de déterminer si, dans leur ensemble, les conditions dénoncées ne sont pas indignes ; qu'en s'attachant cependant, pour dire non fondée sa requête, à apprécier de manière isolée chacune des conditions de détention dénoncées par M. [O], sans procéder à une analyse globale, la présidente de la chambre d'application des peines a méconnu les articles 803-8 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que des conditions de détention peuvent être qualifiées d'indignes nonobstant l'absence de répercussion immédiate sur la santé du détenu ; qu'en écartant l'indignité des conditions d'hygiène de la détention de M. [O] à raison de ce qu'il ne démontrait pas que le faible nombre de douche par semaine et l'absence de lunette fermée sur les toilettes en cellule auraient un retentissement sur sa santé, la présidente de la chambre d'application des peines a méconnu l'article 803-8 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'un détenu ne peut se voir opposer que les dégradations dont il est personnellement responsable ; qu'en écartant l'indignité des conditions de promenade de M. [O] à raison de ce que la situation permanente de saleté de la cour serait entretenue par les détenus eux-mêmes qui se rendraient responsable de cet état, sans caractériser aucun acte de dégradation dont le détenu se serait rendu responsable, la présidente de la chambre d'application des peines a méconnu les articles 803-8 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que la présidente de la chambre d'application des peines qui, après avoir constaté que M. [O] ne bénéficiait que de trois douches par semaine, que les toilettes de sa cellule n'étaient pas équipés d'une lunette fermée, que la fenêtre de cette cellule fermait mal, que son évier était vétuste et mal fixé et qu'il ne bénéficiait que de deux heures par jour hors de sa cellule, dans des cours insalubres, a néanmoins écarté l'indignité des conditions de détention, a méconnu l'article 803-8 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Pour rejeter la requête, l'ordonnance attaquée énonce que le demandeur n'établit pas qu'il souffrirait personnellement d'un faible nombre de douches hebdomadaires, en particulier par des retentissements sur sa santé, ou serait affecté à titre personnel, et ajoute que ce nombre apparaît conforme au règlement intérieur, qui satisfait aux exigences de l'article R. 321-5 du code pénitentiaire, une douche étant également proposée après chaque séance de sport, et les infrastructures étant entretenues et nettoyées chaque jour.
15. Le juge ajoute, concernant les sanitaires, que l'absence de dispositif de lunette fermée ne constitue pas en elle-même une circonstance caractérisant des conditions indignes, cet élément n'étant pas d'une absolue nécessité pour garantir l'hygiène, dans la mesure où un nettoyage quotidien permet de maintenir la propreté de cet espace dont l'aération est effectuée par le biais d'une fenêtre suffisamment large, aucune fuite n'ayant par ailleurs été constatée par le juge de l'application des peines lors de sa visite.
16. Il retient que les éléments de confort élémentaire sont présents, notamment un point d'eau fonctionnel en cellule, et deux couvertures en cas de besoin, et relève que, même si la fenêtre de la cellule ferme mal, la température avait été mesurée à 21 degrés au mois de janvier.
17. Il concède que le nettoyage des cours de promenade est insuffisant, déplore que cette situation permanente de saleté soit entretenue par les détenus eux-mêmes, et rappelle qu'il appartient à l'administration pénitentiaire d'y remédier. Il considère néanmoins que, la période de promenade étant très limitée dans la journée, l'état d'hygiène de la cour ne peut à lui seul être constitutif de conditions indignes de détention, d'autant que ces lieux ont pour finalité un minimum d'exercice physique et que s'asseoir n'apparaît pas comme une priorité. Il précise que M. [O] a d'ailleurs indiqué lors de son audition qu'il profitait des moments de promenade pour y faire du sport, et que l'administration pénitentiaire a prévu d'importants travaux de rénovation des cours de promenade.
18. Il en conclut que non seulement M. [O] ne démontre pas en quoi il souffre personnellement ou serait affecté à titre personnel par les prétendues conditions indignes qu'il relève, même cumulées, retenues par le juge de l'application des peines, mais surtout, que les lacunes constatées n'atteignent pas un seuil de gravité tel qu'il puisse être considéré que les conditions de détention actuelles de l'intéressé soient contraires à la dignité de la personne humaine.
19. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, le président de la chambre de l'application des peines a justifié sa décision.
20. Dès lors, le moyen ne saurait être accueilli.
21. Par ailleurs, l'ordonnance est régulière en la forme.
Crim. 14 février 2024 n° 23-84.350
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 23-84.350 F-D
N° 00179
MAS2 14 FÉVRIER 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 14 FÉVRIER 2024
Mme [C] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-5, en date du 28 juin 2023, qui, pour non-représentation d'enfant, l'a condamnée à quatre mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, 2 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par acte d'huissier signifié le 31 mars 2020, M. [H] [P] a fait citer Mme [C] [V] devant le tribunal correctionnel, du chef de non-représentation d'enfant, délit commis depuis le 24 décembre 2019.
3. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable, condamnée à deux mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
4. Mme [V] a relevé appel de cette décision. Le ministère public a formé appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 122-4, alinéa 2, du code pénal, 388, 485, 512, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la culpabilité de Mme [V], sans répondre à ses conclusions, suivant lesquelles elle invoquait le bénéfice de la cause d'irresponsabilité tenant au commandement de l'autorité légitime, le procureur de la République l'ayant, par deux fois, en décembre 2019 et juin 2020, autorisée à ne pas remettre sa fille à son père pendant le cours d'enquêtes pénales.
Réponse de la Cour
7. Pour confirmer la culpabilité de la prévenue, l'arrêt attaqué énonce que la décision prise par le procureur de la République, à la suite d'une plainte déposée par elle contre M. [P], le 2 juin 2020, n'a pu justifier un délit commis entre le 24 décembre 2019 et le 31 mars 2020.
8. Les juges retiennent qu'entre 2019 et 2020, Mme [V] a multiplié les allégations d'atteintes sexuelles pour justifier son refus de remettre l'enfant à son père, malgré plusieurs rapports ne relevant aucun élément suspect contre M. [P], qui n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale, et soulignant la nécessité d'un lien avec le père, dans l'intérêt de l'enfant.
9. Ils ajoutent que, pendant cette période, des mesures ont été instaurées, de nature à rassurer Mme [V], qui, néanmoins, n'a jamais changé de comportement, que des visites médiatisées, organisées en 2019, ont été très positives, que le juge des enfants a relevé, en janvier 2020, que de nombreuses accusations de la mère avaient été écartées par la décision du 28 juin 2018 accordant un droit de visite et d'hébergement au père, et que la mère a été, le 20 mars 2020, déboutée de sa demande de suspension de ce droit, par une décision que la cour d'appel a confirmée le 22 septembre 2022.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a, sans insuffisance, justifié sa décision d'écarter la cause d'irresponsabilité invoquée par la prévenue.
11. Dès lors, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen est pris de la violation des articles 227-5 du code pénal, 388, 485, 512, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale.
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la prévenue coupable de non-représentation d'enfant, délit commis du 24 décembre 2019 au 31 mars 2020, sans indiquer de date plus précise permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur la déclaration de culpabilité.
Réponse de la Cour
14. Mme [V] ayant été citée, par acte d'huissier signifié le 31 mars 2020, pour non-représentation d'enfant commise depuis le 24 décembre 2019, l'arrêt attaqué, pour la déclarer coupable de ce délit, relève qu'elle reconnaît ne pas avoir, entre ces deux dates, remis l'enfant à son père dans les conditions fixées par la décision du 28 juin 2018.
15. En statuant ainsi, par des motifs qui, dans l'intervalle défini ci-dessus, permettent d'individualiser chacun des jours de commission de l'infraction, la cour d'appel a, sans encourir le grief formulé au moyen, justifié sa décision.
16. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen est pris de la violation des articles 227-5 et 227-29 du code pénal, 388, 485, 512, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale.
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, pour condamner la prévenue à 2 000 euros d'amende, pris en considération des revenus dont elle ne disposait plus, ayant cessé son activité d'agent immobilier.
Réponse de la Cour
19. Pour condamner la prévenue à la peine de 2 000 euros d'amende, l'arrêt attaqué, après avoir relevé que la prévenue déclarait avoir travaillé comme agent immobilier, énonce que cette peine tient compte de son patrimoine, des revenus qu'elle en tire à hauteur de 1 500 euros par mois et de son emploi d'agent immobilier.
20. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
21. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.
22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 13 février 2024 n° 23-83.827
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 23-83.827 F-D
N° 00145
GM 13 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 13 FÉVRIER 2024
M. [T] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 31 mai 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 11 septembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [T] [D], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [T] [D] a été mis en examen des chefs susvisés le 12 octobre 2021.
3. Le 5 avril 2022, il a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en nullité.
Examen des moyens
Sur les premier, quatrième, cinquième et septième moyens
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la mise en place du dispositif de sonorisation de l'appartement de M. [S] [W] et des actes subséquents, alors « que lorsque la durée de l'autorisation de sonorisation d'un lieu privé a expiré, le dispositif de sonorisation doit, sauf impossibilité technique qu'il appartient aux enquêteurs de relever sous le contrôle du juge, être retiré, la sonorisation du même lieu pour une nouvelle période supposant une nouvelle mise en place du dispositif ; qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a elle-même constaté qu'à l'expiration de la première autorisation de sonorisation de l'appartement de M. [W], le 22 janvier 2021, le dispositif n'avait pas été ôté et avait été remis en fonction à compter du 29 janvier 2021 ; qu'en disant néanmoins la procédure régulière en dépit de l'absence d'indication de la raison technique qui aurait justifié le maintien en place du dispositif au-delà de la date de fin d'autorisation initiale de sonorisation, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-96 et suivants, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour rejeter le grief d'irrégularité de l'ordonnance du 29 janvier 2021, pris de l'absence de retrait du dispositif précédemment installé au domicile de M. [S] [W] pour les besoins d'une précédente mesure de sonorisation, l'arrêt attaqué énonce que ledit dispositif est resté en place par suite de motifs tirés de contraintes techniques et de sécurité.
7. Les juges ajoutent que l'appareil a cessé de fonctionner au moment où la mesure a pris fin et que les enregistrements et retranscriptions correspondants ont été placés sous scellés et cotés en procédure.
8. Ils relèvent que la nouvelle mesure de sonorisation, autorisée le 29 janvier 2021, a été mise en oeuvre par une réactivation du dispositif en place.
9. Ils précisent que les conditions, de nature technique, de mise en place ou de réactivation du dispositif ne permettent pas de caractériser un grief dès lors que la décision est régulière et que les conversations ont été enregistrées sans dépasser le cadre de cette autorisation, seule circonstance de nature à caractériser une méconnaissance de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
10. Ils en déduisent que, le dispositif étant resté inactif avant d'être réutilisé, l'existence d'un grief n'est pas établie.
11. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction, qui n'était saisie d'aucun grief pris du recours à un stratagème par les enquêteurs, a suffisamment justifié sa décision.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le huitième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen additionnel critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de l'autorisation de perquisition de nuit et des actes subséquents, alors « que si le juge d'instruction peut, par une ordonnance motivée conformément aux exigences de l'article 706-92 du code de procédure pénale, autoriser des perquisitions de nuit en considération de la situation d'urgence inhérente à des interpellations dont la date n'est pas encore fixée et du risque de dépérissement des preuves qui en résultera, encore doit-il, pour garantir l'effectivité de son contrôle, s'assurer de la persistance de cette urgence au regard des éléments de fait et de droit énoncés dans ladite ordonnance, avant que ces perquisitions ne soient réalisées ; qu'au cas d'espèce, il résulte des éléments de la procédure que le domicile de M. [D] a été perquisitionné le 8 octobre 2021 à 5 heures 35 sur la base d'une autorisation du juge d'instruction du 22 septembre 2021, soit plus de deux semaines auparavant ; qu'en affirmant que la perquisition ainsi réalisée était régulière, sans constater que le juge d'instruction avait constaté la persistance de l'urgence au jour de la perquisition, la chambre de l'instruction a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 706-91, 706-962, 592 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
13. Pour rejeter le moyen d'irrégularité de la perquisition nocturne pris du défaut de caractérisation d'une situation d'urgence contemporaine de ladite perquisition, l'arrêt énonce que celle-ci a été réalisée le 8 octobre 2021 après avoir été autorisée par ordonnance du 22 septembre précédent.
14. Les juges relèvent que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le juge d'instruction peut, par une ordonnance motivée conformément aux exigences de l'article 706-92 du code de procédure pénale, autoriser les perquisitions de nuit en considération de la situation d'urgence inhérente à des interpellations dont la date n'est pas encore fixée et du risque de dépérissement des preuves qui en résultera.
15. Ils observent que ce risque est caractérisé en l'espèce, le magistrat ayant prévu la réalisation d'une vingtaine de perquisitions en exécution d'autant d'ordonnances, investigations dont il a délégué la réalisation à plusieurs services de police devant intervenir de manière synchronisée, dans des circonstances ainsi marquées par un risque élevé de déperdition des preuves et indices, et en particulier de dissipation de sommes et produits stupéfiants, voire de fuite des mis en cause, risque pouvant se réaliser dès les premières interpellations.
16. Ils constatent que, le 6 octobre 2021, par un avis aux procureurs de la République et officiers de police judiciaire concernés, les enquêteurs ont informé ces derniers que le déclenchement des opérations était lié au retour en France des mis en cause d'un voyage dédié à l'importation de stupéfiants.
17. Ils ajoutent que le magistrat a autorisé deux autres perquisitions de nuit, par deux ordonnances des 5 et 7 octobre 2021, dans lesquelles il a, par des motifs précis, qu'ils reprennent, constaté la persistance de l'urgence.
18. Ils en déduisent que, dès lors que les interpellations et perquisitions devaient être réalisées de manière synchronisée, et l'ont été le 8 octobre 2021, le juge d'instruction a été en mesure d'exercer son contrôle sur la persistance de l'urgence pouvant permettre le déclenchement de l'ensemble des perquisitions, par la réactualisation des éléments d'urgence décrits dans la dernière des ordonnance ainsi rendues.
19. C'est à tort que la chambre de l'instruction a, par ces motifs, retenu que le juge d'instruction avait actualisé son appréciation de l'urgence permettant une perquisition nocturne au domicile de M. [D], dès lors que l'avis du 6 octobre 2021 n'a pas été adressé à ce magistrat et que les décisions des 5 et 7 octobre suivants ne concernent pas M. [D], qui n'a de ce fait pas qualité pour les contester.
20. L'arrêt attaqué n'encourt néanmoins pas la censure, pour les motifs suivants.
21. D'une part, le 6 octobre 2021, à 22 heures 15, les enquêteurs ont dressé (D1857) un bilan précis et détaillé de la situation, à l'issue duquel, après avoir décrit notamment l'implication de M. [D] dans le voyage du 6 octobre précédent, ils concluent que certains responsables du trafic se sont rendus ce jour là en Belgique pour s'approvisionner en stupéfiants et que leur retour est attendu.
22. D'autre part, le 8 octobre suivant, à 5 heures 15, soit vingt minutes avant l'interpellation de M. [D], le juge mandant a adressé aux policiers, par soit-transmis à cette même date, un réquisitoire supplétif, daté de ce même jour, étendant sa saisine jusqu'au 8 octobre 2021. Le procès verbal établi à cette occasion renvoie, en introduction, au « compte-rendu précédent » fait au juge d'instruction.
23. Il se déduit de ce qui précède qu'entre le 22 septembre 2021, date de l'ordonnance autorisant la perquisition nocturne au domicile de M. [D], et le 8 octobre 2021, date de mise en oeuvre de cette décision, le juge mandant, qui était, par des avis mentionnés en procédure, informé de l'évolution des circonstances de fait et de l'avancée des investigations, a nécessairement été avisé de la perquisition concernée, combinée avec l'interpellation de M. [D], dans des conditions permettant à ce magistrat d'apprécier la persistance de l'urgence, qu'il avait justement caractérisée dans sa décision.
24. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la garde à vue de M. [D] et des actes subséquents, alors :
« 1°/ d'une part que le gardé à vue doit pouvoir communiquer librement et confidentiellement avec son avocat dans les conditions de l'article 63-4 du Code de procédure pénale ; que les déclarations recueillies alors qu'un tel entretien n'a pas eu lieu doivent être annulées sauf si l'absence d'entretien résulte d'un fait extérieur au service public de la justice ; qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a constaté que M. [D] avait sollicité dès son placement en garde à vue l'intervention de Me Picchiotino, lequel s'était présenté le 8 octobre 2021 à 12 heures au commissariat de [Localité 2], où il était demeuré jusqu'à 13 heures 30 sans pourvoi rencontrer son client, lequel a été interrogé à 15 heures et n'a pu rencontrer son conseil qu'à 20 heures 17 ; qu'en affirmant, pour refuser d'annuler la garde à vue, que l'impossibilité pour M. [D] de rencontrer son conseil résultait de l'encombrement du commissariat en raison de la multiplicité des gardes à vue en cours, motif impropre à caractériser une circonstance imprévisible, insurmontable et extérieure au service public de la justice, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 63-4, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que le gardé à vue doit pouvoir communiquer librement et confidentiellement avec son avocat dans les conditions de l'article 63-4 du Code de procédure pénale ; que les déclarations recueillies alors qu'un tel entretien n'a pas eu lieu doivent être annulées sauf si l'absence d'entretien résulte d'un fait extérieur au service public de la justice ; qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a constaté que M. [D] avait sollicité dès son placement en garde à vue l'intervention de Me Picchiotino, lequel s'était présenté le 8 octobre 2021 à 12 heures au commissariat de [Localité 2], où il était demeuré jusqu'à 13 heures 30 sans pourvoi rencontrer son client, lequel a été interrogé à 15 heures et n'a pu rencontrer son conseil qu'à 20 heures 17 ; qu'en refusant d'annuler la garde à vue, sans égard pour la circonstance que M. [D] avait été interrogé avant d'avoir pu s'entretenir avec son avocat, la chambre de l'instruction légalement justifié sa décision au regard des articles 63-4, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
26. Pour rejeter le grief de nullité de la garde à vue de M. [D], pris du caractère tardif de l'entretien de ce dernier avec son avocat, l'arrêt attaqué énonce que l'intéressé a fait choix d'un avocat, qui a été avisé et qui, après avoir informé les enquêteurs qu'il acceptait d'intervenir, s'est présenté le 8 octobre 2021 à 12 heures afin de s'entretenir avec M. [D].
27. Ils précisent qu'après quarante-cinq minutes d'attente, l'avocat concerné a quitté les lieux, sans avoir vu l'intéressé, en raison de l'indisponibilité du local dédié aux entretiens, occupé par d'autres personnes, dix-neuf gardes à vue étant en cours en même temps.
28. Ils constatent que l'avocat a rédigé une note (D2141/2-3) dans laquelle il disait n'avoir pu rencontrer M.[D] et ne pouvoir attendre davantage, devant intervenir, à 13 heures 30, à une audience correctionnelle.
29. Ils relèvent que l'intéressé a été entendu par les enquêteurs à 15 heures, hors la présence de son avocat, qui a finalement pu s'entretenir avec lui le soir-même à 20 heures 17.
30. Ils observent que, compte tenu du nombre de gardes à vue en cours, et de l'occupation, par un autre avocat, du local destiné à garantir la confidentialité des entretiens, le délai d'attente, en l'espèce, n'était pas déraisonnable et en déduisent que l'intéressé ne saurait s'en faire grief.
31. C'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que la seule absence de caractère déraisonnable du délai imposé à l'avocat pour s'entretenir avec M. [D] excluait toute nullité, dès lors que le nombre de gardes à vue en cours au même moment dans les mêmes locaux n'était pas un événement imprévisible, les interpellations ayant été programmées.
32. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure, pour les motifs suivants.
33. En premier lieu, l'audition survenue avant l'entretien susvisé a été réalisée après le délai de deux heures prévu par l'article 63-4-2, alinéa 1, du code de procédure pénale alors que l'avocat choisi avait été dûment avisé de la mesure en cours.
34. En deuxième lieu, M. [D], informé de la situation, a accepté d'être entendu sur ses seuls éléments de personnalité hors la présence de l'avocat, précisant qu'il attendait de rencontrer ce dernier avant toute audition sur le fond.
35. Enfin, il n'est pas allégué que l'audition contestée n'aurait pas porté sur les seuls renseignements de personnalité, ni M. [D], ni son avocat, qui l'assistait au moment de son interrogatoire de première comparution comme devant le juge des libertés et de la détention, n'ayant formulé, à ces deux occasions successives, la moindre observation.
36. Il s'en déduit que M. [D] n'établit pas l'existence d'un grief.
37. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le deuxième moyen et le moyen relevé d'office, mis dans le débat
Enoncé des moyens
38. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il n'a annulé que les actes cotés D1830/7, 8, 9, D1829/8, 9 et 10, D1509 à D1525 et D2459/3 « séquence 4764 du 31 mai 2021 » jusqu'à la cote D2467 incluse, D1832/17, 18, 19, D1833/6, 7, 8, D1834/7, 8, 9, D1447 à D1477 et D2417 à D2447, et n'a cancellé que dans le procès-verbal de première confrontation du 15 novembre 2022, le passage en cote D2820/4 débutant par « Question à [U] [R] : Dans une conversation du 12 juillet 2021, vous » et s'achevant en cote D2820/5 à la phrase « des paroles en l'air », dans le procès-verbal de seconde confrontation du 15 novembre 2022 le passage en cote D2821/4 débutant par « Question à [S] [W] : Dans une conversation du 12 juillet 2021, vous faites allusion » et s'achevant à la phrase « je pensais que c'était la fois que je l'avais reconnu », alors « que l'annulation d'un acte emporte annulation des actes qui y trouvent leur support nécessaire ; qu'il appartient aux juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, de ne laisser subsister aucune pièce qui trouverait son support nécessaire dans une pièce annulée et de les annuler ou canceller au besoin d'office ; qu'en limitant le champ des annulations aux pièces visés au moyen, quand l'annulation des prolongations des mesures de sonorisation du domicile de M. [W] et du véhicule de Madame [V] aurait dû emporter annulation ou cancellation d'autres actes qui y trouvaient leur support nécessaire, par exemple la cote D1834 qui fait expressément référence en ses deux premières pages à des interceptions réalisées dans la voiture Golf postérieurement au 10 janvier 2021, date d'expiration du délai de quatre mois de l'autorisation initiale ou les retranscriptions des sonorisations cotées D1446 pages 7 à 11, qui portent pourtant sur la période allant du 10 au 19 janvier 2021, la chambre de l'instruction a violé les articles 174, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
39. Le moyen relevé d'office est pris de la violation de l'article 174, alinéa 2, du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué prononçant l'annulation par voie de conséquence de pièces qui n'ont pas pour support nécessaire l'un des actes dont elle a constaté la nullité.
Réponse de la Cour
40. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 174, alinéa 2, et 706-95-16, alinéa 2, du code de procédure pénale :
41. Selon le premier de ces textes, lorsque la chambre de l'instruction constate la nullité d'un acte de la procédure, doivent être annulés par voie de conséquence les actes qui ont pour support nécessaire l'acte vicié.
42. Il se déduit du second que l'autorisation délivrée en application de l'article 706-95-12, 2° de ce même code, vaut pour une durée de quatre mois, qui doit être calculée de quantième à quantième.
43. Après avoir prononcé l'annulation de décisions de prorogation de mesures de sonorisation dont la mise en place initiale avait régulièrement autorisée, d'une part, le 10 septembre 2020 dans le véhicule immatriculé [Immatriculation 1], d'autre part, le 29 janvier 2021 au domicile de M. [W], l'arrêt attaqué procède à l'annulation, par voie de conséquence, de divers actes et pièces de la procédure et à la cancellation de certains autres.
44. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés, pour les motifs qui suivent.
45. En premier lieu, elle a, dans le dispositif de l'arrêt attaqué, prononcé l'annulation, d'une part, d'actes relatifs à la mesure visant le domicile de l'intéressé dont l'irrégularité n'a pas été constatée et qui n'ont pas pour support nécessaire les pièces annulées, d'autre part, des retranscriptions des conversations intervenues pendant toute la journée du 29 mai 2021 (cote D1517).
46. En second lieu, elle a omis d'annuler d'autres actes et pièces qui trouvent leur support nécessaire dans l'un ou plusieurs des actes annulés, en particulier les procès-verbaux de retranscription des conversations interceptées, qui figurent en plusieurs exemplaires, sous des cotes différentes, au dossier de la procédure.
47. La cassation est ainsi encourue.
Portée et conséquences de la cassation
48. La cassation, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Crim. 13 février 2024 n° 23-82.950 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 23-82.950 FS-B
N° 00077
RB5 13 FÉVRIER 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 13 FÉVRIER 2024
M. [J] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 17 mars 2023, qui, dans l'information suivie contre lui, notamment, des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 27 juillet 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [J] [U], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
aits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 25 janvier 2022, à 15 heures 35, les fonctionnaires de police ont été avisés d'une suspicion de découverte de produits stupéfiants dans un bureau de poste à [Localité 1]. Sur place, après avoir ouvert une enveloppe et y avoir découvert du cannabis, ils ont procédé à la saisie de vingt enveloppes.
3. Le même jour, à 16 heures 20, ils ont été requis dans un autre bureau de poste où ils ont procédé à la saisie de dix enveloppes dans des circonstances analogues.
4. L'exploitation de la vidéosurveillance a permis d'identifier M. [J] [U] comme étant l'expéditeur de ces enveloppes.
5. Sur instruction du procureur de la République de poursuivre les investigations dans le cadre d'une enquête préliminaire, les enquêteurs ont procédé à l'ouverture des enveloppes et à la pesée des produits stupéfiants qu'elles contenaient.
6. Une information a été ouverte notamment du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants.
7. M. [U] a été mis en examen le 1er juin 2022.
8. Il a reconnu devant le juge d'instruction être l'expéditeur de ces enveloppes.
9. Son avocat a, le 30 novembre 2022, déposé une requête en nullité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
10. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable le moyen de nullité relatif à l'ouverture de l'enveloppe au bureau de poste sis [Adresse 2] à [Localité 1], alors :
« 2°/ qu'a qualité à agir en nullité de la perquisition constituée par l'ouverture d'une enveloppe celui qui peut se prévaloir d'un droit sur celle-ci, qu'il soit expéditeur, destinataire ou en possession régulière de l'enveloppe ; qu'il résulte tant des pièces de la procédure que des constatations de l'arrêt que M. [U] était en possession de l'enveloppe et l'a expédiée, de sorte qu'en jugeant qu'il n'avait pas qualité à agir en nullité de la perquisition, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
3°/ que en retenant encore que la circonstance que l'enveloppe ait eu un contenu illicite privait M. [U] de qualité à agir, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
4°/ que M. [U] se prévalait d'une atteinte à sa vie privée, qui ne pouvait être écartée du seul fait que le contenu de l'enveloppe était illicite, de sorte qu'en retenant, pour écarter l'existence d'un grief, que n'était pas établie, à raison du contenu illicite de l'enveloppe, l'existence d'une atteinte injustifiée à la vie privée et au secret des correspondances, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 171 et 802 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12. Dans sa requête en nullité, le demandeur reproche aux enquêteurs d'avoir méconnu les dispositions de l'article 56 du code de procédure pénale, qui prévoient qu'une perquisition est effectuée par un officier de police judiciaire.
13. Cette disposition tend à garantir la bonne administration de la preuve.
14. Dès lors, le moyen, qui se prévaut de la méconnaissance de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, est inopérant.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable le moyen de nullité relatif à l'ouverture d'enveloppes dans les locaux de la police, alors :
« 1°/ qu'a qualité à agir en nullité de la perquisition constituée par l'ouverture d'une enveloppe celui qui peut se prévaloir d'un droit sur celle-ci, qu'il soit expéditeur, destinataire ou en possession régulière de l'enveloppe ; qu'il résulte tant des pièces de la procédure que des constatations de l'arrêt que M. [U] était expéditeur des enveloppes, de sorte qu'en jugeant qu'il n'avait pas qualité à agir en nullité de la perquisition, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que en retenant encore que la circonstance que les enveloppes aient eu un contenu illicite privait M. [U] de qualité à agir, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
3°/ que M. [U] se prévalait d'une atteinte à sa vie privée, qui ne pouvait être écartée du seul fait que le contenu des enveloppes était illicite, de sorte qu'en retenant, pour écarter l'existence d'un grief, que n'était pas établie, à raison du contenu illicite des enveloppes, l'existence d'une atteinte injustifiée à la vie privée et au secret des correspondances, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 171 et 802 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
16. Il résulte de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et qu'il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, poursuit un des buts légitimes prévus audit article.
17. Selon l'article 76 du code de procédure pénale, durant l'enquête préliminaire, les perquisitions et saisies de pièces à conviction ne peuvent être effectuées sans l'assentiment exprès de la personne chez qui l'opération a lieu, ou à défaut, sur autorisation du juge des libertés et de la détention.
18. La saisie d'une correspondance postale adressée à un particulier pour procéder à l'ouverture des enveloppes et au contrôle de leur contenu est assimilable à une perquisition ou visite domiciliaire (Crim., 4 mars 1991, pourvoi n° 90-82.002, Bull. crim. 1991, n° 105).
19. Sauf si un texte l'autorise expressément, elle ne peut être effectuée que dans les conditions prescrites par l'article 76 précité.
20. En cas de non-respect de ces dispositions, il appartient au requérant d'établir qu'un tel acte lui a causé un grief.
21. En l'espèce, pour dénier à M. [U] la qualité à agir en annulation de l'ouverture des enveloppes contenant du cannabis lors de l'enquête préliminaire, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci a renseigné des noms d'expéditeurs erronés associés à des adresses d'expédition fictives et ce, afin de ne pas être identifié.
22. Les juges en concluent que ces expéditions par voie postale ne doivent pas être analysées comme de simples correspondances mais revêtent les caractéristiques de livraisons clandestines de substances stupéfiantes constitutives de délits punis de dix ans d'emprisonnement.
23. C'est à tort que les juges ont énoncé que M. [U] n'était pas recevable à critiquer la régularité de l'ouverture des enveloppes dans le cadre de l'enquête préliminaire hors sa présence et sans autorisation du juge des libertés et de la détention, après avoir constaté qu'il en était l'expéditeur effectif, de sorte qu'il résultait d'éléments objectifs de la procédure qu'il disposait d'un droit propre sur celles-ci (Crim., 25 octobre 2022, pourvoi n° 21-85.763, publié au Bulletin).
24. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que le demandeur n'allègue pas un grief distinct de celui qui résulte de la seule saisie des produits stupéfiants.
25. Ainsi, le moyen doit être écarté.
26. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 7 février 2024 n° 23-83.178
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 23-83.178 F-D
N° 00292
7 FÉVRIER 2024
RB5
QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 FÉVRIER 2024
MM. [S] [W], [U] [N] et [H] [G] ont présenté chacun, par mémoires spéciaux reçus, pour la première, le 15 novembre 2023, pour la deuxième, le 16 novembre 2023 et, pour la troisième, le 6 décembre 2023, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion des pourvois formés par eux contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 17 mai 2023, qui a condamné, le premier, pour corruption active d'un magistrat et trafic d'influence actif, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et trois ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, le deuxième, pour corruption active d'un magistrat, trafic d'influence actif et violation du secret professionnel, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et trois ans d'interdiction professionnelle et le troisième, pour recel, corruption passive par un magistrat et trafic d'influence passif, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et trois ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des observations ont été produites.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat M. [U] [N], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [S] [W], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [H] [G], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. [U] [N] est ainsi rédigée :
« En édictant les dispositions combinées des articles 99-3 (dans leur version issue de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010), 99-4 (dans leur version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004), 100-5 alinéas 1 et 3 (dans leur version issue de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010) et 100-7 (dans leur version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004) du code de procédure pénale – en ce qu'elles permettent au juge d'instruction de procéder ou de faire procéder à des réquisitions et exploitations de fadettes d'avocat sans prévoir, par contraste avec le dispositif légal désormais en vigueur, des garanties légales suffisantes et adaptées à la particulière sensibilité et confidentialité de ces données liées au secret professionnel de l'avocat –, le législateur a-t-il, d'une part, porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense et, d'autre part, a méconnu sa propre compétence en affectant ces mêmes droits et libertés que la Constitution garantit ? ».
2. Les questions prioritaires de constitutionnalité posées pour MM. [S] [W] et [H] [G] sont ainsi rédigées :
« Les dispositions des articles 99-3, 99-4, 100-5 alinéas 1er et 3, et 100-7 du code de procédure pénale, dans leur version applicable aux faits, qui permettent de procéder à des réquisitions et exploitations de fadettes d'avocats sans garanties, sont-elles contraires au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense consacrés par les articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ».
3. Les articles 99-3 et 100-5, alinéas 1 et 3, du code de procédure pénale, dans leur version issue de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010, ainsi que les articles 99-4 et 100-7 du même code, dans leur version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, à l'exception du deuxième alinéa de l'article 99-4 et du premier alinéa de l'article 100-7, qui sont relatifs respectivement aux réquisitions prévues par le deuxième alinéa de l'article 60-2 du code de procédure pénale et aux interceptions sur la ligne d'un parlementaire, sont applicables à la procédure.
4. Les mots « aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l'article 60-2 » figurant au premier alinéa de l'article 99-4 dans sa version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 ont été déclarés conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2022-1000 QPC du 17 juin 2022.
5. En revanche, le surplus des dispositions contestées n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. Les questions, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.
7. Les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux pour les motifs qui suivent.
8. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la recherche des auteurs d'infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée et les droits de la défense, protégés par les articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En revanche, aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats.
9. En premier lieu, l'article 99-3 du code de procédure pénale permet au juge d'instruction ou à l'officier de police judiciaire par lui commis de requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l'instruction, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique. Il permet donc d'obtenir les factures détaillées de la ligne téléphonique d'un avocat. Toutefois, en adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions.
10. En deuxième lieu, la réquisition de données de connexion intervient à l'initiative du juge d'instruction, magistrat du siège dont l'indépendance est garantie par la Constitution, ou d'un officier de police judiciaire qui y a été autorisé par une commission rogatoire délivrée par ce magistrat.
11. D'une part, ces dispositions ne permettent la réquisition de données de connexion que dans le cadre d'une information judiciaire. Le juge d'instruction ne peut informer, en tout état de cause, qu'en vertu d'un réquisitoire du procureur de la République ou, sauf en matière contraventionnelle, dans les conditions prévues aux articles 85 et suivants du code de procédure pénale, à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile.
12. D'autre part, dans le cas où la réquisition de données de connexion est mise en oeuvre par un officier de police judiciaire en exécution d'une commission rogatoire, cette commission rogatoire, datée et signée par le magistrat, précise la nature de l'infraction, objet des poursuites, et fixe le délai dans lequel elle doit être retournée avec les procès-verbaux dressés pour son exécution par l'officier de police judiciaire. Ces réquisitions doivent se rattacher directement à la répression de cette infraction et sont, conformément à l'article 152 du code de procédure pénale, mises en oeuvre sous la direction et le contrôle du juge d'instruction.
13. En outre, conformément aux articles 175-2 et 221-1 du code de procédure pénale, la durée de l'information ne doit pas, sous le contrôle de la chambre de l'instruction, excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen, de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l'exercice des droits de la défense.
14. En troisième lieu, les factures détaillées d'une ligne téléphonique utilisée par un avocat ne permettent pas de connaître le contenu des échanges entre un avocat et son client.
15. En dernier lieu, il est indifférent, pour l'appréciation de la constitutionnalité des dispositions contestées, que le législateur ait désormais prévu des garanties spécifiques pour le recueil de données de connexion émises par un avocat.
16. Dès lors, l'article 99-3 du code de procédure pénale, en ce qu'il permet de recueillir les factures détaillées d'une ligne téléphonique utilisée par un avocat, procède à une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée et ne méconnaît ni ce dernier droit ni les droits de la défense.
17. Par voie de conséquence, pour les mêmes motifs, cet article n'est pas entaché d'incompétence négative au motif qu'il ne prévoirait pas des garanties suffisantes s'agissant du recueil des factures détaillées de la ligne téléphonique d'un avocat dans le cadre d'une information judiciaire.
18. S'agissant des articles 100-5, alinéas 1 et 3, et 100-7, alinéas 2 à 4, du code de procédure pénale, ceux-ci ne permettent pas à un juge d'instruction d'obtenir les factures détaillées de la ligne téléphonique d'un avocat. Par ailleurs, ils ne sauraient en tout état de cause être le siège de l'incompétence négative dénoncée. La question est donc dénuée de caractère sérieux à leur égard.
19. Il n'y a pas lieu en conséquence de renvoyer les questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Crim. 7 février 2024 n° 23-84.319
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 23-84.319 F-D
N° 00118
SL2 7 FÉVRIER 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 FÉVRIER 2024
La société Transports Antoine et compagnie a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, en date du 25 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre elle du chef de travail dissimulé aggravée, a confirmé l'ordonnance de saisie rendue par le juge d'instruction.
Par ordonnance en date du 29 septembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société Transport Antoine et compagnie, et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société TSM Esport, filiale de la société Transports Antoine et compagnie, a été mise en cause pour avoir eu recours à une fausse sous-traitance lui permettant de faire assurer certaines de ses prestations de transport par des conducteurs de nationalité polonaise n'ayant pas fait l'objet de déclaration nominative préalable à l'embauche, lui permettant ainsi de s'affranchir des charges sociales et fiscales.
3. Une information judiciaire a été ouverte.
4. Les sociétés TSM Esport et Transports Antoine et compagnie, notamment, ont été mises en examen du chef susvisé.
5. Le 18 mai 2022, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de maintien de la saisie de la somme de 7 065 985 euros figurant sur un compte bancaire dont est titulaire la société Transports Antoine et compagnie au Crédit agricole Atlantique Vendée.
6. Cette société a interjeté appel de la décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
7. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné le maintien de la saisie de la somme de 7 065 985 euros opérée sur le compte (RIB ou numéro de compte : [XXXXXXXXXX01]) dont la société Transports Antoine et compagnie (siren numéro 304 397 557) était titulaire auprès du Crédit agricole Atlantique Vendée, succursale Nantes, par procès-verbal en date du 10 mai 2022 visé au chapeau, alors :
« 1°/ que si plusieurs auteurs ou complices ont participé à un ensemble de faits, soit à la totalité soit à une partie de ceux-ci, chacun d'eux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées, à la condition que la valeur totale des biens confisqués n'excède pas celle du produit total de cette ou de ces infractions ; que le juge qui ordonne la saisie en valeur d'un bien appartenant ou étant à la libre disposition d'une personne, quand il ne résulte pas des pièces de la procédure de présomptions qu'elle a bénéficié de la totalité du produit de l'infraction, doit apprécier, si cette garantie est invoquée, le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé s'agissant de la partie du produit de l'infraction dont elle n'a pas tiré profit ; qu'en l'espèce, après avoir relevé qu'il ne résultait pas des pièces de la procédure des présomptions que la société des Transports Antoine aurait bénéficié de la totalité du produit du délit de travail dissimulé, la chambre de l'instruction a retenu que la saisie opérée ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit de propriété au regard d'une part, de sa situation personnelle, étant constaté qu'à l'époque de la saisie, elle était titulaire de 16 comptes bancaires dont 5 totalisaient la somme de 15.101.487 euros, et d'autre part, de la gravité des faits auxquels elle paraît avoir participé, consistant à s'affranchir de nombreuses obligations en termes de charges sociales et fiscales et de droit du travail et à créer une concurrence déloyale envers les entreprises du secteur qui respectent la législation ; qu'en se déterminant ainsi, mais sans relever ni le produit de l'infraction susceptible d'être reprochée à l'exposante, ni le caractère proportionné de la mesure, s'agissant de la partie du produit de l'infraction dont la société Transports Antoine n'a pas tiré profit, la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions des articles les articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 706-153, 706-154 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que statuant sur l'appel d'une ordonnance refusant d'ordonner la mainlevée d'une saisie pénale, la chambre de l'instruction doit apprécier la proportionnalité de celle-ci au moment où elle statue, et non à la date de la saisie ; qu'en se bornant à relever qu'à l'époque de la saisie, soit le 10 mai 2022, près d'un an avant le prononcé de l'arrêt attaqué, l'exposante aurait été titulaire de 16 comptes bancaires dont 5 totalisaient la somme de 15.101.487 euros et en se plaçant à l'époque de la saisie pour en apprécier la proportionnalité, sans se prononcer sur le moyen tiré de ce que depuis cette date, la société exposante avait été déclarée en état de cessation des paiements, la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions des articles les articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 706-153, 705-154 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le montant d'une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation, c'est-à-dire celle du produit de l'infraction pour laquelle l'intéressé a été mis en examen ; que le produit du délit de travail dissimulé correspond à la seule économie réalisée par la fraude, c'est-à-dire au seul montant des cotisations et droits éludés ; qu'en considérant que le produit du délit de travail dissimulé correspond à l'économie réalisée par la fraude, ou encore au montant de cotisations sociales et de droits éludés, qu'il s'agirait de l'économie résultant de l'absence de versement des sommes dues au titre de l'impôt et de l'économie résultant de l'absence de versement des cotisations sociales et en retenant un montant prétendument dû à l'administration fiscale de 4.773.520 euros, quand cette somme revendiquée par l'administration fiscale incluait des sommes dues au titre d'impôts et taxes sans lien avec le délit prétendu de travail dissimulé, la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions des articles 593 du code de procédure pénale et 706-141-1 du code de procédure pénale ;
4°/ que le montant d'une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation, c'est-à-dire celle du produit de l'infraction pour laquelle l'intéressé a été mis en examen ; que le produit du délit de travail dissimulé correspond à la seule économie réalisée par la fraude, donc au seul montant des cotisations et droits éludés, que le juge qui ordonne une saisie en valeur est tenu d'évaluer ; qu'en déclarant inopérante la critique par le mis en examen du calcul de l'Urssaf par l'exposante, faisant valoir que l'Urssaf était dans l'incapacité de produire un calcul fondé sur des données crédibles du produit de l'infraction prétendue, la cour d'appel a violé les articles 591 du code de procédure pénale, 131-21 du code pénal et 706-141-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal et 593, 706-141-1 et 706-154 du code procédure pénale :
9. Il résulte de ces textes que le montant d'une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation.
10. Lorsque plusieurs auteurs ou complices ont participé à un ensemble de faits, soit à la totalité soit à une partie de ceux-ci, chacun d'eux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées, avec ou non la circonstance de bande organisée, à la condition que la valeur totale des biens confisqués n'excède pas celle du produit total de cette ou de ces infractions.
11. Si le moyen pris de la violation du principe de proportionnalité au regard du droit de propriété est inopérant lorsque la saisie a porté sur la valeur du produit direct ou indirect de l'infraction (Crim., 5 janvier 2017, n° 16-80.275, Bull. Crim. 2017, n° 7), le juge qui ordonne la saisie en valeur d'un bien appartenant ou étant à la libre disposition d'une personne, alors qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure de présomptions qu'elle a bénéficié de la totalité du produit de l'infraction, doit cependant apprécier, lorsque cette garantie est invoquée, le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé s'agissant de la partie du produit de l'infraction dont elle n'aurait pas tiré profit.
12. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. Pour confirmer le maintien de la saisie, l'arrêt attaqué retient qu'il existe des indices graves et concordants permettant de considérer que la société Transports Antoine et compagnie a participé, comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi, cette société encourant donc la confiscation en valeur du produit du délit de travail dissimulé.
14. Les juges précisent que ce produit est provisoirement évalué à la somme de 4 773 520 euros due à l'administration fiscale et à la somme de 2 292 465 euros due à l'URSSAF, de sorte que le montant de la saisie en valeur n'excède pas celui du produit supposé de l'infraction pour laquelle la société Transports Antoine et compagnie a été mise en examen.
15. Ils ajoutent que les critiques concernant le calcul effectué par l'URSSAF et le caractère exigible de sa créance ne sont pas opérantes à ce stade de la procédure, alors que l'information se poursuit aux fins de déterminer les modalités et l'étendue de la fraude suspectée.
16. Ils énoncent enfin qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure des présomptions que la société Transports Antoine et compagnie a bénéficié de la totalité du produit du délit de travail dissimulé, mais que la saisie ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de propriété au regard, d'une part, de sa situation personnelle, étant constaté qu'à l'époque de la saisie elle était titulaire de seize comptes bancaires dont cinq totalisaient la somme de 15 101 487 euros, d'autre part, de la gravité des faits auxquels la société paraît avoir participé, consistant à s'affranchir de nombreuses obligations en termes de charges sociales et fiscales, et de droit du travail, ainsi qu'à créer une concurrence déloyale envers les entreprises.
17. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
18. D'une part, dès lors qu'elle avait constaté que la société Transports Antoine et compagnie n'avait pas bénéficié de la totalité du produit du délit de travail dissimulé pour lequel elle avait été mise en examen, il lui appartenait d'évaluer ce produit pour être en mesure de contrôler le caractère proportionné, en se plaçant à la date où elle statuait, de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressée s'agissant de la partie du produit de l'infraction dont elle n'avait pas tiré profit.
19. D'autre part, la chambre de l'instruction s'est abstenue de répondre au moyen pris de ce que la somme retenue par l'administration fiscale incluait des sommes sans lien avec l'infraction poursuivie.
20. Enfin, la chambre de l'instruction ne pouvait confirmer la saisie sans mieux répondre au moyen pris de ce que l'URSSAF était dans l'incapacité de produire un calcul exact du produit de l'infraction, à défaut de disposer de documents justificatifs recensant le nombre d'heures de travail, mois par mois, salarié par salarié, pour chacune des sociétés polonaises.
21. La cassation est par conséquent encourue.
Crim. 7 février 2024 n° 22-87.426 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 22-87.426 F-B
N° 00127
SL2 7 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 7 FÉVRIER 2024
M. [E] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 31 octobre 2022, qui, pour blanchiment, blanchiment douanier et transfert de capitaux sans déclaration, l'a condamné à un an d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction du territoire français, des amendes douanières et des confiscations.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [E] [P], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'administration des douanes et des droits indirects, et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 27 février 2021, M. [E] [P] a été contrôlé au volant de son véhicule par des agents des douanes. Alors qu'il a déclaré transporter la somme de 5 000 livres sterling en espèces, il a été retrouvé dissimulé dans son véhicule plus de 600 000 livres sterling.
3. Par jugement du tribunal correctionnel du 9 avril 2021, M. [P] a été condamné des chefs susmentionnés à douze mois d'emprisonnement, trois ans d'interdiction du territoire français, des amendes douanières et des confiscations.
4. Il a relevé appel, ainsi que le ministère public.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité présentées par M. [P], alors :
« 2°/ que il résulte de l'article 63-2 du code de procédure pénale que l'avis à la famille peut, sur autorisation du procureur de la République, être différé ou ne pas être délivré si cette décision est, au regard des circonstances, indispensable afin de permettre le recueil ou la conservation des preuves ou de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l'intégrité physique d'une personne ; qu'en rejetant le moyen de nullité tiré de l'absence d'un tel avis, au motif inopérant de l'absence de démonstration d'un grief, lorsque ni la cour d'appel, ni aucune pièce de la procédure n'explique en quoi une telle atteinte à ce droit était indispensable en application des critères de l'article 63-2 du code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu cette disposition ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel il ne figure pas dans la procédure les motifs pour lesquels le procureur de la République a différé l'avis à famille prévu par l'article 63-2 du code de procédure pénale en cas de garde à vue, l'arrêt attaqué énonce que, en l'absence de grief démontré, l'absence de motivation du sursis à l'avis à famille ne saurait entraîner une quelconque nullité.
8. En prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
9. En effet, s'il doit figurer en procédure le motif, parmi ceux prévus par la loi, pour lequel le procureur de la République décide de différer l'avis devant être délivré en application du premier alinéa de l'article 63-2 du code de procédure pénale, l'irrégularité entachant la délivrance de cet avis ne peut entraîner le prononcé d'une nullité que s'il en est résulté pour la personne gardée à vue une atteinte effective à ses intérêts.
10. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [P] à une amende douanière de 700 000 euros pour blanchiment douanier et à une amende douanière de 300 000 euros pour transfert de capitaux sans déclaration, alors :
« 1°/ que le juge qui prononce une amende en application de l'article 415 du code des douanes en répression de l'infraction de blanchiment douanier, après avoir recherché la somme sur laquelle a porté l'infraction et fixé en conséquence les montants minimum et maximum de l'amende encourue, doit motiver sa décision au regard de l'ampleur et de la gravité de l'infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur, quel que soit le montant de l'amende qu'il retient ; qu'en condamnant M. [P] à une amende douanière de 700 000 euros pour blanchiment douanier, sans s'expliquer sur l'ampleur et la gravité de l'infraction commise, ni sur la personnalité du prévenu, qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel a méconnu les articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 415 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le juge qui prononce une amende en application de les articles 465 du code des douanes et L. 152-4 du code monétaire et financier en répression de l'infraction de transfert non déclaré de sommes, titres ou valeurs d'au moins 10.000 euros, après avoir recherché la somme sur laquelle a porté l'infraction et fixé en conséquence les montants minimum et maximum de l'amende encourue, doit motiver sa décision au regard de l'ampleur et de la gravité de l'infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur, quel que soit le montant de l'amende qu'il retient ; qu'en condamnant M. [P] à une amende douanière de 300.000 euros pour transfert non déclaré de sommes, titres ou valeurs d'au moins 10.000 euros, sans s'expliquer sur l'ampleur et la gravité de l'infraction commise, ni sur la personnalité du prévenu, qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel a méconnu les articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 465 du code des douanes, L. 152-4 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 365 et 369 du code des douanes, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale :
12. Aux termes du deuxième de ces textes, eu égard à l'ampleur et à la gravité de l'infraction commise, ainsi qu'à la personnalité de son auteur, le tribunal peut réduire le montant de l'amende fiscale prononcée à l'encontre de l'auteur d'une infraction douanière jusqu'à un montant inférieur à son montant minimal.
13. Il résulte du premier et des trois derniers qu'en matière douanière, toute peine d'amende doit être motivée.
14. Il se déduit de l'ensemble de ces textes que le juge qui prononce une amende en application de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier en répression du délit de transfert non déclaré de capitaux ou en application de l'article 415 du code des douanes en répression du délit de blanchiment douanier, en fonction du montant de l'argent liquide sur lequel a porté l'infraction, doit également motiver sa décision au regard de l'ampleur et de la gravité de l'infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur, quel que soit le montant de l'amende qu'il retient.
15. Pour confirmer le jugement qui a condamné M. [P] à une amende douanière de 300 000 euros au titre de l'infraction de manquement à l'obligation déclarative et à une amende douanière de 700 000 euros au titre de l'infraction de blanchiment douanier, l'arrêt attaqué énonce que ces amendes apparaissent adaptées et proportionnées au regard des textes sanctionnant ces délits.
16. En prononçant ainsi, sans faire apparaître qu'elle devait prendre en considération l'ampleur et la gravité de l'infraction commise et la personnalité du prévenu pour déterminer le montant de l'amende douanière et sans mentionner non plus ces éléments lorsqu'elle a statué sur ces amendes, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux amendes douanières. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 6 février 2024 n° 23-80.908
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 23-80.908 F-D
N° 00106
ODVS 6 FÉVRIER 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 6 FÉVRIER 2024
M. [I] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France, chambre correctionnelle, en date du 8 décembre 2022, qui, pour fraude aux prestations sociales, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [I] [J], les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la collectivité territoriale de la Martinique, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [I] [J] a été poursuivi du chef susvisé devant le tribunal correctionnel qui l'a déclaré coupable, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et a prononcé sur les intérêts civils.
3. Le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a statué sur la demande de renvoi présentée par l'avocat de M. [J] sans que le prévenu ou son conseil, présents à l'audience aient eu la parole en dernier, alors « que selon l'article 513 al. 4 du code de procédure pénale, le prévenu ou son avocat auront toujours la parole en dernier ; cette règle s'applique à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond ; qu'en statuant en début d'audience sur la demande de renvoi formulée par l'avocat de M. [J] sans donner la parole en dernier au prévenu comparant ou à son avocat, ainsi que cela résulte des mentions de l'arrêt et des notes d'audience visées par le greffier et par le président, qui font état de ce que le ministè
Réponse de la Cour
Vu l'article 513, alinéa 4, du code de procédure pénale :
5. Selon ce texte, le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers. Cette règle s'applique à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond.
6. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'il a été statué, au cours des débats, sur la demande de renvoi présentée par l'avocat de M. [J], pour la rejeter, sans que le prévenu ou son conseil aient eu la parole en dernier.
7. En prononçant ainsi, alors que l'incident n'avait pas été joint au fond, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
8. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Crim. 6 février 2024 n° 23-80.109
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 23-80.109 F-D
N° 00101
ODVS 6 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 6 FÉVRIER 2024
M. [Z] [T], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre des mineurs, en date du 9 décembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre [H] [S] du chef de viol, a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [Z] [T], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, l'avocat ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, M. Lemoine, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt devenu définitif sur l'action publique, la cour d'assises des mineurs a déclaré [H] [S] coupable du chef de viol, pour des faits commis entre 1988 et 1990 au préjudice de M. [Z] [T], né le [Date naissance 1] 1982.
3. Par un arrêt rendu après renvoi sur les intérêts civils, la cour d'assises a condamné [H] [S] à payer à M. [T] une somme totale de 90 825 euros en réparation de ses divers préjudices, outre une somme au titre de l'article 375 du code de procédure pénale.
4. M. [T] et [H] [S] ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième, huitième, neuvième, onzième et douzième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le dixième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande d'indemnisation de son préjudice sexuel, alors « que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour débouter M. [T] de sa demande d'indemnisation de son préjudice sexuel, que celui-ci ne subit aucun préjudice sexuel puisqu'il n'a jamais été intéressé en raison d'une absence de libido par l'un ou l'autre sexe (arrêt p. 12) sans rechercher si l'absence de libido de M. [T] n'avait pas pour cause les faits de viols subis lorsqu'il était enfant et avant même qu'il ait l'âge d'avoir du désir sexuel, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et 593 du code de procédure pénale :
7. Il résulte du premier de ces textes que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
8. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour débouter M. [T] de sa demande au titre du préjudice sexuel, l'arrêt attaqué énonce que l'expert médical a considéré que, si l'intéressé ne présente pas de trouble morphologique ni de difficulté clinique à l'acte sexuel, les conséquences psychologiques des faits peuvent se traduire par des troubles de la libido.
10. Les juges relèvent toutefois que le frère de M. [T] a déclaré que l'intéressé n'avait à sa connaissance eu aucune relation avec qui que ce soit, ni dans l'adolescence ni en tant qu'adulte, et qu'il lui avait à plusieurs reprises confié que le sexe ne l'intéressait pas.
11. Ils ajoutent que, selon un camarade de l'intéressé lors de ses études supérieures, celui-ci n'était attiré ni par les hommes ni par les femmes, ne se sentait pas concerné par les relations sexuelles et avait le projet de devenir prêtre.
12. Les juges en déduisent que le demandeur ne subit aucun préjudice sexuel, dès lors qu'en raison d'une absence de libido, il n'a jamais eu aucun intérêt pour l'un ou l'autre sexe.
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'absence de libido constatée à l'adolescence et à l'âge adulte, de nature à constituer un préjudice sexuel, n'avait pas pour cause les faits de viol subis dans l'enfance, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la réparation du préjudice sexuel. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Crim. 6 février 2024 n° 23-84.202
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 23-84.202 F-D
N° 00094
ODVS 6 FÉVRIER 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 6 FÉVRIER 2024
MM. [G], [R] et [D] [I] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 22 juin 2023, qui, dans l'information suivie des chefs d'infractions à la réglementation sur le dopage équin, escroquerie en bande organisée et association de malfaiteurs, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 13 novembre 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan avocat de MM. [G] et [R] [I], les observations de la SCP Spinosi, avocats de M. [D] [I], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. MM. [G], [R] et [D] [I] ont été mis en examen pour importation, détention, transport, incitation et aide à l'usage, cession ou offre de substance ou procédé dopant ou masquant destinés à un cheval participant à une course et participation à un groupement formé ou une entente en vue de la préparation de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et de délits punis de dix ans d'emprisonnement et, enfin, s'agissant des deux premiers, pour exercice illégal de la médecine et escroquerie en bande organisée.
3. Ces derniers ont déposé, en application des dispositions de l'article 173 du code de procédure pénale, des requêtes en annulation de diverses pièces de la procédure.
4. Ces requêtes ont été examinées à l'audience de la chambre de l'instruction du 5 mai 2023.
Examen des moyens
Sur le moyen unique, proposé pour M. [D] [I]
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, proposé pour MM. [G] et [R] [I]
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué, statuant sur une requête en nullité d'actes de la procédure, en ce qu'il a été rendu sans que la défense des mis en examen ait eu la parole en dernier, en violation de l'article 199 du code de procédure pénale et des droits de la défense.
Réponse de la Cour
Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 199 du code de procédure pénale :
7. Il se déduit des dispositions de ces textes et des principes généraux du droit que, devant la chambre de l'instruction, la personne mise en examen, lorsqu'elle comparaît, ou son avocat, doivent avoir la parole en dernier.
8. L'arrêt attaqué mentionne qu'à l'audience du 5 mai 2023, ont été entendus la présidente, en son rapport, l'avocat général, en ses réquisitions, les avocats de M. [D] [I], M. [S] [W], MM. [G] et [R] [I], Mme [E] [X] et de l'association [1], partie civile en leurs observations puis, de nouveau, l'avocat général, en ses réquisitions.
9. Ces mentions ne permettent pas à la Cour de cassation de s'assurer que le principe ci-dessus rappelé a été respecté.
10. La cassation est par conséquent encourue de ce chef. En raison de l'indivisibilité des faits, la cassation doit s'étendre à l'ensemble des demandeurs au pourvoi.
Crim. 31 janvier 2024 n° 23-84.662
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 23-84.662 F-D
N° 00084
ECF 31 JANVIER 2024
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 31 JANVIER 2024
M. [B] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges, en date du 6 juillet 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraires, homicide volontaire et viol, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 18 septembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gury & Maitre, avocat de M. [B] [W], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, Mme Coste-Floret, greffier de chambre, et M. Maréville, greffier de chambre présent au prononcé,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La disparition inquiétante de [F] [Z] a été signalée le 23 octobre 2022.
3. Les investigations ont permis d'établir qu'elle avait passé une partie de la soirée précédant sa disparition avec M. [B] [W], qui a été placé en garde à vue.
4. M. [W], avisé de ses droits, a été entendu à trois reprises avec l'assistance d'un avocat. A l'issue de la troisième audition, il a indiqué aux enquêteurs n'avoir pas dit la vérité, a exprimé le souhait d'être à nouveau entendu et a désigné, sur le logiciel de localisation fourni par les enquêteurs à sa demande, un lieu comme étant celui où il avait enterré le corps de la victime.
5. Les enquêteurs ont consigné ces déclarations, et avisé le procureur de la République. Sur instructions de ce dernier, ils ont contacté un avocat de permanence qui a assisté M. [W] lors d'une nouvelle audition, au cours de laquelle l'intéressé a réitéré ses déclarations.
6. Le 27 octobre 2022, le corps de [F] [Z] a été découvert à l'endroit désigné par M. [W] qui a été mis en examen des chefs susvisés.
7. Par requête du 19 avril 2023, M. [W] a sollicité l'annulation de pièces de la procédure.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à nullité de l'intégralité de la procédure d'enquête préliminaire et tous les actes subséquents, ou en tout état de cause, à déclarer nulle la procédure d'enquête préliminaire à compter du procès-verbal, compris, du 27 octobre 2022 à 2 heures 30 (PV n° 000191, cote D 616) et tous les actes subséquents d'enquête préliminaire et d'instruction pour violation des dispositions de l'article 63-3-1 du code de procédure pénale, alors « qu'ayant constaté que lors d'une pause, la personne gardée à vue avait spontanément demandé à reprendre son audition, sans que les policiers en charge de sa surveillance s'assurent de la présence de son avocat, en refusant d'annuler le procès-verbal recueillant des déclarations susceptibles de conforter l'incrimination aux motifs qu'on ne peut pas « bâillonner » le gardé à vue, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 63-3-1, dans sa version applicable au jour de la garde à vue, 63-4-2, 114, alinéa 1er, 171, 173, 174, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale, ensemble les droits de la défense, le principe de loyauté des preuves et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination garantis par l'article 6, § 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles préliminaire, 63-3-1 et 63-4-2 du code de procédure pénale :
9. Selon le premier de ces textes, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui.
10. Il résulte des deux derniers que, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat, et que celui-ci assiste à ses auditions et confrontations.
11. Pour écarter le moyen de nullité, l'arrêt attaqué énonce que les droits de M. [W] lui ont été notifiés, lors de son placement en garde à vue, puis lors de la prolongation de cette mesure, et qu'il les a parfaitement compris et exercés.
12. Les juges ajoutent que les officiers de police judiciaire sont même allés au-delà des exigences légales puisqu'au début de chaque audition, ils ont rappelé à la personne gardée à vue qu'elle avait le droit de garder le silence, ce à quoi ils n'étaient aucunement obligés.
13. Ils estiment que si une personne gardée à vue a le droit d'avoir un avocat lors des auditions, elle n'est pas pour autant astreinte au silence quand son conseil s'absente ou quand elle est au repos.
14. En prononçant ainsi, alors que les déclarations faites par une personne aux enquêteurs au cours de sa garde à vue doivent être reçues lors d'une audition et être transcrites par procès-verbal, dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions susvisées.
15. La cassation est, dès lors, encourue.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation à intervenir aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3, alinéa 3, du code de l'organisation judiciaire, en prononçant l'annulation des seules cotes D 613 à D 615, correspondant à l'acte d'enquête irrégulièrement accompli, et la cancellation des pièces postérieures en ce qu'elles font référence à celles-ci, et qui seront détaillées au dispositif, à l'exclusion de toute autre pièce de la procédure. Les autres dispositions de l'arrêt attaqué, en ce qu'elles rejettent le surplus de la requête en annulation, seront donc maintenues.
Crim. 30 janvier 2024 n° 23-86.523
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 23-86.523 F-D
N° 00232
SL2 30 JANVIER 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 30 JANVIER 2024
Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 1re section, en date du 4 octobre 2023, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée des chefs, notamment, de complicité de génocide et de crime contre l'humanité et association de malfaiteurs, a déclaré irrecevable la saisine directe de la chambre de l'instruction.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Suite à une plainte déposée le 27 octobre 2016 visant M. [X] [N], dit [X] [T], une information a été ouverte des chefs susvisés le 30 novembre 2016.
3. Le 5 mai 2023, le procureur de la République antiterroriste a requis la mise en examen de M. [T] et son placement en détention provisoire.
4. Le juge d'instruction a placé l'intéressé sous le statut de témoin assisté et, par ordonnance du même jour, après avoir énoncé qu'il n'existait pas d'indices graves ou concordants que ce dernier ait commis les faits de génocide et crime contre l'humanité, a dit n'y avoir lieu de saisir le juge des libertés et de la détention.
5. Le procureur de la République antiterroriste a interjeté appel de cette décision, que, par arrêt du 25 mai 2023 devenu définitif, la chambre de l'instruction a confirmée, au motif que M. [T] n'avait pas été mis en examen.
6. Par requête du 12 mai 2023, au visa de l'article 82, alinéas 3 et 4, du code de procédure pénale, le procureur de la République antiterroriste a saisi la chambre de l'instruction aux fins de mise en examen et de placement en détention provisoire de l'intéressé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation des articles 82, 509, 591 et 593 du code de procédure pénale.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la saisine directe de la chambre de l'instruction, alors :
1°/ que la chambre de l'instruction, statuant sur l'appel formé par le procureur de la République antiterroriste contre l'ordonnance du juge d'instruction ayant dit n'y avoir lieu à saisir le juge des libertés et de la détention, n'était pas saisie de la question de la mise en examen de M. [T] ; que cette décision n'avait donc pas autorité de chose jugée de ce chef ;
2°/ que la requête était recevable en application de l'article 82 du code de procédure pénale dès lors que le juge d'instruction n'avait pas rendu d'ordonnance disant n'y avoir lieu à mise en examen.
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer irrecevable la requête du procureur de la République antiterroriste, l'arrêt attaqué énonce notamment que, par l'effet dévolutif de l'appel, la chambre de l'instruction était saisie de la question de la mise en examen de M. [T] et que sa décision du 25 mai 2023 a donc autorité de la chose jugée sur ce chef.
10. Les juges ajoutent que l'article 82 du code de procédure pénale ne permet la saisine directe de la chambre de l'instruction que lorsque le juge d'instruction n'a rendu aucune ordonnance dans le délai imparti.
11. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
12. En premier lieu, l'appel du ministère public, qui portait, selon la déclaration d'appel, tant sur le placement sous le statut de témoin assisté de M. [T] que sur l'absence de saisine du juge des libertés et de la détention, a nécessairement dévolu à la chambre de l'instruction la question de la mise en examen de l'intéressé, préalable indispensable en tout état de cause à son placement en détention provisoire, de sorte que la décision de cette juridiction du 25 mai 2023 a acquis autorité de la chose jugée sur ce point, sauf caractérisation de nouveaux indices.
13. En second lieu, la saisine directe de la chambre de l'instruction n'est possible, en application de l'article 82, alinéa 5, du code de procédure pénale, que lorsque le juge d'instruction n'a pas rendu d'ordonnance dans le délai imparti, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le juge d'instruction ayant relevé dans son ordonnance disant n'y avoir lieu à saisine du juge des libertés et de la détention l'absence d'indice grave ou concordant de la participation de M. [T] aux faits qui lui étaient reprochés.
14. Ainsi, le moyen, qui manque en fait en sa seconde branche, doit être écarté.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Crim. 30 janvier 2024 n° 23-82.058 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 23-82.058 F-B
N° 00068
RB5 30 JANVIER 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 30 JANVIER 2024
MM. [W] [Y] et [G] [X] ont formé des pourvois contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 4 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'escroquerie aggravée, faux et usage, a prononcé sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.
Par ordonnance du 17 août 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de MM. [W] [Y] et [G] [X], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par deux ordonnances des 29 novembre 2022 et 2 décembre suivant, le juge des libertés et de la détention a autorisé le juge d'instruction chargé de la procédure à réaliser une perquisition dans les locaux professionnels où MM. [W] [Y] et [G] [X] exercent la profession d'avocat.
3. À l'occasion de cette perquisition, effectuée le 5 décembre 2022, le représentant du bâtonnier de l'ordre s'est opposé à la saisie de certains éléments, qui ont été placés sous scellé fermé.
4. Le magistrat instructeur a saisi, le 8 décembre 2022, le juge des libertés et de la détention pour qu'il prononce sur cette opposition.
5. Par ordonnance du 29 mars 2023, ce magistrat a ordonné le versement à la procédure du contenu du scellé concerné.
6. MM. [Y] et [X] ont relevé appel de cette décision le 30 mars suivant.
Examen des moyens
Sur le second moyen proposé pour M. [Y] et le moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour M. [X]
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé pour M. [Y]
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant ordonné le versement à la procédure du contenu du scellé fermé « JI/CAB/1 » constitué lors de la perquisition du cabinet de MM. [Y] et [X], alors :
« 1°/ d'une part que le délai de 5 jours ouvert au juge des libertés et de la détention pour statuer sur la contestation de la saisie d'un document à l'occasion d'une perquisition dans le cabinet d'un avocat est prescrit à peine de nullité et de restitution à l'avocat de la pièce en cause ; qu'en affirmant, pour dire la procédure suivie en l'espèce régulière même s' « il est constant que le délai de cinq jours pour statuer n'a pas été respecté par le juge des libertés et de la détention », « le délai n'est pas prévu à peine de nullité », le Président de la Chambre de l'instruction a violé les articles 56-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part et en tout état de cause que la méconnaissance du délai de 5 jours ouvert au juge des libertés et de la détention pour statuer sur la contestation de la saisie d'un document à l'occasion d'une perquisition dans le cabinet d'un avocat entraîne la nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention lorsqu'il en est résulté une atteinte aux droits et libertés de l'avocat perquisitionné ; qu'en se bornant, pour dire la procédure suivie régulière même s' « il est constant que le délai de cinq jours pour statuer n'a pas été respecté par le juge des libertés et de la détention », que « le délai n'est pas prévu à peine de nullité », sans rechercher si le dépassement du délai n'avait pas porté atteinte aux droits et libertés de Me [Y], le Président de la Chambre de l'instruction a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 56-1, 59, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ de troisième part que devant le Président de la Chambre de l'instruction, Me [Y] faisait valoir que le juge des libertés et de la détention avait statué 111 jours après la perquisition, ce qui avait nécessairement porté atteinte, en le privant de la disponibilité des éléments saisis, au libre exercice de sa profession, aux droits de la défense et au secret professionnel ; qu'en affirmant que la méconnaissance par le juge des libertés et de la détention des dispositions de l'article 56-1 du Code de procédure pénale ne produisait aucun effet, le Président de la Chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 56-1, 59, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour rejeter le moyen pris du caractère tardif de la décision du juge des libertés et de la détention, rendue le 29 mars 2023, soit plus de cinq jours après réception des pièces transmises le 8 décembre 2022, l'ordonnance attaquée constate que ce délai imparti par l'article 56-1 du code de procédure pénale au juge des libertés et de la détention pour statuer n'a pas été respecté.
10. Le président de la chambre de l'instruction relève que, néanmoins, seules les dispositions du premier alinéa de ce texte sont prescrites à peine de nullité.
11. Il en conclut que le dépassement dudit délai ne peut constituer une cause d'annulation, ni d'infirmation.
12. En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen, dès lors que le respect du délai de cinq jours imposé au juge des libertés et de la détention par l'article 56-1, alinéa 4, du code de procédure pénale, n'est prescrit à peine de nullité ni par ce texte ni par l'article 59 dudit code.
13. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [X]
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande de renvoi de M. [X] et a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant ordonné le versement à la procédure du contenu du scellé fermé « JI/CAB/1 » constitué lors de la perquisition du cabinet de MM. [Y] et [X], alors :
« 1°/ d'une part que le Président de la Chambre de l'instruction ne peut statuer sur la contestation des saisies effectuées lors d'une perquisition en cabinet d'avocat qu'après avoir mis l'avocat dont le cabinet a été perquisitionné en mesure d'être entendu par lui, ce qui suppose que cet avocat ait été convoqué, sinon cinq jours au moins avant la tenue de l'audience, du moins par lettre recommandée ; qu'au cas d'espèce, il résulte des propres constatations du Président de la Chambre de l'instruction que Maître [X] n'a été convoqué à l'audience du 3 avril 2023 que par lettre simple du 31 mars 2023 ; qu'en conséquence, sa défense sollicitait le renvoi de l'audience afin de permettre la régularisation de cette convocation ; qu'en affirmant, pour refuser de faire droit à la demande de renvoi et statuer sur la contestation qui lui était soumise, que Maître [X] avait été convoqué par lettre simple et par appel téléphonique à ses avocats, le Président de la Chambre de l'instruction a violé les articles 56-1, 59, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
15. Pour rejeter la demande de renvoi présentée par M. [X], qui faisait valoir qu'il n'avait pas été convoqué conformément aux dispositions de l'article 197 du code de procédure pénale, l'ordonnance attaquée énonce que ce texte n'est pas applicable.
16. Le président de la chambre de l'instruction relève que l'intéressé a été convoqué le vendredi 31 mars 2023 par lettre simple à son adresse déclarée, qui est celle de son domicile.
17. Il précise que le greffe a pris contact avec les avocats de M. [X] le jour même pour que ce dernier soit bien informé de la convocation, des messages ayant été laissés sur les répondeurs desdits avocats.
18. Il observe enfin qu'en raison du caractère contraint des délais prévus à l'article 56-1 du code de procédure pénale, la demande de renvoi ne peut qu'être rejetée.
19. En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen, dès lors qu'en l'absence de toute disposition expresse et en considération du très bref délai imparti à ce magistrat pour se prononcer, les convocations adressées à l'avocat au cabinet ou au domicile duquel la perquisition a été effectuée, au bâtonnier ou son délégué, peuvent l'être par tout moyen.
20. Le moyen doit ainsi être écarté.
21. L'ordonnance est par ailleurs régulière en la forme.
Crim. 30 janvier 2024 n° 23-83.549 B
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-83.549 F-B
N° 00067
RB5 30 JANVIER 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 30 JANVIER 2024
M. [P] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 31 mai 2023, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement tunisien, a émis un avis favorable.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [P] [V], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 14 octobre 2022, M. [P] [V], de nationalité tunisienne, a été placé sous contrôle judiciaire en exécution d'une demande d'arrestation provisoire délivrée par les autorités tunisiennes, sur le fondement d'un mandat d'amener du 27 mai 2022 d'un juge d'instruction tunisien, aux fins de poursuites pour des faits d'homicide volontaire avec préméditation, commis le 9 octobre 2021 en Tunisie.
3. La demande d'extradition, datée du 9 novembre 2022, lui a été notifiée le 5 janvier 2023.
4. M. [V] a déclaré ne pas consentir à sa remise et ne pas renoncer au principe de spécialité.
5. Par arrêt du 25 janvier 2023, la chambre de l'instruction a ordonné un supplément d'information afin que, dans le cas où une condamnation à la peine de mort serait prononcée à l'encontre de M. [V], les autorités tunisiennes prennent l'engagement de ne pas la faire exécuter.
6. Les autorités tunisiennes y ont répondu par note verbale reçue le 21 mars suivant.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté que les conditions légales de l'extradition sont remplies et a donné un avis favorable à la demande d'extradition formulée par les autorités de la République de Tunisie aux fins d'exercice de poursuites, sous réserve expresse que la peine de mort, à la supposer prononcée, ne soit pas appliquée, alors :
« 1°/ que la chambre de l'instruction doit contrôler de manière effective la conformité de la demande d'extradition à l'ordre public français, ce qui implique un examen de l'effectivité des garanties transmises par l'Etat requérant permettant de s'assurer que la personne réclamée n'encourt pas le risque de se voir appliquer une peine contraire à l'ordre public français ; que seule la garantie d'une absence de prononcé de la peine de mort permet de garantir effectivement que la personne réclamée ne risque pas de se voir appliquer cette peine ; qu'en donnant un avis favorable à la demande d'extradition formulée par les autorités de la République de Tunisie aux fins d'exercice de poursuites à l'encontre de M. [V], sous réserve expresse que la peine de mort, à la supposer prononcée, ne soit pas appliquée, sans garantie qu'elle ne soit pas prononcée, la chambre de l'instruction a privé son arrêt des conditions essentielles de son existence légale au regard des exigences des articles 696-4, 6°et 696-15 du code de procédure pénale ;
2°/ en tout état de cause, que la chambre de l'instruction doit contrôler de manière effective la conformité de la demande d'extradition à l'ordre public français, ce qui implique un examen de l'effectivité des garanties transmises par l'Etat requérant permettant de s'assurer que la personne réclamée n'encourt pas le risque de se voir appliquer une peine contraire à l'ordre public français ; que l'effectivité de ces garanties implique une absence d'ambiguïté quant au risque pour la personne réclamée de se voir appliquer une telle peine ; qu'il résulte des pièces de la procédure que les autorités ont notamment, dans la note adressée aux autorités françaises, indiqué que « la demande de garantie que la peine de mort ne sera pas exécutée à l'égard de la personne recherchée est prématurée puisqu'un jugement n'a pas été rendu quant aux actes imputés à l'inculpé objet de la demande d'extradition » et par ailleurs que « [m}ême en cas de requalification d'actes tels que la commission d'homicide volontaire avec préméditation, au sens des articles 201 et 202 du code pénal et le prononcé d'une condamnation à mort, cette peine ne sera pas exécutée car, depuis plus de 30 ans, aucune condamnation à mort n'a été exécutée, outre le fait que le pays tunisien s'est engagé internationalement à ne pas appliquer cette peine après avoir levé ses réserves au Protocole facultatif susvisé » ; qu'en donnant un avis favorable à la demande d'extradition formulée par les autorités de la République de Tunisie aux fins d'exercice de poursuites à l'encontre de M. [V], en l'absence, en l'état des pièces de la procédure qui étaient ainsi ambiguës, même dans le contexte des engagements internationaux signés par la Tunisie, de garantie claire et dénuée d'ambiguïté, donc effective, des autorités tunisiennes que M. [V] ne se verrait pas appliquer la peine de mort en cas d'extradition, la chambre de l'instruction a privé son arrêt des conditions essentielles de son existence légale au regard des exigences des articles 696-4 6°, 696-15 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'il résulte des pièces de la procédure que les autorités ont notamment, dans la note adressée aux autorités françaises, indiqué que « la demande de garantie que la peine de mort ne sera pas exécutée à l'égard de la personne recherchée est prématurée puisqu'un jugement n'a pas été rendu quant aux actes imputés à l'inculpé objet de la demande d'extradition » et par ailleurs que « [m}ême en cas de requalification d'actes tels que la commission d'homicide volontaire avec préméditation, au sens des articles 201 et 202 du code pénal et le prononcé d'une condamnation à mort, cette peine ne sera pas exécutée car, depuis plus de 30 ans, aucune condamnation à mort n'a été exécutée, outre le fait que le pays tunisien s'est engagé internationalement à ne pas appliquer cette peine après avoir levé ses réserves au Protocole facultatif susvisé »; qu'il résultait ainsi des pièces de la procédure que l'engagement des autorités tunisiennes de ne pas exécuter la peine de mort qui serait le cas échéant prononcée n'était pas dénuée d'ambiguïté et ne constituait donc pas une garantie effective ; qu'en énonçant toutefois que les autorités tunisiennes ont fourni des assurances écrites que M. [V] ne se verra pas appliquer une éventuelle condamnation à la peine de mort, la chambre de l'instruction s'est contredite et a ainsi privé son arrêt des conditions essentielles de son existence légale au regard des exigences des articles 696-4 6°, 696-15 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, 696-15 et 593 du code de procédure pénale :
8. Le premier de ces textes prohibe l'extradition vers un autre État d'une personne dont il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle serait exposée dans le pays de destination à un risque réel d'être soumise à la peine de mort.
9. Aux termes du second, l'arrêt d'une chambre de l'instruction, statuant en matière d'extradition, doit répondre, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.
10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour rejeter le moyen pris de l'absence de garantie précise et effective donnée par les autorités requérantes de non-application de la peine de mort à M. [V] et émettre un avis favorable à la demande d'extradition, l'arrêt attaqué énonce que les assurances données par les autorités tunisiennes en réponse à la demande de supplément d'information, qui émanent d'une autorité compétente et susceptible d'engager la République de Tunisie, précisent in fine que « même en cas de [...] prononcé d'une condamnation à mort, cette peine ne sera pas exécutée. »
12. Les juges ajoutent, s'agissant de la fiabilité de ces assurances, que, d'une part, aucune personne condamnée à mort n'a été effectivement exécutée en Tunisie depuis plus de trente-deux ans, d'autre part, ce pays a levé les réserves initiales qu'il avait formulées concernant le deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.
13. Ils relèvent que, si la Tunisie n'est pas allée jusqu'au terme de sa démarche en adhérant formellement à ce Protocole, elle a toutefois voté systématiquement, à compter de décembre 2012, la résolution biennale de l'assemblée générale des Nations unies valant « moratoire sur l'application de la peine de mort » ; qu'en particulier, postérieurement aux déclarations du président de la République de Tunisie de 2020 produites par le demandeur, ce pays a continué à voter en faveur des huitième et neuvième résolutions pour un moratoire sur la peine de mort et, la dernière fois, récemment, le 15 décembre 2022.
14. Ils observent en outre que les autorités requérantes se sont engagées à ce que M. [V] ne soit pas exposé à des traitements inhumains et dégradants en détention et que la Tunisie demeure partie à de nombreux instruments internationaux de protection des droits fondamentaux, dont le Pacte international des Nations unies relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.
15. Ils en concluent que les autorités tunisiennes ont fourni des assurances écrites que M. [V] ne se verra pas appliquer une éventuelle condamnation à la peine de mort.
16. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
17. En effet, lorsque la peine de mort est encourue à raison des faits pour lesquels l'extradition est demandée, il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer que l'Etat requérant prend l'engagement dénué de toute ambiguïté que cette peine ne sera pas appliquée à la personne réclamée.
18. En se référant à des considérations générales relatives à l'existence d'un moratoire sur l'application de la peine de mort en Tunisie depuis trente ans et aux engagements internationaux renouvelés de l'Etat requérant en ce sens, qu'elle qualifie elle-même de symboliques, alors que ces assurances ne permettaient pas de s'assurer que la peine de mort, si elle était prononcée, ne serait pas appliquée spécifiquement à la personne de M. [V], l'arrêt attaqué ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.
19. Ainsi la cassation est encourue de ces chefs, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
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